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Mercredi 19 mars 2025, retrouvez Marc-Olivier Strauss-Kahn (Directeur général honoraire de la Banque de France, Enseignant) dans SMART BOURSE, une émission présentée par Grégoire Favet.

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00:00Le dernier quart d'heure de Smartboard, chaque soir c'est le quart d'heure thématique et le thème ce soir c'est celui de la pédagogie économique et de l'éducation financière.
00:18Nous sommes au grand démarrage de cette semaine de l'éducation financière et j'ai le plaisir d'accueillir à mes côtés Marc-Olivier Strauss-Kahn.
00:26Marc-Olivier, bonsoir. Vous êtes entre autres Directeur Général Honoraire de la Banque de France.
00:31Marc-Olivier, je me permets parce que j'ai toujours voulu vous demander en quoi consistait le poste de Directeur Général Honoraire.
00:37Honoraire, c'est un mot très gentil pour dire retraité. Ça veut dire que mes propos n'engageront pas la Banque de France.
00:44En tout cas, vous avez une passion, je le dis comme ça, pour la pédagogie économique et l'éducation financière.
00:50Vous étiez venu nous voir en fin d'année dernière avec Anthony Benhamou qui est économiste, vous êtes enseignant et Anthony également est professeur et maître de conférence.
01:00Vous veniez nous voir avec ce livre paru aux éditions Ellipse, On parie que vous allez aimer l'économie.
01:06Quand je dis que oui, l'éducation financière et la pédagogie économique est une passion, c'est même un engagement Marc-Olivier.
01:13C'est un engagement, je vois par exemple la cité de l'économie qui n'est pas encore assez connue et qui est un peu mon bébé.
01:20Comme une preuve de cela, je vais en faire la publicité rapidement.
01:26Mais faites-le, c'est la semaine pour.
01:28C'est un endroit magique dans un hôtel particulier néo-gothique financé par la Banque de France
01:36et qui est le plus grand musée d'éducation économique européen.
01:42Et puis j'aide Anthony Benhamou qui a fondé A3E, l'association pour l'éducation économique des enfants.
01:50Donc ça démarre au CM1, CM2 et il n'y a pas de limitage.
01:55Et d'ailleurs ce livre est tout public pour le rappeler.
01:58Tout public, devenant de plus en plus sophistiqué au fur et à mesure qu'on le lit.
02:04Et là je vais m'inspirer du chapitre 9.
02:07Faire un peu de pédagogie sur la crise, c'est ça, le sujet que vous avez choisi.
02:11On se reverra d'ailleurs en fin de semaine sur un autre thème que je dévoilerai en fin d'interview, Marc-Olivier.
02:17Mais là vous avez choisi le sujet de la crise en reprenant effectivement le chapitre 9 de votre livre qui s'intitule
02:25« L'histoire se répète-t-elle ? » où cette fois c'est différent.
02:29Vous faites l'exercice de comparer ce qu'on a connu en 2007-2008, la crise financière mondiale,
02:36les Man Brothers pour le dire autrement et tout ce qui s'en est suivi,
02:40avec ce qu'on vit depuis 2020, ce que les spécialistes appellent la polycrise,
02:45partant du choc Covid et se multipliant avec bien sûr la guerre en Ukraine,
02:51le choc inflationniste dont on commence peut-être à peine à sortir aujourd'hui et je dis ça avec beaucoup de prudence.
02:58En quoi ce chapitre 9 peut-il nous éclairer justement sur ces mécanismes de crise ?
03:03Ce chapitre 9 c'est un peu un récapitulatif historique.
03:07On n'a pas de laboratoire en économie et donc le passé peut éclairer le présent.
03:14Et donc effectivement si on regarde et qu'on compare la crise financière mondiale qui démarre vers 2007-2008
03:21et celle dans laquelle on est encore et qui démarre en 2020,
03:26on peut mettre en avant un certain nombre de similarités, j'en citerai trois,
03:32et de différences d'autant que cette crise n'est pas terminée avec Trump qui l'amplifie.
03:39Oui, la polycrise se poursuit avec Trump 2.0 aujourd'hui.
03:43Partons des points communs.
03:46La crise de 2008 trouve son origine aux Etats-Unis, la crise Covid de 2020 trouve son origine en Chine,
03:53deux superpuissances qui sont dans une relation un peu conflictuelle.
03:57Au-delà de ça, qu'est-ce qu'on trouve comme point commun ?
03:59Au-delà, et pour résumer les choses simplifiées, il y a l'incertitude, l'impact sur le PIB et la croissance,
04:06et la réaction des autorités.
04:09L'incertitude en économie s'est définie comme un risque qu'on ne peut pas quantifier.
04:14On ne connaît pas à l'avance et on ne peut pas bien mesurer sa probabilité et son impact.
04:19Et ça s'applique parfaitement au coronavirus qui était une surprise,
04:27qui était un virus contagieux, invisible et qui a gelé l'activité économique.
04:33Auparavant, on peut comparer les subprimes à un virus, un virus financier,
04:39qui lui aussi a figé l'activité financière cette fois.
04:44Quant à Trump aujourd'hui, ce qu'il dit, annonce, contredit, crée de l'imprévisibilité et donc pétrifie l'investissement.
04:55Donc ça c'est la première similarité à grand trait.
04:58La deuxième, l'impact sur la croissance.
05:01D'abord, de très fortes récessions en 2009 et 2020.
05:06Et puis, après le rebond, une croissance relativement molle,
05:11sauf aux Etats-Unis qui s'en sort un peu mieux avec la productivité et sa flexibilité.
05:17Mais là aussi, Trump est en train de casser ce mécanisme, je le crains, avec son imprévisibilité.
05:28Troisième élément de similarité un peu plus complexe,
05:32la réaction des autorités, que ce soit budgétaire ou monétaire.
05:36Alors, d'abord en actes, et puis aussi en parole.
05:40En actes, c'est l'augmentation des déficits, l'accommodement monétaire.
05:46Tout ça se traduit ou résulte en une augmentation des dettes sur PIB,
05:52qui atteignent des niveaux inégalés, en particulier dans les économies avancées.
05:57Et ça, ça n'est soutenable, on le sait, que si la vitesse de croissance du numérateur,
06:03la dette publique, et donc la vitesse, c'est le taux d'intérêt qui s'applique à cette dette,
06:08n'est pas supérieure à la vitesse de croissance du dénominateur, le PIB, et donc la croissance.
06:16La fameuse formule R-G.
06:18Or, on est dans une situation où, après une période où R et G étaient à peu près pareils,
06:24on a toujours une atonie de la croissance, même si elle pourrait ne pas être aussi mauvaise
06:31que certains l'espèrent, j'ai écouté les précédents.
06:33Les perspectives s'améliorent, Marc Olivier, grâce à l'Allemagne.
06:37Ça ne va pas tout tirer d'affaires.
06:40Et pendant ce temps, le taux long, aux Etats-Unis, en Europe, a tendance à augmenter,
06:46parce qu'il y a une inflation qui menace, malgré les efforts de désinflation.
06:50Ça, c'était en actes, et en paroles.
06:53Le parallèle, c'est le whatever it takes, qui a été repris par Macron en quoi qu'il en coûte,
06:58et maintenant qui est invoqué par Merz pour justifier l'effort de défense allemand.
07:05Le whatever it takes originel étant celui de Mario Draghi, 26 juillet 2012.
07:09Bien sûr, mais décliné de multiples fois désormais.
07:13Oui, je reviens sur la partie précédente de l'émission.
07:16Oui, les investisseurs, vous savez comment ils fonctionnent.
07:18Ils ont une capacité à s'enthousiasmer, peut-être un peu plus importante que les économistes
07:23qui travaillent dans le temps long aussi.
07:26Ils sont payés parfois pour s'inquiéter, les banquiers centraux.
07:32Oui, payés pour regarder les risques.
07:35Regardons les différences entre 2008 et la polycrise depuis 2020.
07:40Je reprends le titre de votre chapitre 9, d'ailleurs qui reprend le titre d'un célèbre livre
07:45des économistes tout aussi célèbres qu'Ennett Rogoff et Carmen Reinhardt.
07:49Est-ce que l'histoire se répète ou est-ce que cette fois c'est différent ?
07:54Il y a des éléments différents, il y en a même plus.
07:57En simplifiant, je vais en citer cinq.
07:59Ça va être le processus sous son déclenchement, le rôle de la finance, l'inflation,
08:07les marges budgétaires et monétaires qui demeurent et la géopolitique.
08:12D'abord, le déclenchement est totalement différent.
08:16En 2008, c'est une crise qu'on appelle endogène financière qui affecte d'abord la demande
08:23et puis elle se répand sur le reste.
08:25En 2020, on a l'inverse, on a une crise qui est dite exogène et qui affecte d'abord l'offre,
08:32le secteur réel parce que le confinement empêche d'aller produire.
08:37La première, la réaction consistait à empêcher une mort subite de la finance.
08:45Si on continue le parallèle, la seconde, elle consiste à mettre l'économie dans un coma artificiel.
08:51Ceci afin de préserver la capacité de l'économie à rebondir,
08:56le capital humain et à planir la fameuse vague pour les hôpitaux.
09:00Actuellement, et si on continue la parabole, je ne sais pas trop ce qu'on peut penser des morts vivants,
09:07que sont clairement l'OMC, peut-être l'ONU, qui sait le G20, les institutions internationales
09:17avec les coups de boutoir auxquels on insiste.
09:20Première différence.
09:23J'ai cité la finance et donc la deuxième, c'est le rôle de la finance pour simplifier les choses.
09:292008, c'est parti du problème.
09:322020, ça a été parti de la solution.
09:35Et en France, on l'a vu avec les PGE où les banques ont aidé à sortir du problème.
09:42Grâce aux efforts de régulation qui avaient été faits entre 2010 et 2020,
09:48et je veux saluer la vidéo que Christine Lagarde nous a offerte quand elle était au FMI,
09:54qui est à Citeco et qui développe ces éléments de régulation.
09:59C'est cette régulation que Trump avait déjà commencé à déverrouiller, à abîmer,
10:07et qui explique la crise bancaire limitée aux Etats-Unis de mars 2023
10:14et sa non-contagion à la zone euro.
10:17Maintenant, il faut simplifier les choses, mais attention à ne pas trop déréguler.
10:25Troisièmement, l'inflation.
10:27Après s'être effondrée dans les deux cas et avoir rebondi,
10:32elle a été perçue comme moribonde dans la décennie 2010-2020,
10:37ce qui n'a pas été le cas à cause du rebond qu'a imprimé l'invasion russe de l'Ukraine
10:46avec une augmentation des prix des matières premières et agricoles.
10:50Et donc, on a évité ce problème auparavant.
10:58On est en train d'être dans une désinflation,
11:02mais les tarifs vont obligatoirement avoir un impact en termes de...
11:08Alors, je ne dirais pas nécessairement stagflation,
11:11si la croissance allemande tire un peu le reste de l'Europe,
11:15mais une croissance qui n'est pas très forte et une inflation qui peut rebondir.
11:19D'où, après avoir annoncé qu'elle allait continuer à baisser ses taux,
11:24une relative prudence des pronotiques sur ce que fera la BCE au-delà de l'été.
11:29Du coup, ces éléments militent pour l'idée d'une grande vigilance vis-à-vis des endettements publics.
11:36Est-ce qu'il y a un risque qui pèse aujourd'hui sur la soutenabilité des trajectoires des finances publiques ?
11:41On peut toujours être surpris. En 2020, on croyait déjà qu'il n'y avait plus de marge.
11:45On avait déjà des dettes publiques très élevées.
11:48On avait des taux d'intérêt déjà très bas.
11:50Et pourtant, on a trouvé des marges parce qu'en particulier,
11:54il n'y avait pas nécessairement de coupables à désigner.
11:56Et puis, les morts s'accumulaient.
11:58On n'est pas exactement dans la même situation.
12:00Il faut donc faire un peu attention, d'autant que les défis s'accumulent.
12:06Climatique, de défense, des investissements numériques,
12:11ce qui pousse les taux longs à augmenter probablement plus que la croissance.
12:17Et puis le dernier, c'est la géopolitique.
12:21Le monde a changé.
12:22Le monde est en train de changer.
12:24Pour simplifier là encore, jusqu'en 2014, on est dans un processus qui risque de globalisation.
12:33Ce qui compte, c'est l'efficacité.
12:35Ce qui marche, c'est la coopération internationale.
12:38Après l'annexion de la Crimée par la Russie et les sanctions,
12:43on est entré dans un monde de fragmentation.
12:46Ce qui compte, c'est la sécurité, c'est la souveraineté.
12:50Et donc, on n'est plus du tout dans la même situation.
12:55Et cette fragmentation est en train de s'appliquer au sein même des démocraties avancées,
12:59au sein du G7, par l'action de Trump à nouveau.
13:02Et c'est probablement cela, la menace la plus grave.
13:05Je note qu'en net, il y a plus de différences que de similarités.
13:10Il y a plus de différences.
13:12Donc l'histoire est différente alors ?
13:14Disons, vous savez, la formule classique, elle rime.
13:17Ou bien, si on n'est pas très poétique, on n'est plus prophétique, on dit qu'elle est pégée.
13:21Ce qui est sûr en tout cas, c'est que pendant qu'on se consacre à effacer les séquelles du passé
13:26et à combattre les sursauts, je vais l'appeler, de la bête du monde qui se cachent derrière le populisme,
13:32on ne repense pas à nos modèles de développement.
13:35Et on a Trump qui ne tire aucune leçon de ces errements passés.
13:39Merci beaucoup pour cette appréhension des mécanismes de crise,
13:45la comparaison 2008 et puis la crise qu'on vit depuis 2020, la poly-crise, comme vous l'appelez Marc Olivier.
13:51On vous retrouve vendredi, on parlera crypto pour changer des crises.
13:55Pour les systèmes de moyens et les moyens de paiement, on verra qu'on est toujours dans la géopolitique.
13:59Avec grand plaisir. Marc Olivier Strauss-Kahn, je rappelle votre livre avec Anthony Benhamou.
14:03On parle, on parie que vous allez aimer l'économie parée aux éditions EIPS.

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