Le débat du 7/10

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00:00 débat ce matin sur l'inflation, le pouvoir d'achat, et cette lecture hétérodoxe, provocatrice,
00:06 diront certains, qu'on propose quelques voies libérales. L'inflation ne serait pas réelle,
00:11 il y aurait du pouvoir d'achat, il y en aurait peut-être même trop. C'est cette idée que
00:16 développe l'un de nos débatteurs, et ce débatteur, c'est vous, Jean-Marc Daniel,
00:21 vous êtes économiste, professeur émérite à l'ESCP Business School. Face à vous se
00:27 trouve Mickaël Zemmour, qui n'est pas du tout sur la même ligne, qui est économiste
00:31 évidemment, Université Lyon 2. Bonjour à tous les deux.
00:35 Bonjour, et merci d'être là ce matin pour débattre dans toutes les enquêtes d'opinion
00:40 le pouvoir d'achat est la préoccupation numéro un des Français, et ici même nous avons
00:45 fait de nombreuses matinales pour expliquer que l'inflation, qui ne cesse de monter,
00:50 est en train de renier ce pouvoir d'achat. C'est ce qu'on croyait jusqu'à vous, Jean-Marc
00:54 Daniel, jusqu'à ce qu'on vous écoute, qu'on vous lise. Vous pensez, comme on dit
00:59 sur Twitter, unpopular opinion, opinion non populaire, vous pensez qu'il n'y a pas
01:05 d'inflation et qu'il y a trop de pouvoir d'achat. Je pense que les auditeurs sont
01:09 en train de bondir en entendant ça. Alors expliquez ce que vous pensez, expliquez-leur.
01:14 Oui, je vais essayer de leur expliquer que l'enjeu ce n'est pas une opinion, c'est
01:18 un constat. Et donc si je prends la dernière note de conjoncture de l'INSEE, la dernière
01:22 note de conjoncture annonce que le pouvoir d'achat va avoir augmenté de 1,2% cette
01:26 année. Si je prends la réalité de notre économie, ce qu'on constate c'est que
01:32 le gros problème c'est le déficit extérieur. C'est-à-dire que, grosso modo, pour satisfaire
01:37 notre consommation, pour satisfaire nos besoins, pour satisfaire nos envies, on importe de
01:42 plus en plus et donc la France vit au-dessus de ses moyens. C'est-à-dire que la France,
01:47 tous les ans, accumule des déficits extérieurs. L'année dernière c'était 54 milliards
01:51 d'euros. On est sur un rythme à l'heure actuelle de 3 milliards d'euros par mois.
01:55 Et la conséquence de ça c'est que, comme on vit au-dessus de nos moyens, pour financer
01:59 tout ça, nous sommes obligés de nous vendre. Grosso modo, j'ai une formule qui consiste
02:03 à dire que comme on ne vend pas assez à l'étranger pour compenser nos importations,
02:06 on vend notre patrimoine. Donc nous sommes le pays au monde où l'immobilier est le
02:10 plus détenu par des étrangers. Nous sommes le pays au monde dont la dette publique est
02:13 détenue par des étrangers. Nous sommes le pays au monde où la bourse est détenue par
02:17 des étrangers. Et donc concrètement, au nom de notre pouvoir d'achat, nous générons
02:21 sur la génération d'après des besoins, des nécessités. Il va falloir rémunérer
02:27 sous forme de loyer cette immobilier qui est détenue par des étrangers, sous forme d'intérêt
02:30 cette dette publique qui est détenue par des étrangers.
02:32 Vous racontez qu'on a donné l'avenue Montaigne aux Saoudiens par exemple.
02:36 Exactement. Et donc la conséquence de ça c'est que notre pouvoir d'achat actuel est
02:39 construit sur la baisse du pouvoir d'achat de la génération d'après. Et donc je dis
02:44 qu'il y a un moment où c'est insupportable sur le plan économique et sur le plan intergénérationnel
02:49 extrêmement dangereux.
02:50 Michael Zemmour, il y a trop de pouvoir d'achat, vous êtes d'accord avec Jean-Marc Daniel ?
02:54 Là vous êtes obligé de dire non parce que sinon on se sera fait un peu de casting.
02:58 Non, bon, évidemment il y a de l'inflation. Alors ce que fait Jean-Marc Daniel, si vous
03:03 avez vu des pigeons toute votre vie et que vous voyez une poule, vous dites que ce n'est
03:06 pas un oiseau. Si, il y a de l'inflation. Par contre, effectivement, ce n'est pas la
03:10 même qu'il y a eu dans les années 70. On a une hausse des prix qui est très concentrée
03:14 sur deux secteurs, l'énergie et l'alimentaire, mais qui est aussi présente dans les autres
03:17 secteurs. Et c'est ça qui permet de dire qu'il y a vraiment de l'inflation. Donc
03:20 ça c'est le premier point. Et deuxième point, il y a un problème de pouvoir d'achat
03:23 et notamment dans l'évolution du pouvoir d'achat. Les salaires réels ont baissé
03:29 depuis deux ans. Si vous regardez les notes de conjoncture de la Banque de France, ça
03:32 fait deux années, en 2023, que les salaires augmentent moins vite que l'indice des prix
03:37 harmonisés. Et donc ça veut dire que le pouvoir d'achat des salaires est plus faible
03:41 aujourd'hui qu'il y a deux ans. Et si on remonte encore un peu plus loin...
03:44 Donc il a tort quand il dit qu'il y a trop de pouvoir d'achat en France ?
03:46 Oui, clairement. C'est-à-dire que... Non seulement le pouvoir d'achat...
03:49 Il y a du déficit extérieur quand même ? Alors c'est un deuxième point sur lequel
03:52 il faudra revenir. Mais non seulement... Ce qui est particulièrement dur, c'est que
03:56 le pouvoir d'achat des salaires a baissé. Et effectivement, le pouvoir d'achat en moyenne
04:00 augmente un petit peu. Il y a là-dedans des prestations sociales. Il y a aussi sans
04:03 doute là-dedans du pouvoir d'achat des riches, qui fait augmenter le pouvoir d'achat
04:07 en moyenne. Par contre, ce qui est vrai, c'est que ces difficultés de pouvoir d'achat
04:11 ne sont pas ressenties par tout le monde de la même manière. Deux exemples. D'abord,
04:15 on sait que les Françaises et les Français ont adapté leur consommation alimentaire
04:18 à la hausse des prix. Mais les plus riches l'ont plutôt fait en consommant un peu moins
04:21 et en changeant de gamme. Les plus modestes l'ont un peu moins fait parce qu'ils le faisaient
04:24 déjà. Et du coup, quand vous vous privez du superflu, c'est moins dur que quand vous
04:28 vous privez de l'essentiel. Deuxièmement, il y a peut-être des gens en France qui ont
04:32 trop de pouvoir d'achat, entre guillemets. Les classes moyennes, supérieures ou les
04:35 classes aisées. Parce que ce qu'on constate depuis la crise du Covid, c'est un taux d'épargne
04:39 très élevé et qui n'est jamais redescendu. Et donc, il y a une épargne accumulée, peut-être
04:44 pour acheter de l'immobilier, etc. Et donc, effectivement, dans une période difficile,
04:48 avec de l'inflation et une croissance faible, sans doute que la question de la répartition
04:53 des effets de la crise crée des tensions particulièrement importantes.
04:56 Alors, qu'est-ce que vous en pensez, Jean-Marie Daniel ? Pour lui, il y a trop de pouvoir
04:59 d'achat pour les riches, si j'ai bien compris, Michael Zemmour, mais pas pour le reste des
05:03 Français. Oui, alors, je vais répondre à trois éléments.
05:06 Le premier élément, sur l'évolution des salaires, je rappelle quand même que les
05:08 salaires qui sont les plus bas dépendent du SMIC et le SMIC est indexé. Non seulement
05:13 il est indexé, mais il est indexé sur la base d'un indice des prix qui est supposé
05:18 repréoccuter la structure de consommation des plus défavorisés. Donc, il y a véritablement
05:24 un souci de garantir le pouvoir d'achat des plus défavorisés. La deuxième chose, c'est
05:28 qu'en termes d'inflation, pour revenir sur la notion d'inflation, l'inflation, la définition
05:33 qu'en donne l'INSEE, par exemple, c'est une hausse du niveau général des prix et
05:35 une hausse durable. Or, très rapidement, les prix ont monté brutalement à cause de
05:40 la crise en Ukraine et à cause de conséquences de la désorganisation liée à la Covid,
05:44 mais les prix sont en train de ralentir très rapidement.
05:46 Même les prix alimentaires ?
05:47 Même les prix alimentaires, vous commencez à voir sur certains marchés, vous commencez
05:50 à voir les producteurs d'œufs, par exemple, qui sont en train de se plaindre auprès du
05:53 ministère de l'Agriculture parce que vous avez un effondrement du prix des œufs. Il
05:57 faut constater qu'un certain nombre de pays sont dans une situation où, effectivement,
06:01 les prix baissent. En Chine, qui est la deuxième économie mondiale, le véritable problème
06:05 de la Banque Centrale, c'est la déflation.
06:07 Mais attendez, c'est vrai parce que, pardon, je vous arrête, les Français qui font leurs
06:11 courses, ils ne le voient pas, la baisse des prix.
06:13 Non, mais pour l'instant, ils ne le voient pas. Mais vous avez un indicateur. D'abord,
06:17 la fin de l'inflation, ce n'est pas la baisse des prix. La baisse des prix, c'est la déflation.
06:19 La fin de l'inflation, c'est la stabilité des prix. Ce que disent d'ailleurs les grands
06:22 distributeurs, c'est que les prix ne vont pas continuer à augmenter, ils vont se stabiliser.
06:26 Stable haut ! Stable haut !
06:29 C'est quand même le point important.
06:32 Et pour l'instant, on n'est qu'au ralentissement de l'inflation. On a l'impression qu'il
06:35 s'est arrêté. L'inflation continue, mais elle va moins vite que l'année dernière.
06:39 Oui, et les prévisions de la Banque Centrale, c'est qu'on sera à 2% l'année prochaine
06:42 et qu'on va redescendre à des niveaux qui sont des niveaux de ceux d'avant 2020.
06:48 Globalement, si on prend la moyenne sur longue période, depuis la création de l'euro,
06:52 par exemple, les prix ont augmenté en moyenne par an de 1,4%. Alors que la norme que l'on
06:58 donne à la Banque Centrale, c'est 2%. Même la Banque Centrale est en dessous du niveau
07:03 d'inflation qu'elle est supposée plus ou moins rendre accessible. Et sur cet exemple-là,
07:10 je rappelle quand même que la vraie inflation qu'on a connue dans les années 60, entre
07:13 1967 et 1987, la hausse moyenne, c'était 8%.
07:17 Oui, on en est loin, mais tout de même. Est-ce qu'il a raison de tout taxer sur, si je reprends
07:24 votre premier argument, de dire qu'on est en train de se vendre à l'étranger avec
07:30 trop de pouvoir d'achat ? Et c'est ça le vrai problème de la France, c'est le déficit
07:33 de notre balance commerciale et le fait qu'on subventionne les étrangers qui viennent acheter
07:38 nos immeubles. Est-ce que c'est un peu court ? Est-ce qu'il a tort Jean-Marc Daniel ?
07:43 Il y a un diagnostic qui est effectivement un déséquilibre français de la balance
07:46 commerciale et le remède préconisé par Jean-Marc Daniel, c'est celui qui est administré
07:50 à la France et au reste de l'Union Européenne depuis une vingtaine d'années. C'est-à-dire
07:54 qu'en fait l'Union Européenne, elle a un vice de construction qui consiste à chaque
07:58 fois à essayer de baisser plus le pouvoir d'achat de votre pays plutôt que celui du
08:01 voisin pour faire en sorte de moins acheter chez le voisin et de lui faire les poches.
08:05 Les premiers qui ont joué à ce jeu-là, c'est les Allemands dans les années 2000
08:08 qui ont cassé leur dynamique des salaires. Les deuxièmes qui ont été obligés de jouer
08:12 à ce jeu-là, c'est les pays d'Europe du Sud à qui la Troïka a demandé de casser
08:15 les salaires. Et la France, depuis une quinzaine d'années, a joué ce jeu-là aussi avec
08:19 toutes les politiques de baisse de coût du travail, les exonérations de cotisations
08:23 et puis depuis une dizaine d'années aussi, toutes les lois, les lois travail, le SMIC
08:28 auquel on ne donne pas de coup de pouce, le point d'indice de la fonction publique
08:31 qui est gelé. Et donc on a cassé la dynamique des salaires partout dans l'Europe en essayant
08:35 toujours de le faire un peu plus que le voisin. Et donc ça a une conséquence, une dépression
08:40 un petit peu générale, une balance commerciale qui est déficitaire parce que si vous le
08:44 faites toujours un peu moins que le voisin, vous déséquilibrez vos comptes. Mais ça
08:47 a aussi une conséquence aujourd'hui. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a de l'inflation,
08:51 on a un chômage qui est plutôt bas et les économistes se grassent la tête en disant
08:54 pourquoi les salaires n'augmentent pas. Alors le SMIC augmente un peu avec l'indice des
08:58 prix, mais les autres salaires sont à la traîne. Une des raisons pour lesquelles
09:01 les salaires n'augmentent pas, c'est qu'on a cassé les mécanismes de négociation
09:04 des salaires. Les conventions collectives, les négociations d'entreprises et ça c'est
09:08 le fruit d'une politique publique volontaire depuis une quinzaine d'années.
09:11 Jean-Marc Gagnel ?
09:12 Alors je ne suis pas du tout d'accord avec ça. Là aussi, deux remarques. La première
09:15 remarque, il y a le Conseil national de la productivité qui vient de sortir son rapport.
09:18 Et ce que dit ce Conseil national de la productivité ?
09:21 Dominique Seux en parlait tout à l'heure.
09:22 Oui, ce qu'il dit c'est que les salaires normalement répercutent l'efficacité du
09:26 travail, c'est-à-dire sa productivité. Or sa productivité non seulement n'augmente
09:29 plus, comme ça a été le cas assez régulièrement depuis une cinquantaine d'années, mais elle
09:33 est en train de reculer. Et donc effectivement, on distribue sous forme de revenus salariales
09:38 un montant qui n'est plus en conformité avec l'efficacité et la seule réponse possible,
09:43 ce serait d'augmenter la durée du temps de travail. C'est-à-dire de faire en sorte
09:46 que la quantité de travail soit plus importante, puisque l'efficacité du travail est limitée.
09:51 La deuxième chose dans ce rapport, c'est qu'il dit bien qu'il y a un problème de
09:56 pouvoir d'achat et qu'on doit essayer d'utiliser cette situation pour concentrer des hausses
10:03 de prix, des prélèvements sur le carbone, de façon à ce que la baisse du pouvoir d'achat
10:07 qui est inéluctable soit concentrée sur les produits qui sont extrêmement dangereux
10:11 pour l'avenir de la planète. Je vais juste faire une citation très vite, très courte.
10:15 Cette citation, c'est la suivante. « Malheureusement, depuis le début de la crise, la France a
10:18 tendance à sacrifier son outil de travail à la défense de son niveau de vie. Depuis
10:22 dix ans, les Français ont réussi à augmenter leur pouvoir d'achat, leur consommation,
10:26 beaucoup plus rapidement que la croissance de la production. Comment s'est réalisé
10:29 cette augmentation de la consommation ? En prélevant sur l'argent nécessaire à la
10:32 modernisation des entreprises qui ont réduit leurs investissements. On a donc laissé vieillir
10:37 les usines et on a emprunté à l'étranger, non pas pour investir, mais pour consommer.
10:42 » Qui dit ça ? François Mitterrand en 1983. Nous sommes
10:45 exactement dans la même situation qu'en 1983. Un déficit extérieur colossal. Et
10:51 donc la réponse de Mitterrand, c'est la rigueur. Et je pense que la réponse de la
10:54 situation dans laquelle nous sommes, ça devrait être la rigueur.
10:56 Nickel Zemmour ! C'est un petit peu le problème de la situation
11:00 économique, c'est de plaquer des diagnostics des années 80 sur la situation des années
11:04 2020. C'est pas la situation dans laquelle on est. Alors, deux choses. D'abord, les
11:08 taux de marge des entreprises en moyenne ne se sont pas effondrés. C'est pas égal
11:12 dans tous les secteurs. Il y a des entreprises qui ont beaucoup de marge. Mais c'est pas
11:15 vrai que les salaires augmentent très vite puisque les taux de marge des entreprises
11:17 augmentent eux plus vite que les prix. Donc on est plutôt dans un déséquilibre favorable
11:21 aux entreprises en ce moment. Par contre, ce qui est vrai...
11:24 Il vous dit que la baisse de la productivité, c'est un sujet quand même. Les salaires
11:29 doivent-ils augmenter si la productivité baisse ?
11:30 J'y viens. La productivité ne baisse pas, mais les gains de productivité sont de plus
11:36 en plus faibles et s'approchent dangereusement de zéro.
11:39 Dans le rapport, elle annonce qu'elle baisse, Natacha Valais.
11:41 Il y a plusieurs raisons à ça. Il y en a une partie, c'est lié à l'apprentissage,
11:45 quand vous mettez des apprentis en emploi, la productivité baisse. Mais par contre,
11:48 ce qui est vrai, c'est qu'effectivement, depuis 2008 en gros, on a une croissance qui
11:52 est très faible, une économie qui stagne. Et probablement que beaucoup des tensions
11:56 économiques et sociales qu'on vit viennent non seulement de l'inflation, non seulement
12:00 des inégalités, mais aussi de la stagnation de la croissance. On a une économie qui est
12:06 calée pour se faire à un rythme de 2% de croissance par an. Elle n'arrive pas. Et
12:11 du coup, on a des vraies tensions sur le pouvoir d'achat. On a des jeunes qui sont embauchés
12:14 à des salaires plus faibles que les gens qui sont entrés sur le marché du travail
12:17 dix ans avant. Et donc, il y a une question pour notre économie. Soit on trouve un peu
12:21 la martingale pour restaurer la productivité et effectivement améliorer la balance commerciale,
12:26 améliorer les salaires. Ou alors, peut-être qu'on est aussi dans une nouvelle période
12:29 macroéconomique où la croissance stagne et auquel cas, il faut des réponses pour
12:34 réduire les inégalités, pour offrir plus de sécurité. Parce que sans croissance,
12:38 la situation des plus modestes va devenir très difficile.
12:41 NICOLAS : Merci à tous les deux.

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