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Le sujet de la guerre en Ukraine divise dans la classe politique, entre ceux qui s'inquiètent des volontés expansionnistes de Vladimir Poutine et ceux qui relativisent, voire qui prennent sa défense. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-jeudi-06-mars-2025-9697580

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00:00Débat dans un premier temps sur l'allocution d'Emmanuel Macron hier soir à la télévision
00:05et à la radio.
00:06Le Président de la République a eu un ton dramatique, nous vivons une nouvelle ère,
00:12la menace russe est à notre porte, elle nous touche avec une agressivité qui ne semble
00:18pas connaître de frontières.
00:20Face à ce monde de danger, rester spectateur serait une folie, il ajoute la patrie a besoin
00:27de vous et de votre engagement.
00:30On va analyser ces mots et voir comment les différents partis dans un deuxième temps
00:35se positionnent face à la nouvelle donne géopolitique ouverte par Donald Trump.
00:42Nos invités, Pauline de Saint-Rémy, bonjour, journaliste, chef du service politique de
00:48Politico, Etienne Compion, bonjour, journaliste à Marianne, auteur du « Président toxique
00:55Enquête sur le véritable Emmanuel Macron », c'est chez Robert Laffont, et on termine
01:01ce tour de table avec Françoise Fressoz, bonjour, éditorialiste politique au Monde,
01:08soyez les bienvenus dans ce studio.
01:10Même question à tous les trois pour commencer, qu'est-ce qui vous a marqué, Françoise,
01:16dans l'allocution présidentielle d'hier soir ?
01:18Le ton, qui était vraiment un ton présidentiel à la hauteur à mon avis de la gravité des
01:24événements.
01:25Je pense qu'il est intervenu le président de la République au bon moment, au moment
01:29où les Français sont extrêmement inquiets.
01:31Je pense que la scène qui s'est déroulée aux Etats-Unis vendredi, quand on a vu Donald
01:36Trump humilier publiquement Zelensky, ça a été un choc dans l'opinion française.
01:41Et un réveil peut-être, oui.
01:43Et je pense qu'Emmanuel Macron a bien fait d'intervenir à ce moment-là pour dire « oui,
01:48la situation est grave et on a basculé dans un autre monde ». Après, il y a une deuxième
01:51partie de son intervention qui est une sorte d'appel au sursaut.
01:54Là, j'ai un peu plus de doute, parce qu'il y a dans le bilan d'Emmanuel Macron, des
01:59phrases qu'il a dites, c'est-à-dire que le surendettement, c'est quand même en partie
02:03lui qui est responsable.
02:04Le fait qu'il y ait un émiettement de la classe politique et une difficulté des politiques
02:09français à prendre en compte la réalité, c'est aussi lié en partie à son bilan.
02:14Voilà.
02:15Donc, c'est un vrai pari d'essayer d'appeler les Français à se réveiller et à l'aider,
02:19parce que ce n'est pas encore gagné, ça.
02:21Pauline de Saint-Rémy, votre lecture, votre analyse de cette allocution ?
02:27Je ne voudrais pas redire moins bien ce que Françoise Fressoz vient de dire, mais bien
02:32sûr, le ton martial d'Emmanuel Macron, comme on pouvait s'y attendre, qui, pour
02:37dire les choses très simplement, profite de ce moment de sidération collective pour
02:43préparer l'opinion aux efforts qui vont être demandés.
02:46Comment on passe tout simplement à un budget, Sébastien Lecornu en parlait tout à l'heure,
02:52de 100 milliards d'euros pour les armées par an, ça ne se fera pas sans effort.
02:55Et puis, de façon un petit peu plus prosaïque, le message tout de suite, très politique,
03:00il n'y aura pas d'augmentation d'impôts.
03:02C'est mon prisme de journaliste politique, mais c'est vraiment ça qui m'a frappée
03:06aussi, parce que c'est évidemment le débat qui est déjà en train de s'installer à
03:09l'Assemblée nationale, au sein de ce socle commun.
03:13Etienne Campion, même question.
03:16J'y vois une nouvelle déclinaison du « nous sommes en guerre » très macronien qu'on
03:20a déjà vu pour le début de la guerre en Ukraine aussi, évidemment, en 2022.
03:27J'y vois aussi l'ouverture d'une nouvelle séquence à la fois de politique intérieure
03:31et de politique extérieure.
03:33En fait, j'ai l'impression qu'il y a une continuité entre le propos de Zelensky qui
03:39a donné lieu au casus belli avec Trump, c'est-à-dire, si vous écoutez bien la
03:43séquence de vendredi dernier, le propos de Zelensky consiste à dire « si vous n'intervenez
03:49pas, la Russie ira jusqu'à vous » avec cette phrase qui a énervé Trump et Vance
03:56qui est « vous avez un bel océan, mais de toute façon, ils arriveront ».
03:59Et en fait, jusqu'ici, le président de la République avait tenu sur une ligne de
04:04secrète assez habile, assez osée aussi de son point de vue, de ne pas aller dans
04:12le sens total de Zelensky.
04:14Là, j'ai l'impression qu'il ouvre une nouvelle séquence au sens où lui aussi se
04:19fait le porteur de ce discours qui est « la Russie arrive jusqu'à nos portes, jusqu'aux
04:25portes de la frontière française ».
04:27Un discours qui d'ailleurs est contestable, puisque la Russie, au fond, peinait à vaincre
04:34l'Ukraine.
04:35On peut évidemment insister sur la menace russe, elle est réelle, elle est grande,
04:39elle est aux portes de l'Europe, mais c'est ce propos-là, du point de vue d'un président
04:44de la République, est en soi contestable, puisqu'évidemment qu'il doit avoir une
04:47attitude patriote, martiale, ce qu'on veut, mais la responsabilité d'un chef d'État
04:54est aussi de rassurer, de ne pas, si vous voulez, attiser encore un peu plus une peur
05:00qui est déjà extrêmement importante en France, dans le pays, en Occident.
05:04Jusqu'ici, ce que j'avais remarqué, c'était qu'Emmanuel Macron avait tendance à ne pas
05:09rentrer complètement dans ce costume, ça y est, il y est.
05:11Oui, mais le fait majeur de la séquence, c'est quand même le risque majeur de désengagement
05:17des États-Unis, de la sécurité de l'Union européenne.
05:20Donc, je pense que ça serait plus dangereux pour nous de dire, il n'y a pas de soucis,
05:28on fait comme avant, il y a un risque potentiel d'une Russie qui réarme, qui réarme depuis
05:34des années, qui continue de réarmer, et qui a clairement dit que son objectif, c'était
05:39quand même de revenir à la Grande Russie, et voilà.
05:42Donc, il ne faut peut-être pas non plus inverser les responsabilités.
05:47Oui, bien sûr, mais je ne dis pas que la Russie est évidemment une menace, elle mène
05:54ce qu'on appelle aujourd'hui une guerre hybride, c'est-à-dire ce mot un peu à la mode pour
05:57désigner des nouvelles formes d'action, des menaces.
06:01Oui, de la déstabilisation, des attaques numériques.
06:06Bien sûr, maintenant, la question est, on touche du doigt ce vieux serpent de mer qui
06:14est l'Europe de la défense.
06:16Bon, cette appellation, ce concept…
06:20Elle ne va pas se réveiller, là ? Vous ne croyez pas qu'elle ne va pas se réveiller,
06:23l'Europe de la défense ?
06:24En fait, ce concept questionne à chaque moment de crise, depuis 1954 et le fameux CED, j'y
06:31reviens pas, l'idée d'une défense commune européenne.
06:36Or, la défense et les armées ne sont pas dans les traités européens.
06:40Donc, on arrive à chaque fois face à une question qui est, combien vont mettre les
06:45Etats un par un ? Sauf qu'on arrive aujourd'hui dans une situation de crise budgétaire énorme
06:51qui nous met dans une espèce d'impasse.
06:52On a très envie de défendre l'Ukraine et c'est très normal, mais comment est-ce
06:56que vous allez maintenant faire accepter aux opinions publiques qui, si vous prenez les
07:00derniers sondages, ne sont pas prêts à un bon tel dans l'utilisation de leurs impôts,
07:08surtout arrivé à la fin d'une guerre qu'ils ont eu du mal à comprendre et qui a déjà
07:13coûté cher en termes d'action ?
07:15Renforcer les armées signifiera des investissements supplémentaires, mais sans hausse d'impôts.
07:25Pauline de Saint-Rémy, comment on fait ça ?
07:29Lui, il a évidemment dans l'idée de faire appel, je crois qu'il y aura eu une réunion
07:35le 20 mars à Bercy autour d'Éric Lombard, parce que l'idée est de faire appel dans
07:39un premier temps à des investisseurs privés si possible.
07:42Il va y avoir un plan d'aide européen qui doit être discuté aujourd'hui.
07:47C'est là où moi je ne comprends pas très bien votre point sur la question de la dramatisation
07:52excessive ou pas d'Emmanuel Macron.
07:55Je pense qu'il a évidemment intérêt, et même qu'il est dans son rôle, à préparer
08:00les esprits aux efforts que ça va demander, que ce soit, et ça c'est sans doute le débat
08:05notamment à l'Assemblée nationale qui le dira au moment où il y aura des choix budgétaires
08:08à faire, que ce soit en passant par des levées d'impôts plus importantes, notamment
08:14sur les plus riches, c'est évidemment pour ça que plaide notamment le parti socialiste
08:18en ce moment, ou que ça ne passe pas du tout par des hausses d'impôts, mais plutôt par
08:22des efforts importants sur le social, des économies, et évidemment c'est la voie qu'aimerait
08:28emprunter Emmanuel Macron, c'est là où le débat politique franco-français va être
08:33très intéressant.
08:34Etienne Campion, un mot, et puis Françoise Fressoz.
08:37Qu'il ait un intérêt à dramatiser, je le comprends complètement, d'ailleurs je parle
08:40aussi d'une point de vue d'un, je viens d'écrire une biographie du Président où il essaie
08:45d'expliquer tout ça, cette façon qu'il a de réinventer sa présidence, de réussir
08:49à mettre le ton qu'il faut, au moment qu'il faut, simplement, je dis qu'il y a un paradoxe
08:54entre l'état actuel de sa gouvernance, un Président qui manque énormément de légitimité,
09:00qui n'a plus, si on en vient aux fameux critères, aux fameux canons de science politique qui
09:06sont l'auctoritas et la potestas, il n'a plus ni l'un ni l'autre.
09:09L'autoritas c'est l'autorité naturelle qu'on a.
09:11Mais là il y a un moment très particulier, il y a un caractère d'urgence qui fait que
09:15justement des questions peuvent se reposer, c'est devenu une banalité que de le dire,
09:21mais Emmanuel Macron sort un petit peu réoxygéné pour ne pas dire renforcé de cette séquence
09:26puisque il est conforté dans toutes ses prises de position sur la question d'une autonomie
09:30stratégique européenne, renforcement de l'Europe de la défense.
09:33Donc pourquoi ne jouerait-il pas cette carte à fond à un moment où des décisions concrètes
09:39peuvent être prises en la matière et on voit que la France et l'Europe ont l'opportunité
09:43d'avancer sur cette question ?
09:45Oui, juste d'un mot tout de même puisqu'on parle d'argent, comment analysez-vous Françoise
09:51Fressoz qu'il n'y ait pas de consensus sur la saisie des avoirs russes ? Le gouvernement
09:59s'y refuse, Sébastien Lecornu nous l'a redit encore tout à l'heure, alors qu'il
10:05y a 200 milliards d'euros au moment où il n'est pas question de lever l'impôt.
10:10J'ai l'impression que la grande peur c'est un risque de déstabilisation de la zone euro
10:16en outrepassant au fond ce à quoi on s'est engagé dans le droit et de dire est-ce qu'on
10:24suit l'attitude des pays autoritaires en ce moment, on se fout des règles de droit
10:29ou est-ce qu'on respecte ? Là on utilise les intérêts de ces avoirs gelés mais on
10:34s'est interdit d'y toucher parce qu'il y a un frein mais le débat est en train de
10:41progresser.
10:42Moi je voudrais en revenir quand même à la situation intérieure parce que je trouve
10:45qu'il y a effectivement un nœud autour d'Emmanuel Macron, sa vision européenne est plutôt
10:52confortée mais il reste toujours le Macron de l'origine, c'est-à-dire il tient à
10:57ce qu'il veut faire et pas de hausse d'impôts, ça lui interdit pratiquement de faire une
11:03alliance en bonne et due forme avec une partie de la gauche qui commence parce que la vision
11:09européenne est assez identique à se rapprocher, le parti socialiste a refusé de voter la
11:14censure sur le budget et le projet de loi de financement de la sécurité sociale mais
11:18il n'ira pas au-delà s'il n'y a pas l'idée qu'il faut un compromis global
11:22avec les forces politiques et dans ce compromis il y a les hausses d'impôts et donc d'une
11:26certaine façon effectivement Emmanuel Macron continue à essayer de tordre le bras au parti
11:32à montrer que sa thèse a lui été valide, c'est-à-dire qu'il faut travailler plus,
11:37il ne faut pas augmenter les impôts et je pense que c'est là qu'il y a une difficulté
11:41mais la difficulté n'est plus portée par lui, elle est portée par François Bayrou
11:45qui depuis des semaines dit il faut remettre à plat toutes les dépenses mais il n'arrive
11:49pas à passer aux travaux pratiques parce qu'il y a encore d'énormes freins au sein
11:55des partis.
11:56Le temps file à vitesse grand V, une question sur cette nouvelle donne géopolitique, est-ce
12:03qu'elle va reléguer la politique intérieure au second plan pour un bon moment, parler
12:08de narcotrafic ou de réforme du mode de scrutin Paris-Lyon-Marseille au municipal,
12:15est-ce que c'est le moment ou est-ce que tout ça va être mis de côté par la crise
12:22mondiale ?
12:23Paris-Lyon-Marseille je pense qu'ils vont discuter entre cette proposition de loi, l'Assemblée
12:28Nationale continue à vivre sa vie, j'ai fait moi-même une chronique sur France Inter
12:31lundi matin pour dire qu'effectivement le sujet paraissait un petit peu dérisoire
12:35par rapport à la situation internationale, mais néanmoins, très bon exemple, en revanche
12:42je pense que sur les narcotrafics, il n'est pas question de mettre ce sujet-là de côté,
12:46c'était un des rares sujets qui survivait au contexte jusqu'à présent avec la question
12:50algérienne.
12:51Mais oui, bien sûr, pour en avoir discuté moi-même hier avec plusieurs députés de
12:55différentes tendances, évidemment que la situation internationale écrase tout, mais
13:00je dirais même qu'on ne fait plus la différence entre la situation internationale et la politique
13:03française et aujourd'hui les débats vont être constamment ceux qu'on vient d'évoquer.
13:08Je voulais juste compléter ce que disait Françoise Fressoz à propos de cette posture
13:14un peu rigide d'Emmanuel Macron sur la question de nouvelles hausses d'impôts éventuelles.
13:19En même temps, il profite d'une situation où les socialistes eux-mêmes, et j'en
13:24discutais avec un poids lourd du groupe socialiste hier à l'Assemblée Nationale, se sentent
13:27un tout petit peu en position de faiblesse et disent, préviennent, alors François Hollande
13:32lui le dit très ouvertement, qu'ils souhaitent que l'Ukraine, même s'ils soutiennent
13:36Emmanuel Macron sur les grands principes, ils souhaitent que l'Ukraine ne devienne
13:40pas un prétexte à une forme de politique de rigueur budgétaire sur laquelle ils avaient
13:46réussi à négocier, notamment lors du vote du prochain budget.
13:51Adieu la politique intérieure !
13:52Oui, après il faut aussi surveiller l'attitude de Zelensky, c'est lui le premier acteur
13:59du dossier, et il semblerait que ces derniers jours, il ait tenté de réchauffer ses relations
14:05avec les Etats-Unis.
14:06En fait, les Européens et les parlementaires français, aussi pour avoir l'impression
14:14d'être au centre du jeu, ont intérêt à monter sur ce dossier, à avoir des propositions
14:20où il y a envie.
14:21Simplement, si Zelensky revient sur l'accord des minerais, retourne à la maison blanche
14:27sous peu, il semblerait qu'on sorte aussi de cette séquence, qu'elle ne dure pas tout
14:32le mois de mars non plus.
14:33C'est lui qui sera le premier acteur du dossier.
14:36Merci à tous les trois, Françoise Fressoz, éditorialiste politique au Monde, Etienne
14:41Campion de chez Marianne, le président toxique en quête sur le véritable Emmanuel Macron
14:47chez Robert Laffont et Pauline de Saint-Rémy, qui fait de très bonnes chroniques, chef
14:52du service politique de Politico.

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