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  • il y a 4 ans
Le jour où Anton Rubinstein rencontre un jeune pianiste de talent, et qu'il lui annonce un bel avenir das la musique, il n'imaginait probablement pas avoir à ce point raison. Alexander Scriabine, lorsque son tour viendra de donner des conseils à un jeune pianiste, il ne se trompera pas davantage avec le jeune Vladimir Horowitz. Mais Scriabine était avant tout un compositeur hors-normes. Surtout pour un russe de cette époque : fi de la gloire à la culture de son pays et aux allusions envers les traditions. A l'inverse des autres compositeurs, il trouve ses muses auprès d'influences étonnantes, que ce soit la Synesthésie (confusion/superposition/amalgame de différents sens), ou sa quête théosophique (spirituel, mais aucunement religieux) pour atteindre l'extase la plus pure.

Son catalogue d'oeuvre évolue considérablement, de ses débuts proches d'un Chopin hésitant, à sa fin où rien ni personne ne saurait s'approcher de son style. Car à lui seul, il parcours le XXème siècle, anticipant Schoenberg à sa façon, et poussant l'harmonie et la déstructuration mélodique le plus loin possible, sans jamais se perdre dans le sérialisme ou dodécaphonisme si peu accessible à l'oreille. Scriabine peint le Beau avec ses notes. SA perception du Beau. Et celle-ci change, mute, comme un objet vivant, tout au long de sa vie, jusqu'à obtenir ce langage si atypique qu'il est reconnaissable en quelques secondes. Son piano sera dès le départ un prolongement de son être artistique, son terrain d'expérimentations, son guide et son confident. Ainsi, même dans ses ouvrages les plus jeunes, il est aisé de retrouver sa patte créative, dans les rythmes décalés, les mélodies réparties sur un grand ambitus transcendées par une harmonie torturée, offrant pourtant un résultat sonore doux, nostalgique et d'une paix intérieure proche du recueillement.

Son prélude Op9 composé en 1894 à ses 22 ans, possède toutes les caractéristiques spécifiques de ce compositeur, en demeurant tout particulièrement agréable à l'écoute. Délicat, court, expressif, méditatif, avec une touche de mélancolie pour s'achever sur une douce élévation, afin de savourer en toute sobriété une majorisation de la tonalité. Mais c'est avant tout l'écriture de ce morceau qui mérite toute l'attention : ici, seule la main gauche joue, la main droite demeurant au repos. Peu de compositeurs se sont lancés dans un tel défi de composition : savoir faire sonner le piano comme si deux mains jouaient, alors qu'une seule n'est active. Les raisons peuvent être diverses (de l'accident temporaire qui met le bras ou la main droite dans le plâtre, ou suite à la perte définitive d'un membre d'un commanditaire comme ce fut le cas pour le pianiste Paul Wittgenstein qui aura bénéficié d'oeuvres composées spécifiquement pour lui par Benjamin Britten, Leopold Godowsky, Paul Hindemith, Erich Wolfgang Korngold, Sergueï Prokofiev, Maurice Ravel, Richard Strauss, ...), rien ne saurait diminuer la difficulté d'écrire pour une main seule.