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00:00Le débat ce matin sur le Covid, 5 ans après la mise en place du premier confinement en France.
00:06Expérience sidérante pour nous tous, enfermés à domicile, la vie indexée sur les courbes de l'épidémie.
00:15Alors, que reste-t-il de ce moment, 5 ans après, sur le plan de la prévention des épidémies,
00:21mais aussi sur un plan plus intime, le confinement, les confinements ont-ils laissé des traces intérieures ?
00:28Et si oui, lesquelles ? On en parle ce matin avec Cynthia Fleury, bonjour, professeure titulaire de la chaire Humanité et Santé au Conservatoire National des Arts et Métiers,
00:39titulaire de la chaire de Philosophie au GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences. Arnaud Fontané, bonjour, épidémiologiste à l'Institut Pasteur
00:50et professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers. Merci d'être au micro d'Inter ce matin.
00:58L'un et l'autre, quels souvenirs gardez-vous de ce jour-là, il y a 5 ans, de cette décision de confiner ?
01:07Vous faisiez partie du conseil scientifique, Arnaud Fontané, les analyses du conseil guidé la décision politique,
01:16quand il a été décidé d'appuyer sur le bouton rouge, vous avez pensé, vous avez éprouvé quoi ?
01:24Alors, ça faisait 4 jours qu'on travaillait à un rythme vraiment effréné, essayant de comprendre dans une situation où on avait peu de données sur la France.
01:32Malheureusement, du fait du manque de tests, il était difficile d'avoir des données fiables, mais on avait l'exemple de l'Italie.
01:38On savait aussi ce que les modèles mathématiques nous annonçaient. Et puis des signes de tension très fortes dans le Grand Est,
01:44les lits de réanimation qui étaient complètement saturés et déjà aussi à Paris, sur plusieurs hôpitaux.
01:49Donc je dois vous dire qu'au terme de ces 4 jours très difficiles, c'était plus presque pour moi du soulagement,
01:56quand j'ai su que la décision avait été prise d'avoir des mesures très fortes, parce que je me disais, c'est la seule façon de sauver l'hôpital dans la situation où nous sommes aujourd'hui.
02:05Et le débat avec la décision politique, les décisionnaires politiques a été fluide, compliqué, il a fallu expliquer, comment ça s'est passé ?
02:15Convaincre de confiner ou c'est venu assez facilement ?
02:19J'ai trouvé les hommes politiques qu'on avait en face de nous très à l'écoute. C'était une situation complètement inédite pour eux.
02:27Nous avions les éléments de réponse qu'on pouvait leur apporter. Et donc moi je les ai vraiment trouvés pendant ces 4 jours très à l'écoute.
02:35Après c'était une situation pour eux-mêmes extrêmement complexe. On était devant des mesures qui n'avaient jamais été prises dans l'histoire de l'humanité.
02:41Un confinement, à part la Chine qui venait de le faire, ça n'était jamais arrivé. Donc imaginez pour des hommes politiques ce que représentait de prendre une telle décision.
02:49Et pour vous, Cynthia Fleury, quand vous vous repenchez sur cette date 5 ans en arrière, vous nous avez dit en préparant cette émission,
02:58c'est en 2020, à ce moment-là, que se marque l'entrée dans le XXIe siècle. Ça veut donc dire que c'est un événement considérable ?
03:10Oui, c'est un événement considérable parce que, si vous voulez, il y a toujours des traits comme ça, idéal, typiques des époques qui surgissent à un moment donné où il y a un fait, c'est comme ça.
03:19Qui, non pas, pose tout de façon première, mais vient consolider tout comme étant les grands traits de cette époque.
03:28Et par exemple, si vous voulez, la transgressivité, la violence d'une certaine manière, la radicalité de cette décision, on peut appeler ça aussi l'entrée dans l'état d'exception,
03:38mais dans l'état d'exception planétaire, dans l'état d'exception sanitaire planétaire. C'est à la fois sidérant, mais ça va acter véritablement à un moment.
03:48C'est-à-dire, ça acte à un moment, mais dorénavant, vous avez une banalisation de la transgressivité des entrées dans les états d'exception.
03:56C'est acté, c'est-à-dire que dorénavant, à partir de cette date, les populations ne seront pas au même endroit.
04:03Elles sont conditionnées à accepter et à vivre une normalisation de cet état d'exception.
04:09Et ça, c'est fondamental parce que c'est un paradigme, si vous voulez, qui annonce ce qu'on va vivre.
04:16C'est-à-dire le techno-capitalisme, le techno-autoritarisme comme étant, entre guillemets, pas si transgressif que ça.
04:26Et c'est terrible parce qu'on comprend bien évidemment la nécessité de cette transgression, de cette radicalité de la décision.
04:32Mais c'est ainsi, c'est-à-dire que malgré tout, il y a un pli qui est pris. Et ça, bien évidemment, c'est ce que racontera le XXIe siècle.
04:41Antoine Arnaud Fontanet, vous recevez comment ces propos ?
04:48Je les comprends tout à fait, je les entends. Et mon travail d'aujourd'hui, c'est vraiment de revenir sur les débuts de cette crise
04:53pour comprendre ce qui s'est passé. Je le fais d'ailleurs sur l'ensemble des pays du monde entier.
04:58Et déjà voir quels sont les pays qui finalement l'ont le mieux géré.
05:03Parce qu'il y a une façon d'éviter ces prises de mesures extrêmement brutales, nécessaires mais brutales, avec l'anticipation.
05:11En fait, le maître mot des analyses que nous avons faites et que nous avons récemment publiées,
05:16a été que les pays qui ont anticipé, qui ont pris des mesures très tôt, alors que les hôpitaux n'étaient même pas remplis,
05:22sont les pays qui s'en sont le mieux sortis. Pourquoi ? A l'évidence, parce que si vous prenez des mesures alors que les hôpitaux ne sont pas remplis,
05:28vous aurez un bilan humain bien meilleur, beaucoup moins de formes sévères, beaucoup moins de décès.
05:32Mais aussi parce que vous prendrez ces mesures fortes sur des durées plus courtes, vous n'avez pas besoin de vider les hôpitaux.
05:38Et de fait, un pays comme le Danemark par exemple, qui a hospitalisé très tôt,
05:42pardon, qui a pris des mesures fortes très tôt, est le pays qui est sorti deux à quatre semaines avant les autres de ces mesures fortes.
05:49Donc démocratie et pandémie peuvent peut-être aller de pair.
05:55Tout à fait, parce qu'en plus, si vous prenez des mesures tôt, vous n'avez pas besoin d'aller tout de suite sur les mesures les plus fortes.
06:00Vous pouvez tester un premier jeu de mesures, vous pouvez éventuellement mettre en place un dialogue,
06:04qui d'ailleurs, dans ces conditions-là, à mon avis, sera difficile, mais au moins un débat démocratique sur les mesures qui vont devoir suivre.
06:10Et vous avez quelques jours pour juger de leur efficacité, éventuellement les adapter,
06:15plutôt que, quand vos hôpitaux sont déjà saturés, être obligé de prendre les mesures les plus radicales.
06:19Il y a donc moyen peut-être de tricoter quelque chose de plus fin que le coup de massue qui est resté chez vous,
06:26avec un papier à imprimer pour pouvoir sortir vers ses courses.
06:30C'est évident, c'est le seul enjeu intéressant au sens épistémologique du terme,
06:37c'est-à-dire de se dire, tiens, et si on s'intéressait non pas à la gestion de la pandémie,
06:42parce que ça, visiblement, on sait faire, mais si on s'intéressait à la gestion démocratique de la pandémie,
06:47c'est-à-dire celle qui ne va pas venir créer des pertes de chances irréversibles pour beaucoup,
06:51qui ne va pas saper nos libertés publiques et individuelles,
06:55qui ne va pas conduire vers ce que j'avais à l'époque appelé la bien-surveillance.
06:59Parce que c'est ça qui est en jeu, c'est-à-dire de banaliser encore une fois ces sorties de l'État de droit.
07:04Patrick Cohen le rappelait tout à l'heure dans son édito, avec le Covid, ça a été aussi une infodémie,
07:10une épidémie de bobard, je reprends son mot, de fake news.
07:15Est-ce que vous avez été médusé par le niveau de violence anti-scientifique qui s'est exprimée quand les scientifiques s'exprimaient ?
07:28C'est peut-être ce qui m'a laissé le goût le plus amer de cette crise à titre personnel, en tant que scientifique moi-même,
07:34parce que la science elle a bien fonctionné.
07:36On a eu un vaccin en moins d'un an, c'était inespéré, ça nous a évité peut-être deux ou trois confinements.
07:41Et malheureusement, on n'a pas réussi à communiquer comme il le faudrait avec la population,
07:47de façon à ce qu'elle réalise à quel point dans ces moments de crise la science peut être utile.
07:51Et ça a été très malheureusement favorisé par le fait qu'il y ait eu ces controverses scientifiques
07:57qui n'existaient pas, j'ai envie de dire, dans ma communauté.
08:00On était 95% de scientifiques qui pensaient de la même façon.
08:04Mais il y avait effectivement ces 5% dissidents qui pensaient différemment,
08:09mais qui se sont quand même vus offrir une présence médiatique très disproportionnée par rapport au courant qu'ils représentaient.
08:15Et ça a entretenu cette espèce d'idée de « les scientifiques ne sont pas d'accord, il y a des controverses »,
08:20là où en fait il y avait quand même un consensus.
08:22Ça a fait quelque chose sans doute, etc. Tout ce discours-là de la vérité alternative.
08:30Comment vous l'avez reçu, Cynthia Fleury ?
08:32Je l'ai reçu de façon très difficile également, parce qu'à la différence d'Arnaud,
08:38je ne vois pas du tout une problématique de la malcommunication des scientifiques.
08:43Les scientifiques, ils ont plutôt particulièrement bien communiqué.
08:47Quand on connaît la généalogie de l'information chez les scientifiques,
08:51ils sont généralement plutôt dans le repli, enfin ils ont toute une tradition de repli,
08:55et d'autonomie de la science, et ils n'aiment pas beaucoup la science-société, etc.
08:59Ils ont fait un effort considérable de venir expliquer la pédagogie.
09:03Donc c'est beaucoup plus grave en fait.
09:04C'est beaucoup plus grave parce que ça veut dire qu'en face,
09:07on a aujourd'hui toutes les structures possibles, les mécanismes de diffusion alternative,
09:12et qu'en fait le combat, il n'est non pas un entretien des scientifiques
09:16qui doivent évoluer dans leur communication.
09:18Non, ils ont fait une excellente communication,
09:20mais nous avons en face des outils techniques, structurels,
09:23qui viennent au contraire instrumentaliser, transformer l'idée même de controverse,
09:28utiliser la viralité à des fins de désinformation.
09:31Donc c'est une bataille qui n'a rien à voir entre la mauvaise information...
09:35C'est là aussi que démarre le 21e siècle, par une contestation de la vérité scientifique.
09:41Par une contestation massive et du fait que dorénavant ce corollaire
09:45qui était là encore l'autre grand partenaire de l'État de droit,
09:48qui s'appelle la science, parce qu'il n'y a pas d'État de droit sans science,
09:51dorénavant vous avez en tout cas ceux qui se présentent comme démocrates
09:56qui cherchent à désarticuler cela.
09:59Sur le plan psychiatrique, Arnaud Fontanet et puis évidemment Cynthia Fleury,
10:04les jeunes, on le sait, ont énormément souffert des confinements,
10:10de la disparition de la vie sociale, de l'école...
10:15Ces effets au très long cours, on les voit peu ou vous les voyez ?
10:20On les traite peu ou ils sont traités ?
10:23Alors j'essaierai Cynthia répondre de façon plus précise parce que
10:28pour moi-même en tant qu'épidémiologiste, je regarde des indicateurs mais qui sont très grossiers.
10:33L'indicateur qui d'ailleurs a été publié dans l'Observatoire national du suicide il y a 15 jours,
10:38c'est les tentatives de suicide par exemple dans la population française
10:41et les suicides entre guillemets réussis, le terme n'est pas très heureux,
10:46dans la population française et ce qu'on observe depuis,
10:53en tout cas sur la période de la crise pandémique,
10:55c'est effectivement une augmentation des tentatives de suicide,
10:58notamment chez les jeunes filles, ça commence tôt, de 10 ans, ça va jusqu'à 24 ans.
11:03Il faut savoir néanmoins que ce phénomène était déjà en route.
11:07C'est depuis 2016 que l'on voit une augmentation de ces tentatives de suicide
11:12chez les jeunes femmes qui s'accompagnent aussi de troubles du comportement alimentaire
11:16et ça se voit à l'échelle de la planète.
11:17C'est-à-dire que dans tous les pays où ces observatoires sont en place,
11:21on a observé ce phénomène donc il y a peut-être des causes qui sont différentes
11:24mais évidemment qui ont pu être amplifiées par la Covid.
11:26Sur le plan psychiatrique, Cynthia Fleury ?
11:28Non mais vraiment je vais dans le même sens parce que c'est vrai que le moment différenciant,
11:33c'est vraiment le grand panoptique des réseaux sociaux,
11:36cette espèce de déréalisation entre le monde virtuel, le monde digital, le monde réel.
11:44Mais il n'empêche que, là encore si vous voulez, la Covid ça a été,
11:48et puis les confinements etc. ça a été une incorporation,
11:51c'est-à-dire c'est une expérience très banalisée de la catastrophe ou de l'effondrement.
11:57Pourquoi ? Ça se passe tous les jours, toutes les heures.
12:00Et ça, si vous voulez, ça laisse des traces, ça laisse même des traces dans le corps.
12:04Vous avez énormément de personnes qui ont été enfermées,
12:09qui se sont couchées, qui se sont allongées.
12:11Moi j'ai quantité de patients qui m'expliquent que depuis,
12:15c'est eux qui parlent de manière clinique toute baisée,
12:17depuis le confinement, je sors moins de mon lit ou plus difficilement,
12:22bien évidemment qu'ils sortent de leur lit.
12:24Mais vous voyez, c'est-à-dire ça a atteint,
12:25ça nous a atteint effectivement surtout d'un coup une restriction
12:28de la vitalité de l'espace public etc.
12:32Donc ça fait effraction, il y a un mal-être, il y a des troubles anxieux,
12:35il y a une tolérance à l'incertitude qui est un petit peu plus compliquée,
12:38tout simplement encore une fois.
12:40Parce que le maître mot qu'a dit tout à l'heure Arnaud,
12:42c'est vraiment la prévention, l'anticipation,
12:45ce qu'on appelle un peu de manière foireuse, pardon, la résilience populationnelle.
12:51Et on n'est sincèrement pas très fort sur cette question-là.
12:54Allez, dernier mot, oui, non, Arnaud Fontanet,
12:57il y aura encore des pandémies, c'est sûr et certain.
13:02Il y a malheureusement une accélération du phénomène des émergences.
13:04On a vu trois bêtas coronavirus émerger depuis le début du XXIe siècle,
13:08le SRAS, le MERS, la COVID.
13:10On a la menace de la grippe aviaire, il y avait déjà une pandémie grippale en 2009.
13:13Donc oui, il faut se préparer à des nouvelles pandémies.
13:16C'est pour ça qu'il est important de travailler sur les meilleures préparations
13:20et réponses à y apporter.
13:21Merci à tous les deux, Arnaud Fontanet, Cynthia Fleury, merci beaucoup.