Tous les jours de la semaine, invités et chroniqueurs sont autour du micro de Pierre de Vilno pour débattre des actualités du jour.
Retrouvez "Les débats d'Europe 1 Soir" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-invite-actu
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Avec mes camarades du soir de la deuxième heure, bonsoir Nathan Devers, philosophe et écrivain,
00:09bonsoir Jules Thorez, journaliste politique au journal du dimanche, bonsoir Jean-Michel Décugis,
00:14bonsoir, merci d'être avec nous, grand reporter police-justice aux parisiens aujourd'hui en
00:18France, vous êtes co-auteur avec Vincent Gautrono et Jérémy Famelé de Tueurs à gage, enquête sur
00:24le nouveau phénomène des shooters, c'est chez Flammarion, ça vient de sortir hier justement,
00:30c'est tout frais, c'est tout chaud, on va en parler dans un instant, mais d'abord je voudrais
00:34votre réaction sur ce fourgon de transport de fond attaqué en plein jour, en plein centre-ville de
00:41Grenoble, alors c'est intimement lié à ce que vous racontez dans le livre, c'est-à-dire qu'on a,
00:46non mais ce que je veux dire c'est qu'on n'a plus peur, c'est-à-dire qu'aujourd'hui on tire,
00:50d'abord on tire dans tous les sens, en pleine rue, on s'en fiche, c'est-à-dire qu'il n'y a
00:55plus de... c'est complètement désinhibé. Alors là, si vous voulez, les attaques de fourgon c'est
01:01plutôt quelque chose qu'on ne voit plus ou pratiquement plus, c'est quelque chose qui
01:04existait beaucoup dans les années 80, dans les années 90, même 2000, bon, les attaques de
01:10fourgon elles se passent partout, ça peut être en centre-ville, ça peut être le matin, ça peut
01:15être le soir, c'est pas nouveau, ce phénomène n'est pas nouveau, il est plutôt en perte de
01:19vitesse. Aujourd'hui, c'est vrai qu'aujourd'hui c'est plus facile de trafiquer de la drogue que
01:28d'aller faire un fourgon parce que ça demande une certaine technicité, il faut quand même être
01:33assez expérimenté pour aller s'attaquer à un fourgon avec des convoyeurs qui sont armés,
01:39et d'abord là, d'ailleurs, ils ont raté leur coup, même s'ils étaient bien renseignés parce
01:44qu'à l'intérieur du fourgon il y avait plus d'un million d'euros. Oui c'est ça, et bon,
01:48en tout cas on salue le sang-froid de ces convoyeurs de fourgon qui ont réussi à partir et à sauver
01:55d'ailleurs le butin puisque rien n'a été volé, les malfaiteurs sont eux toujours en fuite. J'en
01:59viens à votre livre qui se lit, j'allais dire, terriblement comme un roman, c'est-à-dire qu'on
02:06a l'impression quand on lit Mathéo, quand on lit les différents complices qu'il a, ce Mathéo qui
02:12bouffe des kebabs et qui roule en voiture GTI, qui à un moment donné va tomber amoureux ou alors
02:17c'est une adolescente qui va tomber amoureuse de lui, on se demande si ça va se finir en Bonnie
02:20and Clyde, ce sont des faits réels que vous racontez Jean-Michel Décugis, ces nouveaux tueurs
02:27à gages qui n'ont plus comme le samouraï Alain Delon un imperméable et la discrétion, ce sont
02:35des jeunes de plus en plus grisés, ça leur plaît de tuer, ça leur plaît, vous racontez, je raconte
02:43juste le début du livre où Mathéo est engagé pour je ne sais plus combien, 10 000, 20 000 euros,
02:47les tarifs c'est ça, entre 10 et 25 000, parfois plus, parfois moins, on s'en souvient d'ailleurs
02:53des images de ce meurtre terrible, de cette cavale et de ce type qui tombe contre un rideau d'un
03:00commerce à Marseille et ce jeune qui s'approche de lui et qui le crible de balle comme si c'était
03:06un steak haché, pardonnez-moi de cette image violente mais c'est quand même un peu ça,
03:11c'est-à-dire que tout ça est un peu brouillon, tout ça est un peu fait de manière aléatoire,
03:15ce qui m'a le plus pris au vif dans votre livre c'est quand vous racontez que dans son témoignage
03:23ce jeune raconte qu'il a pris plaisir à tuer. Oui, il y a l'appât du gain effectivement dans
03:29les motivations parce que souvent, là c'est pas le cas de Mathéo mais on a des affaires à des
03:35jeunes qui sont totalement déstructurés mais qui veulent de l'argent, c'est aussi une motivation
03:40mais effectivement il y a cet espèce de sentiment d'héroïsation, d'appartenance à un groupe
03:47criminel, il se rêve, il se fantasme en guerrier. On se sent important. Oui, c'est-à-dire qu'on se
03:55fantasme en guerrier, c'est des jeunes beaucoup qui sont complètement biberonnés aux jeux vidéo
04:01et qui sont dans le virtuel et pour lesquels effectivement la vie n'a plus de prix, n'a
04:09aucune valeur. C'est ça qui est assez terrifiant. C'est ça qui fait l'efficacité de ces jeunes.
04:15Ils ne sont pas très efficaces même si Mathéo en un mois a tué 6 personnes mais en général leur
04:25espérance on va dire de tueur à gage est très courte. Soit ils se font tuer, soit ils finissent
04:32quand même interpellés par la police, heureusement, et c'est plutôt un one-shot comme on a vu avec ce
04:38gamin de 14 ans qui d'abord n'a pas... il y avait une cible, c'est pas la bonne cible qu'il a tuée,
04:46il a tué un pauvre chauffeur de taxi qui n'avait rien demandé et qui n'a pas simplement voulu
04:54aller où on lui demandait. On est aujourd'hui dans un espèce de phénomène inédit parce que d'abord
05:02il y a un rajeunissement de ces tueurs à gage mais il y a un rajeunissement de toute la chaîne
05:07du narcomantitisme. On commence en guetteur à 12 ans et hélas on devient tueur à 14 ans, ça n'a rien
05:16à voir avec les peines, c'est un phénomène qui prend les sangs depuis des années et qui... on fait
05:25appel à des jeunes, effectivement très jeunes, dans le trafic, les guetteurs etc. parce que s'ils
05:31se font interpeller effectivement ils vont ressortir assez vite quand ils ont moins de 13 ans. Là,
05:37le tueur de 14 ans, qu'il ait 15 ou 16 ans, il sera condamné effectivement moins durement mais
05:46c'est pas pour ça qu'on l'a choisi. Le problème c'est que les commanditaires sont pour la plupart
05:55en prison parce que 85% des meurtres en 2023 ont été commandités depuis la prison sur le
06:04narcotrafic par des types qui sont soit des cahiers de la drogue, soit des gens qui ont fait un
06:13business en montant des espèces de PME depuis la prison en organisant des meurtres. Ils ont
06:19leur bureau en prison, on leur file des portables, ils arrivent par drone, ils arrivent au parloir...
06:24C'est un peu une plateforme de télétravail. La prison est devenue un peu une agence de
06:29consultants du crime. C'est inquiétant mais il y a les drones, il y a sans doute un peu les familles
06:40mais aussi la corruption chez les surveillants qui est aussi très inquiétante.
06:44Je reviens à ce que je disais tout à l'heure, le côté grisant pour les jeunes. Vous parliez des
06:49jeux vidéo, c'est que là en l'occurrence le Matteo, d'abord il accomplit son contrat, il tue la personne
06:56qu'on lui a demandé de tuer et après il revient à la cité, il en tue un autre parce qu'en fait il
07:00a envie de tuer, ça lui a plu. Ça lui a plu et puis les tarifs augmentent en fonction de qui vous
07:11tuez, combien vous en tuez. Nous on a vu par exemple, on est tombé sur une annonce, parce que
07:15c'est des annonces qui sont passées, de cinq meurtres pour 35 000 euros sur le darknet, sur
07:22les boucles très restreintes, sur les applications numériques. Et c'est formulé de façon tout à fait...
07:28C'est formulé tout à fait. Il n'y a pas des langages connus ? Non, parce que les communications sont
07:33cryptées. Il y a un glossaire d'ailleurs au début de votre livre pour ceux qui ne connaîtraient pas
07:38le langage. Et vous avez des annonces, alors pas pour aller tuer, mais pour recruter des gaiteurs,
07:45des charbonneurs, les vendeurs. Vous avez des annonces qui ressemblent à celles de la NPE,
07:50où on propose hébergement, nourriture, moyennant, un peu d'argent. C'est 120 euros, 130 euros pour un
08:00gaiteur, un peu plus pour un vendeur. Et c'est des annonces que pourrait faire la NPE.
08:09Ce n'est pas une plaisanterie. C'est comme ça qu'elles sont décrites à travers les...
08:16J'ai plusieurs questions. Tout d'abord, Pierre a parlé de la caractéristique du fait que ce soit
08:23grisant. Est-ce que aussi ces jeunes-là, ils n'ont rien ou ils n'ont pas grand-chose ? Est-ce que
08:27quand ils tuent, quand ils deviennent aujourd'hui des tueurs à gages, est-ce qu'ils ne deviennent pas
08:31quelqu'un justement déjà ? Est-ce qu'il n'y a pas aussi ce phénomène-là ? Et la deuxième question,
08:35c'est un petit peu la même, c'est quelle formation reçoivent-ils ces jeunes ? Est-ce que c'est eux
08:41qui regardent ces demandes de travail et qui y vont directement ? Est-ce que c'est des gens qui
08:48sont formés, à qui on donne des armes et à qui on apprend par exemple à tirer ? Est-ce qu'il y a
08:51une formation en particulier ? Non, il n'y a pas de formation. C'est vraiment sur le tas. Il y a
08:56certains, c'est la première fois qu'ils se retrouvent avec une arme de guerre et qu'ils ne
09:00savent absolument pas manier. Peut-être qu'ils vont avoir une heure, deux heures d'apprentissage.
09:03Parfois, ils ne savent même pas tirer. En fait, c'est souvent des petites mains du trafic. Il y a
09:14beaucoup qui sont manipulés, endoctrinés. On est un peu dans un phénomène comparable au jihadisme
09:19sans la dimension religieuse. Mais vous avez... Mais endoctriner comment du coup, s'il n'y a pas
09:25la dimension religieuse ? Endoctriner, c'est parce qu'il y a cette appartenance à un groupe criminel,
09:31à une mafia, à un groupe criminel. Cette valorisation qu'ils ont à travers. Ils deviennent
09:38quelqu'un. Effectivement, ils ont l'impression. C'est le cas de Matteo. Parce que là, vraiment,
09:42Matteo, il avait la patte du gain. Mais c'est vraiment quelqu'un qui cherchait une valorisation
09:47à son existence. Mais au bout, il y a un parrain ? Il y a un caïd ? Il y a une personne ? Il y a
09:51une stature qu'on vénère ? Est-ce que le fameux Bachelamane, il y a le parrain ? Non, mais là,
09:58Matteo savait très bien qu'il travaillait pour la Dezen Mafia. Et la Dezen Mafia, pour lui,
10:04c'était vraiment le groupe criminel phare de Marseille. Et que la Dezen Mafia le recrute
10:10comme tueur, c'était pour lui une espèce de montée dans la hiérarchie. Parce que c'est quelqu'un qui
10:16a démarré vers 17 ans, qui a été condamné, qui a été en prison pour du trafic. Mais c'est quelqu'un
10:22au départ qui n'est pas voué à les tuer. J'avais deux petites questions qui se ressemblent aussi.
10:31La première, c'était qu'est-ce que la prolifération de ce nouveau type de profil de tueur à gages dit
10:37de ce qu'est devenu le trafic de drogue aujourd'hui en France ? Est-ce que ça signifie qu'aujourd'hui,
10:42on a véritablement affaire à des autorités, des organisations bel et bien mafieuses qui ont
10:47un contrôle total ? Et la deuxième, vous faites la comparaison avec les djihadistes. Est-ce que
10:51chez des jeunes comme ça qui décident de devenir tueurs à gages, est-ce qu'ils sont dans une logique
10:56entre guillemets un peu sacrificielle où ils disent que tout ça va se finir en prison ? Ou est-ce
11:00qu'il arrive aussi souvent qu'ils puissent passer complètement entre les mailles du filet et qu'ils
11:06aient une sorte de rationalité économique de se dire même s'il y a une probabilité d'une chance
11:09sur dix que je fasse ces missions, que j'empoche de l'argent et que j'échappe à la police, est-ce
11:14qu'ils sont dans ce genre de calcul ? C'est des gamins qui vont se lever le matin, ils ne savent
11:22pas encore qu'ils vont aller tuer le soir. C'est ça qui est fou. C'est complètement improvisé,
11:27ce n'est pas du tout pensé, organisé. C'est quelqu'un qui est à l'autre bout de la chaîne
11:33et qui, par son téléphone, va lui dire il y a des armes là, il y a une balle, ils vont partir en
11:41commando, il y aura un conducteur, un tireur ou deux tireurs. Et en fait, c'est des jeunes qui
11:52sont complètement déstructurés et qui, je l'ai dit tout à l'heure, pour lesquels la vie ne
11:59représente plus rien. Il faut comprendre qu'ils ne raisonnent pas du tout comme nous. Ils sont
12:04dans un monde parallèle. Aujourd'hui, vous avez tout le trafic du narcobanditisme, où il y a un
12:12rajeunissement, mais on est aussi dans une espèce d'ubérisation, une sous-traitance du crime,
12:19et où vous avez des types qui sont cachés à l'étranger ou en prison et qui n'ont aucun lien
12:25avec la victime, en tout cas impossible, c'est d'où la difficulté des enquêtes, et qui vont
12:31tirer les fils pour faire tuer des gens. Avant, il y a même encore dix ans, c'était des caïds qui
12:37allaient tuer d'autres caïds, ou un lieutenant qui allait tuer un autre lieutenant. Aujourd'hui,
12:41c'est qu'on terrorise à la calache en allant tuer un peu n'importe qui, et puis avec ce problème
12:51des victimes collatérales, parce qu'il y en a de plus en plus à Marseille, mais partout en France.
12:56Tueurs à gage, enquête sur le nouveau phénomène des shooters, Jean-Michel Décugeuse,
13:00Vincent Gauthrono et Jérémy Femmelet, merci beaucoup d'avoir été avec nous sur Antin.