• il y a 19 heures
Nos débatteurs du jour sont Jérôme Fenoglio et Frédéric Filloux. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mardi-17-decembre-2024-1080091

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00:00Tout de suite, le débat du 7-10.
00:02France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10.
00:08Débat ce matin sur le quotidien Le Monde qui fêtera ses 80 ans demain dans le premier éditorial que signait en 1944 le fondateur du journal, Hubert Boeuf-Méry.
00:22On pouvait lire que la première ambition du Monde est d'assurer au lecteur des informations claires, vraies et, dans toute la mesure du possible, rapides et complètes.
00:36Du Monde, on a toujours dit qu'il était le quotidien de références français.
00:40Mais ce concept est-il encore pertinent dans un paysage foisonnant où l'information, l'enquête, l'expertise sont disponibles partout et tout le temps grâce à Internet ?
00:51On va poser cette question à Jérôme Fenoglio. Bonjour.
00:54Bonjour.
00:55Vous êtes le directeur du Monde depuis 2015.
00:58Et à Frédéric Filliou, bonjour.
01:01Bonjour.
01:02Journaliste, auteur de la newsletter épisodique qui couvre la technologie, les médias, l'innovation et l'économie de tous ces secteurs.
01:09Vous avez connu dans une vie antérieure l'âge de la presse papier.
01:14Soyez les bienvenus sur Inter. Jérôme Fenoglio, avez-vous l'impression, 80 ans après d'être dans cette filiation, d'une information claire, vraie, rapide, complète ?
01:25La phrase de Boeufmeri fonctionne pour le journal papier de 44 comme pour les applications ou le site Internet de 2024.
01:34Oui, je trouve la phrase de notre fondateur Robert Boeufmeri tout à fait visionnaire.
01:38Il y a tous les adjectifs qu'il faut.
01:39Et évidemment, avec en plus ce qui était vraiment la conviction profonde du Boeufmeri, c'est que tout ça devait se faire d'une manière totalement indépendante.
01:47Et nous continuons à porter évidemment cette valeur profonde d'indépendance qui était celle dans laquelle il a voulu créer le journal à l'époque.
01:54C'est toujours difficile à dire, mais l'ADN entre guillemets du Monde, vous le définissez comment ?
02:01L'identité, c'est celle-là. C'est celle d'une rédaction qui essaye de donner toutes les grandes lignes, de marquer les pleins et les délais,
02:08de marquer les reliefs de l'information tous les jours et qui le fait en étant étanche à toute tentative de pression qui puisse venir de tous les milieux de l'extérieur.
02:17C'est une rédaction aujourd'hui qui s'est étoffée. On est 550, ce qui est bien plus qu'à l'époque du Boeufmeri où il n'y avait que 40 journalistes pour faire une feuille recto verso.
02:26A l'époque, on s'est diversifié sur tous les formats, mais nous continuons à porter cette exigence d'une information de qualité et indépendante.
02:32Frédéric Fillot, venons-en à cette question du quotidien de référence. Ce concept vous semble-t-il encore pertinent aujourd'hui ?
02:41Il implique une centralité dans le paysage médiatique, une influence, un surplomb, alors qu'aujourd'hui l'information est partout.
02:49Je le disais, qu'on en trouve de très bonne qualité, même gratuitement, même produite par des non-journalistes.
02:56Cette notion de référence a toujours été au cœur des réflexions des grands médias type Le Monde, type le New York Times, le Financial Times, etc.
03:05La question, c'est la définition. Qu'est-ce qu'on met derrière ça ? C'est une définition compliquée.
03:11Le New York Times avait une définition que je trouvais intéressante. Il disait « We are the first draft of history ».
03:19On est donc le premier brouillon de l'histoire. Il y a eu d'autres définitions.
03:25Les gens du Washington Post à l'époque du Watergate disaient qu'on essaye de faire en sorte d'avoir l'expression en anglais « the best obtainable version of the truth ».
03:37La meilleure version « obtenable », c'est un mauvais mot, mais qu'on peut obtenir de la vérité.
03:44Je pense que c'est finalement d'assez bonne définition, même si elles sont porteuses d'immenses imperfections.
03:51Ce qui est tout à fait naturel, et ce n'est nullement une critique envers ces médias.
03:57Ce sont des médias qui se font très rapidement, et le brouillon de l'histoire est fatalement par définition imparfait.
04:03La question, à mon avis, pour un journal comme Le Monde, tout comme pour les autres du même gabarit ailleurs dans le monde, c'est « Est-ce qu'ils peuvent le rester aujourd'hui ? »
04:11Dans un monde où vous disiez que l'information est très largement diversifiée, il y a le tourment, il y a cette espèce de « maelstrom » permanent de l'information instantanée.
04:21Et là, effectivement, il faut réfléchir à quel doit être l'impression.
04:25Je pense qu'il y a un certain nombre d'impératifs à garder en tête, mais on verra.
04:28On va y venir.
04:30Quotidien de référence, Jérôme Fenoglio, ça définit ce qu'est le monde aujourd'hui ?
04:35Moi, je n'utilise plus du tout ce mot de référence.
04:37Et pourquoi ?
04:38D'abord, parce que ça renvoie à une forme d'arrogance dont j'espère que nous, petit à petit, nous arrivons à nous départir.
04:43Et ensuite, parce que ça renvoie à une notion…
04:45Au bout de 80 ans !
04:47Il faut faire des efforts sur soi-même, c'est bien, ça fait partie des évolutions.
04:50Et surtout, ça sous-entend qu'il y aurait, pourrait y avoir un centre.
04:53En fait, il n'y a pas de centre.
04:55Aujourd'hui, nous nous efforçons juste d'être des points de repère.
04:59Les gens connaissent nos valeurs, les gens connaissent notre pratique professionnelle, les gens connaissent la manière dont nous nous situons par rapport à l'actualité.
05:05Et il faut être ce point de repère partout où on peut l'être.
05:07Sur les réseaux sociaux, sur le numérique dans son ensemble.
05:10Toujours, évidemment, en faisant un journal.
05:12Et ça, c'est important.
05:13Qu'il puisse y avoir dans ce grand cafarnaum qu'est aujourd'hui l'actualité,
05:17un point de repère où l'on sache nous situer et où l'on sache situer l'actualité par rapport à ce que nous disons également.
05:25Quand vous dites « vos valeurs », vous pensez à quoi ?
05:27Nos valeurs, c'est nos engagements qui sont connus depuis toujours et qui ont été fondés à l'époque.
05:31Nous sommes plutôt du côté de la solidarité entre les générations, entre les pays.
05:36Nous sommes plutôt, on va utiliser un vieux mot, internationalistes.
05:39Nous sommes plutôt dans le refus des nationalismes.
05:41Nous sommes plutôt du côté du progressisme.
05:43Nous ne sommes pas à une proposition médiatique qui soit tournée vers la conservation, on va dire.
05:49Nous décrivons les évolutions, nous savons être critiques à ce propos, mais nous accompagnons toutes ces évolutions.
05:55Alors, est-ce que vous êtes devenu un quotidien d'opinion ?
05:58Non, nous sommes un quotidien qui…
06:01Parce que vous êtes attaqué.
06:02Avant, le quotidien de référence ne l'était pas.
06:05Il donnait le « là », il donnait le « là ».
06:08Non, il a toujours été attaqué très fortement à toutes les époques.
06:11On a raconté tout au long de l'année, il donnait le « là », mais il était pour cela aussi extrêmement attaqué.
06:16Aujourd'hui, nous sommes un quotidien qui se bat toujours pour cette humble tâche qui a été définie à l'époque par Boeufmeri,
06:21qui est de donner les faits tous les jours, le plus humblement possible, le plus précisément possible,
06:28avec toutes les difficultés qu'il y a aujourd'hui à récolter des faits sur le terrain, à les recouper,
06:33à pouvoir aller sur les… Aujourd'hui, il y a beaucoup de guerres en cours, et vous le savez,
06:36et ce n'est pas simple de pouvoir faire cela.
06:38Et donc, c'est toujours ça le boulot essentiel.
06:40C'est autour de ça que ça construit, de l'information.
06:44Et Frédéric Filliou, vous nous disiez en préparant cette émission que rester un quotidien de référence,
06:50c'était aussi, je vais le dire comme ça, ralentir.
06:54Et vous l'avez esquissé.
06:56Ne pas céder à la bourrasque de la viralité.
06:59Moi, je crois qu'il y a trois principes à conserver pour des journaux du type du Monde.
07:05Le premier, effectivement, c'est une prise de distance par rapport à la frénésie de l'instant.
07:10Il ne faut pas que l'agenda du Monde se laisse dicter par le bruit et la fureur des réseaux sociaux, par exemple.
07:18Il est absolument vital qu'un journal comme Le Monde,
07:21et encore une fois les autres, je parle de façon générale de ce type de presse,
07:25puisse garder sa distance, puisse garder sa capacité à regarder les choses avec du recul.
07:33Et c'est quelque chose de très, très important,
07:35parce que sinon, c'est un facteur d'affaiblissement majeur de la crédibilité de ces journaux.
07:40Le deuxième élément, je pense, c'est d'offrir toujours plus de contexte et d'expertise.
07:45Moi, j'ai personnellement une théorie sur l'évolution indispensable de ce genre de médias,
07:49qui est qu'ils devraient recruter davantage d'experts,
07:52c'est-à-dire de gens qui partiraient de leur expertise,
07:56et Dieu sait qu'il en faut aujourd'hui pour comprendre l'évolution du Monde.
08:00Si on prend simplement quelque chose d'actualité, par exemple, les sanctions internationales,
08:04pour comprendre comment fonctionnent les sanctions internationales,
08:07il faut avoir des compétences en droit international, en économie, comprendre les flux, etc.
08:12Ça veut dire évidemment avoir, comme vous l'avez Jérôme, des gens bien spécialisés là-dedans,
08:16mais des gens capables de poser des bonnes questions et pas systématiquement recourir aux experts extérieurs.
08:20Ça veut dire que moi, si j'étais le monde, si j'ose dire, on peut toujours rêver,
08:25je pense que j'embaucherais effectivement des économistes, des avocats, des scientifiques, des médecins,
08:30que je ferais en sorte de faire migrer et d'encadrer vers le journalisme,
08:34parce qu'on a énormément besoin de cette expertise-là.
08:38Le troisième élément, je pense, qui est absolument critique,
08:41c'est de rester le capteur de la société.
08:46Et là, pour le coup, on constate quand même, dans ce type de médias,
08:50notamment aux États-Unis, on l'a vu récemment,
08:52une espèce de dissociation, de divorce entre le magistère de ces médias,
08:57c'est encore une fois un magistère de qualité, il n'y a pas de discussion là-dessus,
09:00et puis le fait qu'ils sont pris par surprise par tout un tas d'événements.
09:04En France, on a été surpris tous,
09:06tout le monde a été un peu surpris par exemple par les Gilets jaunes.
09:09Aux États-Unis, juste récemment, la semaine dernière,
09:12tout le monde a été pris de court par cette affaire, vous en avez parlé ici,
09:15du meurtre du patron d'une boîte de santé,
09:19où tout d'un coup les journaux se sont dit
09:21« Mais comment ça, les gens sont en train de rentrer en révolte par rapport au système de santé ? »
09:26Donc moi, ma question, c'est est-ce que les rédactions, actuellement,
09:29sont suffisamment équipées pour être les capteurs de cette société ?
09:33Et je crois qu'il y a un énorme effort à faire là-dessus.
09:35– Jérôme Fénoglio ?
09:36– D'abord, la première chose par rapport à cette espèce de milestone que j'ai décrit tout à l'heure,
09:40la qualité qu'il faut avoir, je pense, c'est le calme.
09:42Et effectivement, il faut prendre les choses avec distance aujourd'hui,
09:44et ne pas se laisser entraîner dans cette lésiveuse permanente
09:47qui est la discussion sur les réseaux sociaux.
09:49Et quand je dis discussion, c'est qu'en fait,
09:51c'est plus des postures qui s'affrontent que vraiment un débat.
09:54C'est très important.
09:55Sur le deuxième point, je défends, nous défendons au monde depuis toujours, le journalisme.
09:59C'est-à-dire que l'expertise, bien entendu, il faut l'acquérir en tant que journaliste,
10:03mais il faut l'acquérir dans une pratique professionnelle
10:05qui permet d'établir des faits avec une méthode professionnelle.
10:08Pas si éloignée de la méthode scientifique, la vérification, la contradiction, etc.
10:12Ça, c'est le journalisme.
10:13On peut être journaliste, on peut être de très bons journalistes,
10:16si on construit d'abord son intérêt autour d'une qualité.
10:20Moi, j'appelle ça une qualité qui est la curiosité.
10:22Et quand on est curieux, quand on est journaliste, alors on est prêt.
10:26On est prêt aussi à pouvoir faire face parfois à des surprises.
10:29L'actualité est pleine de surprises, c'est vrai.
10:32On ne peut pas toutes les prévoir.
10:33On doit être équipé pour immédiatement déployer notre curiosité
10:38pour pouvoir amener, trouver les bons experts,
10:41trouver les personnes qui vont pouvoir permettre de l'expliquer.
10:44Donc pour moi, c'est vraiment important de continuer à défendre le journalisme,
10:48tout le journalisme, mais par ailleurs, rien que le journalisme,
10:51pour s'éloigner entre les idéologies.
10:54Et sur les capteurs, alors ?
10:56Sur le fait que si on prend la dernière campagne électorale américaine,
11:02elle se soit passée ailleurs que dans ces grands journaux.
11:06Le New York Times est une usine à scoop,
11:09c'est tous les jours par dizaines ou presque.
11:13Washington Post a été un immense journal,
11:16même pas la peine d'y revenir,
11:18mais on a eu le sentiment que ça s'est quand même vraiment passé ailleurs.
11:21Ils ont été pris de cours à deux reprises.
11:23La presse américaine a été prise de cours en 2016 et en 2024 par la vague Trump,
11:28donc en 2024 elle a été un peu plus prudente,
11:31mais c'est vrai qu'ils n'ont pas vraiment vu le truc venir.
11:34Et c'est quand même un énorme problème, c'est-à-dire que ces journaux,
11:37ils fonctionnaient, c'était typiquement des journaux de côte Est et de côte Ouest,
11:40et puis ils ont ignoré l'ensemble de pays.
11:43Paradoxalement, dans la campagne 2016, j'étais aux Etats-Unis à l'époque,
11:46dans la campagne de 2016, c'était plutôt le Guardian qui avait envoyé
11:49une équipe de journalistes et de vidéastes,
11:51puisque maintenant, comme Jérôme l'expliquait, on travaille sur plein de médias,
11:53plein de supports différents,
11:55qui avaient raconté le pays réel.
11:57Et c'était extrêmement révélateur.
11:59Jérôme Fenoglio ?
12:00Il faut continuer à défendre un journaliste de terrain.
12:02Envoyer le maximum de personnes en permanence,
12:04discuter avec les gens, c'est vraiment extrêmement important.
12:07Oui, bien sûr, nous sommes un journal qui est situé à Paris,
12:11dont la plupart des journalistes habitent autour de Paris, bien entendu,
12:14mais il faut savoir en permanence, aller loin,
12:16par ailleurs, nous défendons quelque chose de crucial.
12:19Nous sommes présents dans de nombreuses capitales dans le monde,
12:22et ça, c'est important.
12:23Nous avons un réseau de correspondants qui est aujourd'hui
12:25près de 25 personnes,
12:27et donc qui permet aussi d'avoir ce retour-là de différents endroits.
12:31Donc, avoir les capteurs, bien entendu,
12:34mais il faut pouvoir savoir aussi à qui on s'adresse.
12:36Et on s'adresse, on adresse tout ça,
12:38plutôt à des lecteurs qui sont plutôt des lecteurs diplômés,
12:42diplômés, on va dire, pour leur indiquer un certain nombre
12:45de dysfonctionnements dans la société.
12:47C'est notre rôle, oui, et ça continue à l'être.
12:49Un mot ?
12:51Ça passe aussi par la diversité intérieure des rédactions,
12:54et notamment la formation des journalistes.
12:57Il y a eu des études terribles et cruelles
12:59qui ont été menées, par exemple, au Royaume-Uni,
13:01qui démontrent qu'il y a une parfaite coïncidence
13:03entre la structure socio-économique, socio-culturelle des rédactions,
13:06et puis la personnalité politique.
13:08C'est tous des gens qui ont fait Oxford et Cambridge.
13:11Aux Etats-Unis, le New York Times avait à un moment
13:14été complètement flippé, si j'ose dire,
13:16de constater que sa rédaction était exclusivement blanche
13:19et formée aux meilleures universités.
13:21Donc ils ont fait, ça a été il y a une dizaine d'années,
13:23un énorme effort, très volontariste,
13:25parfois très controversé, pour diversifier leurs rédactions.
13:28Merci à tous les deux, Frédéric Filliou, Jérôme Fenoglio,
13:31et bon anniversaire au monde.
13:3380 balais, c'est un beau gâteau !

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