Vendredi 1 novembre 2024, LEX INSIDE reçoit Margaux Mathieu (Asociée, DAEM) , Louis Degos (Associé gérant, K&L; Gates) et Maxime de Guillenchmidt (Associé, Veil Jourde)
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Bonjour, je suis ravi de vous retrouver pour un nouveau numéro de Lex Inside, l'émission
00:27qui donne du sens à l'actualité juridique. Au programme de ce numéro, on parlera de
00:32l'impact de l'intelligence artificielle sur les avocats avec Louis Degos, associé
00:37gérant de Kyle Gates, également candidat au Bâtonnat de Paris. On évoquera également
00:42la prise illégale d'intérêt pour les agents publics avec Claire Roger-Petit, avocate
00:47chez DEM. Et enfin, on parlera de l'accès aux données sur les bénéficiaires effectifs
00:53avec Maxime de Guillain-Schmidt, associé chez Veillejourde. Voilà pour les titres,
00:57c'est parti pour Lex Inside. On débute ce Lex Inside et on va parler
01:11intelligence artificielle générative et son impact sur les avocats avec mon invité
01:17Louis Degos, associé gérant du cabinet Kyle Gates et également candidat au Bâtonnat
01:23de Paris. Louis Degos, bonjour.
01:25Bonjour Arnaud. Alors, quand on parle intelligence artificielle
01:29générative aux avocats, il y a la crainte du grand remplacement. Alors, est-ce que l'intelligence
01:34artificielle va remplacer les avocats ? Alors moi, je n'y crois pas du tout au grand
01:40remplacement des avocats, mais je pense qu'effectivement, il va y avoir une translation d'activités
01:47et certaines activités vont bien sûr pouvoir être effectuées de plus en plus par l'intelligence
01:52artificielle. Je pense en tout premier lieu aux activités de recherche puisque les outils
01:58dotés d'intelligence artificielle vont pouvoir faire des recherches de plus en plus
02:02approfondies et de plus en plus effectivement effectives, pour dire le mot. Donc, pas de
02:09grand remplacement, mais il va falloir trouver d'autres activités pour les avocats.
02:14Alors, un autre sujet intéressant, c'est l'impact que peut avoir l'intelligence
02:20artificielle sur les jeunes avocats, notamment ceux qui veulent lancer leur cabinet ?
02:23Oui, ceux qui veulent lancer leur cabinet ou les jeunes avocats qui sont collaborateurs
02:28en cabinet, c'est deux choses différentes, mais c'est la suite de ce qu'on vient de
02:31dire. Souvent, les jeunes avocats travaillent aux recherches, un petit peu le débrossaillage
02:40du dossier au départ. Et là, effectivement, l'IA va pouvoir faire ce travail. Je parle
02:46là des collaborateurs en cabinet. Donc, effectivement, ça va avoir un impact de ce point de vue
02:53là, ça va avoir un impact aussi sur la formation du coup des jeunes. Mais il est vrai que,
02:59d'un autre côté, il va y avoir un travail de tri, il va y avoir un travail de sélection,
03:04il va y avoir un travail d'approfondissement à faire parce que l'IA, il y a quelques
03:10années, pour prendre un exemple simple, il y a quelques années, dans un dossier, on
03:13avait trois arrêts de cours de cassation d'un côté contre trois arrêts de cours
03:17de cassation de l'autre côté, dans les bons dossiers déjà. Aujourd'hui, dans le même
03:22dossier, vous allez avoir 63 décisions d'un côté, 57 de l'autre, parce que ça va jusqu'au
03:29TIG de petites villes. Et donc, il ne va pas y avoir de tri, il ne va pas y avoir de sélection.
03:36Et là, effectivement, les jeunes avocats vont devoir plus travailler certainement
03:43dans cet aspect-là, qui est un travail à plus forte plus-value que le simple travail
03:49de recherche. Pour les jeunes qui s'installent, en revanche, effectivement, c'est aussi un
03:54intérêt flagrant que de pouvoir bénéficier d'une aide comme l'IA documentaire, mais
04:00ça coûte de l'argent aussi. Bien sûr, c'est un investissement. Voilà. Alors, un autre
04:05sujet important, et vous l'avez un peu évoqué, cette intelligence artificielle va impacter
04:11les cabinets et notamment leur modèle économique. Quid alors du modèle économique du cabinet
04:17d'avocat ? Oui, bien sûr, on vient d'en parler, ça coûte de l'argent. Donc, ça va impacter
04:23le business model des cabinets, qui sont déjà, j'allais dire malheureusement, mais par la
04:28force des choses, impactés par le prix de l'informatique, le prix de la documentation
04:34juridique. Donc, ça ne va pas être non plus quelque chose de nouveau, mais ça va s'ajouter
04:39encore et encore. Donc là, effectivement, il y aura un impact de coût, mais d'un autre
04:48côté, il va y avoir un impact aussi, comme je l'ai dit, d'activité. Je ne pense pas,
04:55pour dire les choses simplement, que l'IA, contrairement à ce qu'on commence à croire,
05:00va réduire les factures d'avocats en réduisant les coûts sur les recherches. Pourquoi ? Pourquoi
05:06? Parce qu'en augmentant le volume des recherches, il va falloir avoir un coût de tri de ces
05:12recherches et de hiérarchisation de ces recherches et un réaménagement stratégique de ces recherches
05:19pour ce qui concerne le dossier. L'IA ne fait pas ce tri-là pour l'instant. Avec l'IA, le détail
05:27est important. Et donc, effectivement, on n'a pas forcément la bonne catégorisation,
05:35la bonne hiérarchisation, comme j'ai dit. Et donc, cette hiérarchisation, si je comprends bien,
05:40va pouvoir être valorisée ? Oui, parce que ça va coûter effectivement plus d'argent. Avant,
05:45quand on faisait une recherche, y compris moi, quand j'étais étudiant dans les grandes tables
05:50qu'on tournait comme ça, en fait, dans la recherche, on intégrait déjà la hiérarchisation
05:56et la sélection des recherches. Alors qu'aujourd'hui, l'IA va donner tout pour être
06:02sûr de ne rien oublier, en fait. C'est ça, l'effectivité de l'IA. Ne rien oublier, tout
06:07trouver qui corresponde. Mais alors après, justement, il va falloir effectivement trier
06:12et sélectionner ce qui est vraiment important, avec possiblement en plus, ce qu'il faut ajouter,
06:19c'est une surveillance de l'IA. Bien sûr. L'IA peut, ça dépend des programmes, ça dépend de
06:25comment on se sert, mais peut aussi, afin d'être plus effective, elle voudra toujours trouver ce
06:32qu'on cherche. Ce qu'on lui demande, elle va s'évertuer à le trouver, quitte à l'inventer.
06:37Et on l'a vu dans certains cas, et ça se voit… Elle invente des jurisprudences. Elle peut inventer
06:42des jurisprudences pour plaire à son utilisateur qui lui demande « Trouve-moi une jurisprudence. »
06:49Ah bah oui, elle va trouver, oui, c'est sûr. Mais ça ne sera peut-être pas une vraie jurisprudence.
06:52Attention aussi aux résultats produits. Il peut y avoir des hallucinations, comme on dit,
06:56et donc ces hallucinations doivent être débusquées. Et pour les débusquer, il va falloir revenir vers un
07:02professionnel du droit qui va dire « Non mais ça, ça me paraît bizarre. Le numéro de rôle n'a pas
07:07l'air d'être tout à fait réel. » Et on va débusquer effectivement l'hallucination.
07:12Ça veut dire aussi que l'avocat doit être formé à ses outils.
07:15Ça veut dire aussi que l'avocat doit être formé à ses outils, parce que pour réduire
07:20l'hallucination, il y a deux moyens. Soit on fait travailler le moteur IA dans des bases de données
07:28dites fermées, ce que font de plus en plus les éditeurs juridiques pour dire du coup,
07:32elle ne va pas inventer quelque chose. Ils ont dû lui donner un domaine fermé.
07:35Soit il faut former l'utilisateur à faire des promptes, c'est-à-dire une requête qui soit
07:41suffisamment précise, suffisamment effective pour que la réponse de l'IA soit tout aussi
07:48effective et réelle. Et donc, là aussi, il y a une formation à utiliser l'IA.
07:55De même qu'il y a une formation à utiliser l'IA parce qu'il y a des problématiques de
08:01sécurité juridique ou informatique. Quand on parle de sécurité juridique avec les hallucinations
08:07ou des jurisprudences créées, très bien, mais il y a d'autres problématiques de sécurité,
08:11j'allais dire déontologique, sur le respect du secret professionnel. Lorsqu'on pose une requête,
08:19une prompte à l'IA, cela part se disséminer dans des serveurs, notamment aux États-Unis.
08:27On ne sait pas trop où ça va et ça revient avec de l'IA générative qui vont vous expliquer telle
08:33ou telle chose, vous exposer telle ou telle chose. Très bien, mais l'information, elle est
08:38partie ailleurs. Donc, attention à ce qu'on met dans les promptes. On ne va pas mettre les noms des
08:43clients, par exemple. Vigilance sur les données qui sont injectées comme ça. Exactement, parce que
08:49les données qui sont injectées dans un éditeur juridique, on va dire, qui garantit qu'effectivement
08:56c'est enfermé, c'est enfermé. Très bien, mais à un moment, si on veut de l'IA générative, il faut
09:02partir vers d'autres fournisseurs de cette IA générative qui sont ailleurs, qui sont aux
09:07États-Unis, et ça, ça n'est pas garanti la sécurité. Pour finir, on a évoqué beaucoup d'impacts
09:12qui concernent les avocats directement. Qu'est-ce que ça va changer selon vous, l'intelligence
09:16artificielle générative dans la relation des avocats avec leurs clients ? Ce que ça va changer,
09:23c'est que les clients vont aussi être dotés d'IA. Alors, peut-être pas les mêmes programmes, peut-être
09:30pas sur des documentations juridiques. D'ailleurs, je pense que là où il y aura le plus d'évolution
09:36avec l'IA, ça sera dans les logiciels ERP, acronyme pour dire Entreprise Ressource Planning,
09:43donc des logiciels plutôt de productivité que de documentation juridique. Ces logiciels-là,
09:49les clients les auront, nous les aurons, et ils auront aussi des logiciels de documentation juridique.
09:54Donc, en réalité, je dirais assez paradoxalement, chacun va comparer avec le client, il va y avoir
10:02une nouvelle discussion de comparer quels sont les résultats que donne mon IA, moi au cabinet
10:08d'avocat, moi à la direction juridique chez le client. Et finalement, l'IA pourra peut-être nous
10:14amener à réintroduire de l'humain dans les discussions stratégiques, pour le coup, qui vont
10:21s'instaurer entre le client et l'avocat. Ce sera le mot de conclusion. On voit que les impacts sont
10:28nombreux de l'intelligence artificielle sur les avocats. Merci Louis Degos.
10:32Merci beaucoup Arnaud.
10:33On poursuit ce Lex Inside et on va parler de la prise illégale d'intérêt pour les agents
10:48publics avec mon invité Claire Roger-Petit, avocate au sein du cabinet d'AIME. Claire
10:54Roger-Petit, bonjour.
10:55Bonjour Arnaud.
10:56La prise illégale d'intérêt des agents publics soulève de nombreuses questions juridiques et on
11:00va voir que cette notion évolue. Mais avant de voir son évolution, qu'est-ce que la prise illégale
11:06d'intérêt des agents publics ?
11:08D'abord, merci beaucoup de m'accueillir. Et la prise illégale d'intérêt pour les agents
11:13publics en fonction, ce qui la distingue du délit dit de pantouflage, c'est le fait pour un agent
11:19public, donc ça peut être un maire, un ministre comme on l'a vu l'année dernière, mais aussi un
11:23directeur des impôts, de prendre, de recevoir ou de conserver un intérêt dans une opération ou une
11:31entreprise dont il a la charge au moment de l'acte, la charge de la surveillance, de l'administration,
11:42du paiement de la liquidation. En pratique, ça va être par exemple un maire qui va participer à
11:48une délibération d'un conseil municipal, qui va voter l'octroi d'un marché public à une entreprise
11:54dans laquelle il a un intérêt parce qu'il va être le gérant de cette entreprise ou ce sera
11:59l'entreprise de son épouse, de son fils.
12:01D'accord. Alors on voit bien maintenant ce qu'est cette notion de prise illégale d'intérêt pour les
12:06agents publics, mais comment la jurisprudence de la Chambre criminelle a-t-elle fait évoluer cette définition ?
12:12Alors déjà, c'est une définition textuelle qui est très large parce que c'est une prohibition
12:16générale qui est faite aux agents publics, ce qui n'a pas toujours été le cas dans l'histoire du droit français.
12:22Et la Chambre criminelle a élargi le champ de l'infraction, tout d'abord en neutralisant l'élément
12:28moral et intentionnel de l'infraction, en considérant qu'il découlait nécessairement de la
12:33démonstration de l'élément matériel. Et sur cet élément matériel, elle a élargi
12:40également particulièrement la notion d'intérêt en considérant que ça pouvait être un intérêt
12:44personnel de l'agent public ou non, c'est-à-dire que ça peut être un proche qui est concerné ou
12:49même une connaissance seulement, que l'intérêt pouvait être matériel de l'argent ou aussi moral.
12:56Et il y a eu deux jurisprudences vraiment frappantes. Une première qui a fait de cette
13:01infraction une infraction qu'on dit formelle, c'est-à-dire que la Chambre criminelle considère
13:06que le seul soupçon, c'est-à-dire dès lors qu'il y a eu un abus de fonction, même si l'intérêt n'a pas
13:12été satisfait, même si au final l'intérêt n'a jamais été reçu par l'agent public, suffit à
13:17condamner. Et une deuxième jurisprudence qui est dite de la convergence des intérêts, enfin convergence
13:22d'intérêts, c'est en l'absence de conflit d'intérêts, quand l'intérêt privé de l'agent public est égal à
13:28l'intérêt public ou en tout cas n'est pas contraire à l'intérêt public, on doit quand même condamner.
13:32Alors est-ce que vous avez des illustrations pour bien comprendre ces jurisprudences ?
13:36Justement, dans le cadre de la convergence d'intérêts, c'est une jurisprudence de 2008 qui a été la
13:43première à poser ça, et c'est une jurisprudence qui est importante à évoquer aujourd'hui, parce que
13:50c'était le cas de trois élus locaux qui avaient participé à des délibérations ou des votes d'un
13:55conseil municipal pour l'octroi de subvention à leurs associations, et la Cour de cassation avait
14:01dit qu'il fallait condamner. Sauf que ces associations, ils disent siéger escalité, ce qui veut dire
14:06par application de la loi. Donc il n'avait aucun bénéfice à l'octroi de ces subventions, et surtout
14:13cette octroi avait bien évidemment été votée dans le strict intérêt des communes. Donc c'est
14:18vraiment ça une jurisprudence qui a fait beaucoup parler, qui a fait couler beaucoup d'encre, et dans
14:22le cas d'une infraction formelle, c'est-à-dire un maire a souhaité par exemple octroyer un marché
14:30public à une entreprise dont le gérant était une connaissance. Finalement l'entreprise ne va pas
14:38obtenir le marché public, donc l'intérêt n'est pas satisfait, et finalement il y a quand même une
14:44condamnation. Alors que pensez-vous justement de cette évolution jurisprudentielle ? Je pense que
14:49j'ai déjà un peu trahi mon avis par ma présentation, mais je suis assez défavorable à cet
14:54élargissement. C'est le cas je pense de la majorité des pénalistes, en tout cas de Margot Mathieu et
15:00Florentin Facon aussi au cabinet. Il faut comprendre que c'est une politique de répression qui
15:05concerne tant la caractérisation de l'infraction que les peines prononcées, et c'est vraiment une
15:11singularité française. On n'a pas le temps de l'évoquer aujourd'hui, mais le rapport Sauvé en
15:152011 avait dressé un comparatif des pays de l'OCDE. Il y a vraiment une sévérité française particulière
15:22qu'on peut saluer d'un certain point de vue en termes de probité, mais qui crée des décisions
15:26ubuesques. Donc celles que je viens de vous exposer sur les élus siégeant SQLT, c'est quand même
15:31assez grave de les condamner. En plus je pense que vraiment en pratique ça va freiner l'action des
15:37agents publics qui vont être très frileux à participer. C'est une jurisprudence qui est
15:42déconnectée à la réalité de ce qu'est l'action publique, enfin l'action publique dans le sens
15:45administrative. Et en plus un dernier point c'est qu'il y a des juges du fond qui vont être très
15:51favorables à cette sévérité, alors que d'autres vont être plus frileux sur cette jurisprudence et
15:58donc on va avoir une rupture d'égalité devant la loi, devant les tribunaux, parce que certains
16:02juges vont appliquer cette sévérité, tandis que d'autres vont relaxer, c'est assez rare,
16:06mais dispenser de peine éventuellement. Alors justement pour essayer de contrecarrer
16:11cette jurisprudence, il y a eu des tentatives de QPC, qu'est-ce que ça a donné ? Je pense qu'il y a
16:16eu beaucoup de tentatives de QPC, mais il n'y en a eu que deux qui ont été transmises par les
16:20cours d'appel à la Chambre criminelle, c'est des jurisprudences de 2014 et 2017, qui portaient
16:26principalement, même presque, que sur la question de la convergence d'intérêts et le fait que
16:32réprimer des comportements qui n'étaient pas contraires à l'intérêt général, en l'absence
16:38d'intérêts contraires à cet intérêt public, était du coup, portait atteinte au principe
16:46constitutionnel. En 2014, il y avait aussi un point qui portait sur le caractère formel, et la
16:52Chambre criminelle a balayé ces QPC en disant qu'elle n'avait pas de caractère sérieux et refusait
16:57la transmission au Conseil constitutionnel. Dans l'affaire Guérini aussi, sur laquelle j'avais
17:02travaillé aux côtés d'Hervé Témime, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, on avait soulevé une
17:07QPC parce qu'il y avait une particularité dans l'espèce, où l'acte qui avait été pris par le
17:11Conseil départemental, à laquelle avait participé Jean-Noël Guérini, avait été dicté par un acte
17:18administratif du préfet, ce qu'on appelle une déclaration d'utilité publique. Donc c'était un
17:23acte qui était dicté et par l'intérêt général et par l'utilité publique, ce qui excluait tout
17:28intérêt privé, et la cour d'appel d'Aix-en-Provence, pareil, a refusé la transmission évidemment.
17:32Alors au-delà de la jurisprudence, il y a eu aussi une réforme en 2021 qui a modifié les
17:37termes de la loi. Quels changements ont été apportés ? En fait, les termes d'intérêt
17:43quelconque, qui sont les termes qu'on retrouve depuis 1992 dans le Code pénal, ont été remplacés
17:48par intérêt de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité de l'agent
17:53public. Ça change quoi du coup ? Alors c'est justement la grande question. Il ressort des
17:58travaux parlementaires qui ont débuté, il y a eu des tentatives de réformes successives depuis
18:022008, qu'il y a une volonté vraiment du législateur de restreindre le champ de l'infraction et de
18:08revenir à un conflit d'intérêts. C'est débattu, mais vraiment ça ressort des travaux, ça ressort
18:14des trois rapports aussi, Sauvé, Jospin et de la haute autorité pour la transparence de la vie
18:19publique. Mais dans les faits, c'est beaucoup plus complexe. Comment cette réforme a été accueillie
18:24de manière générale ? Il y a eu deux écoles. Une première école qui pensait que ça allait
18:28révolutionner l'infraction avec un retour au conflit d'intérêts pour pouvoir en plus réaligner
18:35la jurisprudence judiciaire avec la jurisprudence administrative qui, en matière de recours pour
18:39excès de pouvoir, annule les actes administratifs qu'en cas de conflit avérés d'intérêts. C'est un
18:46peu l'école des positifs dont je faisais partie. Une autre école qui considère que c'était une
18:49précision de la loi et que ça n'allait rien changer. Simplement, les juges allaient devoir
18:53mieux caractériser la compromission de l'agent public. D'accord. Pour finir, quelles sont les
18:58tendances de la jurisprudence sur cette question ? La Chambre criminelle a donné raison à cette
19:03seconde école, hélas, parce qu'en avril 2013, elle a rendu un arrêt qui portait sur la question
19:08d'un conflit de lois dans le temps et a vraiment considéré expressément que les dispositions
19:13nouvelles étaient équivalentes aux dispositions anciennes. C'était assez critiquable parce qu'en
19:18plus, elle avait pris le temps d'évoquer la volonté du législateur sur l'ancienne loi,
19:22mais pas sur la nouvelle. On attendait notamment l'arrêt Guérini. En mars 2024, son pourvoi,
19:30en tout cas sur l'aspect actions publiques, a été rejeté. D'accord. Donc, on reste sur
19:33cette jurisprudence de 2023 ? Pour l'instant, mais j'espère que ça va changer. On va conclure
19:38là-dessus. Merci d'être venu sur notre plateau. Merci beaucoup.
19:40On va parler de l'accès aux données sur les bénéficiaires effectifs avec mon invité Maxime
19:56Deguy-Menschmidt, associé chez Veillejourde. Maxime, bonjour. Bonjour Arnaud. L'accès aux données sur
20:02les bénéficiaires effectifs soulève de nombreuses questions juridiques, notamment au regard des droits
20:08fondamentaux. On va en parler ensemble, mais avant toute chose, qu'est-ce qu'un bénéficiaire
20:13effectif ? Un bénéficiaire effectif, pardon, c'est toujours une personne physique et c'est la personne
20:19qui détient ultimement une société. Ça veut dire que c'est la personne qui a plus de 25% du capital
20:25ou du contrôle d'une société, que ce soit directement ou par l'interposition d'autres
20:29sociétés. Mais ce qui est important à retenir, c'est que c'est toujours une personne physique.
20:34Quelles sont les sociétés concernées par la déclaration de ces bénéficiaires effectifs ?
20:39Depuis relativement longtemps, toutes les sociétés immatriculées en France doivent déclarer qui sont
20:46leurs bénéficiaires effectifs, y compris lorsque vous avez une société française qui est détenue
20:50par une société étrangère, qui elle-même est détenue par une personne physique étrangère,
20:54la société française doit déclarer son bénéficiaire effectif qui est la personne étrangère.
20:59Aujourd'hui, qui a accès aux données sur les bénéficiaires effectifs ?
21:03L'évolution est intéressante puisque sous le régime de l'ancienne directive de 2015,
21:10tout le grand public avait accès au registre des bénéficiaires effectifs. Ça veut dire que sur
21:15Internet, il y avait le nom des propriétaires infinis des sociétés. Et puis en 2022,
21:21la Cour de justice de l'Union européenne a été saisie, pour une affaire luxembourgeoise mais
21:26qui s'applique à toute l'Europe, sur l'accès à tout le public des bénéficiaires effectifs.
21:31La Cour a jugé qu'il y avait une atteinte aux droits à la vie privée et aux droits à la
21:37protection des données personnelles. Cette atteinte n'était pas légitime parce que les
21:41objectifs poursuivis, qui étaient la lutte contre certaines infractions, ne nécessitaient pas que
21:45tout le monde ait accès au registre des bénéficiaires effectifs. Depuis cet arrêt de la
21:52Cour de justice, la 6e directive anti-blanchiment a été adoptée en mai 2024 et elle prévoit
21:59désormais que l'accès aux bénéficiaires effectifs est réservé aux autorités publiques,
22:04évidemment, c'est l'illustration pour les enquêtes, aux établissements de crédit,
22:10c'est-à-dire les banques qui prêtent de l'argent et qui doivent savoir à qui elles prêtent de
22:13l'argent et d'où viennent les fonds, et puis aux sociétés qui exercent leur devoir de vigilance et
22:19qui doivent savoir avec qui elles contractent. Il y a une dernière catégorie qui est la
22:23catégorie qui pose a priori le plus de problèmes ou en tout cas qui fait le plus parler, ce sont
22:29les journalistes et acteurs de la société civile. Pourquoi vous estimez que cette catégorie pose
22:36problème ? Elle pose problème parce que vous n'ignorez pas qu'on a un petit flottement institutionnel
22:41en France depuis quelques mois et la directive a prévu que les acteurs de la société civile,
22:47c'est-à-dire les associations, les journalistes qui étaient engagés dans la lutte contre le
22:52terrorisme et le blanchiment pouvaient avoir accès, ce qui est légitime parce que ça permet
22:57de dénoncer des scandales. Mais comme il n'y a pas eu de transposition en droit français parce que
23:01nous n'avons pas eu de parlement de cette directive, on a simplement un communiqué du ministère des
23:06finances de la fin du mois de juillet qui n'utilise pas cette expression d'acteurs civils ou de
23:12journalistes qui sont actifs dans la lutte contre le blanchiment et la corruption, mais elle définit
23:20une catégorie un peu plus large qui sont les acteurs engagés dans la transparence financière.
23:26La transparence financière c'est beaucoup plus large que le combat contre la corruption et le
23:33blanchiment de capitaux. La transparence financière c'est savoir qui a quoi.
23:38Alors que répondez-vous justement à ceux qui veulent une plus grande transparence financière ?
23:43Je réponds qu'on doit, comme dans tous les cas où il est question de droits fondamentaux,
23:50faire un contrôle de proportionnalité. Pourquoi est-ce qu'on peut porter atteinte aux données
23:56personnelles et à la vie privée en divulguant à certaines personnes la propriété de certaines
24:03sociétés ? C'est pour combattre la corruption, le blanchiment de capitaux et le terrorisme.
24:10Est-ce qu'on a besoin que n'importe quelle personne ait accès aux données des bénéficiaires
24:15effectifs pour combattre cela ? Non, parce que c'est la mission de l'État. Ça peut être
24:19éventuellement à l'émission des journalistes spécialisés mais pas de n'importe qui. Aujourd'hui,
24:23avec la façon dont est rédigée l'accès aux bénéficiaires effectifs issus de ce communiqué,
24:29tout journaliste ou tout blogueur qui établit par exemple un classement des grandes fortunes,
24:34qui établit un mapping des sociétés et des détentions de sociétés pour des aspects
24:41concurrentiels peut accéder à ces informations. Et je pense que c'est dangereux puisque ça n'est
24:45pas justifié par l'objectif d'intérêt général qui est de lutter contre les infractions les plus graves.
24:49Quelle serait la bonne définition, entre guillemets, le bon cadre juridique pour les
24:54bénéficiaires effectifs ? Le cadre juridique, ce serait déjà qu'il y en ait un, puisqu'aujourd'hui
24:59on parle d'un communiqué, donc il n'y a pas de décret, il n'y a pas de loi, il n'y a pas de transposition,
25:03donc ça peut susciter des difficultés. Mais aujourd'hui, les registres publics ont un
25:11formulaire qui est assez large où il suffit de présenter son activité pour avoir accès. Il
25:16faudrait que ce soit beaucoup plus restreint et qu'il y ait un vrai contrôle pour être certain
25:20que les demandes qui sont faites sur les bénéficiaires effectifs sont bien faites dans
25:24le cadre d'une enquête sur des actes soupçonnés de blanchiment de capitaux ou de financement du
25:30terrorisme. D'accord, vous avez parlé de contrôle de proportionnalité tout à l'heure, mais comment
25:34concrètement on peut concilier la transparence financière avec cette protection des droits
25:40fondamentaux que vous avez évoqués ? C'est une balance et la transparence financière, il faut
25:45faire attention à transparence financière et lutte contre certains objectifs d'intérêt, enfin dans
25:50le but d'objectifs d'intérêt général que peuvent être la lutte contre le terrorisme ou le blanchiment
25:55de capitaux. La transparence financière, ça n'est pas un objectif, on n'a pas besoin de savoir
26:01exactement combien gagne son voisin s'il est propriétaire de telle ou telle société, on en
26:06a besoin si on est dans une démarche de lutte contre des infractions les plus graves. Donc il
26:12faut pouvoir faire ce contrôle et dire qu'il est nécessaire pour la lutte contre certaines
26:17infractions les plus graves que certaines personnes aient accès, ça ne doit pas être remis en cause,
26:21l'État, les banques, les sociétés qui ont un devoir de vigilance, mais pas n'importe qui. Donc on
26:27doit définir l'équilibre et quand la loi sera enfin débattue au Parlement, il faudra bien calibrer
26:32cet accès pour qu'il n'y ait pas un empiétement illégitime sur le droit à la vie privée, le droit
26:37à la protection des données personnelles. Alors aujourd'hui justement, cette question n'est pas
26:42dans l'agenda des parlementaires, vous pensez qu'ils vont s'en saisir dans les semaines à venir et
26:47qu'il y a vraiment une nécessité qu'ils s'emparent de ce sujet ? Il est indispensable qu'il y ait une
26:51nécessité qu'ils s'en emparent parce qu'à défaut de cela, il va y avoir des données qui vont être
26:59données à des journalistes alors qu'ils ne seront pas légitimes ou des blogueurs ou des personnes
27:05qui sont des associations mais qui ne poursuivront pas un but qu'on appelle légitime et donc qui
27:11auront accès à des données et donc il y aura une infraction, une infraction au droit au respect de
27:15la vie privée, une infraction à la protection des données personnelles et donc des actions en
27:19justice. Donc s'il n'y a pas de légifération sur le sujet, il y aura des actions en justice et des
27:24juridictions qui vont sanctionner ces personnes-là. Comment vous voyez justement pour finir l'évolution
27:30du contentieux sur ce sujet, il y a une vraie possibilité de contentieux sur ce sujet ?
27:35Il y a une vraie possibilité, il faudra probablement attendre que des informations sur les bénéficiaires
27:41effectifs soient utilisées à des fins non légitimes, par exemple des articles, par exemple imaginons un
27:47magazine qui établit un classement des grandes fortunes et qu'elle utilise les données qu'elle
27:51a obtenues sous prétexte de lutter contre le blanchiment de capitaux alors qu'en fait c'est
27:56uniquement pour faire le voici de la finance, c'est-à-dire dire qui sont les plus riches,
28:00il est possible que certaines de ces personnes disent non vous avez utilisé des données que
28:03vous n'aviez pas le droit d'avoir. On va suivre tout ça avec intérêt, merci d'être venu sur notre
28:08plateau. Merci Arnaud. Merci à toutes et à tous de nous avoir suivis, restez curieux et informés,
28:14je vous retrouve très bientôt pour un nouveau numéro de Lex Insight sur Be Smart For Change.