Débat avec Jean-Marc Jancovici  le nucléaire pour sauver le climat

  • l’année dernière
Débat sur Mediapart le 12-12-2023 - L'article est en ligne et est accessible sans abonnement.
Transcription
00:00 Salut, bienvenue sur Mediapart.
00:01 La COP 28 à Dubaï se termine au cœur de ce sommet
00:03 organisé sous l'égide de l'OMU, Sommet Climat.
00:06 Beaucoup de questions, évidemment, sur les énergies fossiles
00:09 et la façon de les remplacer.
00:11 L'énergie nucléaire est-elle la solution ?
00:14 Discussion et débat avec le très médiatique,
00:17 très influent expert du climat et de l'énergie,
00:19 Jean-Marc Jankovici, membre du Haut Conseil pour le climat.
00:22 Vous êtes sur "À l'air libre", l'émission d'actualité
00:25 et de débat de Mediapart.
00:27 (Générique)
00:29 ---
00:33 - La COP 28 à Dubaï se termine.
00:35 C'est la COP des paradoxes, comme nous l'avons dit,
00:38 écrit sur Mediapart et aussi dit dans cette émission.
00:42 La sortie des énergies fossiles, le pétrole, le gaz, le charbon,
00:45 y est bien sûr évoqué.
00:47 La COP est présidée par le patron
00:48 de la plus grande compagnie pétrolière émiratie.
00:51 On dénombre à Dubaï plus de 2 450 lobbyistes
00:55 des énergies fossiles.
00:57 C'est du jamais vu dans l'histoire des COP.
00:59 À Dubaï, la France et d'autres pays ont proposé une solution,
01:03 le nucléaire, pour sortir des énergies fossiles.
01:06 Alors, est-ce que c'est la bonne réponse ?
01:08 Est-ce que c'est une fausse piste ?
01:10 Est-ce que même c'est une erreur magistrale ?
01:12 Avec moi, aujourd'hui, Jade Lingard, journaliste à Mediapart.
01:15 - Salut. - Salut.
01:16 Tu es spécialiste des sujets sur l'écologie, évidemment,
01:20 mais particulièrement du nucléaire.
01:21 Tu documentes sur Mediapart depuis des années
01:24 les dégâts de cette énergie,
01:26 vantée comme renouvelable.
01:27 Et puis, un invité qu'on remercie d'être là,
01:30 Jean-Marc Jancovici,
01:31 vous êtes fondateur du cabinet de conseil Carbone 4.
01:34 - Co-fondateur. - Co-fondateur, voilà.
01:36 Professeur associé à Mines Paris Tech,
01:38 fondateur et président du Shift Project,
01:40 membre, je l'ai dit, dû au Conseil pour le climat.
01:43 Alors, vous êtes connu, vous êtes écouté,
01:46 vous êtes suivi, vous êtes parfois adulé,
01:49 vous êtes parfois critiqué.
01:51 Vous êtes, je pense qu'on peut le dire comme ça,
01:53 un militant de la décarbonation,
01:55 une décarbonation dont vous pensez qu'elle doit passer
01:57 en partie par le nucléaire,
01:59 et vous êtes de longue date un militant de la décarbonation.
02:01 Cette décarbonation, c'est l'argument
02:04 que vous développez dans une bande dessinée,
02:06 "Le Monde sans fin", coécrite avec Christophe Blain,
02:09 qui a été un très grand succès d'édition en 2022,
02:12 bande dessinée dont l'argumentaire a pu être contesté.
02:15 On y reviendra peut-être dans cette émission.
02:17 Un mot sur la COP en général,
02:19 ce qu'on appelle, nous, la COP des lobbyistes,
02:22 la COP du pétrole, qui se termine.
02:23 Vous en pensez quoi ? Vous y croyez, vous, aux COP ?
02:26 La COP, en fait, il y a une petite méprise
02:28 pour les gens qui n'ont jamais vu d'un peu près ce qu'est une COP.
02:30 En fait, une COP, c'est une espèce de kermesse.
02:32 Vous dites réunion de co-pro, vous-même.
02:34 Oui, c'est intermédiaire entre une kermesse
02:36 et une réunion de co-propriétaires.
02:37 Sur la partie officielle, j'ai envie de dire,
02:39 c'est-à-dire les délégués des États qui viennent,
02:42 ça ressemble à une réunion de co-propriétaires
02:44 sans syndic et avec un système de vote
02:48 qui est "on vote tout à l'unanimité",
02:51 une répartition des charges qui se fait au prorata des surfaces,
02:54 mais le vote qui se fait avec un appartement, une voie.
02:56 Et pas d'ordre du jour.
02:57 C'est-à-dire qu'on doit se mettre d'accord à l'unanimité
03:00 sur un programme de travaux où chacun dit "voilà ce que j'aimerais faire".
03:04 Ça, c'est la partie négociation.
03:05 Et puis, en marge de la négociation,
03:07 vous avez une espèce de grande kermesse.
03:09 Alors, qui participe à cette kermesse ?
03:11 Historiquement, des ONG.
03:12 Par exemple, dans l'enceinte d'une COP,
03:14 il y a tous les stands de toutes les ONG qu'on veut,
03:16 qui vont de la défense des Indiens, de la défense des genres.
03:19 Il y a des tas de trucs qui n'ont rien à voir avec le climat.
03:20 C'est assez marrant.
03:22 Il faut que ça soit un endroit d'expression aussi.
03:24 Oui, absolument. C'est une kermesse.
03:25 C'est un grand truc, chacun à son stand.
03:27 Vous avez aussi des intérêts économiques qui sont là,
03:30 qui participent à la kermesse.
03:32 Donc, voilà. Moi, je me rappelle très bien à Poznań, en 2008.
03:35 Il y avait Shell qui avait sorti ces scénarios énergétiques.
03:37 Alors, ils avaient toute une pile de documents sur un stand,
03:40 qui n'était pas dans l'enceinte de la COP,
03:41 qui était juste à l'extérieur, mais peu importe.
03:44 Il y a la presse, évidemment, beaucoup.
03:47 Là, dans les deux que j'ai faites,
03:48 il y avait des milliers de journalistes.
03:49 Je ne sais pas combien il y en avait à Dubaï.
03:51 Voilà. Donc, c'est une espèce de grande kermesse.
03:55 Et en fait, une personne qui est présente à l'intérieur
03:57 ne peut pas comprendre, ne peut pas appréhender
03:58 tout ce qui se passe à l'intérieur.
04:00 Les interactions, cette année, il n'y avait pas loin de 100 000 personnes.
04:02 On ne peut pas représenter les interactions
04:04 de 100 000 personnes en un article.
04:05 Donc, il y a des trucs absolument dans tous les sens.
04:08 Et c'est utile, à la fin.
04:10 Alors, c'est utile parce que ça permet de parler du sujet.
04:13 C'est utile parce que ça permet de confronter
04:15 là où en sont les pays,
04:17 mais ce n'est pas là que les choses se passent.
04:18 Dit autrement, les choses qui se décident vraiment,
04:21 elles se décident au sein des États,
04:23 au sein des constructions supranationales, comme l'Europe,
04:25 au sein des secteurs économiques,
04:27 au sein des entreprises, au sein des collectivités locales.
04:30 C'est là que les choses se passent.
04:31 Et en fait, à la COP, on enterrine ce qui se passe déjà.
04:33 Ce n'est pas un endroit où on va faire des avancées.
04:36 Et en fait, paradoxalement, la seule COP
04:37 où il y a eu quelque chose qui ressemble quand même
04:39 un peu à une avancée, c'était Copenhague,
04:41 parce que cette année-là, il y a eu une espèce de hold-up
04:43 du G20 sur les Nations unies.
04:45 C'est-à-dire que le processus onusien
04:46 n'a pas du tout été respecté.
04:48 Dans la nuit du jeudi au vendredi de la deuxième semaine,
04:50 il y a des chefs d'État qui, voyant que ça n'avançait pas,
04:52 se sont réunis dans une salle, ils ont pris une feuille de papier,
04:53 ils ont dit "Alors, sur quoi on se met d'accord ?"
04:55 Et là, ça a avancé.
04:56 - Il y a ce qu'on s'est... - Il y a eu l'accord de Paris en 2015.
04:58 - Mais qui n'a fait qu'enterriner,
05:00 quand on relie l'accord de Paris,
05:01 tout ce qui était dans l'accord de Copenhague et dans l'accord de Paris.
05:03 Dit autrement, il n'y a rien de plus dans l'accord de Paris
05:06 que la légalisation onusienne de ce qu'il y avait dans l'accord de Copenhague.
05:10 Et l'adhésion d'État, qui était quand même ce qui avait effectué
05:12 - l'accord de Copenhague. - Oui, mais ce que je veux dire,
05:13 c'est que sur le fond, c'est le jeu de qui a été chamboulé à Copenhague.
05:18 Et s'il n'y avait pas eu Copenhague, il n'y aurait pas eu Paris.
05:20 C'est ça qui est intéressant à savoir.
05:22 Et est-ce qu'on reviendra au nucléaire après et aux autres énergies,
05:24 mais est-ce que sortir du pétrole, en sortir un peu,
05:29 en sortir rapidement, en sortir progressivement,
05:31 en sortir à terme,
05:33 est-ce que ça peut sortir des copes ?
05:36 - C'est-à-dire est-ce que... - Non.
05:37 Ça sortira pas des copes parce que le pétrole a fait le XXe siècle.
05:40 En fait, le pétrole, c'est le XXe siècle.
05:42 Je suis habillé avec du pétrole. Ça, c'est du pétrole.
05:44 Je parle du pétrole. Je suis venu ici avec du pétrole.
05:47 Je suis venu à vélo, mais le plein du vélo, c'est le pétrole.
05:49 J'ai roulé sur du bitume, qui était du pétrole.
05:52 Ce que je vais manger ce soir sera partiellement issu de la mondialisation
05:55 parce que fertilisé avec des engrais faits au gaz.
05:57 Le pétrole est absolument partout dans nos vies aujourd'hui,
06:00 mais on ne se rend pas compte.
06:01 Donc, sortir du pétrole,
06:03 je ne veux pas dire que c'est retourné au XIXe siècle,
06:04 mais il y a quelque chose de ça.
06:06 Je dis bien, ça n'est pas.
06:07 Mais il faut bien comprendre, encore une fois,
06:09 le pétrole, c'est le XXe siècle.
06:11 Donc, le pétrole, c'est le temps libre.
06:13 Le temps travaillé a été divisé par deux en France entre 1900 et 2000.
06:17 Le pétrole, c'est l'urbanisation.
06:18 Le pétrole, c'est la tertiarisation.
06:20 Tout ça, c'est les énergies fossiles.
06:22 C'est les retraites, c'est les études longues.
06:24 La productivité du travail qui a été permise par les machines
06:26 a permis toutes ces avancées sociales.
06:28 Donc, dire "je vais garder tout ça,
06:30 "je vais garder les retraites bien payées,
06:31 "les études longues, la tertiarisation, etc.,
06:34 "et je vais me débarrasser
06:35 "de ce qui a physiquement, historiquement permis ça",
06:38 c'est un défi absolument titanesque.
06:40 - Donc, c'est pas dans les COP... - Face auxquels nous sommes là.
06:42 Absolument. Donc, c'est pas dans les COP que ça va se décider.
06:45 Dans les COP, ça va éventuellement s'enterriner.
06:47 Et encore une fois, comme je le dis,
06:48 la COP, c'est la cour de récré, c'est la kermesse
06:51 dans laquelle les gens se confrontent, se comparent,
06:53 voient où en sont les COP1, etc.
06:55 Et c'est un endroit où il y a beaucoup de journalistes pour en parler.
06:58 Et incidemment, je pense qu'on aurait dû les faire
07:00 l'été dans l'hémisphère nord,
07:01 puisque comme les gros émetteurs sont dans l'hémisphère nord
07:03 et que l'hiver, il fait froid,
07:05 moi, je suis sûr que si on avait mis ça en plein cagnard l'été,
07:08 ça aurait avancé un peu plus vite.
07:09 La COP, il y a eu, pour en venir au fond du sujet de notre émission,
07:13 qui est le nucléaire, justement,
07:15 sur cette possibilité de sortir du pétrole,
07:18 et comment il y a eu une annonce surprise, donc, à cette COP,
07:21 en tout cas, qui avait été un peu annoncée avant,
07:22 mais parmi pas mal d'annonces,
07:24 il y a eu une annonce multipliée par trois
07:26 sur les capacités nucléaires dans le monde d'ici 2050,
07:29 22 pays, dont les États-Unis,
07:31 qui est un émetteur massif, évidemment, d'énergie fossile,
07:37 la France, les Émirats Arabes Unis,
07:39 donc les organisateurs de la COP,
07:40 et puis plein d'autres pays, notamment européens,
07:42 a triplé les capacités de l'énergie nucléaire dans le monde
07:46 d'ici à 2050 par rapport à 2020,
07:49 c'est-à-dire qu'on est aujourd'hui à 9 % à peu près
07:51 de la production mondiale d'électricité par le nucléaire en 2022,
07:55 et ce serait donc de tripler cette capacité-là.
07:57 L'objectif, c'est bien sûr de réduire les énergies fossiles.
08:00 L'annonce, elle a été faite par John Kerry,
08:01 puis il y a aussi le Japon, la Corée du Sud, le Royaume-Uni,
08:03 et Emmanuel Macron, évidemment, l'a défendu.
08:06 Tripler les capacités nucléaires d'ici 2050,
08:11 en quoi ça peut aider à lutter contre la crise climatique ?
08:15 Alors, ça dépend si on fait ça en plus du reste
08:17 ou à la place du reste.
08:18 Historiquement, en fait, ni le nucléaire
08:21 ni les nouvelles énergies renouvelables,
08:23 éoliennes et solaires, n'ont remplacé les fossiles.
08:25 Les deux se sont rajoutés à des consommations fossiles croissantes.
08:29 Il y a eu des pays où, localement, ça a remplacé.
08:32 Par exemple, en France, la génération électrique
08:35 avant les chocs pétroliers était faite pour partie avec du pétrole,
08:38 et le programme nucléaire a remplacé une partie
08:40 de cette génération électrique.
08:41 Donc, en France, il y a vraiment eu une substitution.
08:43 Mais si je regarde macroscopiquement à l'échelle mondiale...
08:46 - C'est pas le cas. - C'est pas le cas.
08:47 C'est-à-dire que le nucléaire s'est développé...
08:49 Toutes les énergies se sont développées les unes sur les autres.
08:50 En fait, c'est ça qui est paradoxal.
08:52 L'hydroélectricité s'est aussi développée en plus du gaz,
08:54 du pétrole et du charbon qui augmentaient.
08:56 Enfin, tout.
08:57 C'est ce qui est un peu perturbant.
08:59 Et alors, donc, la question maintenant, c'est...
09:01 Si on dit qu'on va tripler l'énergie nucléaire,
09:04 est-ce que, en tant que telle, c'est une garantie
09:06 qu'on va faire moins de fossiles ? La réponse est non.
09:08 Donc, en fait, la vraie déclaration aurait dû être
09:10 "On va tripler et..."
09:12 On s'engage derrière à virer tant de charbon, tant de gaz,
09:14 parce que le pétrole, il n'y en a plus dans la production électrique.
09:17 Voilà. Ça, ça aurait été un argument, j'ai envie de dire,
09:20 inattaquable climatiquement.
09:22 Le simple fait de dire "On va tripler",
09:24 on peut espérer que ça va remplacer pour partie du charbon et du gaz,
09:27 mais on ne peut que l'espérer.
09:29 C'est... Voilà.
09:30 Après, si on regarde d'un peu plus près,
09:32 vraisemblablement que sur le gaz,
09:34 la production, pour des raisons géologiques,
09:36 devrait passer par un maximum avant 2050.
09:40 Pour le moment, les dates qui circulent dans les milieux
09:42 que je fréquente un peu,
09:43 c'est 2030, plus ou moins 10 ans, on va dire.
09:46 Ce qui veut dire que...
09:49 Mais ce n'est pas par volonté climatique.
09:51 C'est juste parce qu'il faut des dizaines de millions d'années
09:54 pour faire du gaz.
09:55 Une fois qu'il n'y en a plus dans le sous-sol, il n'y en a plus.
09:57 Mais c'est...
09:59 Voilà. Pour que l'engagement ait vraiment force,
10:02 j'ai envie de dire, climatique, il aurait fallu le compléter.
10:04 Après, on remarque que ça ne fait également qu'enterriner
10:06 des orientations qui existent déjà.
10:08 La France a déjà pris la décision d'augmenter ses capacités du fer.
10:13 - Jad va vous interrompre. - Les Pays-Bas,
10:15 qui font partie des signataires, ont déjà pris la décision.
10:17 La Grande-Bretagne a déjà pris la décision.
10:19 La Chine a déjà pris la décision.
10:21 Et les Émirats arabes unis ont déjà pris la décision aussi,
10:23 puisqu'ils ont déjà une centrale nucléaire.
10:25 Donc, en fait, il y a quelques pays qui n'ont pas de réacteurs
10:28 sur leur sol, qui font également partie des signataires.
10:31 Mais globalement, l'essentiel des signataires,
10:33 enfin, des gens qui ont pris cet engagement,
10:36 comme pour le climat, ils enterrinent quelque part
10:39 quelque chose qui existe déjà. - Jade.
10:41 Alors, vous faites partie des personnes qui considèrent
10:44 que le nucléaire fait partie de la solution
10:48 pour réduire les gaz à effet de serre
10:50 suffisamment pour limiter le changement climatique,
10:53 le réchauffement.
10:54 Si on écoute ce que vous faites,
10:57 les scientifiques du climat,
10:59 ils nous donnent comme limite temporelle 2025
11:03 en disant, idéalement, il faudrait que les émissions de gaz
11:06 à effet de serre connaissent un pic d'émission en 2025.
11:10 Donc, ça veut dire, comment ça baissait à partir de 2026 ?
11:13 - C'est-à-dire maintenant ? - Donc, c'est-à-dire maintenant.
11:15 Si on veut que limiter la hausse des températures
11:18 à 1,5 degré, qui est un des objectifs
11:21 qui figuraient dans l'accord de Paris de 2015.
11:24 Donc, on a un temps d'action qui est extrêmement limité,
11:27 c'est-à-dire qu'il faut agir tout de suite, urgentement.
11:30 Or, développer de nouvelles capacités nucléaires,
11:34 ça prend du temps.
11:35 Et si on reprend l'exemple de la France
11:37 que vous donniez, l'annonce de la relance
11:41 de nouveaux programmes nucléaires, nouveaux EPR,
11:43 au plus tôt du plus tôt, c'est pour dans dix ans,
11:46 ces nouveaux réacteurs,
11:48 si on compare ces deux temporalités,
11:51 agir tout de suite, disponible dans dix ans,
11:54 en fait, à quoi ça sert de mettre de l'argent
11:57 et de développer des capacités de production d'électricité
12:00 qui seront prêtes après la bataille ?
12:02 Alors, beaucoup de questions dans la question.
12:05 On va déplier.
12:07 Beaucoup de questions dans la question.
12:09 D'abord, mon soutien historique à l'énergie nucléaire,
12:13 il doit se mettre avec une virgule.
12:15 C'est "virgule" si on ne veut pas que ce qu'on a coutume d'appeler
12:18 le pouvoir d'achat s'effondre de trop.
12:20 Moi, je n'ai aucun problème avec le fait de ne faire
12:22 que de l'éolien, que du solaire, plus de fossiles, plus de nucléaire,
12:24 mais il faut bien comprendre que la contrepartie,
12:26 c'est un pouvoir d'achat qui diminuera beaucoup plus vite,
12:29 parce que ça limitera beaucoup plus fortement
12:32 la capacité de la quantité de machines
12:34 qu'on pourra mettre au travail.
12:36 Et aujourd'hui... Voilà.
12:39 Donc, il y a quelque part une préoccupation sociale
12:42 dans ce que je raconte.
12:43 Même si aujourd'hui, ça coûte de moins en moins cher
12:46 de produire de l'électricité avec les renouvelables.
12:48 Il ne faut pas rajouter une question de plus.
12:49 Je vais déjà essayer de répondre à la question.
12:51 Je vais déjà essayer de répondre à la question.
12:52 On reviendra avec des questions d'argent après.
12:54 Donc, la temporalité. Agir tout de suite et prêt dans le temps.
12:59 Ensuite, il faut bien voir qu'avec le nucléaire,
13:03 ce qui est compliqué, c'est de faire une centrale.
13:04 Par contre, faire fonctionner un réseau avec du nucléaire,
13:06 c'est très simple.
13:07 Avec des éoliennes et du solaire, c'est l'exact inverse.
13:10 Faire un panneau ou faire une éolienne, c'est simple.
13:12 Faire un réseau complet avec que ça, c'est très compliqué.
13:14 Du reste, personne n'y arrive pour le moment.
13:16 C'est un réseau d'électricité.
13:17 Oui, puisque l'Allemagne, aujourd'hui, par exemple,
13:19 juste pour donner un exemple, l'Allemagne avait 100 gigawatts...
13:23 Un réacteur nucléaire, sa puissance est à peu près 1 gigawatt.
13:26 D'accord ?
13:27 L'Allemagne avait 100 gigawatts de puissance pilotable électrique
13:30 en 2002. C'est-à-dire, si j'ajoute ce qu'il y avait
13:33 en charbon, en gaz, en nucléaire, en hydroélectricité,
13:35 c'est-à-dire des centrales où je tourne le bouton et j'en ai plus,
13:37 en gros, j'ai pas besoin qu'il y ait du soleil, du vent,
13:40 il y avait 100 gigawatts.
13:41 En 2022, il y avait toujours 100 gigawatts de puissance pilotable,
13:45 auxquels ils ont rajouté à peu près 150 gigawatts d'éolien et de solaire.
13:49 Et ils ont été obligés de garder la puissance pilotable,
13:51 tout simplement parce qu'ils ont besoin d'un backup,
13:53 quand, typiquement, en ce moment, si vous avez regardé,
13:55 par exemple, ce qui se passe en Allemagne depuis quelques jours,
13:58 c'est l'hiver, il y a pas beaucoup de soleil,
14:00 et on est en condition anticyclonique,
14:02 c'est pour ça qu'il fait froid, il y a pas beaucoup de vent.
14:05 Et donc, le facteur d'émission de l'électricité allemande
14:07 ces derniers jours était quasiment aussi élevé que celui de la Pologne,
14:10 tout simplement parce qu'à ce moment-là,
14:11 on sait pas stocker des grandes quantités d'électricité
14:14 en intersaisonniers, c'est-à-dire on sait le faire dans la journée,
14:16 il y a pas de problème, avec des batteries,
14:18 j'ai le soleil la journée, j'allume mon frigo la nuit,
14:21 ça, ça pose pas de problème.
14:22 Par contre, j'ai plein de soleil en juillet
14:25 et je veux consommer cette électricité en novembre,
14:27 ça, c'est très compliqué aujourd'hui,
14:28 personne ne sait faire ça à large échelle.
14:30 Donc, ce qui est compliqué avec les renouvelables,
14:33 c'est de faire fonctionner un système complet grâce à ça.
14:36 Et la question, la bonne question, c'est si je veux un système complet,
14:40 est-ce que j'irai plus rapidement avec du nucléaire
14:43 ou est-ce que j'irai plus rapidement avec des renouvelables ?
14:45 Je parle bien d'un système complet.
14:47 C'est ça, la difficulté.
14:48 Alors après, évidemment, on peut avoir des nuances de gris.
14:51 Par exemple, tant qu'on garde les centrales à gaz et à charbon européennes,
14:55 rajouter des éoliennes et des panneaux solaires,
14:57 ça permet de moins s'en servir et donc ça fait baisser les émissions.
15:00 Donc ça, c'est toujours bon à prendre.
15:01 Mais ça ne permet pas de viser un système
15:03 totalement débarrassé du gaz et du charbon,
15:05 parce que pour ça, on a besoin de supprimer totalement
15:07 les capacités pilotables que, pour le moment, on a en backup
15:10 et de les remplacer par autre chose.
15:11 Et encore une fois, je dis, pour le moment,
15:12 il y a des scénarios qui disent "on peut peut-être y arriver",
15:16 il n'y a pas de démonstration par les faits,
15:18 et en fait, les mêmes qui font les scénarios le lundi
15:20 vous disent le mardi "artung, il y a quatre conditions à remplir
15:23 pour que ça fonctionne et on n'est pas du tout sûr d'y arriver".
15:26 OK, mais ça ne répond pas...
15:27 Ça ne répond pas à la question du délai.
15:29 - Agir maintenant versus... - Si, parce que le délai...
15:31 ...des centrales prêtes en 10 à...
15:33 Oui, mais parce que ce que je suis en train de répondre,
15:35 c'est que ce même argument se retrouve
15:37 pour la production décarbonée à base de solaire et d'éolien.
15:39 C'est le même argument.
15:41 À terme, c'est-à-dire que si ça met 10 ans
15:44 de construire la première centrale,
15:45 puis après qu'on sait les construire une tous les quatre ans,
15:47 parce que vraiment, on a vraiment la trouille et qu'on se dépêche,
15:52 il faut regarder le plan complet,
15:53 parce que construire un réacteur, on s'en fout,
15:55 ça n'a aucun intérêt, construire un réacteur.
15:56 Oui, d'ailleurs, là, il y en a 14.
15:58 C'est où on en construit 50 ou on s'amuse avec un.
16:01 Mais je veux dire, bon...
16:02 Alors, si on regarde le système complet,
16:05 d'abord, il y a un premier truc qu'on peut faire,
16:06 c'est de prolonger les réacteurs existants.
16:08 Donc ça, ça donne du temps.
16:10 Quoi qu'on fasse derrière, qu'on fasse des éoliennes,
16:11 qu'on fasse des réacteurs, etc., de toute façon, ça donne du temps.
16:14 Et ça, c'est quelque chose qui est techniquement faisable.
16:15 Alors, ça ne sera pas fait statistiquement
16:17 sur les 50 réacteurs qu'il y a.
16:19 Il y en a bien un ou deux qu'on va devoir arrêter avant 60 ans,
16:21 ou trois ou quatre, j'en sais rien.
16:22 Mais il y en a un certain nombre,
16:25 probablement la grosse majorité,
16:26 qu'on va être capable de faire fonctionner à 60 ans,
16:28 et même un certain nombre qu'on pourra faire fonctionner
16:30 encore plus loin, parce qu'il faut savoir qu'un réacteur,
16:33 le mode de fonctionnement, c'est tous les 10 ans,
16:35 la SN passe chez vous et vous dit, je regarde, etc.,
16:38 à quoi ça ressemble, votre truc ?
16:40 OK, je vous signe, ou je vous signe pas pour 10 ans de plus,
16:43 ou je signe, ce qui est en général ce qu'ils font,
16:44 à condition que vous me changiez ceci, ceci, ceci, ceci et cela.
16:48 C'est en général comme ça que ça marche.
16:49 - Mais eux, on les a déjà. - Oui, on les a déjà.
16:52 Mais ce que je veux dire, c'est que du coup, on peut les garder.
16:54 Et il y a 10 ans,
16:57 on n'envisageait pas de les garder aussi longtemps.
16:59 Voilà, c'est juste ça, mon propos.
17:02 Et pour ce qu'on va faire derrière, en fait, le vrai sujet,
17:05 c'est pas tant ce qui va se passer dans les 10 ans qui viennent,
17:07 c'est qu'est-ce qui va se passer entre 2050 et 2100.
17:09 C'est ça, la vraie question.
17:10 Parce que si on veut un système durable,
17:12 on l'arrête pas en 2050, on va pas vous dire...
17:14 Moi, j'ai un plan pour en 2050,
17:16 en 2050, vous serez encore vivant, moi, c'est pas sûr, mais vous, oui.
17:19 Puis en 2051, je vous dis pas ce qu'on fait,
17:21 je vous dis pas si on sera capable.
17:23 Évidemment qu'on doit regarder plus loin.
17:26 Donc...
17:27 Pour vous, ça permet de voir plus loin, c'est ça ?
17:29 Mais tout. Parce que pour l'éolien et le solaire, c'est pareil.
17:33 Aujourd'hui, pour faire un réseau électrique
17:36 avec de l'éolien et du solaire, vous avez besoin de fer,
17:38 vous avez besoin de cuivre, vous avez besoin d'or,
17:40 vous avez besoin d'argent, vous avez besoin d'étain, etc.
17:43 Rien de tout ça ne se trouve en France aujourd'hui.
17:45 Donc réfléchir à 50 ans,
17:48 ça demande de postuler sur qu'est-ce qui restera de la mondialisation,
17:52 par exemple, à ce moment-là.
17:53 Est-ce qu'on aura toujours la facilité à importer en grande quantité ?
17:56 Et aujourd'hui, ces exercices sont pas faits.
17:57 D'accord ? C'est juste ça que je voudrais dire.
18:00 Donc on a une fausse impression
18:03 de scénario facile d'un côté et risqué de l'autre,
18:07 alors que moi, ce que je dis simplement,
18:09 c'est toutes les prises, toutes les parées qu'on va pouvoir faire
18:11 pour l'avenir comportent des risques, tous, absolument tous.
18:14 Et ce qui est difficile,
18:16 parce que c'est compliqué dans un débat public
18:17 de faire de l'arbitrage de risques, les gens sont pas habitués à ça,
18:20 il faut bien expliquer, c'est long, c'est technique, voilà.
18:23 Mais en fait, malheureusement, on arrive à une époque
18:26 où tout ce qu'on va pouvoir faire, c'est de l'arbitrage de risques.
18:28 Mais est-ce qu'il n'y a pas un risque avec ce que...
18:30 - Donc il y a plein de risques. - Un risque, mais...
18:32 - En plus. - C'est un risque, peut-être,
18:34 voilà, politique ou social,
18:37 j'en remarque Jean Covici, avec ce que vous décrivez,
18:39 c'est-à-dire, en gros, on garde les réacteurs nucléaires
18:43 qui peuvent être prolongés peut-être jusqu'à 60 ans
18:46 et on laisse arriver ces nouveaux réacteurs
18:49 tout en ayant ces renouvelables
18:51 et puis on voit à quel moment est-ce qu'on arrive à...
18:54 Jusqu'à quand on arrive à piloter tout cela
18:56 de façon à ce que ça puisse tenir la production
18:58 de l'électricité nécessaire, OK ?
19:00 Mais est-ce qu'il n'y a pas un risque en gardant ce système,
19:03 en fait, en gros, de garder à peu près ce qui est déjà en place,
19:07 alors qu'en fait, si on écoute le GIEC,
19:10 mais même aussi l'Agence internationale de l'énergie,
19:13 les experts, toutes les intelligences qui réfléchissent aujourd'hui
19:16 aux enjeux de la transition énergétique et de la crise climatique
19:19 et qui disent qu'il faut quand même changer énormément de choses,
19:22 et même vous-même, vous parlez parfois de révolution,
19:24 c'est une révolution qu'il faut faire, etc.
19:26 Est-ce qu'il n'y a pas un risque d'envoyer un message contre-intuitif ?
19:29 Contradis quoi ? Il faut tout changer,
19:31 mais en fait, c'est bon, on peut garder ce qu'on a déjà.
19:33 Et est-ce que là, on n'a pas un message
19:35 qui est un message trompeur, en fait, pour une société
19:37 et le laisser penser qu'on peut continuer comme avant ?
19:40 Alors, ça, on l'a dans tous les domaines.
19:42 Il faut des bâtiments plus performants,
19:45 mais on ne va pas tous les casser et les reconstruire.
19:46 Donc on va quand même garder pour une large part ce qu'on a déjà,
19:49 juste on va les améliorer.
19:50 Il faut circuler à vélo, mais on ne va quand même pas changer les routes.
19:53 On va garder les routes, mais tant qu'on garde les routes,
19:54 on pourrait être tenté de circuler en voiture.
19:56 Donc en fait, ce problème-là,
19:57 on l'a avec toutes les infrastructures qu'on a bâties jusqu'à maintenant
20:00 et dans lesquelles on va avoir besoin de faire du tri,
20:03 c'est-à-dire certaines, peut-être les abandonner,
20:06 d'autres, profondément les modifier,
20:08 d'autres, les garder à peu près en l'état,
20:09 mais pas s'en servir de la même manière.
20:11 Et c'est clair qu'on a cette question à se poser
20:14 dans énormément de domaines.
20:17 Et est-ce que ce n'est pas finalement la force aussi
20:19 de la décision allemande, qui a été si décriée en France,
20:22 de décision de sortie du nucléaire en 2011, l'Energiewende ?
20:25 Est-ce que ça n'a pas été la grande force de cette décision
20:28 que de marquer une rupture historique, sociale, énergétique,
20:33 et de dire à une société,
20:34 en fait, on avait une source de production d'énergie,
20:37 on la laisse tomber, on passe à une autre époque ?
20:39 Est-ce que ce n'est pas ça qui manque aujourd'hui en France ?
20:41 - Pour mettre en action la société. - Quand vous regardez les chiffres,
20:43 l'Energiewende n'a rien changé
20:45 à la trajectoire de consommation d'énergie en Allemagne,
20:48 strictement rien.
20:49 Ça n'a strictement rien changé...
20:51 - Ça fait mon chiffre. - J'ai regardé les chiffres.
20:53 Ça n'a rien changé à la trajectoire de consommation électrique,
20:55 absolument rien.
20:57 Les Allemands continuent à avoir d'énormes bagnoles
20:59 et à être contre les limitations de vitesse sur les autoroutes.
21:01 Ils continuent à avoir de l'industrie lourde,
21:03 ils font la promotion autant qu'ils peuvent.
21:06 Ça n'a strictement rien changé à la mentalité allemande,
21:09 absolument rien.
21:11 La seule chose que ça a changé,
21:12 c'est qu'ils ont émis plus que ce qu'ils auraient pu émettre
21:15 en abandonnant le charbon et en gardant le nucléaire.
21:17 Donc je continue, j'ai dit que cette décision était une erreur,
21:20 je persiste et signe, les Allemands, c'est une erreur,
21:22 et je finis, et en plus, ils nous empoisonnent.
21:25 Parce que les centrales à charbon, ça fait des particules fines,
21:27 et les particules fines des centrales à charbon
21:29 contribuent à tuer quelques milliers de personnes par an en Europe,
21:31 donc la décision allemande n'a aucune vertu.
21:34 Ils ont quand même beaucoup, beaucoup d'énergie renouvelable
21:36 qui se sont développées.
21:37 Ils auraient pu les mettre en plus du nucléaire, où est le problème ?
21:40 Ils auraient pu sortir du charbon et développer leurs ENR.
21:43 J'en remarque, Jean-Claude, ici, l'ADEME, RTE,
21:46 et puis beaucoup d'experts dont Jade a parlé dans le monde
21:49 disent, y compris des gens qui ont lu votre BD
21:51 et qui y répondent d'une certaine façon,
21:55 disent qu'on peut faire 100 % d'ENR à condition,
21:59 donc au contraire de vous, d'énergie renouvelable,
22:01 à condition d'agir sur la demande, réduire la conso,
22:04 réduire les pointes sur l'offre,
22:07 développer le stockage de l'électricité,
22:08 s'adapter à la particularité des territoires,
22:10 à ces irrégularités dont vous parliez pour le vent, etc.,
22:14 ou le soleil.
22:16 Donc on vous dit "c'est possible".
22:18 La réponse qui vous est faite souvent, c'est de dire "non, c'est possible".
22:21 Alors, les gens qui disent "c'est possible"
22:23 confondent un scénario et une démonstration.
22:25 Un scénario, c'est une histoire
22:28 qui est aussi vraisemblable que les hypothèses
22:30 que vous avez prises en entrée.
22:31 Mais c'est pas parce que vous faites un scénario...
22:33 Moi, je peux vous faire un scénario dans lequel je rajeunis de 20 ans.
22:35 Ça me pose aucun problème.
22:37 Vous trouvez que c'est aussi irréaliste que ça, Jean-Marc ?
22:39 Alors, je vais vous dire quelles sont les conditions
22:40 qui ne sont pas bouclées dans les scénarios qu'on regarde.
22:43 D'abord, les scénarios qu'on regarde ne bouclent pas sur la matière.
22:47 C'est-à-dire qu'ils ne disent pas...
22:48 L'Agence internationale de l'énergie,
22:50 la même qui disait "je vais faire frisou les moustaches",
22:53 quasiment totalement des ENR, etc.,
22:55 vous disent "ah, ben non, on n'est pas sûr d'avoir assez de nickel,
22:57 de cuivre, de lithium pour suivre les scénarios".
22:59 Dans le dernier World Energy Outlook,
23:01 il y a un très beau graphique qui a été sorti
23:03 dans lequel ils vous disent
23:05 "voilà la demande en nickel, en cuivre et en lithium
23:07 qu'on devrait avoir en 2030,
23:09 enfin la quantité qu'il faudrait fournir
23:10 pour suivre le scénario NZ2, donc net zéro,
23:13 et puis voilà là où on en sera en mettant bout à bout
23:17 les mines actuellement en fonctionnement
23:18 et celles qui sont en développement".
23:19 Et partout, c'est en dessous, de 15 à 20 %,
23:22 et là, on ne parle que de 2030.
23:23 Donc, l'Agence internationale de l'énergie vous dit...
23:26 Et il faut savoir que dans leur scénario NZ2,
23:29 ils ont une quantité de CO2 capturée et séquestrée,
23:33 capturée et séquestration, qui est juste hallucinante.
23:36 C'est-à-dire qu'ils envisagent en 2050
23:39 8 à 10 milliards de tonnes de CO2 capturée et séquestrée par an.
23:43 Il faut savoir que l'industrie pétrolière aujourd'hui,
23:46 elle extrait 4 milliards de tonnes de pétrole par an.
23:48 Donc, il faudrait doubler, plus que doubler,
23:50 l'infrastructure du secteur oil and gas,
23:53 plus que la doubler,
23:54 alors que c'est un secteur qui a 150 ans,
23:56 il faudrait plus que la doubler en 25 ans
23:58 pour remettre sous terre un produit
24:00 qui n'a aucune valeur commerciale.
24:01 Enfin, ce truc est totalement délirant.
24:03 Voilà un exemple de truc totalement délirant.
24:04 Oui, et bien, RTE et ADEME,
24:06 qui font leur scénario juste pour dire sur 100 % renouvelable,
24:09 eux, reposent pas sur une telle quantité de séquestration.
24:12 Sauf qu'ils ont commencé eux-mêmes à allumer les warnings,
24:14 c'est-à-dire qu'après vous avoir dit
24:16 "Voilà éventuellement ce que ça voudrait dire",
24:18 ils ont sorti une variante dans laquelle...
24:21 Il faut savoir que dans RTE et dans l'ADEME,
24:24 vous avez un truc qui est pour moi totalement invraisemblable,
24:28 c'est que vous avez l'énergie disponible
24:30 qui baisse considérablement
24:31 et le PIB qui augmente significativement.
24:33 Or, il se trouve que dans ma vision du monde à moi,
24:35 c'est des trucs qui sont incompatibles.
24:36 Vous ne croyez pas au decouplage, comme on dit ?
24:38 - Non. - Entre PIB...
24:40 Mondialement, on l'observe pas.
24:41 Depuis que je regarde ça au niveau mondial,
24:43 on a une corrélation quasi linéaire entre PIB et énergie
24:46 parce que c'est les machines qui bossent.
24:48 Ça a été fait par une machine, ça par une machine, etc.
24:51 Tout ça a été fait par des machines.
24:52 Donc non, j'y crois pas.
24:54 Et en fait, il faut voir que ces scénarios, ils empilent.
24:59 Donc il postule en gros, en hypothèse exogène,
25:02 qu'on va avoir de plus en plus de moyens
25:05 avec de moins en moins d'énergie, ce à quoi je ne crois pas,
25:07 et il termine en disant,
25:08 "Puisqu'on a de plus en plus de moyens, on a notamment les moyens de faire ça."
25:11 OK, mais comme je considère que l'hypothèse de départ
25:14 n'est pas vraisemblable, je ne souscris pas au résultat.
25:18 Donc pas 100 % d'énergie renouvelable.
25:19 Vous êtes sur ce discours-là et...
25:22 Et je vais quand même insister sur un point.
25:24 J'ai toujours dit que le nucléaire, ça ferait 5 % du chemin.
25:28 - J'ai jamais dit autre chose. - D'accord.
25:30 D'accord ? Le 95 % du chemin,
25:32 ça va être des efforts absolument massifs de sobriété
25:35 et ça va être repenser l'articulation ville-campagne,
25:39 avoir une structure de métier totalement différente,
25:42 avoir une consommation matérielle qui va baisser,
25:45 avoir des... Enfin, c'est ça, 95 % du chantier.
25:48 Pourquoi alors 5 %, pourquoi s'accrocher à ça
25:51 si ça ne fait que 5 % du chemin ?
25:52 Parce que si vous l'avez pas,
25:54 l'effort sur le reste, il est doublé ou triplé.
25:55 Vous dites que c'est un parachute ventral, c'est ça ?
25:57 Oui, l'effort sur le reste, il est doublé ou triplé.
25:59 C'est-à-dire que c'est ce qui permet éventuellement...
26:01 Je vais prendre un autre parallèle qui vaut ce qu'il vaut.
26:03 Imaginons que vous soyez poursuivi par la mafia
26:05 et tout ce que vous avez à votre disposition,
26:07 c'est une voiture où il y a une des quatre roues
26:09 où le frein est en rade et les feux stop qui marchent au plus.
26:11 Vous montez dedans ou pas ? Moi, je monte dedans.
26:13 Donc il faut bien comprendre que le rouleau compresseur
26:16 qui est en train de nous arriver dessus,
26:18 dû au changement climatique
26:19 et à la déplétion des ressources d'une manière générale
26:23 et accessoirement à l'effondrement de la biodiversité,
26:26 c'est le danger majeur...
26:29 C'est la question.
26:30 ...auquel il faut chercher à échapper
26:32 en empilant toutes les marges de manœuvre
26:33 qu'on a à notre disposition.
26:34 Moi, je pense que faire la fine bouche sur une...
26:37 Dans un contexte, ça revient à dire,
26:41 on a le temps, le monde confortable dans lequel on vit,
26:44 en fait, il va encore être là pendant très longtemps.
26:45 Moi, je pense que c'est un débat.
26:47 Alors, Jean-Marc Joukowici, le nucléaire,
26:50 il amène avec lui un certain nombre de questions.
26:53 Le nouveau nucléaire, les nouveaux réacteurs comme les anciens.
26:56 La France veut construire à Penly ou Bugea-Gravelines
26:58 de nouveaux EPR.
27:00 Aussi ce qu'on appelle des SMR,
27:03 des Small Modular Reactors,
27:05 qui vont être mis en place aussi.
27:10 Le premier problème, évidemment,
27:13 celui qui parle aussi beaucoup à l'opinion publique
27:15 et depuis longtemps et qui fait qu'il y a beaucoup de mobilisation
27:18 depuis des décennies contre le nucléaire,
27:19 c'est la question du futur, du futur très lointain des déchets.
27:24 Évidemment, plus on fait tourner des centrales,
27:25 plus on va gérer des déchets.
27:27 Est-ce que vous pensez aux déchets, d'une certaine façon,
27:31 dans ce scénario du nucléaire ?
27:33 Qu'est-ce qu'on fait de ces déchets-là ?
27:35 Alors, des déchets, il se trouve que, malheureusement,
27:37 on en fait partout et tout le temps.
27:39 Chaque Français génère en moyenne, au travers de ses achats,
27:43 donc les achats de tasses, etc.,
27:45 qui ont été fabriqués par l'industrie,
27:47 à peu près une centaine de kilos de déchets industriels dangereux
27:50 tous les ans.
27:51 Tous les ans, un Français ordinaire,
27:53 parce qu'on achète des canapés, des tables, des chaises,
27:56 des couteaux, des Magimix, et qu'est-ce que je sais,
27:58 on génère une centaine de kilos de...
28:01 Est-ce que c'est exactement le même type de déchets ?
28:03 Alors, parfois, certains sont aussi dangereux
28:07 presque que des déchets nucléaires.
28:08 En l'occurrence, ce n'est pas des déchets,
28:09 c'est les phytosanitaires, mais j'y viendrai juste après.
28:11 Je peux vous le dire tout de suite,
28:12 le reste, les phytosanitaires
28:14 sont quasiment aussi dangereux que les déchets nucléaires.
28:16 - Les pesticides. - Oui, les pesticides.
28:18 - On engage comment ? - Oui, oui.
28:19 Il y a des pesticides, la même quantité en milligrammes
28:23 de déchets nucléaires ou de phytosanitaires vous tue.
28:26 Pesticides, on en met des dizaines de milliers de tonnes
28:29 dans la nature chaque année.
28:30 Justement, on essaie de les retirer aujourd'hui.
28:31 - Oui, mais... - On essaie pas d'en rajouter.
28:33 OK, mais c'est juste pour dire,
28:35 les déchets nucléaires, on en fait quelques centaines de tonnes
28:38 par an, les très emmerdants.
28:41 Et du reste, aujourd'hui, on les stocke en surface,
28:43 ce qui n'est pas satisfaisant, il vaut beaucoup mieux
28:44 les mettre dans un trou où ils ne s'en quiquineront plus.
28:48 Le stockage géologique est quelque chose qui, moi,
28:49 me semble pas dangereux du tout.
28:51 Il faut bien voir que, par exemple, le pétrole,
28:52 c'est capable... Le pétrole, qui est un truc qui est liquide
28:54 et sous pression, donc ça diffuse quand même plus facilement
28:57 qu'un truc qui est solide,
28:58 c'est capable de rester pendant des millions d'années,
29:01 des dizaines de millions d'années dans une roche
29:02 dans laquelle c'est emprisonné.
29:03 Donc, le stockage géologique, si on va chercher au bon endroit,
29:05 c'est quand même un truc qui...
29:08 On aura d'autres problèmes.
29:11 La deuxième chose qu'il faut savoir,
29:13 c'est que les déchets nucléaires les plus dangereux,
29:14 en fait, ils sont pas dangereux au même niveau pendant 100 000 ans.
29:17 - C'est décroit, la radioactivité. - Oui, la radioactivité décroit.
29:20 Donc, les déchets nucléaires ont cette particularité,
29:23 à la différence des déchets chimiques,
29:24 où la toxicité ne décroit pas au cours du temps,
29:26 que leur dangerosité décroit au cours du temps.
29:28 - Parfois, c'est sur 10 000 ans. - Il y a aussi des produits
29:30 qui durent, par exemple, le césium-135,
29:32 je crois que c'est 2 millions d'années, quand même,
29:34 pour perdre la moitié de sa réactivité.
29:35 Ça nous emmène sur un scénario assez long.
29:37 Plus la demi-vie du produit est longue,
29:41 et moins il est actif, moins il est dangereux,
29:43 moins il rayonne. En gros, c'est ça.
29:45 S'il rayonne beaucoup, c'est que ça ne va pas durer très longtemps.
29:47 - Donc, on peut gérer, c'est ça, votre idée ?
29:48 - Oui, c'est ça. En tout cas, ça se gère plus facilement.
29:51 Je vais le dire autrement. Les problèmes environnementaux,
29:53 moi, je les mets dans deux catégories.
29:55 Il y a ceux qu'on va être capable de léguer à nos enfants
29:57 dans des conditions où eux-mêmes pourront les gérer.
29:59 Et il y a ceux qu'on leur lègue dans des conditions
30:02 où ils ne sont pas capables de les gérer.
30:03 Le changement climatique, je le mets dans la deuxième catégorie.
30:06 Aujourd'hui, on est en train de leur léguer un problème
30:08 qu'ils ne vont pas être capables de gérer.
30:10 Les déchets nucléaires, même dans un monde très perturbé,
30:12 c'est un problème qu'ils vont être capables de gérer.
30:14 Voilà, c'est la grosse différence.
30:16 - Jadot.
30:17 - Voilà, et les déchets...
30:20 Donc, je disais, un déchet industriel dangereux,
30:21 100 kilos par personne et par an,
30:23 les déchets nucléaires de haute activité,
30:24 donc c'est l'équivalent d'une petite pièce de monnaie,
30:26 voilà, par personne et par an.
30:28 Donc, on est sur des ordres de grandeur
30:29 qui sont quand même beaucoup plus petits.
30:30 Donc, c'est des franches saloperies, mais...
30:32 - Quand on accepte un risque, c'est qu'on peut gérer pour...
30:34 - On en fait des petites quantités.
30:36 On n'a pas besoin d'un milliard de décharges pour gérer ça,
30:38 on a besoin d'une décharge bien organisée.
30:40 - Mais s'il y a un problème sur cette petite quantité,
30:42 c'est extrêmement problématique.
30:44 - Non, parce qu'une fois que cette petite quantité
30:45 est à 400 mètres sous terre, c'est pas problématique du tout,
30:48 c'est beaucoup moins problématique
30:49 que les particules fines des centrales à charbon.
30:51 - OK, et si on regarde cet exemple des déchets,
30:53 donc le trou, comme vous disiez, il s'appelle CIGEO,
30:56 c'est un projet qui est en cours de préparation à Burre,
30:59 dans l'Est de la France.
31:01 Quand même, le plan aujourd'hui, c'est que pendant 100 ans,
31:04 à peu près, on ait les déchets
31:07 qui sont aujourd'hui stockés à la Hague,
31:10 dans le Cotentin, donc en Normandie,
31:11 pendant 100 ans,
31:13 donc ces déchets, au fur et à mesure qu'ils se refroidissent,
31:15 soient conduits en train spécialisé, protégé,
31:18 jusqu'à CIGEO.
31:20 Donc il y a 100 ans d'exploitation avant de tout refermer
31:22 et d'espérer que ça ne fuite pas,
31:25 mais vous trouvez pas que ces transports de déchets
31:29 pendant aussi longtemps représentent un risque ?
31:33 Risque d'accident, risque d'attaque,
31:35 on est quand même en situation d'attaque terroriste,
31:37 est-ce qu'il n'y a pas une vulnérabilité là, quand même,
31:40 particulièrement sensible ?
31:41 Comme pour tout.
31:44 Mais justement, est-ce que c'est pas plus sensible que d'autres ?
31:46 Non, c'est pas...
31:47 Un accident, pardon, je vous laisse répondre,
31:49 mais un accident de train transportant des colis nucléaires
31:55 irradiés potentiellement...
31:56 C'est prévu pour.
31:57 C'est prévu pour, mais un accident est toujours possible
31:59 et peut avoir des conséquences de pollution
32:01 qui peuvent être gravissimes.
32:02 Non, c'est pas quelque chose qui est très gênant, encore une fois.
32:06 Quand on compare les risques, en fait, il faut comparer des faits.
32:09 Quand on regarde la hiérarchie des risques qu'on court aujourd'hui,
32:13 le risque le plus important que courent les Français,
32:15 je me demande si c'est pas monter et descendre les escaliers,
32:17 qui doivent faire quelques milliers de morts par an.
32:19 Enfin, voilà, donc on...
32:21 - Fumer. - C'est quoi le rapport ?
32:22 C'est quoi le rapport entre...
32:24 Pardon, Jean-Marc Jean-Policier,
32:25 quel est le rapport entre tomber dans l'escalier
32:28 et être exposé à un risque d'accident nucléaire ?
32:30 Mais on n'y est pas exposé, justement.
32:31 Les déchets sont dans des conteneurs
32:35 qui sont résistants aux chocs.
32:37 Bon, si le train se renverse, le train se renverse
32:39 et des conteneurs résistants aux chocs se retrouvent dans le wagon
32:41 qui a renversé, point.
32:43 Résistent ou pas ? Non, mais est-ce que vous faites pas...
32:45 - Il faut que si, ils résistent. - En gros.
32:46 Bien sûr, on fait des scénarios et on imagine, on a des hypothèses,
32:48 mais est-ce que vous aussi, vous faites pas des scénarios
32:50 et des hypothèses qui sont pas...
32:52 Alors, je vais vous retrouver. Est-ce qu'il faut garder les barrages ?
32:54 - Les barrages hydrauliques ? - Oui.
32:57 Est-ce qu'il faut les garder ?
32:58 Disons qu'aujourd'hui, ils ont une utilité de produire de l'énergie décarbonée.
33:02 Est-ce qu'il faut les garder ?
33:03 Parce que si le barrage de Vouglance...
33:05 - Il y a des risques. - Il y a des milliers de morts à Lyon.
33:09 Si le barrage de la Grande-Dixence, en Suisse, pète,
33:12 il y a 20 000 morts à Sion.
33:14 - Est-ce qu'on garde... - Comme en Ukraine,
33:15 un barrage est attaqué par...
33:17 Alors, est-ce qu'on garde les barrages ?
33:18 Si l'armée russe tire sur la centrale nucléaire de Zaporizhia.
33:21 Oui, je veux dire, ça marche dans les deux sens.
33:23 Répondez à la question sur les barrages. Est-ce qu'on garde les barrages ?
33:25 - Est-ce qu'il y a des risques ? - C'est la même question.
33:27 Non, il y a des risques avec les barrages.
33:29 Tous les jours, il y a des gens qui meurent en voiture.
33:30 - Est-ce qu'on garde les voitures ? - Oui, d'accord.
33:32 Vous, ce que vous dites, c'est que vous dites qu'on attribue trop de risques
33:35 par rapport aux autres nucléaires.
33:37 Tout ce qu'on fait est un arbitrage risque-bénéfice.
33:40 Tout, absolument tout.
33:41 Et donc, je ne comprends pas pourquoi, en ce qui concerne le nucléaire,
33:45 on n'accepte pas de rentrer dans ce raisonnement risque-bénéfice.
33:49 Donc, on regarde les bénéfices, on regarde les risques.
33:52 Pour les barrages, on considère que l'arbitrage risque-bénéfice
33:56 fait qu'on garde les barrages.
33:57 Alors que l'installation de production électrique
33:59 qui a fait le plus de morts en Europe, de très loin,
34:02 c'est le barrage de Vajon-Longarone,
34:05 quand une vague de crues a zigouillé 2500 personnes en Italie
34:08 au début des années 60.
34:10 Donc, ce que je dis juste,
34:12 c'est que je ne vois pas pourquoi le nucléaire ferait exception
34:15 à cette analyse risque-bénéfice.
34:17 Et que si on veut regarder les risques du nucléaire d'un peu près,
34:21 c'est quelque chose qui est très technique et très compliqué.
34:23 Parce que, on va reprendre l'exemple des déchets nucléaires,
34:27 à votre avis, quelle est la part, la proportion des Français
34:30 qui sont capables de me citer deux éléments
34:33 qu'on trouve dans les déchets nucléaires ?
34:35 - Ben... - Dans les produits de fission.
34:38 - Oui, mais est-ce que... - Non.
34:39 Alors, ça veut dire qu'on parle de quelque chose
34:43 que les gens ne sont pas capables de définir.
34:45 Quand un truc est très mal défini et très mystérieux,
34:47 on en a toujours plus peur.
34:49 Il y a beaucoup de gens qui ont raconté la dangerosité extrême
34:51 de ces déchets-là.
34:52 - Oui, mais alors... - Il y a des inconnus qui...
34:54 - Et alors ? - On poursuit.
34:56 - Il y a beaucoup de gens... - OK, mais si on regarde
34:58 le raisonnement du risque, parce qu'effectivement,
35:00 c'est une vraie manière de raisonner.
35:02 Quel est l'avantage, quel est le risque ?
35:04 Et on fait un arbitrage, comme vous le dites depuis tout à l'heure.
35:07 Mais si on... OK, alors, vous faites un point
35:09 sur les dangers des barrages en cas d'accident
35:11 comparé aux dangers des centrales nucléaires.
35:14 Mais si on fait une autre comparaison,
35:16 qui est, en fait, au fond, celle qui se pose à nous aujourd'hui,
35:19 qui est entre un réacteur nucléaire et un parc éolien,
35:23 qu'il soit en mer ou sur terre...
35:25 Un réacteur nucléaire et...
35:27 C'est là que je dis qu'on n'a pas d'alternative.
35:29 Et un parc photovoltaïque.
35:32 Là, c'est différent, quand même,
35:33 parce qu'un accident d'éolienne,
35:37 imaginons un mât qui tombe,
35:39 ça doit pouvoir être imaginé, ça doit être possible,
35:43 aurait bien moins de conséquences dramatiques
35:47 qu'un accident de réacteur.
35:48 Pourquoi est-ce que ça ne marcherait pas en faveur des UNR
35:51 dans cette comparaison-là ?
35:53 Oui et non.
35:54 Pour la biodiversité, il vaut beaucoup mieux le nucléaire,
35:56 parce que ça occupe beaucoup moins de surface
35:58 et ça demande beaucoup moins de métaux,
35:59 donc ça demande beaucoup moins de mines.
36:01 Ne regardez pas avec cette perle-là,
36:02 c'est les biologistes eux-mêmes qui le disent.
36:03 Oui, enfin, voilà.
36:04 Vous dites des trucs, franchement, qui peuvent des fois nous décoiffer.
36:07 Vous dites que même quand il y a un accident nucléaire,
36:09 en fait, c'est pas si grave.
36:11 C'est...
36:14 Je reste à la comparaison. On viendra aux accidents après.
36:16 Je reste à la comparaison.
36:17 Avec les énergies renouvelles.
36:18 Je dis deux choses.
36:21 En ce qui concerne la biodiversité,
36:24 le nucléaire est beaucoup mieux que les UNR.
36:29 Si, je l'assure.
36:30 L'échauffement des rivières et des fleuves
36:32 causé par les centrales nucléaires
36:34 est attentatoire à la biodiversité.
36:36 Pas beaucoup.
36:37 On a fait des comptages de poissons, justement,
36:40 liés au petit surplus de réchauffement qu'il y a eu, etc.
36:42 Et les comptages montrent que les poissons,
36:44 l'abondance ne se change pas.
36:47 Euh...
36:48 Je vous assure, il faut lire ce genre de trucs.
36:51 - Et en ce qui... - J'ai d'autres études.
36:53 Allez-y, on vous écoute.
36:54 On vous écoute, Jean-Marc.
36:56 Et en ce qui concerne la biodiversité,
37:00 c'est pareil, ça a été documenté,
37:01 les biologistes vous disent que le nucléaire, c'est mieux
37:03 parce que ça demande...
37:04 En gros, il faut 10 à 50 fois plus de métal,
37:07 ça dépend du métal,
37:09 pour exploiter une énergie diffuse comme le vent ou le soleil
37:12 que pour exploiter une énergie très concentrée comme le nucléaire.
37:15 Donc, par kWh, il faut 10 à 50 fois plus.
37:17 Il faut 1 000 fois plus d'espace,
37:19 1 000 fois plus d'espace
37:20 pour faire de l'électricité avec du solaire qu'avec du nucléaire.
37:23 Pour arriver à la même puissance.
37:24 Pour arriver à la même quantité d'électricité produite dans l'AD.
37:26 1 000 fois plus d'espace.
37:27 C'est bien du reste pour ça qu'on commence à voir aujourd'hui
37:29 des problèmes avec des gens qui disent "j'en veux pas chez moi",
37:31 parce qu'en fait, il faut multiplier les installations partout.
37:34 - C'est ça. - Et si on en a quelques-unes,
37:36 vous avez quelques opposants locaux.
37:38 Si vous en avez 1 000 fois plus,
37:39 pas 1 000 fois plus, mais des centaines de fois plus,
37:41 vous allez avoir des centaines de fois plus le débat.
37:43 Donc, pour la biodiversité, j'insiste, le nucléaire, c'est mieux.
37:46 Et donc... Non, on ne peut pas dire que...
37:51 - Et quand vous regardez... - Le risque d'accident.
37:53 - Vous pouvez l'en connaître. - Et quand vous regardez
37:55 les risques pour la santé humaine...
37:57 - C'est quand même plus grave. - Non.
38:00 Quand vous regardez les risques pour la santé humaine
38:02 et que vous allez voir les articles...
38:04 Qui est légitime pour documenter les risques sur la santé humaine ?
38:06 - Les médecins. - Les médecins du travail, notamment.
38:08 Non, les médecins tout court, les épidémiologistes.
38:10 - Pas les médecins du travail. - Parlons de catastrophe.
38:12 Non, les épidémiologistes, qui font les études de corps.
38:16 Eh bien, ces gens-là vous disent, accident compris,
38:19 accident compris, l'énergie nucléaire
38:22 est la plus sûre des énergies à parité avec l'éolien.
38:27 Voilà, c'est ça qu'ils vous disent.
38:28 Et de toute façon, je reviens à ma question des accidents nucléaires.
38:31 Vous dites, ça, c'est dans un article de gens
38:34 qui ont vu votre BD et qui, du coup, dans "Alternatives économiques",
38:40 je crois, sur "Reporter",
38:41 écrivent "Jean Covici, une imposture écologique".
38:44 - Les mots sont quand même assez durs. - Ça, c'est la vie d'Hervé Kempf.
38:46 - Bon, mais il cite... - Il n'engage qu'Hervé Kempf.
38:49 - Je ne parle pas de la réalité en général. - Il n'est pas là.
38:51 Je ne dis du titre, je parle de ce qu'il dit.
38:53 Une citation de vous.
38:55 "Fukushima, en fait, ça a été surtout un problème médiatique majeur,
38:59 "mais pas un désastre sanitaire ou environnemental majeur.
39:02 "Du point de vue des écosystèmes, et c'est pas du tout de l'ironie,
39:05 "un accident de centrale est une excellente nouvelle,
39:08 "car ça crée instantanément une réserve naturelle parfaite."
39:12 - C'est de l'ironie. - Non, c'est une réalité.
39:14 Si vous demandez aux biologistes, il y a eu un congrès de biologistes
39:17 sur les conséquences de la zone interdite de Tchernobyl,
39:20 et ils vous disent que ça a été une bénédiction pour la biodiversité.
39:23 Un accident nucléaire est problématique
39:25 dans les conséquences humaines et sanitaires qu'il a.
39:28 Évidemment que c'est problématique, mais je dis juste,
39:30 c'est un paradoxe de voir que Tchernobyl a créé
39:34 instantanément une réserve naturelle,
39:37 où sont revenus les loutres, les castors, les chevaux de Przewalski.
39:41 On a même réintroduit des chevaux de Przewalski.
39:42 Mais la question du risque ?
39:44 Alors, la question du risque pour les individus,
39:47 elle est que...
39:49 Alors, Tchernobyl, c'était très particulier,
39:52 parce que c'est un accident qui n'est techniquement pas possible
39:54 avec l'essentiel des réacteurs qu'il y a dans le monde.
39:56 Oui, c'est un autre modèle de réacteur.
39:57 C'est un modèle qui comporte du graphite.
40:00 Le graphite, c'est du carbone, c'est comme les mines de crayons,
40:02 dans le coeur, et ça brûle.
40:04 Et en fait, ce qui a fait la gravité de l'accident à Tchernobyl,
40:06 c'est que les Russes avaient un concept de réacteur,
40:09 pas autorisé en France,
40:11 dans lequel le coeur comportait du graphite,
40:14 et c'est l'incendie de ce graphite qui a propulsé un panache...
40:18 Il y a eu d'autres accidents nucléaires dans d'autres pays...
40:20 ...qui ont été sans conséquence pour la santé humaine.
40:22 - Fukushima, il y a quand même... - Fukushima, il y a pas...
40:24 - Il y a l'évacuation... - ...dix ans après...
40:26 Non, mais l'évacuation a des conséquences.
40:27 Les rayonnements ionisants, non.
40:29 Alors, vous savez très bien que cette affirmation
40:33 est contredite par de nombreuses personnes.
40:36 - Non, mais juste... - De nombreuses personnes.
40:37 Il faut vous le signaler et que, par ailleurs...
40:40 Là, on parlait des accidents.
40:42 Je vais pas vous refaire le débat que j'ai fait sur France Culture,
40:43 mais la question de savoir qui est légitime pour contredire quoi,
40:46 c'est ça, le sujet.
40:47 Ah, mais c'est tout à fait un sujet
40:49 que nous n'avons pas nécessairement le temps d'aborder maintenant.
40:52 - Non, mais moi, j'avais envie... - Si, on a tout à fait le temps
40:54 de l'aborder maintenant, parce que c'est le fond de l'affaire.
40:56 Le fond de l'affaire, c'est qui est légitime pour parler de quoi.
40:59 Qui est légitime pour parler de quoi, OK.
41:01 Moi, j'avais quand même envie de signaler la question
41:05 de la santé des travailleurs du nucléaire,
41:06 puisque là, on parle de l'exposition aux doses
41:09 en situation d'accident,
41:11 qui sont, même s'ils sont dramatiques, quand même,
41:13 très rares dans l'histoire du XXe siècle.
41:16 En revanche, la situation des travailleurs du nucléaire
41:19 et de leur exposition à un environnement de travail
41:24 radioactif, lui, il est routinier,
41:26 il est même quotidien pour tout un paquet de personnes,
41:29 et il expose ces personnes à des risques sanitaires.
41:33 Et de ce point de vue-là, c'est pas Mediapart...
41:35 Je vais encore vous contredire, mais c'est pas grave.
41:36 S'il n'y a aucun problème, on est là pour discuter.
41:38 Mais c'est pas Mediapart qui dit que c'est une étude
41:42 qui est sortie l'été dernier dans le British Medical Journal
41:48 et qui est fort intéressante, parce que c'est une étude,
41:50 justement, sur une grande cohorte de travailleurs,
41:53 donc, quand même, 310 000 travailleurs
41:56 de l'industrie du nucléaire en France,
41:57 au Royaume-Uni et aux États-Unis,
42:00 et qui rehaussent leur évaluation du risque
42:05 de mourir d'un cancer quand on est un travailleur du nucléaire.
42:10 Donc, la question est, sachant cela,
42:13 sachant cela, est-ce que c'est un risque acceptable ?
42:18 Est-ce que la société française, par exemple,
42:21 doit se résoudre à ça et accepter que, parmi elles,
42:26 certains travailleurs prennent un risque
42:28 que d'autres ne prennent pas
42:30 au nom du fait de produire de l'électricité décarbonée ?
42:33 Alors, je n'ai pas vu cette étude, donc je ne peux pas la commenter.
42:35 Voilà.
42:37 Tout ce que je peux vous dire, c'est que...
42:41 - Je vous le dirai. - Hors cette étude,
42:43 que je n'ai pas lue,
42:45 ce que je sais, c'est que les salariés des DF
42:48 étant extrêmement bien suivis sur le plan médical,
42:51 ils sont globalement en meilleure santé
42:53 que la moyenne de la population française.
42:55 Mais pas les sous-traitants. C'est tout le problème
42:56 de ce qui s'est passé à EDF et qui est montré
42:58 par la sociologie du travail.
42:59 - Je peux y aller. - Oui, mais parce que...
43:01 Vous savez, vous répondez sur les personnes
43:04 qui ne sont pas les plus exposées.
43:05 - Je vous dis ce que je sais. - C'est les sous-traitants
43:07 et les sous-traitants, il est plus clair,
43:10 qui prennent le plus de doses au sein des centrales nucléaires.
43:12 Je ne sais pas.
43:14 - Pour ça, il faudrait que... - C'est un travail sociologique.
43:16 Non, ce n'est pas un travail sociologique.
43:17 Il y a des travaux sociologiques sur ce sujet.
43:19 Ce n'est pas un travail sociologique qui permet de savoir
43:21 si les gens prennent des doses. C'est un travail dosimétrique.
43:23 - C'est sociologique de savoir quel travailleur... - Non, non, non.
43:27 Une dose, ça se mesure avec un dosimètre.
43:29 Tout à fait.
43:30 Donc, ça veut dire qu'il faut qu'on mesure les doses reçues
43:32 par les sous-traitants et il faut qu'il y ait un tiers indépendant
43:35 qui aille voir les doses reçues par les sous-traitants
43:37 et qui vous dise...
43:38 - C'est dans le document. - La sociologie,
43:40 c'est qui prend la dose.
43:41 Ce n'est pas sur la dose, c'est qui la prend
43:43 entre les travailleurs EDF et les sous-traitants.
43:45 Je le fais à chaque fois que je vais suivre un examen médical.
43:48 - La question... - Vous ne travaillez pas tous les jours
43:49 dans un central nucléaire.
43:50 Ça veut dire qu'on est obligé de parler de chiffres.
43:52 C'est bien ce que je disais.
43:53 Moi, je ne vais pas commenter cette étude
43:55 parce que je ne l'ai pas vue, donc je ne sais pas ce qu'il y a dedans.
43:57 Je vous dis juste qu'en ce qui concerne les chiffres,
44:00 on ne peut pas affirmer que les sous-traitants
44:02 en prennent plus que les travailleurs d'EDF
44:04 si on n'a pas accès au dosimètre des sous-traitants.
44:06 C'est juste ça que je suis en train de vous dire.
44:08 Exactement comme on ne peut pas dire qu'ils ont plus souvent la fièvre
44:10 si on n'a pas accès à leur thermomètre.
44:12 Il faut avoir accès.
44:13 Personnellement, moi, je n'ai pas accès au dosimètre des sous-traitants
44:16 et donc je n'ai pas plus de commentaires à faire là-dessus.
44:19 La seule chose que je peux dire, c'est que, et de très loin,
44:25 le salarié le plus irradié de France n'est pas un travailleur de nucléaire,
44:27 c'est Thomas Pesquet.
44:29 - Parce qu'à chaque fois qu'il va... - Pour le coup,
44:31 il est très bien suivi médicalement.
44:32 Oui, mais à chaque fois qu'il va dans la station spatiale internationale,
44:35 il se prend 200 mSv en six mois,
44:40 c'est-à-dire 10 fois la dose maximale annuelle
44:43 pour un travailleur de nucléaire.
44:45 Probablement plus suivi que les travailleurs de nucléaire médicalement.
44:47 Il est suivi. Et il y a une autre cohorte
44:49 qui prend également des rayonnements de façon chronique tout le temps,
44:53 c'est le personnel navigant aérien.
44:56 Il nous reste, on va dire, une dizaine, une quinzaine de minutes.
44:59 On va parler de l'aspect de gestion de ce système nucléaire.
45:03 On a eu récemment une loi de relance nucléaire
45:07 dont on ne peut pas dire vraiment qu'elle a été mise en débat
45:09 dans la société.
45:11 Il y a eu... L'accélération du nucléaire a même été votée,
45:15 finalement, avant la fin du débat public
45:18 sur le programme du nouveau nucléaire.
45:20 Il y a une conduite de la politique nucléaire en France
45:24 qui, on peut dire, est probablement partagée
45:27 entre un petit nombre de gens.
45:28 L'Élysée réunit régulièrement un conseil de politique nucléaire
45:32 qui se réunit dans une certaine opacité, il faut bien le dire.
45:36 Est-ce que c'est une bonne façon de conduire cette politique-là,
45:41 cette opacité, ou est-ce que vous dites qu'elle est nécessaire,
45:44 vu la hauteur des enjeux, ou est-ce qu'on pourrait faire différemment ?
45:47 Elle est universelle.
45:49 Je veux dire, toute réunion de travail à l'intérieur d'une entreprise
45:52 est opaque.
45:53 Il n'y a pas un journaliste présent
45:55 dans toute réunion de travail dans une entreprise.
45:56 Un pays, ce n'est pas une entreprise.
45:58 OK, il n'y a pas un journaliste présent
46:01 dans toute réunion ministérielle, dans toute réunion...
46:03 Je veux dire, bon, est-ce que c'est opaque ?
46:05 Parce qu'à chaque fois, tout ne se fait pas
46:07 dans un aquarium avec les gens qui écoutent tout.
46:09 Je ne suis pas sûr qu'on puisse gérer facilement
46:13 un pays ou une entreprise ou whatever
46:15 avec tout le monde dans un aquarium.
46:17 On peut partager ses choix auprès de la population.
46:20 Oui, alors, c'est normalement fait
46:23 avec des élections, un parlement, etc.
46:27 En ce qui concerne la loi d'accélération sur le nucléaire,
46:30 il y a eu au même moment une loi d'accélération sur les renouvelables
46:33 dans laquelle, comme pour le nucléaire,
46:35 on a dit qu'il y a un certain nombre de procédures
46:37 qui s'appliquent normalement aux installations...
46:40 Enfin, il y a un certain nombre de procédures,
46:43 de débats préalables, etc.
46:44 Là, on dit, allez, hop, on va faire sans,
46:46 parce qu'il faut qu'on accélère.
46:48 Donc, ce n'est pas propre au nucléaire, cette histoire-là.
46:50 Et en fait, de tout temps...
46:52 Je ne dis pas que c'est nécessairement une bonne chose.
46:54 Je dis que ce n'est pas propre au nucléaire.
46:55 Tous les gens qu'on a expropriés pour construire des autoroutes,
46:57 ce n'était pas propre au nucléaire.
46:59 Voilà. Donc, la question, pour moi,
47:01 elle est plus dans...
47:03 Est-ce que, sur le fond, l'objet lui-même est intéressant ou pas ?
47:08 C'est ça, le premier niveau du débat.
47:09 Et après, il y a un deuxième niveau du débat qui est...
47:12 Si l'objet n'est pas intéressant,
47:15 en fait, il n'y a pas lieu de l'accélérer.
47:18 Et si l'objet est intéressant,
47:20 il faut voir comment est-ce que les modalités d'accélération...
47:25 Comment est-ce qu'on les considère légitimes ou pas ?
47:28 Voilà. C'est ça, le sujet.
47:30 Mais quand on voit que la loi... Pardon,
47:32 mais la loi d'accélération du nucléaire est votée
47:34 pendant qu'a encore lieu le débat public
47:38 sur la création de nouveaux réacteurs nucléaires...
47:40 Au point que la Commission nationale du débat public...
47:43 Pendant qu'a lieu le débat de la CNDP.
47:45 Oui, mais...
47:46 Parce que le débat public, il faut qu'on se mette d'accord.
47:48 Le débat organisé par la CNDP.
47:51 ...commission nationale du débat public,
47:52 au point que cette commission a dû arrêter ces travaux
47:55 et protester vis-à-vis d'Emmanuel Macron en disant
47:58 "Attendez, à quoi ça sert qu'on se décarcasse
48:00 "à organiser un débat public
48:02 "alors que vous décidez avant qu'on ait rendu notre avis ?
48:05 "Est-ce que là, il n'y a pas un hiatus démocratique ?"
48:06 En termes de calendrier, je dois dire que c'était pas très fin
48:09 d'avoir fait ça. C'est évident.
48:12 Ou bien vous dites "On est dans l'urgence
48:14 "et donc je fais même pas de débat à la CNDP",
48:16 ou bien vous... Parce que si un jour on doit déclarer la guerre,
48:18 je suis pas sûr qu'on fera un débat à la CNDP.
48:21 Là, c'était pas le cas.
48:23 Ce que je veux dire, c'est que quand il y a une vraie urgence
48:25 ou un sentiment d'urgence partagé par tout le monde,
48:29 à ce moment, il y a un certain nombre de procédures,
48:30 on passe outre.
48:32 Si on considère qu'on a le temps de faire les procédures,
48:34 on attend qu'elles aillent jusqu'à leur terme.
48:35 Ça, ça me paraît évident.
48:36 Et quand on décide de fusionner les deux instances
48:38 de sûreté nucléaire sans même demander
48:41 aux personnes directement concernées si c'est une bonne idée,
48:44 les consulter sur à quoi ça pourrait servir,
48:46 et là, tu parles de la fusion de la SN,
48:48 Autorité de la sécurité nucléaire, et de l'IRSN,
48:51 est-ce que ça, c'est une bonne manière démocratique
48:53 et mature de fonctionner ?
48:54 J'ai malheureusement pas grand-chose à dire sur ce dossier-là
48:56 parce que je l'ai pas regardé en détail.
48:58 D'accord.
48:59 Jade, tu voulais poser une question, je crois,
49:02 en plus, sur l'aspect politique aussi, encore ?
49:04 Sur l'aspect démocratique,
49:07 parce que, voilà, ça fait des décennies, en fait,
49:12 que les critiques du nucléaire disent
49:15 qu'on n'a jamais de moment de consultation.
49:17 Et au final, la société française ne s'est jamais prononcée
49:20 sur être favorable ou défavorable au nucléaire.
49:25 Finalement, c'est une question qui se pose à une société.
49:30 Est-ce que vous, vous considérez, vous dites, voilà, encore une fois,
49:33 pour vous, c'est une petite partie,
49:35 mais une partie aujourd'hui importante, stratégique,
49:37 du moment de transition énergétique,
49:39 est-ce que vous, vous seriez favorable
49:41 à ce qu'il y ait aujourd'hui une consultation
49:43 sur faut-il ou non garder le nucléaire,
49:46 compte tenu de tous ces enjeux sanitaires,
49:49 mais aussi économiques liés à cette décision-là ?
49:52 Ce genre de consultation, ça existe en ce moment tous les deux mois,
49:54 ça s'appelle un sondage.
49:56 Non, est-ce que c'est la même chose,
49:58 un sondage et une consultation démocratique ?
49:59 Je...
50:01 J'ai beaucoup de mal à savoir ce qu'est une consultation démocratique.
50:05 Dit autrement, c'est quoi une consultation ?
50:06 - Un référendum, par exemple ? - Un référendum, par exemple.
50:08 Alors, les référendums, dans notre pays,
50:09 je considère, et ça, c'est pas propre au nucléaire,
50:11 que c'est des exercices casse-gueule,
50:14 parce que les rouspêteurs que nous sommes,
50:18 on a tendance à répondre autant à la personne qui pose la question
50:20 qu'à la question elle-même.
50:21 C'est très difficile dans notre pays.
50:23 On serait chez les Suisses, je vous dirais pas ça...
50:25 - Parce qu'ils sont routiniers. - Oui, parce que ça participe
50:28 de la culture du pays, etc.
50:30 Et puis, du reste, chez les Suisses,
50:31 il y a eu des référendums sur le nucléaire
50:32 et qui, à dix ans d'intervalle, ont donné des résultats opposés.
50:35 Chez les Suédois, c'est exactement pareil.
50:37 Donc, voilà.
50:38 Est-ce qu'un référendum sur le nucléaire,
50:40 c'est la fin de l'histoire pour toujours,
50:42 avec un grand moment démocratique, etc. ?
50:44 Je suis pas sûr.
50:45 Parce que les circonstances changent, etc.
50:47 Est-ce qu'il y a un mode parfait de consultation de la population
50:49 sur un sujet précis ?
50:51 Je suis pas sûr, malheureusement, quel que soit le sujet.
50:54 Le débat y vit avec la presse,
50:59 avec les...
51:01 Même si c'est un exercice imparfait,
51:03 et très imparfait du reste,
51:04 avec les sondages, avec les essais, avec...
51:07 Enfin, voilà.
51:09 Je suis pas sûr, encore une fois,
51:10 qu'il y ait un truc très particulier
51:14 qu'il faille idéaliser.
51:15 Il y a 20 ans, j'avais écrit dans un bouquin
51:18 que sur le changement climatique, il faudrait faire un référendum
51:20 pour demander aux gens, "Est-ce que vous êtes d'accord
51:21 pour qu'on continue notre mode de vie et puis il n'y en devienne que pour un ?
51:24 Ou est-ce que vous êtes d'accord ?"
51:25 Mais en fait, c'était une idée naïve.
51:27 J'assume tout à fait d'avoir une idée naïve.
51:31 Maintenant, j'en suis un peu revenu au sens où je pense
51:33 qu'il n'y a pas, encore une fois,
51:36 un truc parfait qui règle définitivement la question,
51:38 et puis à côté, que des trucs qui ne vont pas.
51:42 Je pense que, malheureusement, la vie est plus compliquée que ça.
51:44 Et qu'il y a un certain nombre de trucs pas parfaits
51:47 avec lesquels il faut composer.
51:49 Pour comprendre, une dernière question,
51:50 pour comprendre un peu d'où vous parlez,
51:52 quelle est votre vision du monde au-delà de l'aspect expert des choses,
51:57 puisqu'on parle beaucoup ici aussi d'avenir et de modèles en général.
52:00 Vous avez dit que le nucléaire, c'était une petite partie
52:02 et que derrière, il y avait des changements de sociétés importants.
52:04 Pour creuser un peu, juste en dernière question...
52:07 Je vais dire autrement. C'est paradoxalement la partie facile.
52:09 Mais pour atteindre, justement, la question d'une révolution,
52:14 puisque vous parlez de révolution par rapport à l'énergie,
52:19 est-ce que c'est juste, finalement, en changeant le mix,
52:24 en modifiant un peu quelques habitudes,
52:27 d'autres disent,
52:29 le changement, le véritable changement,
52:33 pour justement essayer de tenir les clous des objectifs
52:36 qu'on s'est fixés, peut-être un demi, 2 %, 2 degrés,
52:40 mais peut-être pas beaucoup plus que ça,
52:41 sinon ça va être très difficilement vivable,
52:44 ce serait d'interroger les fondements de notre modèle économique
52:49 et d'interroger le capitalisme et le néolibéralisme
52:54 tel qu'il est aujourd'hui.
52:55 Est-ce que vous vous dites, finalement,
52:58 pourquoi pas, mais c'est pas la priorité, là ?
53:01 Alors, si, c'est un débat intéressant.
53:04 Alors, je vais le complexifier un peu.
53:07 La société occidentale est aujourd'hui
53:12 très largement capitaliste et libérale,
53:15 mais on a connu des expériences de systèmes un peu différents
53:19 ou très différents en Chine,
53:21 où on a eu plutôt, au début, une espèce de capitalisme d'État
53:25 qui n'a pas montré que c'était particulièrement plus doux
53:29 pour l'environnement.
53:32 On a eu également, en Union soviétique,
53:34 quelque chose qui ressemblait à un capitalisme d'État
53:36 et qui n'a pas non plus été spécialement plus doux
53:38 pour l'environnement, donc je pense que, malheureusement,
53:40 le mal est plus profond, si je puis dire,
53:43 que le système politique ou que la construction politique du moment.
53:46 C'est quoi ? C'est que l'humanité ne changera pas de modèle ?
53:49 - De surconsommation ? - C'est qu'on a des...
53:51 C'est qu'on a des "pulsions animales"
53:54 qui nous poussent à faire des choses qu'on ne devrait pas faire.
53:57 Par exemple, vous connaissez la fable de la cigale et de la fourmi ?
54:00 La vertu dans cette affaire est du côté de l'accumulation.
54:03 Parce qu'on sait jamais, c'est la précaution, etc.
54:07 Il y a deux siècles, quand vous aviez réussi, vous étiez deux durs.
54:11 Parce que c'était l'héritage d'une époque où, pour passer l'hiver,
54:14 c'était mieux d'avoir constitué un peu de gras avant l'hiver
54:16 parce que si jamais vous n'aviez pas à manger pendant deux jours,
54:19 ça vous facilitait la vie.
54:20 Donc, en fait, on hérite,
54:21 et notre code génétique n'a pas changé en deux siècles,
54:24 et même pas en mille ans.
54:25 Donc on hérite de réflexes et d'une constitution biologique,
54:30 j'ai envie de dire, qui nous poussent gentiment.
54:33 Alors, c'est heureusement pas la seule caractéristique que nous avons.
54:35 On est aussi des animaux sociaux, on connaît la coopération,
54:38 on connaît l'entraide, etc. Heureusement.
54:40 Mais on a quand même une pulsion au toujours plus.
54:45 C'est ça qui fait que, très étonnamment,
54:48 quand vous gagnez le SMIC, vous avez envie de gagner deux fois le SMIC,
54:51 mais quand vous gagnez un million, vous avez aussi envie de gagner deux millions.
54:53 - C'est-à-dire que ça, on ne changera pas.
54:54 Donc, le système capitaliste est l'option la plus probable.
54:57 C'est ça que vous dites.
54:58 - Et alors, je pense qu'il y a des choses qu'on ne changera pas.
55:00 Je pense qu'on ne changera pas l'envie d'avoir quelque chose à soi
55:04 qui soit privé.
55:05 Alors, entre la totalité de l'appareil productif
55:08 et juste un bout d'appartement, il y a tout un tas de nuances de gris.
55:13 La question est là où on met le curseur.
55:15 Je suis ravi, moi, pour ma part,
55:16 que la production électrique dans ce pays soit gérée par l'État.
55:20 Je trouve ça très bien.
55:22 Je trouve ça très bien,
55:23 je trouve que ça a très bien marché jusqu'à maintenant
55:25 que le système ferroviaire soit géré par une entreprise publique.
55:28 Je trouve que ça marche plutôt bien.
55:30 - La logique de plus en plus privée...
55:31 - Est-ce que j'ai fondamentalement envie que mon épicier
55:34 soit pas propriétaire de son épicerie ou que...
55:39 - On ne parle pas forcément de mode d'organisation de la société.
55:41 Je vous parle de décroître collectivement et de rompre avec...
55:44 - J'entends, mais parce que mon épicier est aussi un capitaliste.
55:47 Il est propriétaire de son outil de production,
55:49 il a une société commerciale, etc.
55:51 Donc, en fait, pour moi, le vrai débat, c'est un débat de curseur.
55:53 C'est-à-dire, est-ce qu'aujourd'hui,
55:55 on est allé trop loin dans le libéralisme ?
55:56 A l'évidence, oui.
55:57 Est-ce qu'aujourd'hui, le capitalisme est bien régulé ?
56:00 A l'évidence, non.
56:01 Donc, il y a tout un tas de trucs qu'il faut changer.
56:03 Est-ce qu'il faut totalement supprimer l'idée même
56:06 qu'il y a un bout de capitalisme dans un coin ?
56:08 Je suis pas sûr. - On en est loin, de toute façon.
56:10 - Non, mais voilà, c'est ça.
56:12 Pour moi, il me semble encore plus le seul débat
56:14 qui, par ailleurs, a une portée un peu pratique,
56:16 c'est celui-là.
56:18 Parce que si on est dans une espèce de rêve romantique
56:22 qui n'a pas de chance de se réaliser,
56:23 en fait, on perd un peu son temps à essayer de le faire avancer.
56:26 - Je ne suis pas romantique. Merci, Jean-Marc.
56:29 - Oui, dans certaines circonstances.
56:31 Merci, Jean-Marc Jancovici, d'être venu sur le plateau de Mediapart.
56:33 Merci à toi, Jade, pour ce débat intéressant, fouillé et posé.
56:38 À très vite sur Mediapart.
56:40 (Générique)
56:43 ---
56:49 Sous-titrage Société Radio-Canada

Recommandations