Jérôme Jaffré, Anne Rosencher, Jean-Yves Dormagen débattent ce mardi matin dans le 7/10
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00:00Ce matin, sur la déclaration de politique générale que prononcera Michel Barnier à
00:0515h au perchoir de l'Assemblée Nationale, exercice difficile pour le Premier Ministre
00:12qui va devoir s'engager sur des sujets comme le redressement des comptes publics tout en
00:17tenant compte des différents groupes de sa coalition qui ne veulent pas nécessairement
00:22la même chose quand ils ne sont pas carrément aux antipodes sur des sujets cruciaux.
00:28Qu'attendre de cet exercice ? Quels en seront les enjeux ? On va poser la question à un
00:34trio magique composé d'âne rose en chair.
00:38Bonjour Nicolas Demorand, directrice éléguée de la rédaction de l'Express, Jean-Yves
00:44Dormagin, bonjour, professeur de sciences politiques à l'Université de Montpellier,
00:49fondateur du laboratoire d'analyse de l'opinion Cluster 17, on peut le dire comme ça.
00:54Jérôme Jaffray, pour finir ce tour de table, bonjour.
00:57Chercheur associé au Cevipof, question simple pour commencer, vous en attendez quoi de ce
01:04discours de politique générale, âne rose en chair ?
01:07Écoutez, moi comme tous les français, j'en suis à mon troisième discours de politique
01:11générale depuis un an et demi, je n'en attends pas particulièrement quelque chose
01:15dans le sens où je ne m'attends pas à ce que la parole soit performative et que déjà
01:20dire ce serait comme avoir fait, enfin bon, je suis comme tout le monde, j'attends de
01:24voir.
01:25Néanmoins, s'il y a une chose pour commencer que j'attendrai, de Michel Barnier comme
01:29de la politique en général, c'est de sortir de la logique minoritaire dans laquelle se
01:35sont enfermés les partis politiques depuis maintenant des années, c'est-à-dire qu'on
01:39a le sentiment qu'ils travaillent des segments, qu'ils draguent des clientèles, qu'ils
01:44mobilisent les uns contre les autres, plutôt que d'essayer de s'adresser à tout le
01:48monde.
01:49Ça a été renforcé par le rôle joué par le Rassemblement National, c'est-à-dire
01:52qu'il suffisait dans les élections à deux tours d'atteindre 20% pour espérer
01:57être élu grâce au Front Républicain.
02:00Ça a un effet terrible parce que normalement la politique c'est de chercher le discours
02:06et le diagnostic majoritaire et en plus, ça laisse, il y a un parti qui doit construire
02:11un discours majoritaire parce qu'il doit essayer d'exploser le plafond de verre et
02:16le Front Républicain, c'est le Rassemblement National.
02:18Alors, il le fait, on le sait, de façon assez démagogique, en changeant de programme en
02:22fonction des années, des jours ou que sais-je, mais au fur et à mesure, il a labouré les
02:30thèmes et les angoisses majoritaires chez les Français.
02:32Vous attendez un discours à la nation plus qu'un discours au parti ?
02:36Oui, vraiment, c'est exactement ça.
02:38Merci de résumer mon propos de façon si brillante !
02:41Je suis navrée Anne, c'était vraiment pas contre vous que je viens de le faire.
02:46Jérôme Jaffray, vous en attendez quoi ?
02:48Énormément, énormément bien sûr, parce que c'est un exercice totalement inédit
02:53sous la Ve République, c'est-à-dire que nous avons là un Premier ministre qui va
02:58s'exprimer dans la déclaration de politique générale, qui n'est pas l'émanation
03:02du Président de la République, ça s'est déjà produit, qui n'a aucune majorité
03:06pour le soutenir, à ce point-là, ça ne s'est jamais produit, qui en réalité n'est
03:12assuré en aucune façon de sa durée et qui cependant doit faire un discours comme s'il
03:17avait l'éternité devant lui, et en politique l'éternité maximale c'est 2 ans et demi
03:22jusqu'à la présidentielle de 2027, et qui doit aussi agir comme si le temps lui était
03:27compté et qu'il fallait très vite faire beaucoup de choses, donc il n'est pas assuré
03:32de sa durée et il n'est pas assuré du soutien, normalement, des partis qui théoriquement
03:39et d'ailleurs appartiennent au gouvernement.
03:41Il y a 13 membres de Renaissance qui font partie du gouvernement, il y a 13 membres
03:45des Républiques qui sont au gouvernement, et pourtant il n'est assuré.
03:49Donc on regardera, d'habitude on regarde les oppositions, leur attitude, bien sûr
03:54on suivra cela, mais on regardera, on scrutera la façon dont les députés de la coalition
04:00qui théoriquement soutiennent Michel Barnier, leur attitude, quelle sera-t-elle, qu'est-ce
04:05qu'ils applaudiront ? On attend de voir si Gérald Darmanin, Gabriel Attal et les autres
04:11vont applaudir.
04:12C'est leur exemple, leur attitude sera scrutée à toutes les secondes.
04:17Donc voilà, c'est au fond, Michel Barnier, il a 73 ans, il n'aime pas qu'on le lui
04:23rappelle, mais c'est un trapéziste sans filet et dont le saut doit être de plus en
04:27plus grand.
04:28Et bien voilà, Jean-Yves Dormagen, votre lecture de ce discours de politique générale.
04:36Oui, alors beaucoup de choses viennent d'être dites, mais effectivement c'est un discours
04:40curieux, un drôle de discours de politique générale d'un premier ministre qui n'a
04:46pas de majorité, dont la faible coalition est déjà très divisée, donc on est évidemment
04:52d'ores et déjà curieux de voir comment il arbitre les divisions au sein de sa majorité
04:56ou pas d'ailleurs.
04:57Le plus probable, c'est peut-être qu'il ne les arbitre pas.
04:59On a entendu les conflits récemment autour de la justice, autour du ministre de l'Intérieur
05:07Bruno Retailleau, sur les étrangers, chance ou pas pour la France, sur l'état de droit,
05:13etc.
05:14Donc sur le régalien, évidemment, on va être tous très attentifs à ce que va dire
05:16le premier ministre.
05:17Probablement, alors c'est un discours, l'exercice que vous demandez est compliqué parce que
05:21je pense qu'on a rarement eu aussi peu d'informations de fuites sur un discours de politique générale.
05:26Donc vous nous demandez de commenter, d'anticiper, de spéculer sur quelque chose qui n'a pas
05:32encore eu lieu et sur lequel on ne sait presque rien.
05:35Mais bon, l'exercice reste stimulant.
05:38Alors moi, je pense que probablement sur ces sujets-là, si la raison l'emporte, il ne
05:44devrait pas ajouter de tension à la tension.
05:46Ce n'est sans doute pas son intérêt.
05:49Moi, je pense que la situation budgétaire, la situation économique du pays est un problème
05:55et c'est aussi une opportunité.
05:56C'est une opportunité parce que ça lui permet, s'il joue cette carte-là, on verra
06:01bien, ça lui permet de dramatiser, ça lui permet d'appeler à la responsabilité, ça
06:08lui permet de faire un discours un peu tchurchilien sur le budget du sang et des larmes en disant
06:14que le pays est au bord du gouffre, ce dont on conscience les Français.
06:18Il faut se rendre compte qu'il y a aujourd'hui une grosse préoccupation dans l'opinion sur
06:22la dette.
06:23On vient de faire un sondage qui sera publié par Le Point cette semaine.
06:26On voit que pratiquement la totalité, l'intégralité des Français sont préoccupés, voire très
06:30préoccupés par la dette, dont ils attendent des conséquences négatives.
06:34Les gens ont compris que les déficits, la dette, c'était soit plus d'impôts, soit
06:38moins de services publics, moins de fonctionnaires, moins de dépenses.
06:41Personne n'attend de choses positives de cette situation.
06:44Et donc, je pense qu'il a là la possibilité de se poser un peu comme Poincaré, pour revenir
06:51sur des sujets d'histoire en 1926, quand le franc était menacé, ou un peu dans ces
06:55moments de crise, etc., de se poser en homme du redressement, en homme de la sincérité
07:03et à y adramatiser.
07:04Moi, en tous les cas, si j'étais parmi ses conseillers, c'est ce que je lui suggérerais
07:09de faire.
07:10Voilà, on n'a pas les mots, mais effectivement, on a le contexte et des éléments dans l'actualité
07:18dans le prolongement de ce que vient dire Jean-Yves Dormagen sur les décisions relatives
07:24au redressement des comptes publics.
07:26On peut lire de nombreuses pistes dans la presse ce matin, qui vont dans le sens de
07:31hausses d'impôts, notamment pour les entreprises.
07:35Nous avions Gérald Darmanin à ce micro hier, qui a redit son opposition à des hausses
07:40d'impôts.
07:41Comment on tient les deux bouts de la ficelle ? Il faut des hausses d'impôts, il n'est
07:46pas question qu'il y en ait, parce que ce serait liquider l'héritage des années
07:51Macron.
07:52Comment on peut faire cette opération-là, Jérôme Jaffray ?
07:55Comme vous venez de le souligner, les contradictions sont patentes.
07:59Et par rapport à ce qu'a dit Jean-Yves Dormagen, moi je suis moins confiant dans
08:04la compréhension des Français de la difficulté des problèmes.
08:08Le fait par exemple que l'opinion publique continue de mettre le pouvoir d'achat en
08:13priorité absolue, ce qu'il faut c'est soutenir le pouvoir d'achat, alors qu'en
08:17réalité, les moyens de le faire sont réduits.
08:19Que la demande d'abrogation de la réforme des retraites est une demande très forte
08:23dans l'opinion publique, alors que là aussi, les moyens budgétaires permettent très difficilement
08:28de revenir sur beaucoup de choses, donc on a une situation dans laquelle même s'adresser
08:34aux Français n'est pas si simple que ça en réalité.
08:37Alors, pour Michel Barnier, il y a quand même effectivement, il a eu cette formule extraordinaire
08:42que j'ai beaucoup aimée, la situation budgétaire extrêmement grave, que je découvre.
08:48Et alors, ce que je découvre a fait beaucoup rire, évidemment, mais il faut bien comprendre
08:52qu'en disant cela, Michel Barnier évitait de dire une formule assassine pour le camp
08:57majoritaire et macroniste.
08:59La situation budgétaire, aurait-il pu dire, ton jérite ? C'est ça la vraie formule
09:04politique.
09:05Il l'a évité, la situation budgétaire que je découvre, au risque de passer pour
09:09un bénet, mais son problème maintenant, c'est effectivement d'installer, pour répondre
09:16à la quadrature du cercle que vous soulignez, l'effort nécessaire du pays pour faire
09:21face à cette crise budgétaire majeure qui risque à terme d'amputer les salaires des
09:27fonctionnaires, le niveau des retraites, c'est ça une crise sur les marchés financiers
09:31extrêmes.
09:32Mais la hausse des impôts, c'est un terme extrêmement mauvais.
09:35C'est la justice dans l'effort, la seule chose qui puisse dire pour demander une justice
09:41dans l'effort, compte tenu de ce qui est demandé à tous les Français, et la baisse
09:44des dépenses, si vous étiez l'objectif, si j'étais son conseiller, ce que je ne suis pas !
09:48Le deuxième conseiller de Michel Barnier, ce serait la justice dans l'effort, qu'en pensez-vous Anne ?
09:54Écoutez, moi je pense que les Français sont, je vais mettre peut-être mes deux interlocuteurs
10:00d'accord, ils sont pleins de contradictions, nous sommes une société, et d'ailleurs
10:05quand on dit que la France est ingouvernable, je pense que c'est surtout de ce fait-là,
10:09pas parce qu'on serait râleurs, parce qu'on serait des Gaulois réfractaires ou que sais-je,
10:14c'est plus, et c'est les sociétés occidentales désormais, il n'y a pas que la France,
10:18que nous sommes pétris de contradictions.
10:20On sait que la dette est un problème, qu'il n'y a pas de pensée magique en l'occurrence,
10:26mais on veut en effet continuer la dépense sociale parce qu'il y a des inégalités
10:30qui se sont creusées avec la mondialisation etc.
10:33Pleins de choses, on veut du protectionnisme pour protéger les emplois industriels, mais
10:37on veut payer moins cher les biens de consommation, donc c'est tout ça qui rend l'exercice
10:41aujourd'hui de la politique en effet extrêmement compliqué, il faut trouver un nouveau discours
10:46et il faut que parfois, je dirais, peut-être que pour que le discours de vérité fasse
10:52son chemin, il faut plus de sincérité.
10:55Je pense que c'est ce qu'il manque le plus aujourd'hui à la parole politique.
11:01Il y a eu depuis la dissolution cette impression que tout le monde faisait un peu semblant,
11:07chacun réclamait la légitimité comme s'il y avait une majorité qui s'était dégagée,
11:13il n'y en a pas eu, aucun, et donc il y avait cette espèce de posture.
11:17Aujourd'hui, je pense qu'il faut de la sincérité et que pour y parvenir dans le
11:23jeu de posture des partis, parce que là ils sont tous dans des postures avec notamment
11:30l'Occident 2027 en tête, il faut prendre les Français et l'opinion publique à témoin.
11:36C'est son seul recours aujourd'hui à Michel Barnier.
11:38Jean-Yves Dormachin, vous parliez des propos de Bruno Retailleau sur l'état de droit,
11:44il n'est pas intangible, il n'est pas sacré, ça a suscité un torrent de réactions, l'état
11:50de droit c'est ce qui protège notre démocratie, Yael Brown-Pivet c'est quelque chose de sacré,
11:55Elisabeth Borne, le pays n'a nul besoin d'encore plus de populisme, encore moins
12:00que l'on sape ses fondements communs multiséculaires, ça c'est le modem Marc Fesneau.
12:06Il faut que Michel Barnier reprenne la main, parle de cette sortie, cette déclaration
12:15de Bruno Retailleau où il faut laisser vivre chacun dans son coin les ministres, selon
12:21vous.
12:23Quelle est l'autorité de Michel Barnier ? Alors que ce n'est pas l'autorité des urnes,
12:30que le groupe qu'il représente compte 47 parlementaires, a fait un score autour de
12:345-6% lors des européennes, 6,5% lors des législatives, il n'a pas d'autorité politique
12:42forte qui lui viendrait des urnes, il n'a pas d'autorité forte venant du président
12:46de la république parce que le président de la république lui-même est un grand brûlé
12:49et quelqu'un qui a perdu la séquence électorale et qui a une part de responsabilité non négligeable
12:54dans la situation actuelle, donc peu de légitimité lui aussi, et une coalition complètement
12:58divisée, vous venez de l'illustrer, et qu'est-ce que ça illustre aussi ces propos-là ?
13:01Et c'est un des problèmes supplémentaires auxquels est confronté Michel Barnier, c'est
13:06qu'on est déjà en campagne électorale, on est déjà dans une situation de pré-campagne
13:10législative où chacun joue le coup d'après, joue le coup des électeurs et donc quand
13:15vous êtes effectivement Bruno Retailleau, ministre LR, vous envoyez des signaux très
13:18forts à l'électorat conservateur, à vos électeurs et à ceux du RN, parce que vous
13:22jouez le coup d'après déjà, et idem pour l'espace central, pour les macronistes en
13:28particulier, pour l'aile gauche de la macronie qui joue aussi le coup d'après et qui s'oppose
13:31évidemment publiquement, ce qui est quand même quelque chose d'assez inédit, on a
13:34rarement vu effectivement un discours de politique générale, une majorité se déchirer
13:38publiquement de manière assez radicale et même menacée de se faire tomber.
13:41Jérôme Jaffray d'un mot ?
13:42Oui, l'affaire Retailleau est effectivement majeure, l'erreur de Michel Barnier c'est
13:47son seul poids lourd du gouvernement, il aurait fallu au moins deux poids lourds, c'est un
13:50minimum d'équilibre, c'est une question d'autorité, vous avez cité le modem, le modem il a fait
13:55la fête à Barnier ce week-end, il a fait la fête à Barnier en invitant M. Cazeneuve
14:00comme invité principal de son université d'été, vous parlez d'un soutien majoritaire,
14:04nous guetterons donc dans le discours de Michel Barnier, s'il parle de l'état de droit,
14:09s'il parle éventuellement de l'adaptation du droit dans le respect de l'état de droit,
14:15c'est ce type de formule qui marquerait son autorité et ramènerait aussi son ministre
14:20de l'Intérieur à sa place dans le gouvernement.
14:22Eh bien, nous regarderons ce discours plus intelligent, grâce à vous trois.
14:27Merci Jérôme Jaffray, Jean-Yves Dormagen, Anne Rosanchet, chère.