• le mois dernier
Mercredi 23 octobre 2024, LEX INSIDE reçoit Esther Dupain (Conseil en Propriété Industrielle, Regimbeau) , Hassan Ben Hamadi (Co-fondateur, Cabinet Adlane Avocats) et Anna-Christina Chaves (Associée, Addleshaw Goddard)

Category

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour, je suis ravi de vous retrouver pour un nouveau numéro de L'Ex Inside,
00:27l'émission qui donne du sens à l'actualité juridique.
00:31Au programme de ce numéro, on va parler de la protection des slogans à titre de marque.
00:36Ce sera dans quelques instants avec Esther Dupin, conseil en propriété industrielle chez Réjimbo.
00:43On parlera ensuite de la hausse des contentieux climatiques contre les entreprises pétrolières
00:49avec Hassan Benhamadi, associé cofondateur de Adlan Avocat.
00:55Et enfin, on parlera de la reconnaissance comme accident du travail, de la dépression
00:59résultant d'un entretien téléphonique avec son supérieur hiérarchique,
01:04avec Anna-Christina Chavez, associée au sein du cabinet Adolphe Chogodart.
01:09Voilà pour les titres, c'est parti pour L'Ex Inside !
01:12Comment protéger les slogans à titre de marque ?
01:25On en parle tout de suite avec mon invité Esther Dupin,
01:28conseil en propriété industrielle chez Réjimbo.
01:32Esther Dupin, bonjour.
01:33Bonjour Arnaud.
01:34De plus en plus d'entreprises souhaitent protéger leurs slogans à titre de marque.
01:40Nous allons voir ensemble quelles sont les conditions pour bénéficier de cette protection.
01:45Mais avant de rentrer dans le vif du sujet,
01:48pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qu'est le caractère distinctif d'une marque
01:54et pourquoi il est important ?
01:56Oui, bien sûr.
01:57Le caractère distinctif d'une marque, c'est sa capacité à permettre de distinguer
02:02les produits et services d'une marque de ceux d'une autre entreprise,
02:06d'une entreprise de ceux d'une autre entreprise.
02:09C'est un critère que tous les offices du monde entier imposent.
02:14Il s'apprécie au regard des produits et services que désigne la marque
02:19et il est impératif.
02:21C'est-à-dire que si la marque n'est pas considérée comme suffisamment distinctive
02:25et qu'elle est donc descriptive,
02:28elle sera refusée à l'enregistrement ou à tout le moins il sera possible
02:32de la contester et du coup d'en obtenir la nullité.
02:37C'est-à-dire qu'on refuse que la marque soit trop directement liée
02:42et décrive trop directement les produits et services
02:45parce qu'on va considérer que ces termes-là, donc descriptives,
02:49doivent rester à la libre disposition de chacun et notamment des concurrents du demandeur.
02:55Je vais vous donner un exemple.
02:58La marque Petit Bateau, par exemple,
03:01qu'on connaît très bien,
03:04qui sera considérée comme descriptive, donc non distinctive,
03:10si elle désigne des activités, des services de construction de bateau
03:15ou de commercialisation de bateau.
03:17En revanche, on sait que pour désigner des vêtements,
03:21elle est suffisamment distinctive et elle a donc fait l'objet d'un enregistrement.
03:25Alors on en sait plus maintenant sur le caractère distinctif.
03:28Quels types de signes distinctifs peuvent être déposés à titre de marque
03:33et est-ce que les slogans en font systématiquement partie ?
03:39Oui, tous les signes distinctifs peuvent faire l'objet d'un dépôt de marque.
03:43Ceux qu'on connaît le plus souvent, ce sont les signes verbaux,
03:48constitués de lettres et de termes.
03:51Il peut y avoir aussi ce qu'on appelle les marques semi-figuratives,
03:54donc les marques composées et de termes verbaux et d'éléments figuratifs,
03:58tels que des logos.
03:59Il y a aussi les marques figuratives, constituées uniquement de logos,
04:04ça va par exemple être le guépard de Puma.
04:10Mais il y a aussi tout un autre pan de marques,
04:13donc ça va être les marques de couleurs par exemple,
04:16les marques gustatives, olfactives, les marques sonores.
04:21Je peux par exemple vous donner comme exemple la société Piaggio.
04:27Piaggio a essayé il y a quelque temps d'obtenir l'enregistrement
04:32du son que font les Vespa lorsqu'ils démarrent.
04:35Les demandeurs considéraient que c'était très reconnaissable
04:39et que c'était donc suffisamment distinctif,
04:42c'est-à-dire que le consommateur, quand il entendait ce son-là,
04:46sentait et savait tout de suite que c'était un Vespa.
04:49L'Office européen a été d'un avis contraire et a considéré que non,
04:53on ne pouvait pas, le consommateur lambda ne pouvait pas distinguer
04:57ce son d'un autre scooter qui démarrait.
05:02En revanche, vous avez la société LG qui a obtenu l'enregistrement
05:07du son que font leurs machines de lavage à la fin d'un cycle de lavage,
05:14et il a été considéré que c'était suffisamment distinctif
05:17et donc ils peuvent empêcher tout tiers de déposer une marque identique ou similaire,
05:23donc avec un son identique ou similaire, pour le même type de produit.
05:27On en sait plus maintenant sur les conditions d'enregistrement des marques
05:31avec des exemples concrets,
05:32mais quelles sont les conditions à remplir pour protéger un slogan à titre de marque ?
05:38Alors, le slogan fait partie intégrante des catégories de marques.
05:43C'est une marque comme les autres et donc doit répondre aux mêmes conditions de validité,
05:48notamment son critère de distinctivité.
05:52Il est vrai que pour les slogans, c'est un peu plus délicat à appréhender,
05:57notamment parce que pendant tout un temps,
05:59on considérait que dès lors que c'était un slogan,
06:02c'était un peu original, un peu distinctif,
06:05et que du coup, ça passait forcément,
06:07il remplissait quasi systématiquement le critère de la distinctivité.
06:12C'est de plus en plus difficile.
06:14On considère que non, malgré tout, le slogan doit être distinctif
06:19et qu'il doit donc dépasser ce critère purement publicitaire,
06:23promotionnel qui pourrait faire passer,
06:27et il doit vraiment remplir, au titre des autres marques,
06:31ce critère de distinctivité.
06:32Je peux vous donner rapidement un exemple.
06:35Vous avez, par exemple, récemment,
06:39une société pour désigner des produits cosmétiques
06:41qui a souhaité déposer « There is not planet B ».
06:46Donc, il n'y a pas de planète B.
06:48Agrémenté, pour le coup, d'un petit logo
06:51pour se donner le plus de chance,
06:53puisque c'est vrai que quand on agrémente une marque verbale d'un logo,
06:57en général, on arrive plus facilement à obtenir l'enregistrement,
07:00et malgré tout, il a été considéré que non,
07:03ce n'était pas suffisamment distinctif.
07:06Alors, un slogan initialement non distinctif
07:09peut acquérir un caractère distinctif par l'usage,
07:12concrètement, comment ça se passe ?
07:14Oui, il est vrai.
07:16Donc, le slogan, comme une marque, comme n'importe quelle marque,
07:19peut être a priori considéré comme non distinctif
07:22au moment du dépôt, par exemple,
07:25mais on va considérer que si le demandeur parvient
07:29à démontrer un usage suffisamment intensif,
07:33large, continu,
07:35de ses produits et services au regard de cette marque,
07:38et que le public pertinent
07:41reconnaît la provenance de ses produits et services
07:44comme provenant de cette entité,
07:46quand bien même la marque serait descriptive,
07:49alors, on peut obtenir ce critère de distinctivité
07:53et ainsi l'enregistrement.
07:55Alors, ce sont des dossiers suffisamment lourds à constituer,
07:59attention, il faut, c'est en général, refuser.
08:04Mais ça peut arriver, je peux vous donner comme exemple,
08:06par exemple, le vente privée,
08:11on connaît bien la marque pour désigner des services de vente
08:15sur des sites internet auxquels il faut être membre,
08:18donc, un petit peu privé.
08:21Ça a été a priori considéré comme descriptif
08:24et donc refusé à l'enregistrement.
08:26Ils ont constitué ce fameux dossier
08:29et ont finalement obtenu l'enregistrement.
08:31D'accord.
08:32Alors, peut-être pour encourager des entreprises à protéger des slogans,
08:35quels sont les avantages de protéger des slogans à titre de marque ?
08:40Alors, ils sont essentiellement de deux catégories,
08:44c'est-à-dire que si vous ne déposez pas, on va partir comme ça,
08:47si vous ne déposez pas, vous ne vous constituez pas de droit.
08:51Ça veut dire que vous allez commencer à l'utiliser,
08:53vous allez commencer à être reconnu auprès de vos consommateurs
08:57sous cette marque-là, en tout cas vos produits et services,
09:00mais vous ne vous constituez pas de droit,
09:02donc, vous ne pourrez pas,
09:03si un tiers se met à utiliser une marque identique ou similaire,
09:07vous ne pourrez pas lui opposer votre marque.
09:09D'accord.
09:09Et même un peu pire, on va dire,
09:14cette personne qui se mettrait à utiliser après vous
09:17peut venir contester, à condition qu'il ait déposé à son tour,
09:21peut venir contester votre usage.
09:22Donc, vous pouvez vous retrouver dans une situation
09:26où ça fait cinq, dix ans que vous utilisez une marque,
09:31quelqu'un à qui votre marque a plu
09:33s'est mise à l'utiliser aussi dans un domaine identique ou similaire
09:37et peut venir vous contester votre usage
09:40et vous demander des dommages et intérêts.
09:43Alors, un point qui peut être intéressant,
09:45une fois qu'on a enregistré un slogan à titre de marque,
09:48comment une entreprise peut communiquer justement sur cet enregistrement ?
09:54Alors, on sait que c'est important.
09:56C'est important parce que ça montre que vous êtes attentif,
09:59que vous capitalisez sur cet actif.
10:03Donc, et on les connaît un peu tous, ces petits signes,
10:07ça va être le petit « c » de copyright,
10:09si vous considérez qu'il y a des droits d'auteur sur votre marque.
10:13Ça va être le petit « tm » que vous pouvez mettre en haut à droite,
10:18à condition d'avoir déposé votre marque.
10:20Attention, il faut l'avoir déposé.
10:22Et le petit « r » donc de registered
10:25à partir du moment où votre marque est enregistrée.
10:28Alors, en France, ça va plutôt être presque,
10:32pour informer les gens, c'est dissuasif aussi.
10:36Ça veut dire que vous êtes attentif
10:38à ces problématiques de propriété industrielle.
10:41Aux États-Unis, par exemple,
10:42ça peut permettre d'obtenir plus de dommages et intérêts
10:46parce que vous avez considéré que vous avez informé
10:48du fait que ce sont des signes protégés.
10:53Alors, attention quand même, c'est-à-dire que c'est compliqué d'obtenir,
10:57par exemple, l'enregistrement dans tous les pays du monde entier.
11:00Et on sait que la communication va vite, notamment sur Internet.
11:04Et donc, il faut faire attention à ne pas mettre de petit « r »
11:06dans des pays où, par exemple, vous n'auriez pas protégé
11:10ou obtenu l'enregistrement.
11:12Donc, alors tous les cas sont différents,
11:15mais on va avoir tendance à recommander
11:18de peut-être mettre tout simplement,
11:21au bas de la page, tout droit réservé.
11:24Ou peut-être quelque chose de plus global,
11:27moins précis, mais qui vous évite certains écueils.
11:31On va conclure là-dessus.
11:32Merci d'être venu sur notre plateau.
11:33Merci beaucoup.
11:45On va parler de la hausse des contentieux climatiques
11:48avec mon invité Hassan Benhamadi,
11:51avocat cofondateur du cabinet Adelane Avocat.
11:55Hassan Benhamadi, bonjour.
11:57Bonjour Arnaud.
11:57Les entreprises pétrolières font l'objet de plus en plus
12:01de contentieux climatiques.
12:04Comment le devoir de vigilance des entreprises
12:06est-il invoqué dans ces contentieux climatiques ?
12:10Alors Arnaud, c'est une question d'actualité.
12:13Le devoir de vigilance est en train de devenir
12:17l'outil privilégié des ONG et collectivités territoriales
12:24dans la lutte contre le réchauffement climatique.
12:27Pourquoi ?
12:28Parce que c'est une obligation légale de prudence et de vigilance
12:33qui impose aux entreprises de prendre des mesures raisonnables
12:37pour prévenir le risque environnemental et climatique.
12:42La formulation est large, volontairement large,
12:46ce qui fait que les ONG et les collectivités territoriales
12:50en profitent et l'utilisent désormais comme un outil
12:54dans le cadre de leurs actions.
12:56Observe-t-on une évolution de la jurisprudence
12:59en faveur des plaignants ces dernières années
13:01dans le cadre de ces contentieux ?
13:03Oui, assurément.
13:04Ça a fait l'actualité des dernières semaines.
13:07On a eu des arrêts de la Cour d'appel de Paris
13:09qui ont été rendus le 18 juin 2024,
13:13qui ont statué sur la recevabilité de recours d'ONG
13:17à l'encontre de certaines grandes entreprises françaises,
13:20dont l'une qui est notre champion pétrolier Total Energy,
13:25qui était fondée notamment sur un fondement climatique,
13:31sur des prétentions relatives au réchauffement climatique.
13:34Et un autre fondement a été prévenir les dommages illicites
13:38à l'environnement, sur l'article 1952 du Code civil.
13:41Pouvez-vous revenir sur ces affaires ?
13:43Vous voulez que je revienne spécifiquement sur celles de Total Energy
13:46ou celles qui concernent également EDF et Vigie ?
13:48L'une et l'autre, ou vous pouvez commencer sur la première, sur Total.
13:51Sur Total, dans ces affaires, il faut savoir que
13:54la portée des arrêts de la Cour d'appel de Paris
13:57concerne surtout la recevabilité des actions.
14:01En première instance, les actions ont été déclarées
14:04irrecevables pour des considérations purement procédurales.
14:08Alors, on ne va pas faire dans le technique, mais juste généralement,
14:12il faut savoir que l'article du Code de commerce sur le devoir de vigilance
14:17prévoit l'envoi d'une mise en demeure spécifique.
14:21Et c'est ça qui a été au centre de l'attention,
14:23car la Cour d'appel de Paris a considéré que la mise en demeure était nécessaire,
14:29mais que son contenu ne devait pas être forcément celui de l'assignation
14:33qui allait être délivrée trois mois plus tard.
14:35Parce que la mise en demeure doit rester infructueuse pendant trois mois.
14:39Donc, la Cour d'appel de Paris s'est prononcée sur la recevabilité des actions,
14:43pas encore sur le fond.
14:44Le fond va certainement intervenir dans un second temps
14:47et ça va être scruté de très près par les praticiens et les entreprises,
14:52parce que le juge va porter une appréciation sur les plans de vigilance.
14:56Donc, sur le fond, sur les mesures qui sont prises,
14:58il va potentiellement influer sur l'opérationnel des entreprises.
15:04Alors, justement, vous évoquez des décisions de fond.
15:06Quelles pourraient être les tendances à venir de ces contentieux climatiques ?
15:11Vers quoi se dirige-t-on ?
15:14On se dirige clairement vers une multiplication de ces contentieux.
15:20Alors, il y a une étude très intéressante qui a été faite par un institut britannique récemment,
15:25qui a démontré que depuis l'accord de Paris,
15:27donc depuis 2015 entrée en vigueur en 2016,
15:30on a eu un triplement des actions climatiques dans le monde.
15:35C'est assez considérable.
15:37Fois trois.
15:38Et là, depuis l'entrée en vigueur du devoir de vigilance
15:42et les affaires qui sont arrivées devant la Cour d'appel de Paris,
15:44on voit quand même qu'il y a une hausse considérable.
15:47La semaine dernière, des ONG ont quand même publié un radar des plans de vigilance.
15:54Les ONG qui sont Sherpa notamment, Terre Solidaire, etc.,
15:58qui pointent les lacunes des rapports de vigilance public de plusieurs grandes entreprises.
16:04Donc cela annonce clairement une hausse des contentieux à venir.
16:09Et les entreprises vont devoir agir d'un point de vue préventif,
16:15parce que si elles n'agissent pas d'un point de vue préventif,
16:17ça va se matérialiser d'un point de vue répressif.
16:20Alors vous évoquez la prévention du côté des entreprises.
16:25Quelles sont les bonnes pratiques à avoir en tête pour ces entreprises soumises au devoir de vigilance ?
16:31C'est une question très délicate que vous posez, Arnaud,
16:33parce que nous avons par exemple au cabinet des grandes entreprises
16:37qui justement rencontrent la problématique de la matérialité des mesures à prendre.
16:43Parce que comme je vous le disais,
16:45l'article du code de commerce prévoit uniquement que des mesures raisonnables soient prises.
16:50D'accord.
16:51On attend justement des décisions des tribunaux
16:54pour savoir ce qui va être jugé comme raisonnable ou non.
16:58Et je vous assure que tous les praticiens...
16:59Aujourd'hui, il y a un peu un flou juridique entre guillemets ?
17:01Complètement. Il y a un flou juridique qui franchement met toutes les directions juridiques en état d'alerte.
17:08Et nous, à titre personnel, on est en train de mettre en place un département scientifique
17:15pour essayer de suivre ces évolutions et les documenter par écrit
17:20avec une commission qui va être créée pour ça avec notamment l'AFGE.
17:24C'est une sorte d'observatoire entre guillemets ?
17:26Une sorte d'observatoire, exactement, avec des personnes issues du monde académique et scientifique,
17:34des avocats et des directions juridiques.
17:37Et l'idée, c'est de rendre compte à une certaine périodicité
17:43de l'évolution des contentieux climatiques, des décisions, c'est ça ?
17:46Exactement, de rendre compte de l'évolution des contentieux climatiques,
17:50mais également de l'évolution de la réglementation en matière de conformité, de durabilité, etc.
17:57Et à terme, de pouvoir établir un guide qui puisse servir de référence pour toutes les entreprises concernées.
18:07D'accord. Et donc, les premières actions, c'est à quel horizon ?
18:12Alors, avec le délai des tribunaux, c'est toujours délicat de se prononcer,
18:19mais je pense qu'à horizon 12-18 mois, on aura des premières décisions.
18:23On va suivre tout ça avec intérêt. Merci d'être venu sur notre plateau.
18:26Merci à vous, Arnaud. Merci.
18:38On poursuit ce Lex Inside et on va parler de la reconnaissance d'un accident du travail suite à la dépression
18:45résultant d'un appel téléphonique avec mon invité, Anna-Christina Chavez,
18:52associée chez Adult Show Godard. Anna-Christina Chavez, bonjour.
18:56Bonjour, Arnaud.
18:57Alors, avant d'aborder la reconnaissance d'un accident du travail suite à la dépression résultant d'un appel téléphonique,
19:04qu'est-ce qui définit légalement un accident du travail ?
19:07Écoutez, c'est une très bonne question et effectivement, je pense qu'il faut se la poser parce que le cadre est finalement défini,
19:12mais on ne le connaît pas toujours.
19:13Le cadre, il est défini à l'article L411.1 du Code de sécurité sociale, non pas du Code du travail.
19:19Et il se définit tout simplement, comme très souvent, par un fait, une conséquence et un lien de causalité.
19:25Et finalement, la définition, c'est un événement qui intervient de manière précise et datée sur le lieu de travail
19:34ou, attention, au temps du travail et qui cause une lésion.
19:40Ça peut être quelques lésions.
19:42Alors, on connaît bien les lésions physiques, mais ça peut être également une lésion psychique, un choc émotionnel, par exemple,
19:48ou pourquoi pas, comme on voit là, une dépression.
19:51Et tout ça étant causé par, évidemment, ou en tout cas dans le cadre d'un rapport d'autorité.
19:58Voilà, c'est vraiment ça.
19:59Donc, on en sait plus sur la notion, la définition d'accident du travail.
20:03Est-ce que du coup, une dépression peut être considérée comme un accident du travail ?
20:08Eh bien, écoutez Arnaud, la réponse est clairement oui et j'ai envie de dire, elle n'est pas nouvelle.
20:13Elle n'est pas nouvelle parce que les premiers cas en jurisprudence se sont révélés en 2003, puis 2004.
20:19Alors, c'était souvent sur le lieu de travail, vraiment celui, le lieu habituel du travail.
20:25Et c'était des employés qui faisaient face soit à un choc émotionnel au moment d'un entretien avec le supérieur hiérarchique,
20:32mais donc physique, soit une agression.
20:36C'est en 2004, c'était un employé de banque qui avait été agressé avec une arme blanche par un client.
20:42Donc voilà, dans ces deux cas-là, finalement, la dépression qui avait découlé de cet événement bien précis et bien daté
20:51avait été reconnue, y compris par la Cour de cassation, ce qui n'était pas le cas de la CPM à l'époque,
20:56mais par la Cour de cassation comme un véritable accident du travail.
21:00Et vraiment, le dénominateur commun, c'est le caractère soudain de ce choc émotionnel qui provoque une dépression.
21:08D'accord, caractère soudain de l'événement.
21:10Alors, est-ce qu'un entretien téléphonique professionnel peut-il être à l'origine d'un accident du travail ?
21:17Oui, alors c'est justement la question qui se pose, sachant qu'avec l'évolution, je vous l'ai dit en introduction,
21:23il faut bien faire la distinction entre ce qu'est le lieu de travail et le temps de travail.
21:28On avait déjà des cas de reconnaissance d'accident du travail lors de missions du salarié ou lors de certains déplacements professionnels,
21:37y compris, on en a connu lorsque l'employé avait un accident à l'hôtel, par exemple, alors qu'il était en déplacement professionnel.
21:44Et maintenant, le télétravail est arrivé ?
21:46Absolument, le télétravail est arrivé et un arrêt très récent de cour d'appel de Grenoble est venu statuer très clairement.
21:53Et il a finalement clarifié un article du Code du travail pour le coup, qui est l'article 1222-9, qui lui dit que,
22:03parce qu'il faut bien faire évoluer le droit en même temps que les formes de travail elles-mêmes évoluent.
22:08Et donc, cet article nous dit tout simplement qu'un accident intervenu en télétravail est présumé être un accident du travail,
22:14puisque le domicile du salarié n'est qu'une extension du lieu de travail habituel.
22:19Alors, intéressons-nous maintenant à l'angle de l'employeur.
22:23Comment l'employeur peut-il contester la qualification d'accident du travail si l'employé lui dit,
22:30je suis en dépression suite à l'entretien qu'on a eu ensemble, comment l'employeur peut-il contester cette qualification ?
22:37Alors, ce qui est intéressant, c'est que dans l'accident du travail, c'est le salarié qui a la main.
22:42C'est lui qui peut donner cette qualification, tout simplement parce que cette incident est intervenu ou une suite d'incidents
22:50sont intervenus sur le lieu ou au temps du travail.
22:53Et ça, ça change vraiment beaucoup la donne.
22:55Donc, l'employeur qui n'a pas la main doit immédiatement, dès qu'il a connaissance de cette demande auprès de la CPM,
23:02il doit immédiatement rédiger un courrier de réserve.
23:05Et pour ça, il va contester un certain nombre d'éléments de l'accident du travail.
23:09Le premier élément sur lequel il va pouvoir éventuellement intervenir, c'est de dire, ça ne s'est pas passé sur le lieu de travail.
23:16Là, il se pose la question.
23:17Là, effectivement, il n'y avait pas d'accident sur le lieu de travail, mais sur le temps de travail.
23:22Et donc, le télétravail, qui est un temps du travail, est considéré comme le lieu du travail.
23:27Donc, on ne peut pas contester dans ce cas-là.
23:29Mais de temps en temps, on peut essayer de le faire et notamment de disqualifier un accident de trajet qui n'a pas le même régime juridique.
23:36Le deuxième argument qu'on voit très, très, très souvent, et c'est ce que, d'ailleurs, les employeurs font et ce qu'il avait fait dans l'arrêt du 8 mars dernier,
23:45c'est de contester la matérialité, c'est-à-dire que finalement, il n'y a pas de témoins.
23:51Et en télétravail, c'est facile de contester la matérialité puisque, effectivement, il n'y a pas…
23:56En général, on est seul devant son PC.
23:58Exactement. Donc, il n'y peut pas y avoir de témoins.
24:00Donc, ça, c'est un des points sur lesquels l'employeur peut essayer d'aller.
24:04Le troisième point qui est plus intéressant peut-être pour les employeurs, c'est de, et notamment dans le cas des dépressions,
24:11c'est de contester le caractère de fait accidentel, la nature même de fait accidentel,
24:16c'est-à-dire considérer que finalement, il n'y a pas de caractère soudain.
24:20D'accord.
24:20Donc, c'est autre chose. C'est autre chose.
24:22C'est ce que la jurisprudence a beaucoup considéré comme une maladie qui peut ou pas être une maladie professionnelle.
24:28D'accord.
24:29Et enfin, le dernier point, c'est sans doute, et le plus intéressant, vraiment,
24:34dans ces considérations de dépression, c'est de contester le lien de causalité
24:39et donc de faire état de pathologie qui était déjà installée avant même le choc émotionnel.
24:46Et là, ça se traitera autrement, non pas en accident du travail.
24:49Alors, si jamais la dépression est reconnue comme un accident du travail,
24:53quelles sont les conséquences pour l'employeur ?
24:56Alors, les conséquences pour l'employeur, elles sont multiples, bien évidemment.
24:59La première, c'est que ça confère aux salariés, alors tout contrat de travail est suspendu,
25:03et ça confère aux salariés une protection absolue contre le licenciement.
25:08On ne peut plus licencier ce salarié.
25:10Et tout licenciement qui interviendrait hors cas de faute grave ou impossibilité de maintenir le salarié,
25:17qui n'est pas une cause économique, il faut bien le préciser,
25:19c'est très particulier, l'impossibilité de maintenir.
25:23Hormis ces deux cas-là, vous ne pouvez plus licencier ce salarié.
25:27Ensuite, il y a des effets, alors ça c'est contre le licenciement,
25:30il y a des effets également financiers qui se font sentir,
25:32puisque dans les conventions collectives, généralement,
25:35il y a une indemnisation de l'accident du travail qui est bien plus élevée,
25:38un maintien de salaire pendant parfois 4 mois, 5 mois, 6 mois, à 100%.
25:43Donc ça, c'est l'employeur qui doit valider que sa prévoyance pourra à minima couvrir en partie ce surcoût,
25:49parce qu'en attendant, il faut aussi remplacer le salarié, donc c'est un double coût.
25:55Et puis, il y a également des impacts sur le licenciement.
26:00Quand à la fin de l'arrêt pour accident du travail, il faut licencier le salarié,
26:04on va généralement vers l'inaptitude, et l'inaptitude, c'est un licenciement qui coûte plus cher.
26:08On paye pour une inaptitude professionnelle,
26:11il y a d'abord le préavis qui doit être versé, une indemnité légale qui est doublée,
26:16et en général, les salariés qui viennent chercher les employeurs sur le terrain de la faute inexcusable
26:24pour obtenir des majorations et pourquoi pas des amendes.
26:27Et sachez quand même que l'amende n'est pas anecdotique,
26:29puisque quand vous avez un accident du travail et que le salarié est en mesure de prouver
26:36qu'il n'y a pas eu d'éléments concrets pour empêcher cet accident du travail,
26:41alors même qu'il y avait un terreau sous-jacent,
26:43on peut considérer cette faute inexcusable,
26:46et l'employeur, personne physique, est tenu à une amende de 75 000 euros,
26:50225 000 euros pour la société.
26:52Donc ce sont des sujets qui peuvent être lourds.
26:55Très lourds.
26:55Donc un sujet à ne pas négliger.
26:57Comment la jurisprudence a évolué sur cette question ?
27:01Alors sur cette question de maladie professionnelle,
27:04la jurisprudence, on le voit au début,
27:06elle appréhendait beaucoup plus la dépression comme une maladie.
27:10Donc le salarié se mettait en arrêt maladie.
27:13Comme je vous le disais, là, il n'y a pas de présomption d'accident du travail.
27:16Et il fallait ensuite, dans les deux années de cette déclaration de maladie normale,
27:21faire une demande de reconnaissance auprès de la CPM d'une maladie professionnelle.
27:26Et pour ça, les conditions étaient quand même très compliquées,
27:28puisqu'il fallait vraiment démontrer le lien direct entre la dépression et la lésion,
27:36donc cette dépression.
27:37Et il fallait en plus de ça que ça cause soit la mort, on ne le souhaite pas,
27:42soit à minima une incapacité de travail professionnelle de 25 %,
27:47ce qui est quand même très lourd.
27:49Et vous voyez cette inversion de la charge de la preuve.
27:51C'est-à-dire que dans un cas, c'est le salarié,
27:53dans le cas de la maladie professionnelle,
27:55qui devait prouver le caractère professionnel pour être indemnisé et pris en compte de cette façon.
28:03Là maintenant, avec l'accident du travail, on renverse la présomption
28:06et c'est l'employeur qui doit prouver le contraire.
28:10D'accord. Alors, pour éviter justement ce type de situation,
28:13quelles sont les mesures que les employeurs peuvent-ils faire en termes de prévention ?
28:19Alors, il y a des mesures très concrètes et il faut prendre ces mesures très concrètes.
28:22Pourquoi ? Parce que je vous le disais,
28:24le fait de ne pas prendre de mesures concrètes expose l'employeur,
28:28personne physique et morale, à hauteur de 225 000 euros d'amende,
28:32plus les dommages d'intérêt qui sont payés aux salariés.
28:34Donc, c'est vraiment important.
28:36Et ces mesures concrètes, la première absolument, c'est le DUERP,
28:39le fameux document unique d'évaluation et de prévention des risques psychosociaux.
28:44D'accord. Donc, il faut impérativement considérer ces sujets de burn-out.
28:49Ensuite, c'est attesté par des formations ou par des mesures très pratiques,
28:57une formation managériale pour éviter les abus qui peuvent être causés.
29:02Parce que tout ça, c'est aussi généralement des contextes.
29:04Il y a également un autre point qui est très important, c'est la charge de travail.
29:10Il faut absolument qu'on fasse un suivi,
29:13qu'il y ait une vraie balance entre la vie professionnelle et la vie privée.
29:18Et là-dessus, il y a quand même une enquête intéressante de l'ADARES
29:22qui a été publiée le 13 août 2024,
29:25qui est venue statuer sur ce point en disant que les salariés
29:28qui ont énormément de charges de travail avec très peu d'autonomie
29:32sont ceux finalement qui sont les plus à risque.
29:34Donc, si vous avez ce type de salariés, il faut impérativement faire attention dans la DUERP.
29:40Exactement.
29:41On va conclure là-dessus. Merci d'être venu sur notre plateau.
29:44Merci à vous. Merci beaucoup, Arnaud.
29:46Merci à toutes et à tous pour votre fidélité.
29:48Quant à moi, je vous retrouve très bientôt sur bsmart.novo-lexinside.
29:52Restez curieux et informés.