La culture dans tous ses états avec Farida Khelfa

  • il y a 7 mois
Céline Alonzo et André Bercoff reçoivent Farida Khelfa à l'occasion de la sortie de son livre "Une enfance française" chez Albin Michel.

Retrouvez La culture dans tous ses états tous les vendredis avec Céline Alonzo et André Bercoff à partir de 13h.

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##LA_CULTURE_DANS_TOUS_SES_ETATS-2024-02-02##

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Transcript
00:00 (Générique)
00:02 Sud Radio, la culture dans tous ses états. André Bercoff, Céline Alonso.
00:06 (Générique)
00:20 - Le petit blâmé, Céline, femme des années 80.
00:22 - Eh oui, femme des années 80, André Bercoff.
00:24 Eh bien aujourd'hui, c'est une icône de la mode des années 80 que nous allons recevoir sur Sud Radio jusqu'à 14h.
00:31 Farida Kelfa, André Bercoff, qui publie un livre poignant dans lequel elle raconte, pour la première fois, figurez-vous, la face sombre de son existence, André.
00:41 - Bah écoutez, moi j'ai croisé, je ne vais pas parler de moi, d'ailleurs, parlons de moi, il n'y a que ça qui m'intéresse.
00:46 Non, j'ai croisé Farida Kelfa quand elle était effectivement l'une des icônes, on le voyait au Palace dans les années 80,
00:53 que je fréquentais aussi, pas aussi assidûment, mais quand même.
00:56 Et c'est vrai que j'ai été très, très, très, très touché par son livre, parce que ce livre n'est pas seulement, justement,
01:03 c'est pas le livre People, Palace et compagnie, elle en parle.
01:07 Mais ce qui est, vous parlez de votre enfance, vous parlez de votre arrivée, vous arrivez effectivement, les parents algériens arrivaient en années 50,
01:15 vous parlez des HLM, de cette première immigration, pratiquement, et puis de la violence, on va en parler, on va prendre le temps d'en parler.
01:24 Et puis comment, et c'est toujours pareil, vous savez, c'était Jean-Paul Sartre qui disait, quand il nous demandait ce que c'est que la liberté,
01:31 il disait, vous savez ce qu'est la liberté ? C'est ce que vous faites de ce qu'on a fait de vous.
01:35 Vous n'avez pas choisi vos parents, vous n'avez pas choisi votre enfance, vous n'avez pas choisi votre lieu d'origine,
01:39 mais vous faites quelque chose de ce programme et vous, vous en avez fait quelque chose de très fort et vous le racontez dans ce livre, Céline.
01:47 Et oui, exactement, Farida Kalfa sera avec nous dans un instant sur Sud Radio, elle publie chez Albain Michel une enfance française.
01:54 Alors restez avec nous, on revient dans un instant, à tout de suite.
01:58 Sud Radio, la culture dans tous ses états, André Bercoff, Céline Alonso.
02:04 J'ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdu, j'avais passé mon enfance.
02:09 J'ai eu tort, j'ai voulu revoir le coteau glisser le soir, bleu et gris, ombre de silence.
02:14 Et j'ai retrouvé comme avant, longtemps après, le coteau là, en se dressant, comme en passé.
02:23 J'ai marché les temples brûlants, te croyant, t'étouffais sous mes portes.
02:27 Magnifique Barbara André Bercoff, eh bien aujourd'hui, c'est de votre enfance tragique dont nous allons parler.
02:33 Farida Akelfa, une enfance marquée par cette violence archaïque venue du djebel algérien.
02:39 Écrivez-vous dans votre livre "Une enfance française" paru chez Albain Michel.
02:43 Bonjour à vous et merci d'être avec nous sur Sud Radio jusqu'à 14h.
02:47 Alors votre livre est profondément bouleversant, je l'ai lu d'une traite, je ne l'ai pas lâché.
02:52 Pourquoi avez-vous attendu la mort de votre maman pour l'écrire ?
02:57 En fait, je n'ai pas attendu la mort de ma mère pour l'écrire, je ne pensais pas écrire un livre.
03:04 J'ai commencé à écrire quand elle est morte, j'étais en vacances, je travaillais sur un projet sur lequel j'avais beaucoup de difficultés.
03:11 Et donc je me suis dit, bon, pour ne pas m'effondrer ou même me laisser aller à une profonde mélancolie, essayons de faire quelque chose.
03:20 J'ai écrit et puis en fait, tout ce que j'ai écrit, ça revenait sur l'enfance.
03:25 Et donc après, c'est devenu comme... c'était une écriture pulsionnelle.
03:31 Tous les matins, je me levais entre 3h30 et 4h00 et j'écrivais jusqu'à midi sans m'arrêter.
03:36 Tous les matins, tous les jours ?
03:37 Tous les jours, tous les jours pendant un an.
03:39 Donc ça a été vraiment très tenace, très prenant.
03:45 Et au bout de 6-8 mois, je me suis dit, en fait, je suis en train d'écrire un livre.
03:50 Et là, d'abord, ça m'a donné un peu le vertige parce que c'est pas quelque chose que je désirais partager.
03:56 C'est pas une histoire que j'avais envie de raconter.
03:59 C'était mon histoire, je la gardais pour moi.
04:03 Je la travaillais sur le divan pendant de nombreuses années.
04:08 C'était vraiment quelque chose de...
04:09 Sur le divan du psychanalyste.
04:10 Du psychanalyste, bien sûr.
04:12 Mais c'était dans une sphère privée.
04:16 Et le rendre public m'avait pas effleuré.
04:22 Et après, je me suis dit, mais allons-y, quoi.
04:27 Qu'est-ce que vous avez, la pulsion de le rendre public ?
04:31 En fait, j'en ai parlé avec un ami.
04:33 Je lui dis, alors je suis en train de raconter, je lui racontais de l'Algérie, mes parents, mon grand-père,
04:38 qui avait fait la guerre 14, qui n'a jamais parlé, le déracinement, l'arrivée en France, les cités transites, tout ça.
04:45 Il me regardait comme ça, il me disait, mais c'est un bouquin, tu devrais voir, telle éditrice, appelle-la, et voilà.
04:53 Et donc c'est ce que j'ai fait.
04:55 Alors votre enfance, Farida Kelfa, c'est dans une cité près de Lyon qu'elle s'est déroulée.
05:02 Vous aviez 7 ans quand votre famille s'installe au Minguet, à Vénitieux,
05:06 dans cette fameuse tour 106 qui sera effectivement détruite dans les années 80, c'est ça ?
05:13 Après les émeutes, vous dites avoir été justement bouleversée par la chute de cette tour HLM.
05:20 Et ce qui est touchant, c'est que quand vous êtes arrivée dans cette tour HLM, c'était en 1967,
05:27 vous dites que vous avez découvert le luxe suprême.
05:30 Oui, parce qu'en fait il y avait du chauffage au sol déjà, donc nous on se chauffe au charbon.
05:35 Avant, c'était très compliqué, on était malade tout le temps, il faisait froid tout le temps, c'était très humide.
05:41 Il y avait de la suie au plafond, donc c'était pas très agréable.
05:45 Et là, d'un seul coup, on avait une salle de bain, on avait une cuisine,
05:49 je m'allongeais par terre avec le sol chauffé.
05:53 C'était une grande première dans l'histoire de l'humanité, le sol chauffé.
05:58 Donc voilà, le linoleum au sol, tout ça, tout ça.
06:03 Et le balcon, on avait un balcon, le 15ème étage, de monter au dernier étage,
06:08 on était quasiment les premiers dans la tour, je me demande même si on n'était pas les premiers.
06:12 Je me souviens être montée à toute vitesse jusqu'au 15ème et m'être penchée comme ça dans le vide,
06:17 en trouvant ça génial.
06:19 La tour de Faisun à l'horizon, tout était merveilleux.
06:22 Mais vous savez, juste je voudrais dire, pour nos éditeurs, pour ceux qui ne connaissent pas ça,
06:27 et les historiens en tout cas du XXème siècle le racontent, pas seulement pour les immigrés,
06:31 vous savez que les Français, quand ils ont découvert les HLM,
06:34 je parle des Français dits de souche, mais c'était pour beaucoup d'ouvriers qui vivaient dans des...
06:40 Je veux dire, aussi dans du linoleum et autres, c'était un accès au luxe,
06:47 enfin en tout cas à quelque chose de beaucoup plus fort, quoi.
06:51 Comme vous dites, toilettes, etc, hygiène...
06:53 Bien sûr, bien sûr, eau et gaz à tous les étages.
06:56 Alors au sein de cette cité, donc avec vos dix frères et soeurs, c'est ça,
07:01 on peut dire que vous avez été élevés dans une violence inouïe, Farida Kalfa.
07:06 Vous le racontez, votre père haïssait ses enfants, mais aussi les animaux, les plantes et les hommes.
07:11 Il avait la haine de tout, sauf des voitures et de l'alcool.
07:14 Le jour de paix arrivait, il faisait la tournée des bars et rentrait fortement aviné chez lui
07:19 pour violenter femmes et enfants qui attendaient tremblant le retour du bourreau.
07:24 La peur qu'il lisait dans leur regard aguisait sa violence, écrivez-vous.
07:28 Comment la violence de votre papa se manifestait-elle au quotidien, Farida ?
07:33 C'était un homme ultra-violent, c'est-à-dire que la moindre chose qui lui déplaisait
07:39 pouvait dégénérer dans une très, très grande violence.
07:43 Les bruits de bouche, les enfants qui prennent leur petit déjeuner,
07:46 il faisait voler toute la table, il était...
07:48 C'était un homme fortement perturbé et aussi, comme beaucoup de gens ultra-violents,
07:54 il trouvait une grande jouissance dans la violence.
07:57 Il y a quelque chose de cet ordre-là.
07:59 - Il y a un sadisme. - Oui, bien sûr, c'est ça, le sadisme.
08:01 C'est les gens qui jouissent de ça, donc...
08:05 Donc je voyais bien ça, mais en même temps, ce qui est très étonnant,
08:11 c'est que quand on est enfant, on comprend aussi la grande souffrance
08:16 et le délabrement de son père, alcoolique, cette espèce d'abandon.
08:21 Donc c'est cette sorte d'ambivalence, cette crainte, parce qu'il nous terrifiait,
08:26 et en même temps, il était pitoyable d'une certaine manière.
08:30 Donc il nous faisait aussi... En tout cas, à moi, il me faisait de la peine.
08:34 J'avais beaucoup de peine pour lui.
08:35 - Et ce qui est difficile, c'est que vous dites qu'effectivement,
08:37 ces vices, les vices qu'il infligeait à ses enfants,
08:39 s'intensifiaient au rythme de ses angoisses, au rythme de sa folie,
08:43 à un rythme effréné, et vous dites que seule la mort de l'un d'entre nous
08:47 aurait pu l'arrêter. - Oui.
08:50 Ce qui est dingue, c'est qu'aucun n'est mort.
08:52 - Oui, nous avions la peau dure de vous.
08:55 - Mais ce qui est terrible, c'est qu'il était aussi le bourreau de votre maman.
08:58 Il l'a batté sous vos yeux. - Oui, oui, oui.
09:00 Et ça, c'était terrifiant, parce qu'en fait, pour des enfants,
09:03 de voir sa mère... Nous, c'était presque normal.
09:06 On n'était pas finis, donc c'est normal qu'on frappe les enfants.
09:09 On trouvait ça normal. On n'avait pas grand-chose à redire.
09:13 Mais quand il frappait ma mère, là, le monde s'effondrait,
09:18 et on avait vraiment peur, parce que quelque chose de terrifiant
09:22 se déroulait sous nos yeux, et ça, ça me faisait peur.
09:26 - Oui, et ce qui est terrible, c'est qu'il y avait effectivement les coups,
09:29 mais il y avait aussi cette violence sexuelle,
09:31 parce que votre papa était un papa incestueux.
09:34 Il a abusé de votre sœur Myriam.
09:36 La façon dont vous le racontez, c'est vraiment bouleversant.
09:39 Dans votre lit, votre sœur est née Myriam.
09:42 C'est votre sœur cadette qui a brisé, vous dites, l'omerta familiale.
09:47 - Oui, oui. - Comment votre maman a réagi à l'époque ?
09:50 - Elle n'a rien dit. Elle n'a rien dit.
09:53 Ma sœur a tout cassé dans la cuisine.
09:55 Il y a eu une grande violence à ce moment-là.
09:58 Et étrangement, mon père était dans l'appartement et ne disait rien.
10:01 Et moi, je suis allée voir ma sœur.
10:03 Je lui disais, il y a le vieux qui est là.
10:05 T'es folle, qu'est-ce qui t'arrive ? Il est là, il a cassé tout.
10:08 Elle n'entendait pas ce que je lui disais.
10:10 Et je me disais, mais il va la tuer, ça va être atroce.
10:13 Et j'avais très, très peur pour elle, en fait.
10:15 En fait, il n'a rien fait.
10:17 Et bien sûr, je n'ai rien su. J'avais 8 ans.
10:20 Donc, je n'ai pas su ce qui s'était passé. Je ne sais pas.
10:24 J'ai juste assisté à cette scène ultra-violente.
10:27 Et bien après, j'ai compris ce qui s'était passé.
10:31 - Mais Farida, à l'époque, quand on a 8 ans,
10:34 effectivement, les adultes, la parole des adultes est une parole modèle,
10:37 quelle qu'elle soit, même dans le...
10:39 Vous savez, sans faire de psychanalyse d'école primaire.
10:42 Est-ce que, à l'époque, vous disiez...
10:45 Tous les adultes sont comme ça.
10:48 Puisque j'ai un père violent, une mère violente,
10:50 enfin, une mère violente, une mère qui subit.
10:52 Est-ce que ça vous donnait, pendant un moment, en tout cas,
10:55 l'horizon des adultes, c'était ça ?
10:57 - Oui, je pensais que les adultes,
10:59 je pensais que les hommes n'aimaient que les enfants,
11:01 que c'était...
11:03 - N'aimaient pas les enfants.
11:05 - Non, aimaient sexuellement, on va dire.
11:07 - Ah oui. - Voilà.
11:08 - N'aimaient pas les femmes et les enfants.
11:10 - N'aimaient pas les femmes et les enfants, je vous le dis d'ailleurs.
11:12 - Raffoler sexuellement des enfants.
11:14 - Exactement.
11:15 Je pensais que tous les adultes, les hommes adultes,
11:17 étaient des pervers,
11:19 qui faisaient semblant d'aimer les femmes,
11:21 mais qu'en vrai, c'était pas ça qui les intéressait,
11:23 qu'ils étaient tous ultra-violents,
11:25 qui cachaient leur ultra-violence,
11:27 parce que je voyais bien que mon père
11:28 n'étalait pas en public son ultra-violence.
11:30 Et puis après, quand même, je comprenais,
11:35 parce que quand j'allais chez mes tantes et tout ça,
11:37 que c'était pas exactement pareil,
11:39 que mes tantes agissaient différemment.
11:41 J'en avais une qui jouait au tiercé,
11:43 qui mettait du rouge à lèvres rouge,
11:46 qui faisait des ménages dans la banlieue de Dreux,
11:49 et puis qui prenait des bains chez les gens
11:51 chez qui elle travaillait, en fumant des cigarettes.
11:53 Et je la regardais, je me disais,
11:55 ouais, moi quand je serai grande, je ferai ça.
11:57 Je prendrai des bains avec des cigarettes et tout.
11:59 - Des bains de l'énervance. - Voilà, exactement.
12:01 - Super glamour.
12:03 - Votre maman était plus dans le cadre femme-martyre, effectivement.
12:07 Et ce qui est terrible, c'est que vous dites,
12:09 vous racontez à quel point elle était complice,
12:11 effectivement, de cet inceste,
12:13 parce qu'elle a avoué à votre sœur,
12:15 avoir surpris, son mari glissait la main
12:17 dans sa culante quand elle avait 4 ans.
12:19 - Ouais. - Ouais.
12:21 - Comment expliquez-vous que votre maman,
12:23 elle a accepté tout ça ? Parce qu'elle vous a jamais protégée,
12:25 vous le racontez, dès l'âge de 7 ans,
12:27 ce jour où vous l'avez suppliée vous-même,
12:29 en vain, de ne pas vous laisser chez votre oncle de Dreux l'été,
12:32 elle vous laissait pour les vacances.
12:34 Vous avez compris que jamais,
12:36 elle ne vous protégerait jamais,
12:38 votre oncle de Dreux, il faut le dire,
12:40 il a abusé de vous et d'autres enfants.
12:42 C'était un redoutable dévoreur d'enfants, dites-vous.
12:44 - Ouais. Oui, tout à fait.
12:46 Mais je crois qu'elle n'était pas en capacité
12:48 d'aider qui que ce soit.
12:50 Je pense qu'elle avait abandonné
12:52 et que justement, elle avait pris cette posture de victime.
12:54 Et c'est très dangereux.
12:56 C'est pour ça que je répète à plusieurs reprises dans le livre,
12:58 et aujourd'hui encore,
13:00 que je ne suis pas une victime,
13:02 puisque j'ai survécu à tout ça, que j'ai fait ma vie,
13:04 et que j'ai décidé de ma vie,
13:06 de ne pas être une victime.
13:08 Et que j'ai compris très tôt que la victimisation,
13:10 de se victimiser,
13:12 c'était d'une certaine manière abandonné.
13:14 C'est-à-dire, voilà, je suis une victime,
13:16 donc je ne peux rien faire, et donc je laisse tout faire.
13:18 - Ce qui est terrible, Farida,
13:20 justement, parce que c'est très intéressant,
13:22 ce que vous dites est très,
13:24 pour moi, très vrai,
13:26 et très de bon sens,
13:28 mais parce qu'on est dans des concurrences victimaires
13:30 effrénées en ce moment.
13:32 En ce moment, en tout cas, dans ce temps.
13:34 C'est pas d'hier. C'est-à-dire que tout le monde se pose
13:36 pour une raison ou une autre en victime.
13:38 Et c'est pas assez négatif.
13:40 - Non, c'est pas mon...
13:42 Pour moi, c'est...
13:44 C'est l'abandon d'être une victime.
13:46 Être une victime,
13:48 c'est donner...
13:50 C'est glorifier l'agresseur.
13:52 Ça veut dire que...
13:54 C'est comme si l'agresseur était vainqueur.
13:56 Parce que vous restez une victime toute votre vie.
13:58 Vous avez arrivé plein de saloperies
14:00 dans la vie, parce que la vie est faite ainsi.
14:02 C'est pas qu'on traverse la vie
14:04 comme ça,
14:06 sans problème.
14:08 Ça n'existe pas.
14:10 Plein de choses nous arrivent.
14:12 Plein de choses très difficiles.
14:14 - Mais vous, ça a été particulièrement dur, quand même.
14:16 - Oui, ça a été dur, mais très dur.
14:18 Mais aussi...
14:20 C'est...
14:22 Je vais dire un truc horrible,
14:26 mais si j'avais pas eu cette enfance-là,
14:28 je ne serais probablement pas là,
14:30 aujourd'hui, devant vous. Je n'aurais pas écrit ce livre-là.
14:32 J'aurais pas eu la vie que j'ai eue
14:34 aujourd'hui.
14:36 - Vous ne vous seriez pas accrochée...
14:38 - Voilà, en disant "Je veux vivre !
14:40 Je vais pas mourir !"
14:42 - Bien sûr. - Ouais.
14:44 - Effectivement. Oui, c'est ce que vous dites.
14:46 Par exemple, suite aux abus sexuels
14:48 que vous avez subis,
14:50 dont vous avez été victime en enfance,
14:52 suite à cela, vous avez développé des angoisses de mort.
14:54 Vous dites que ce mal, effectivement,
14:56 ne vous a plus jamais quitté,
14:58 et que c'est étrangement ce qui m'empêcha
15:00 de sombrer définitivement.
15:02 - Tout à fait. En fait,
15:04 cette espèce de constante
15:06 angoisse
15:08 qui vous bouffe au réveil,
15:10 et j'étais réveillée par ça.
15:12 Je le suis encore, mais beaucoup moins, étonnamment,
15:14 depuis que le livre est sorti.
15:16 Mais là, cette nuit, j'en ai eu une bonne.
15:18 Mais bon, ça revient quand même, c'est pas non plus...
15:20 Voilà.
15:22 Mais...
15:24 Oui, parce que ça empêche...
15:26 En fait, on se remet
15:28 constamment en question.
15:30 Les gens parlent beaucoup de zone de confort.
15:32 Pour moi, c'est un terme totalement abstrait.
15:34 Je ne sais absolument pas ce que c'est qu'une zone de confort.
15:36 - Jusqu'à présent, vous ne le savez pas ?
15:38 - Oui, oui. Je suis toujours dans...
15:40 - Vous êtes toujours celui qui vive ?
15:42 - Non, mais je suis toujours vigilante.
15:44 Je suis toujours... Voilà.
15:46 Bon, évidemment, j'ai des moments très heureux.
15:48 J'ai une famille,
15:50 un mari.
15:52 Il y a des moments vraiment
15:54 très divers dans mon travail,
15:56 dans plein de choses.
15:58 Mais quand même, il y a toujours derrière
16:00 un petit truc qui me dit...
16:02 "Faisons gaffe."
16:04 Voilà. On n'est jamais
16:06 complètement confortables.
16:08 - À l'abri. - Et à l'abri aussi.
16:10 Absolument, à l'abri.
16:12 - Vous avez compris pourquoi votre père
16:14 était si violent. Enfant, il a été
16:16 lui-même violenté. C'est ce que vous racontez.
16:18 - Oui, je pense que son père était ultra violent.
16:20 Il n'était même pas alcoolique.
16:22 Il n'avait pas l'excuse de l'alcool.
16:24 Je pense que c'est un gosse
16:28 qui a été vraiment
16:30 abandonné par sa mère.
16:32 Ça a été très douloureux. - Oui, dès l'âge de 8 ans.
16:34 - Oui, oui. Et aussi,
16:36 je pense que la colonisation
16:38 a une part très forte
16:40 dans la déshumanisation des hommes.
16:42 Puisque les hommes colonisés sont des hommes...
16:44 C'est la lecture de Fanon,
16:46 de Franz Fanon. - Oui, vous en parlez.
16:48 - Vraiment, c'est
16:50 un grand penseur, un grand psychiatre.
16:52 - Oui, c'est beaucoup. Vous parlez de son
16:54 livre "Paux noirs, masques blancs".
16:56 - Voilà, exactement. Il m'a vraiment éclairé
16:58 sur mes parents. - Les "Derniers de la Terre".
17:00 Justement, parce que j'ai lu ce passage,
17:02 et effectivement,
17:04 Franz Fanon est quelqu'un
17:06 qui a été très important.
17:08 Mais est-ce que...
17:10 Je me fais l'avocat, non pas du diable,
17:12 mais est-ce que ce n'est pas
17:14 quand même revenir à l'excuse ?
17:16 Parce qu'on dit "Ah oui, il a été
17:18 violent parce qu'il a été colonisé".
17:20 - Non, ce n'est pas une excuse.
17:22 Tous les colonisés n'ont pas été comme ça.
17:24 Donc, voilà.
17:26 Lui a été comme ça. Donc, lui était particulier.
17:28 Lui était un ultra-violent,
17:30 pervers, et plein de choses
17:32 encore. Quelqu'un...
17:34 Quelqu'un de profondément
17:38 délabré, je ne sais pas si on peut dire ça,
17:42 de personnalité,
17:44 totalement dépossédé de son corps.
17:46 - Et vous racontez un épisode
17:48 très troublant dans votre livre. Vous dites
17:50 effectivement que votre grand-père était si violent
17:52 que le juge religieux leur accorda
17:54 même en 1930
17:56 le divorce. Et à l'époque, c'était...
17:58 - Énorme. - C'était jamais vu, j'imagine.
18:00 - Jamais vu qu'une femme musulmane
18:02 avait le droit de divorcer de son mari
18:04 et que le "radis",
18:06 comme on dit, le juge religieux...
18:08 - En Algérie.
18:10 - Après leur séparation, vous racontez
18:12 que votre grand-mère fut réduite
18:14 à la mendicité. C'est ainsi
18:16 qu'ont traités les femmes, dites-vous,
18:18 à l'époque, qui osaient défier
18:20 les hommes. Et votre père, justement,
18:22 avait pour habitude de vous
18:24 sommer, de lui cracher à la figure si un jour
18:26 il venait à mendier. Et de
18:28 cet abandon, en fait, il a gardé une
18:30 haine des femmes. - Oui.
18:32 - Profonde des femmes. Des femmes et de tout
18:34 le monde. Des hommes, des enfants, des animaux.
18:36 Je vous dis vraiment. Il y a vraiment que
18:38 les voitures et l'alcool qui les met. - Mais est-ce qu'il n'y a
18:40 pas juste...
18:42 Est-ce qu'il n'y a pas aussi...
18:44 Alors, évidemment, comme vous dites, tous les
18:46 colonisés ne sont pas comme ça.
18:48 Et puis, il faut pas généraliser.
18:50 Mais est-ce qu'il n'y a pas aussi, dans
18:52 cette espèce de... ou de haine,
18:54 ou de mépris, ou d'asservissement
18:56 des femmes, cette culture patriarcale
18:58 qui joue dans un certain nombre de régions ?
19:00 - C'est sûr, c'est sûr
19:02 que le bassin méditerranéen
19:04 est...
19:06 est bercé de la culture
19:08 patriarcale. Je veux dire, de
19:10 la Sicile à...
19:12 - Oui, partout. - À l'Afrique du Nord,
19:14 à la Grèce, enfin tout ça,
19:16 c'est le patriarcat.
19:18 Mais c'est aussi le matriarcat.
19:20 C'est pas seulement ça. Les femmes aussi ont
19:22 les rênes du pouvoir. Donc c'est un peu compliqué.
19:24 C'est...
19:26 Tout ça, c'est une dualité. C'est aussi
19:28 d'être...
19:30 asservie au
19:32 colon, d'être vraiment...
19:34 de ne plus être un homme, en réalité.
19:38 D'ailleurs, c'est quelque chose... D'ailleurs, ma mère,
19:40 lui, disait souvent "tu n'es pas un homme".
19:42 Et quand elle lui disait ça, je me disais "putain, mais
19:44 pourquoi elle lui dit ça ?" Parce que je savais
19:46 que la violence allait décupler
19:48 à partir du moment où elle disait ça, parce que
19:50 justement... - Mais oui, il voulait super en question la virilité
19:52 et se tirer à l'image. - Voilà, et que en réalité
19:54 il savait qu'il se comportait pas en homme
19:56 et que ça, pour lui, c'était la suprême insulte.
19:58 Et là, c'était le défernement
20:00 de violence et...
20:02 Je comprenais pas pourquoi
20:04 elle faisait ça, alors qu'elle savait
20:06 qu'elle arrivait après. - Vous vous avez
20:08 côtoyé, on peut dire, la folie tout au long
20:10 de votre enfance, Farida Kalfa,
20:12 parce que même dès l'âge de 4-5 ans,
20:14 des fois, il vous arrivait de faire, effectivement,
20:16 d'être placée dans des hôpitaux
20:18 psychiatriques ou des orphelinats, où votre maman
20:20 était... Pendant que votre maman était internée,
20:22 est-ce que vous, parfois, dans votre
20:24 parcours de femme, vous avez eu peur
20:26 de basculer dans cette folie ? - Ah mais tout le temps !
20:28 J'ai... Toute ma vie,
20:30 toute ma vie, j'ai été sur le fil du rasoir.
20:32 Maintenant, je suis un tout petit peu
20:34 plus... Je me dis, bon...
20:36 On sait jamais, on sait jamais,
20:38 on peut toujours basculer, mais...
20:40 Oui, oui, très longtemps,
20:42 justement, je parle, quand j'étais avec Edwige,
20:44 et qu'elle me réveillait, et qu'elle me disait
20:46 "Mais est-ce que je suis morte ?"
20:48 Et là, d'un seul coup, l'angoisse m'habitait,
20:50 je me disais "Mais ça se trouve, on est mortes !"
20:52 Je lui disais "Mais non, t'es pas morte,
20:54 tu vois bien, t'es pas morte !" Et en fait, en réalité,
20:56 je... je... je... je savais pas. - Je pensais à vous.
20:58 - Voilà, je me disais "Mais ça se trouve, on est mortes toutes les deux,
21:00 on sait pas qu'on est mortes, et donc
21:02 l'angoisse m'habitait, et donc
21:04 la folie a toujours été très proche,
21:06 et d'ailleurs c'est ça qui m'a rendue, d'une certaine manière,
21:08 assez vigilante, quand je voyais ces femmes
21:10 folles, je me souviens d'un souvenir
21:12 de ces femmes avec de longs cheveux
21:14 noirs, avec une chemise de nuit,
21:16 des très longs ongles, vraiment,
21:18 et qui me fixaient comme ça, avec un regard
21:20 tord, et... et complètement
21:22 éteint, et je...
21:24 je me disais "Mais pourvu
21:26 que je devienne pas comme ça, pourvu que jamais
21:28 je devienne comme ça."
21:30 Quand même, donc j'étais très proche
21:32 de ça, très proche, je l'ai vue très près,
21:34 la folie, donc je sais que...
21:36 elle est en moi, mais
21:38 bon... je l'ai gardée
21:40 au calme. - En tout cas, Farida,
21:42 quelle face, cet enfer familial, vous l'avez
21:44 fui à l'âge de 16 ans pour rejoindre
21:46 Paris, mais la liberté a
21:48 un prix, et vous allez le payer
21:50 cher, en plongeant dans
21:52 un autre abîme, celui de la drogue,
21:54 on se retrouve dans un instant sur Sud Radio,
21:56 pour en parler, alors restez avec nous.
21:58 [Musique]
22:00 Sud Radio, la culture dans tous ses états,
22:02 André Bercoff, Céline Alonso.
22:04 [Musique]
22:06 [Musique]
22:08 [Musique]
22:10 [Musique]
22:12 [Musique]
22:14 [Musique]
22:16 [Musique]
22:18 [Musique]
22:20 Farida, quelle fin la liberté a été votre obsession
22:22 dès l'âge de 16 ans, elle ne vous a jamais quittée,
22:24 je voulais vivre comme les françaises,
22:26 libre, mêle au poids de la communauté,
22:28 me l'interdisaient, écrivez-vous, dans votre
22:30 livre, "Une enfance française" paru
22:32 chez Albain Michel, quels
22:34 interdits vos parents vous imposaient-ils ?
22:36 - Tout !
22:38 Tout était interdit.
22:40 Pas de sortie, pas de...
22:42 [Musique]
22:44 [Musique]
22:46 - Pas de rencontre avec les garçons. - Oui, certainement pas.
22:48 Tout ça faisait partie des interdits.
22:50 Pas de cinéma, pas de patinoire,
22:52 pas ce que faisaient nos copines.
22:54 - Mais études, oui.
22:56 - Non, même pas,
22:58 parce qu'à un moment, en fait, ce qui s'est
23:00 passé, c'est que moi j'ai commencé à beaucoup lire
23:02 dès que je suis rentrée
23:04 en seconde, deuxième et sixième, de moi-même.
23:06 De moi-même, j'ai été...
23:08 j'ai commencé à lire
23:10 et puis
23:12 évidemment, ça a commencé avec la révolte de l'adolescence.
23:14 Donc là,
23:16 quand mon père me frappait,
23:18 il voulait que je baisse les yeux
23:20 et je ne baissais plus les yeux.
23:22 Donc je refusais de baisser les yeux
23:24 et puis comme il était beaucoup plus petit que moi,
23:26 parce que quand même j'avais pris quelques centimètres,
23:28 donc là,
23:30 ça l'impressionnait beaucoup.
23:32 Et en fait,
23:34 un jour, il a décrété que c'était les livres.
23:36 Parce que je lisais trop de livres
23:38 et que, en fait, la révolte
23:40 venait de là.
23:42 Et il m'a interdit de lire. Je lui ai dit "ben ok,
23:44 j'arrête de lire, mais je ne vais plus à l'école alors,
23:46 parce que si je ne lis plus, je ne peux pas
23:48 continuer". Et comme j'étais plutôt bonne
23:50 à cette époque-là à l'école, ça n'a pas duré
23:52 longtemps, je vous rassure.
23:54 Mais voilà, et donc
23:56 et en fait, évidemment,
23:58 dès qu'il m'a interdit de lire, j'ai
24:00 encore plus lu. C'est-à-dire, je lisais
24:02 sous les draps, avec une lampe de poche,
24:04 je lisais, je dévorais
24:06 en fait les livres. Je comprenais que
24:08 à travers les livres...
24:10 - Et quoi vous lisiez, quoi ? - Je lisais à cette époque-là
24:12 Perleboeck, des trucs très...
24:14 - Victor Hugo aussi, des choses qui sont adorées.
24:16 - Oui, Les Misérables, Zola
24:18 aussi, des trucs
24:20 très... de la littérature
24:22 de pauvres, voilà, donc
24:24 qui me plaisait beaucoup. - Bonne littérature.
24:26 - Qui parlait de nos histoires, de nos histoires,
24:28 de...
24:30 Steinbeck aussi,
24:32 Les raisons de la colère, les trucs comme ça,
24:34 qui parlaient des histoires de gens...
24:36 J'étais assez...
24:38 politisé, on va dire, à l'époque.
24:42 - Alors un jour,
24:44 pour survivre, Farida Kelfa,
24:46 alors que vous êtes mineure,
24:48 vous décidez de fuguer,
24:50 et avec 5 francs en poche, donc vous reçoignez
24:52 Paris, où habitait votre sœur
24:54 Oruya, et là vous séjournez dans un hôtel
24:56 pas cher, à proximité de chez elle,
24:58 elle ne pouvait pas vous héberger,
25:00 elle vivait dans une chambre de 6 mètres carrés, racontez-vous,
25:02 et donc cet hôtel
25:04 était situé à deux pas d'un endroit
25:06 qui va sceller votre vie, à savoir
25:08 le palace, votre vie
25:10 a totalement changé une fois que vous êtes
25:12 arrivée à Paris. - Oui, tout à fait,
25:14 je suis devenue une autre personne, c'est-à-dire que
25:16 vraiment, j'ai rencontré
25:18 des gens très libres, d'abord,
25:20 j'ai rencontré la communauté homosexuelle,
25:22 des trans, des gens
25:24 qui travaillaient dans la mode, des gens
25:26 de la nuit, des gens très très libres,
25:28 et qui m'ont adoptée
25:30 tout de suite, où j'ai pas du tout
25:32 été jugée,
25:34 donc je me
25:36 sentais très heureuse avec eux,
25:38 chaque nuit je dormais
25:40 dans un endroit différent, j'étais accueillie,
25:42 je dormais en sécurité,
25:44 je veux dire, je me suis pas retrouvée
25:46 dans des situations assordides,
25:48 tout ça a été
25:50 très joyeux, très...
25:52 j'ai vécu une grande période de liberté
25:54 avec beaucoup de joie,
25:56 je me suis amusée comme une folle,
25:58 je dansais toutes les nuits,
26:00 vraiment c'était...
26:02 c'était super. - Mais j'alluse justement,
26:04 rétrospectivement, c'est intéressant,
26:06 la vie Vénitieux,
26:08 la vie Palace,
26:10 et vous disiez "mais quoi, c'est un autre monde,
26:12 c'est un autre livre ?" - C'était le Graal pour vous, Paris !
26:14 - Bah oui !
26:16 Non, je me disais "c'est ça la vie, la vraie vie,
26:18 c'est ça, c'est que la vraie vie,
26:20 voilà, avant c'était pas la vraie vie,
26:22 c'était la fausse vie."
26:24 - La vraie vie, c'est ça, c'est la nuit, la fête,
26:26 et après la drogue, ça c'est le moins rigolo.
26:28 - Parce qu'effectivement, vous le racontez,
26:30 vous dites que vous ne tardez pas à faire
26:32 comme tout le monde à l'époque, c'est ce que vous écrivez
26:34 dans votre livre, vous droguez,
26:36 et vous prenez donc votre première ligne
26:38 d'héroïne, "Un soir au Palace".
26:40 - Ouais. - Quels souvenirs
26:42 vous gardez de cet instant-là ?
26:44 Qu'est-ce que ça vous a procuré ?
26:46 - C'était dingue !
26:48 - C'est-à-dire ? - Bah c'est-à-dire que ça m'a
26:50 porté un soulagement,
26:52 tout le corps complètement pris
26:54 par cette...
26:56 par cette ligne
26:58 d'héroïne, je me sentais complètement
27:00 anesthésiée, et tous mes
27:02 problèmes étaient partis en un instant.
27:04 Je survolais,
27:06 c'est vraiment comme dans les films,
27:08 et je me suis dit "mais putain, c'est ça
27:10 la vie en fait, c'est vraiment ça quoi".
27:12 J'ai rapidement,
27:14 je l'ai chanté très très rapidement, j'ai compris
27:16 que j'étais prise dans un truc, mais vraiment
27:18 le premier instant, je me suis dit
27:20 "voilà, c'est ça la vie". - C'est pour ça qu'on s'accroche, beaucoup de gens.
27:22 - Bien évidemment. - Ça a été formidable,
27:24 on a un flash, on est... - On ne le dit pas assez
27:26 ça d'ailleurs, mes enfants m'ont dit "mais pourquoi
27:28 les gens prennent de la Lothar Halle ?"
27:30 Je me suis dit "n'oubliez pas parce que c'est très bon,
27:32 il faut bien se souvenir de ça, et c'est bien ça
27:34 le danger, et on ne gagne jamais".
27:36 C'est toujours la drogue qui gagne sur vous.
27:38 - Eh oui ! - Voilà.
27:40 - Vous serez accro à l'héroïne pendant 15 ans,
27:42 c'est ça ? - 15 ans, ouais.
27:44 - Et vous dites "c'est par ennui que je me suis droguée
27:46 pour remplir ma vie avec
27:48 la drogue, et je frôle la mort
27:50 pour mieux exister". - Ouais, c'est vrai,
27:52 c'est assez juste, ouais ouais, ça me donnait
27:54 d'abord une chose
27:56 à faire, il faut trouver de la drogue, et donc déjà
27:58 ça prenait la journée, pour trouver
28:00 un plan. - Voilà, donc...
28:02 - Mais dans le lieu c'était pas trop difficile. - Oui, non, c'est
28:04 compliqué, il faut trouver, alors après
28:06 les mecs sont arrêtés, ou machin,
28:08 donc c'est pas toujours... - Il faut trouver, et surtout
28:10 aussi avoir les moyens, parce que c'était
28:12 encore très cher à l'époque.
28:14 - Ouais, c'était très cher, donc c'était toujours
28:16 des histoires très compliquées, et
28:18 j'ai perdu énormément
28:20 de temps avec ça, j'ai raté énormément
28:22 de choses à cause de ça,
28:24 ça a été vraiment un...
28:26 Mais paradoxalement, ça m'a aussi
28:28 aidée à
28:30 interagir avec les gens, à parler,
28:32 à réussir, à...
28:34 J'avais quelque chose
28:36 en commun avec une bande de défoncés,
28:38 quoi, donc on était...
28:40 On se
28:42 croit toujours au-dessus des autres, quand on
28:44 se drogue, on se croit mieux que les autres, qui sont des
28:46 beaufs, et qui sont, voilà, non, nous on est mieux.
28:48 - Des ploucs. - Voilà, des gros ploucs, et tout ça,
28:50 bon bref, et puis
28:52 après, bon, on comprend vite qu'on est
28:54 complètement à la ramasse,
28:56 et que c'est...
28:58 Et qu'on ne vit que pour ça, et que
29:00 plus rien ne compte, et qu'il y a plus
29:02 rien qui... - Et qu'est-ce
29:04 qui fait qu'un jour, justement, vous avez
29:06 décidé, vous avez dit "faut que je décroche, faut que
29:08 j'arrête". - Ouais, je sais pas, c'est arrivé
29:10 à un moment où j'en pouvais plus, j'ai compris
29:12 que...
29:14 Que j'allais mourir, quoi, en fait,
29:16 parce que je...
29:18 Je pesais 30 kilos, enfin,
29:20 je veux dire, j'étais...
29:22 J'arrivais plus à vivre, et puis en plus
29:24 ça me faisait plus rien, il m'en fallait des tonnes
29:26 pour avoir un tout petit... - Oui, c'est ça.
29:28 - Voilà. - C'est que la chose diminue, il faut
29:30 augmenter à chaque fois. - Il en faut de plus en plus, de plus en plus,
29:32 donc c'est tout ça coûtait une fortune,
29:34 j'ai... Voilà. Et donc
29:36 j'ai rencontré une médecin
29:38 très bien, qui m'a aidée,
29:40 et...
29:42 Et la force, c'est que je l'ai fait à Paris, je suis pas allée
29:44 en rehab, ou des trucs comme ça,
29:46 je l'ai fait en ville, là où je pouvais
29:48 en trouver partout, tous les jours, à n'importe
29:50 quel moment, où je rencontrais
29:52 des drogués tout le temps, donc...
29:54 Et...
29:56 Et donc elle m'a
29:58 donné un traitement pendant un an, quand même, et
30:00 ça m'a permis de résister,
30:02 et après, je suis tombée enceinte.
30:04 Donc ça, ça a été pour moi...
30:06 Voilà. Donc j'ai donné
30:08 la vie, et... - Je peux pas me permettre maintenant
30:10 de continuer... - Voilà, maintenant c'est fini, non, parce que...
30:12 Être enceinte et... - Oui, en donnant
30:14 la vie, vous avez sauvé la vôtre.
30:16 - Exactement. - C'est ça. - Ouais, ouais, tout à fait.
30:18 Ouais, mes enfants m'ont sauvé la vie.
30:20 Ils m'ont donné la vie, mais ils ont sauvé la mienne.
30:22 - Et pourtant, pendant des années, vous avez
30:24 refusé d'en avoir des enfants. - Oui.
30:26 - Quel a été le déclic ? La mort de votre papa,
30:28 c'est ça, en quelque sorte ? - Oui. En fait, à la mort de mon
30:30 père, j'ai...
30:32 Je sais pas pourquoi, d'ailleurs, c'est...
30:34 En fait, je suis tombée enceinte à sa mort.
30:36 C'est quand même... Alors que j'étais
30:38 en train d'essayer de décrocher, tout ça...
30:40 Et là, je me suis dit que c'était...
30:42 Voilà. Que je...
30:44 Je vivais une grande histoire d'amour,
30:46 avec quelqu'un qui avait déjà deux enfants,
30:48 donc je voyais que c'était pas si compliqué,
30:50 dans le fond, d'avoir des enfants, que c'était pas
30:52 le trauma que ça avait été
30:54 pour moi, dans ma famille, que tout
30:56 le monde ne fonctionnait pas
30:58 comme ça, qu'il y avait aussi des familles
31:00 euh...
31:02 - Unies, en tout cas. - Unies, voilà,
31:04 où ça marche, où il y a pas de la violence
31:06 toute la journée, et de...
31:08 de l'abandon, quoi, et donc...
31:10 Et ça m'a changée.
31:12 J'ai adoré être enceinte, mais j'ai
31:14 adoré... Les femmes me disent toujours, "J'ai détesté
31:16 ma grossesse", moi j'ai adoré, j'ai adoré
31:18 accoucher, j'ai tout aimé, dans la...
31:20 Voilà. Dans la maternité,
31:22 j'adore avoir des enfants. - La vie de couple
31:24 a été... - Vous en avez combien ? - Deux.
31:26 - Deux fils, ouais. - Ouais. - La maternité
31:28 a été... Enfin, la vie en
31:30 couple, plutôt, a pas été simple
31:32 au départ, pour vous. Il a fallu que vous...
31:34 Vous... Ça a été un apprentissage,
31:36 en quelque sorte, c'est ça ? - Ouais, ouais, tout à fait.
31:38 Oui, je savais pas qu'il fallait parler,
31:40 quand on vivait avec quelqu'un, quand on vivait en couple.
31:42 Moi, je pouvais rester !
31:44 - Vous racontiez une anecdote très drôle
31:46 dans votre livre, vous avez eu une très belle histoire
31:48 d'amour avec Jean-Paul Goude, et un jour,
31:50 il vous fait remarquer, en gros,
31:52 il vous dit, "Mais ça fait quinze jours
31:54 que t'as pas ouvert la bouche, qu'est-ce qu'il se passe ?"
31:56 Et moi, je comprenais pas pourquoi il me demandait de parler,
31:58 je trouvais ça, mais, hallucinant !
32:00 Moi, j'étais... Je l'ai regardé,
32:02 j'ai même pas répondu, je me suis dit,
32:04 "Mais pourquoi il veut que je parle ? Qu'est-ce que tu veux que je dise,
32:06 en fait ?" - Et oui, parce que
32:08 vous racontez, effectivement, que vous n'aviez jamais
32:10 vu vos parents bavarder
32:12 entre eux, si ça n'existait pas.
32:14 - C'est extraordinaire et très intéressant,
32:16 c'est que, effectivement, vous avez eu un modèle parental
32:18 qui, normalement, vous aurait dû
32:20 amener fuir à des années-lumières et aux antipodes
32:22 de toute vie de couple. - Exactement.
32:24 - Quand on a, face à soi,
32:26 ce que vous avez eu, vous dites, "Ouh là là,
32:28 jamais !" Et vous avez surmonté
32:30 ça, enfin, voilà.
32:32 - Et j'ai pas pris le modèle paternel, comme
32:34 homme, dans ma vie.
32:36 - Vous n'avez pas fouillé. - Non, parce que souvent,
32:38 on répète souvent,
32:40 on se retrouve, voilà, dans des...
32:42 - C'est vrai. - Et non, non,
32:44 je choisis des gens
32:46 vraiment très, très différents. - Oui, en tout cas,
32:48 ce qui est touchant, c'est que vous racontez que vous avez
32:50 régulièrement emmené vos enfants
32:52 dans la cité HLM,
32:54 donc, vous avez grandi
32:56 à l'Azu. - À Vénitieux.
32:58 - C'était très important
33:00 pour vous qu'ils découvrent votre univers,
33:02 votre... - Oui, parce que comme je pouvais pas tellement
33:04 leur raconter mon enfant, c'était très difficile,
33:06 je voulais pas raconter...
33:08 - Pour tout un des enfants.
33:10 - Pour tout un des enfants, mais je voulais quand même
33:12 voir, je voulais qu'ils voient le cadre,
33:14 qu'ils comprennent d'où je venais,
33:16 et d'ailleurs, ils s'en souviennent parfaitement,
33:18 ils étaient très...
33:20 Ils se souviennent des odeurs,
33:24 des escaliers, de l'ascenseur, de tout.
33:26 Ils ont ça en mémoire.
33:28 Je voulais pas qu'ils aient que... - Et vous avez emmené
33:30 dans votre... C'était l'appartement. - Voilà, non, non,
33:32 c'était un autre appartement, mais ma mère
33:34 est restée à l'Azu tout le temps, quasiment jusqu'à...
33:36 - Ok. - Et donc,
33:38 voilà, je voulais pas
33:40 qu'ils voient que
33:42 le Paris
33:44 et la vie, la belle vie,
33:46 et voilà. - Oui, parce que vous,
33:48 vous évoluez dans un
33:50 milieu de la bourgeoisie parisienne,
33:52 c'est important de le préciser
33:54 pour les auditeurs.
33:56 En tout cas, vous dites, "Le sentiment de ne pas être désiré,
33:58 de ne pas être à ma place m'habite
34:00 toujours, même quand je suis conviée,
34:02 fêtée, célébrée. L'héritage
34:04 des déplacés pèse lourd,
34:06 Farida Kalfa, écrivez-vous dans votre
34:08 livre. On va en parler dans un instant
34:10 sur Sud Radio avec vous. Alors, chers
34:12 auditeurs, restez avec nous, on va
34:14 parler de l'Algérie, de Farida Kalfa.
34:16 - Sud Radio, la culture dans tous ses
34:20 états. André Bercoff, Céline Alonso.
34:22 - Toutes ces photos
34:24 dans ton manteau
34:26 que tu regardes
34:30 sans dire un mot
34:32 d'une Algérie
34:34 pleine
34:36 d'insouciance
34:38 tant de lumières
34:40 et l'odeur
34:42 de l'enfance
34:44 L'avion va bientôt
34:48 atterrir. - Et oui, Patrick Bruel
34:50 qui raconte son retour au pays natal
34:52 après 60 ans d'exil.
34:54 Farida Kalfa, vous aviez 12 ans
34:56 quand vous avez été en Algérie pour la première fois.
34:58 Quand vous êtes arrivée à Alger, vous avez été
35:00 bouleversée par la beauté de cette ville.
35:02 De retour en France,
35:04 vous dites que quelque chose
35:06 avait changé en vous.
35:08 À travers ce voyage,
35:10 qu'avez-vous compris
35:12 du désarroi, notamment
35:14 de votre famille, de vos parents ?
35:16 - J'ai compris le déracinement et la douleur
35:18 que ça a été pour eux de quitter tout ça,
35:20 toute cette beauté, tout ce pays
35:22 magnifique. Parce que quand on arrive
35:24 en bateau, parce que je suis allée en bateau
35:26 dans la baie d'Alger, qu'on voit
35:28 Alger la Blanche
35:30 comme ça, magnifique,
35:32 et cette Méditerranée tellement
35:34 tumultueuse et tout ça,
35:36 j'ai compris tellement de choses
35:38 sur leur difficulté. - C'était avec vos parents ?
35:40 - Non, en fait, c'était l'amicale
35:42 des Algériens en Europe
35:44 qui organisait des vacances
35:46 en Algérie pour les enfants des émigrés.
35:48 Et donc nous,
35:50 j'ai été là-bas
35:52 et donc on était dans
35:54 une colonie où,
35:56 près de Tipaza, donc des ruines romaines
35:58 magnifiques et tout ça,
36:00 dans une énorme bâtisse
36:02 coloniale magnifique, extraordinaire,
36:04 qui était gardée par des soldats
36:06 algériens qui étaient
36:08 russophones. Et là, j'étais
36:10 stupéfaite que les Algériens parlaient russe.
36:12 Et en fait,
36:14 après, j'ai compris l'emprise
36:16 de l'Algérie et de
36:18 l'aide de la Russie
36:20 pour la révolution
36:22 algérienne.
36:24 Et...
36:26 et qui nous racontait
36:28 d'ailleurs la bataille d'Alger en accéléré
36:30 en fait. Donc...
36:32 Mais on se réveillait avec le drapeau
36:34 algérien, en chantant l'hymne algérien
36:36 "Krasamen". Et voilà.
36:38 Et donc c'était...
36:40 Mais c'était intéressant parce que
36:42 d'abord, j'étais avec plein d'enfants
36:44 d'émigrés
36:46 et pour la première fois, je découvrais
36:48 qu'il y avait des émigrés qui avaient l'accent
36:50 du Midi, quoi. J'en revenais pas.
36:52 Je les regardais.
36:54 J'étais...
36:56 stupéfaite que des gens,
36:58 des Arabes, aient l'accent du Midi.
37:00 Je comprenais pas pourquoi. Je savais pas que
37:02 moi-même, j'avais vraiment l'accent lyonnais
37:04 et que je parlais comme... Voilà.
37:06 - Et vous dites qu'à travers ce voyage,
37:08 vous avez aussi compris que vous n'étiez
37:10 ni Algérienne, ni Française,
37:12 mais simplement une émigrée arabe,
37:14 une race à part. Le sentiment
37:16 d'être étrangère dans mon pays,
37:18 dans mon propre pays, m'a longtemps
37:20 accompagnée, racontez-nous.
37:22 Vous vous êtes vraiment sentie rejetée
37:24 quand vous étiez enfant. Vous racontez
37:26 que vous avez subi quand même de nombreuses
37:28 insultes qui étaient difficiles à entendre.
37:30 - Oui, mais c'est pas que je me sentais
37:32 rejetée, mais je me sentais pas
37:34 française. Je comprenais
37:36 qu'on n'était pas des Français.
37:38 Il y avait les Français, d'ailleurs, quand les Français sont arrivés
37:40 dans la tour, ils étaient Français et nous, on n'était pas
37:42 Français. Et donc...
37:44 On était des Arabes, on était
37:46 des émigrés. - Surtout que vous n'avez pas pris
37:48 la nationalité française. - Non, non, non, mais
37:50 la nationalité, ce qu'il faut savoir, c'est que même
37:52 si on est en France, il faut la demander
37:54 avant l'âge de 18 ans. Moi,
37:56 comme je suis partie avant mes
37:58 18 ans, je ne pouvais pas aller à la préfecture
38:00 dans la maison où j'étais recherchée
38:02 pour faire une demande de...
38:04 - De la marisation. - Voilà. Et donc après,
38:06 c'est très compliqué, parce qu'après, ils vous demandent des actes
38:08 de naissance de vos grands-parents
38:10 qui n'ont pas d'actes de naissance, puisque
38:12 les indigènes étaient rarement...
38:14 Voilà. Déclarés.
38:16 Donc tout ça a été
38:18 très compliqué. Donc ça a été un long parcours
38:20 pour avoir la nationalité française, alors
38:22 que je... Donc je me suis toujours sentie
38:24 une émigrée. Et en fait, ça me plaît.
38:26 J'aime bien être une émigrée. Je trouve ça bien.
38:28 Je veux dire, mais une émigrée qui aime Paris
38:30 et qui ne sera pas à Paris. Mais bon...
38:32 - Mais ce qui est intéressant
38:34 quand même, que vous avez été...
38:36 Il y avait même un roger, déjà,
38:38 dans le foyer familial, qui était émigré.
38:40 Et puis vous avez eu quand même une intégration,
38:42 quand même, pas seulement par le palace,
38:44 vous avez été drôlement intégrée
38:46 et assimilée au moment de Paris.
38:48 - Oui. Oui. - Donc...
38:50 Vous l'avez eu, votre assimilation et votre intégration ?
38:52 - Oui. Moi, je me sentais pas... Parce qu'on était
38:54 tous pareils, en fait. On était des enfants...
38:56 - Voilà. - Voilà. - Vous veniez d'un partout...
38:58 - Exactement. Donc là,
39:00 je participais. J'étais dans
39:02 une bande, en fait. On faisait partie de la bande.
39:04 D'ailleurs, on appelait la bande. Et donc...
39:06 Et voilà. Donc là, je me sentais bien.
39:08 Je me sentais appartenir
39:10 à quelque chose. - Eh oui. Mais il vous a fallu
39:12 quand même de très nombreuses années,
39:14 c'est ce que vous écrivez, pour vous dire
39:16 française, en quelque sorte.
39:18 - Oui. Beaucoup de temps. Oui, oui. Beaucoup de temps.
39:20 Parce que je...
39:22 C'est compliqué quand
39:24 vous êtes d'origine algérienne,
39:26 dont les parents étaient au FLN,
39:28 et pour eux, c'était très important.
39:30 Il y avait toujours le grand fantasme du retour,
39:32 alors qu'en réalité, ils ne sont jamais retournés.
39:34 Ils sont tous les deux décédés
39:36 en France. Et que, en fait...
39:38 - Ils avaient envie de retourner.
39:40 - Non, mais il y avait cette espèce de fantasme.
39:42 Et en réalité,
39:44 il n'y a que sûr, en fait.
39:46 Quand on part, ça y est,
39:48 on est ailleurs. Et c'est pas...
39:50 On retourne pas.
39:52 C'est rare. C'est rare.
39:54 - Oui. Et vos...
39:56 Par exemple, quand vous êtes rentré
39:58 de ce voyage à l'âge de 12 ans
40:00 d'Algérie, votre papa
40:02 ne vous a posé aucune question
40:04 sur son pays. - Non, non, non.
40:06 Pas du tout. Il était très...
40:08 Il était aussi, paradoxalement,
40:10 très pudique. C'était un homme qui ne parlait pas,
40:12 très peu, et...
40:14 Qui était un alphabète, il faut le dire.
40:16 Donc c'était quelqu'un de...
40:18 Qui était...
40:20 - Qui ne savait ni lire ni écrire, enfin.
40:22 - Ni lire ni écrire. - Ni lire ni écrire.
40:24 - Votre mère non plus, bien sûr. - Non, ma mère savait lire et écrire.
40:26 - Ah oui? D'accord. - Ma mère est allée
40:28 à l'école. - Je ne me souviens pas.
40:30 - Et lui, non. Donc, elle avait
40:32 l'ascendance sur lui. C'est pour ça
40:34 que j'étais...
40:36 Je suis surprise qu'elle ne soit pas partie,
40:38 parce qu'elle avait les moyens de partir.
40:40 Elle remplissait tous les papiers, elle faisait tout.
40:42 - Et ça, c'est autre chose.
40:44 C'est la soumission. - Voilà.
40:46 C'est ça, l'emprise, je pense.
40:48 - C'est l'emprise. - Oui.
40:50 - Avant sa mort et avant de faire son pèlerinage
40:52 à la maie, votre papa est venu
40:54 à Paris pour demander pardon à ses enfants.
40:56 Votre sœur ne vous a pas
40:58 prévenu de sa venue.
41:00 Auriez-vous accepté son pardon
41:02 si vous l'aviez rencontré ce jour-là?
41:04 - Moi, je n'attends pas
41:06 tellement le pardon des gens. Ce n'est pas quelque chose...
41:08 Je ne suis pas tellement là-dedans.
41:10 Je trouve que...
41:12 Je n'incrimine pas
41:14 mes parents. J'aurais été
41:16 extrêmement gênée que mon père me demande pardon.
41:18 Franchement, je ne serais pas...
41:20 Je n'aurais pas...
41:22 J'aurais été gênée. Voilà. Ça m'aurait gênée
41:24 terriblement.
41:26 Bien sûr que je l'aurais accepté,
41:28 parce que je ne voulais pas maltraiter
41:30 les gens. Je ne suis pas...
41:32 Mais je trouve qu'avec le
41:34 pardon, oui, il faut pardonner.
41:36 Qui a dit qu'il fallait pardonner?
41:40 Ce sont les hommes qui disent que Dieu pardonne.
41:42 Qu'est-ce qu'on sait si Dieu pardonne?
41:44 Qu'est-ce qu'on sait que... Voilà.
41:46 - Faut-il vraiment pardonner à certaines circonstances?
41:48 - Voilà. Il y a un moment...
41:50 Est-ce qu'il faut tout pardonner?
41:52 Est-ce que réellement, ça soigne les gens
41:54 de pardonner? En revanche, je n'en veux plus.
41:56 Je n'ai plus...
41:58 Je ne suis pas dans le ressentiment.
42:00 - C'est le ressentiment. - Voilà, le ressentiment.
42:02 Je ne suis pas dans la colère,
42:04 dans le truc. Je comprends tout ça.
42:06 Je vois, mais il y a des choses
42:08 que je ne peux pas pardonner. Donc, non.
42:10 - Bien sûr. - Vos frères et sœurs,
42:12 lui ont pardonné, ont accepté son pardon?
42:14 - Je ne sais pas. Je ne sais pas.
42:16 Je ne sais pas. Je pense que...
42:18 Chacun a fait comme il veut.
42:20 Je ne peux pas savoir, en fait.
42:22 - Vous êtes dispersée aujourd'hui, toute la fraternité?
42:24 - Non, non. On est assez proches.
42:26 On est assez proches.
42:28 On est tous à Paris.
42:30 - En tout cas, quelle aurait été ma vie
42:32 si je n'avais pas été transportée dans cet autre monde?
42:34 Farida Kelfa, vous écrivez ceci dans votre livre
42:36 "J'ai essayé une autre vie,
42:38 que celle de mes parents, dévastée par la misère
42:40 et l'ennui. Aujourd'hui, la misère est loin,
42:42 mais le doute me traverse parfois.
42:44 Je ne suis jamais sûre
42:46 d'avoir fait le bon choix."
42:48 - Mais je doute, donc je suis.
42:50 - Voilà, exactement. Bravo.
42:52 - Farida Kelfa, merci
42:54 d'être venue vous raconter sur Sud Radio.
42:56 C'est comme si votre livre "Une enfance française"
42:58 est paru chez Albin Michel.
43:00 Tout de suite sur Sud Radio,
43:02 vous retrouvez Brigitte Lahaye.
43:04 la haie.

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