Alors que François Bayrou a remis le sujet sur la table presque immédiatement après son arrivée à Matignon, on en débat ce matin sur France Inter avec deux sénateurs : Hervé Marseille et Laurence Rossignol. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mercredi-18-decembre-2024-9665687
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00:00Débat ce matin sur le cumul des mandats, relancé par le déplacement du nouveau Premier
00:05ministre François Bayrou dans sa ville de Pau, en pleine catastrophe humanitaire à
00:11Mayotte.
00:12En plus de Matignon, François Bayrou restera par ailleurs maire de Pau, ce dont il a parfaitement
00:16le droit.
00:17Sur le fond, il pense que le non-cumul des mandats a alimenté, je le cite, « la rupture
00:23entre la base de la société française et les milieux de pouvoir, à l'heure de l'extrême
00:30défiance envers les politiques ». Le cumul des mandats est-il une piste pour résorber
00:36ce qu'il appelle aussi le « mur de verre » entre les citoyens et ceux qui les représentent.
00:41On va en débattre avec Hervé Marseille.
00:43Monsieur le sénateur, bonjour.
00:45Bonjour.
00:46Sénateur des Hauts-de-Seine, président du groupe Union Centriste et président de l'UDI,
00:52l'Union des Démocrates et Indépendants, Laurence Rossignol, bonjour.
00:56Bonjour.
00:57Sénatrice socialiste du Val-de-Marne, merci d'être au micro d'Inter ce matin.
01:03Hervé Marseille, vous êtes un vigoureux défenseur du cumul des mandats.
01:08Expliquez-nous, de manière synthétique, s'il vous plaît, pour quelles raisons ?
01:12Écoutez, oui, je pense, d'ailleurs vous l'aviez déjà abordé avec Éric Dupond-Moretti
01:17tout à l'heure, qu'il y a un problème de la représentation politique, de l'engagement
01:20politique, et que le fait d'avoir interdit ce cumul des mandats en 2014 a été un des
01:28facteurs, ce n'est pas le seul, un des facteurs qui a coupé le monde territorial du monde
01:35parlementaire.
01:36On voit bien qu'il y a aujourd'hui deux mondes politiques, il y a celui de la représentation
01:40territoriale des communes, des départements, des régions, et puis celui de l'Assemblée
01:45nationale et du Sénat.
01:46Il faut réconcilier les deux, et moi j'ai défendu en 2021 une proposition de loi pour
01:53permettre qu'on puisse revenir au cumul d'un mandat parlementaire et d'un mandat exécutif.
02:00Parce que ce qui est en jeu, c'est le mandat exécutif.
02:02Il faut savoir que dans ce pays, il y a 36 000 communes, 97% ont moins de 10 000 habitants,
02:09et 50% ont moins de 500 habitants.
02:11Donc, voir des députés maires revenir par exemple ?
02:16Voilà, voilà.
02:17Ok.
02:18Laurence Rossignol, votre position sur le sujet ?
02:21Écoutez, qu'on constate qu'il y a une crise de confiance des Français à l'égard de
02:25leurs représentants politiques, c'est une évidence.
02:27Mais je pense que cette histoire de rétablissement du cumul des mandats se fonde sur une erreur
02:32de diagnostic.
02:33Ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de cumulard que les Français s'interrogent sur la performance
02:41de leurs représentants.
02:42Au contraire même.
02:43Et on dit, j'entends, oui les petits maires, voilà, ils pourraient cumuler.
02:49Mais moi j'ai fréquenté beaucoup de petits maires dans ma vie, jamais aucun d'entre
02:53eux ne m'a dit « Rendez-nous le cumul des mandats parce que ça va m'aider dans ma
02:56gestion de ma commune et dans mes difficultés ».
02:58Donc, erreur de diagnostic sur la distance entre les Français, elle vient de bien d'autres
03:04choses, en particulier de la capacité des dirigeants successifs à résoudre les problèmes
03:09des Français.
03:10Mais ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas cumulards qu'ils ne les résolvent pas.
03:12Et puis j'ai tellement l'impression que c'est l'ancien monde qui revient.
03:15Et la deuxième erreur de diagnostic, elle vient…
03:18Vous dites « cumulard », parce qu'on lit aussi « ancrage local ». On pourrait
03:22se dire qu'avoir un ancrage local est quelque chose de tout à fait positif, que cumulard
03:27ensuite, ça je vous laisse l'appréciation.
03:29Mais au Sénat, voyez-vous, la totalité de mes collègues sont très ancrés localement.
03:34Ils passent toute la moitié de la semaine à rencontrer les maires de leurs départements
03:39et ils sont très proches d'eux et d'ailleurs ils restituent au Sénat ce qu'ils entendent
03:44sur le terrain.
03:45Donc il n'y a pas de problème d'ancrage local chez les sénateurs.
03:48En revanche, j'entends bien ce qu'on dit sur les députés, mais ce n'est pas parce
03:52qu'ils ne sont pas en situation de cumul que les députés paraissent être déconnectés.
03:55C'est parce qu'à partir de 2017, la composition et le mode de recrutement des députés a
04:00profondément changé.
04:01C'est-à-dire qu'à la fois les macronistes, qui ont été recrutés sur CV et en plus
04:06ils venaient de la société civile, mieux c'était.
04:08Les députés LFI, même profil, et maintenant les députés RN, même profil, on a là effectivement
04:15des gens dont le problème n'est pas d'être en situation de cumul, dont le problème est
04:20de n'avoir aucune expérience politique.
04:23Nous au Parti Socialiste, on continue d'attribuer nos désignations à des gens qui ont un travail
04:30derrière eux, qui ont été élus locaux, qui ont été militants socialistes.
04:33Les autres ont choisi un autre mode de recrutement.
04:35Mais ce n'est pas parce que vous allez demain permettre à des députés RN de cumuler leur
04:39mairie et leurs fonctions de députés qu'on va résoudre les problèmes de la crise démocratique
04:45française.
04:46Si l'on prend le cas de François Bayrou, et ça a créé la polémique et elle est
04:50d'ailleurs toujours en cours, peut-on cumuler, Hervé Marseille, la gestion de la France
04:55et la gestion d'une ville ? Les journées n'ont que 24 heures, les politiques ne sont
05:00pas des surhommes ou des surfemmes, et là on a bien vu qu'il y avait eu un choix à
05:05faire entre Pau et Mayotte.
05:07Donc, est-ce que ce n'est pas créer des problèmes ? Là, vous pensez en résoudre ?
05:14Écoutez, je ferai deux observations.
05:16La première, c'est qu'il y a une certaine hypocrisie.
05:18La preuve, c'est qu'on a parfaitement le droit d'être Premier ministre, ministre
05:23et président de département ou maire d'une grande ville.
05:26Donc la loi le permet.
05:27On sait qu'il y a un cumul horizontal.
05:30C'est-à-dire que vous pouvez être maire d'une grande ville et avoir un tas de présidence,
05:34un office HLM, l'hôpital, le syndicat d'électricité, etc.
05:39Donc, il faut remettre ça à plat.
05:41Et la deuxième chose, c'est une ouverture peut-être vers le futur, immédiat, c'est
05:46que c'est la première marche vers la proportionnelle aussi.
05:49Parce qu'on sait très bien que pour beaucoup, la proportionnelle s'associe avec une forme
05:54de retour à un certain cumul.
05:56Pourquoi ? Pour permettre à des élus locaux qui maintenant refusent d'être candidats
05:59au Parlement de s'intégrer à nouveau dans la vie parlementaire.
06:04Parce que, Mme Rossignol vient de le dire, il y a un tas de gens qui sont installés,
06:09si je puis dire.
06:10Ils ont travaillé, ils se sont fait élire et ils veulent garder, j'allais dire, leur
06:15place territoriale et ne pas la perdre au profit d'un mandat parlementaire incertain,
06:19surtout par les temps qui courent.
06:20Et donc, je crois qu'il faut remettre à plat le système et d'autre part, il faut
06:25penser ça aussi avec la proportionnelle.
06:27Mais sur le fait que les journées, je vais vous donner la parole tout de suite, que les
06:30journées, donc 24 heures pour tout le monde, on peut être Premier ministre et diriger
06:37une ville qui n'est quand même pas une petite ville ?
06:39Plus la ville est grande, plus vous avez de collaborateurs.
06:41Et donc, Chirac était député de Corrèze et maire de Paris.
06:45Mais à la mairie de Paris, il ne vous a pas échappé qu'il y avait pas mal de collaborateurs.
06:49Donc, vous n'êtes pas au four et au moulin.
06:52Vous déléguez en fait.
06:53C'est ça.
06:54Vous arbitrez.
06:55On met à votre demande des choses à trancher.
07:00Vous n'êtes pas là tous les jours à vous occuper au four et au moulin comme le maire
07:03d'une ville de 500 habitants.
07:04On leur entre au signal.
07:05Moi, j'ai connu le Sénat avant et après la loi sur le non-cumul.
07:09Et je peux vous dire que j'observe la différence d'avoir maintenant des sénateurs qui sont
07:14à plein temps sénateurs et leur implication dans le travail parlementaire.
07:18Et une des raisons pour lesquelles on salue souvent le travail de fond du Sénat, c'est
07:22parce que les sénateurs se sont émancipés, libérés de ce poids qu'étaient pour eux
07:26les mandats locaux.
07:27La deuxième remarque que je veux faire, c'est que je voyais hier un sondage de DOXA qui
07:31disait que 53% des Français voulaient en finir avec la Ve République.
07:37C'est intéressant comme réflexion et comme discussion.
07:40Et qu'est-ce qu'on leur propose ? Qu'est-ce qu'on répond à ces Français ? On leur
07:44dit écoutez, on va rétablir le cumul des mandats, c'est-à-dire qu'on va revenir
07:47à la Ve République qu'on a connue il y a 30 ans, verticale, et puis surtout on n'a
07:52jamais discuté de ce que la décentralisation avait eu comme effet de bord, qui est quand
07:57même d'avoir installé des potentats locaux qui sont tout puissants.
08:02Moi j'ai connu les présidents de départements, les présidents de régions qui étaient en
08:05même temps sénateurs et qui se comportaient comme des rois de laide dans leur département.
08:09Ne revenons pas à ça, c'est ça ce qu'on vous dit.
08:11Ah non, ne revenons pas à ça.
08:13Et j'entends Hervé Marseille qui dit des choses vraies en disant, c'est quand même
08:17étonnant qu'on ne puisse pas cumuler députés et maires mais on peut cumuler premiers ministres
08:21et maires.
08:22Dans ce cas-là, la bonne réponse ce n'est pas d'en finir avec le cumul des mandats
08:26pour permettre à tout le monde de tout cumuler, c'est effectivement de reposer sur la table.
08:29Est-ce qu'il est normal qu'on puisse cumuler premiers ministres et maires ? Moi ma réponse
08:32est non.
08:33Ça n'a pas été dit dans la loi, changeons la loi, mais approfondissons le non-cumul plutôt
08:38que de le liquider.
08:39Hervé Marseille, comment prenez-vous le sentiment des Français, très majoritairement hostiles
08:47au cumul des mandats et en même temps critiquant tout aussi durement la distance avec les élus ?
08:54C'est vrai que… C'est biocontradictoire.
08:58Vous avez raison.
08:59Quand on fait des sondages, et mon groupe en a fait un certain nombre, globalement les
09:03Français sont hostiles au retour au cumul des mandats.
09:06Mais en revanche, ils sont très fiers d'avoir un député-maire, localement.
09:10Pourquoi ? Parce que ça apporte quelque chose en plus.
09:14Plus de surface, c'est ça ? Plus de clientélisme ?
09:17Oui mais…
09:18Plus de clientélisme, c'est ça que ça veut dire ?
09:20Quand Laurence Rossignol dit les potentats locaux, il y a eu des potentats locaux.
09:25Monsieur Defer à Marseille, monsieur Gaudin, monsieur Collomb à Lyon.
09:29Oui mais c'était des contrepoids démocratiques à l'État central aussi.
09:33Il y avait du point de vue de la décentralisation, ils pesaient vis-à-vis de l'État central
09:39pour ne pas que les décisions se prennent seulement à Paris.
09:41Et ils ont obtenu en général pas mal de choses pour leur ville, des TGV, etc.
09:46Donc on peut être Jacobin à l'Assemblée et Girondin chez soi.
09:53C'est ça, c'est une synthèse en même temps que vous décrivez.
09:56Quand Thierry Marseille dit qu'ils ont obtenu plus de choses pour leur ville, des TGV par
10:02exemple.
10:03Qu'on regarde l'État de la France aujourd'hui, qu'on regarde, qu'on sait à quel point les
10:06problèmes d'accès aux transports sont des facteurs d'inégalité important et de repli
10:13dans des territoires.
10:14En fin de compte, ce qu'on propose avec le cumul des mandats, c'est de rétablir cette
10:18idée que selon si vous êtes puissant ou misérable, vous aurez des hôpitaux, des
10:22TGV.
10:23Ce n'est pas mon point de vue sur l'aménagement du territoire.
10:25Moi je veux de l'égalité et pas un aménagement du territoire qui soit dépendant de la capacité
10:31d'un territoire de se donner un super, super député ou super président de région.
10:35Ce n'est pas comme ça qu'on va régler les problèmes de la France aujourd'hui.
10:39Il semble que François Bayrou veuille avancer sur le sujet.
10:44Hervé Marseille, quelle serait selon vous la forme moderne d'un cumul des mandats ? Pour
10:53ne pas revenir au statut qu'ont hanté, mais peut-être inventer autre chose.
10:58Il faudrait quel niveau d'habitant par exemple dans les villes dont on pourrait être sénateur-maire
11:04ou député-maire ?
11:07Les curseurs, on peut toujours en discuter.
11:11Ce n'est pas un petit sujet.
11:13Non, mais je crois que globalement, c'est le problème de la représentation démocratique.
11:19Aujourd'hui, on a un sujet.
11:20Est-ce qu'il faut revenir à la proportionnelle ou pas ? Moi je pense que oui.
11:24On voit bien que dans la plupart des groupes politiques, globalement, il y a la volonté
11:29d'aller vers la proportionnelle.
11:30Laquelle ? C'est un autre sujet, parce que c'est très compliqué.
11:33La deuxième chose, c'est qu'il faut trouver des moyens intermédiaires d'intéresser les citoyens.
11:38On a tâtonné, on a fait des débats, des grands débats, des consultations citoyennes.
11:44Je crois que nous au Sénat, on a travaillé là-dessus, pouvoir avoir des initiatives
11:50référendaires locales, trouver les moyens de mieux associer les citoyens entre deux élections.
11:57Parce que c'est là le sujet.
11:58Vous avez des élections, et puis à un moment donné, que ce soit cumul ou pas cumul, que
12:04ce soit proportionnel ou pas, qu'est-ce qu'on fait avec les citoyens entre les élections ?
12:09Et ça, on n'a pas vraiment trouvé la bonne formule.
12:12Et je crois qu'il faut poursuivre le travail là-dessus, parce que c'est important.
12:16Les choses vont très vite, on voit bien les évolutions, on voyait ce qui s'est passé
12:20en six mois chez nous.
12:21Donc il faut pouvoir consulter le mieux.
12:23Vous dites que le cumul est juste un paramètre d'une réflexion beaucoup plus large.
12:27Laurence Rossignol, le mot de la fin.
12:29Écoutez, j'entends bien la question que vous posez.
12:32Est-ce qu'il faut aménager le cumul ? Alors d'abord, il faut effectivement prendre ce
12:36que Hervé Marseille appelle le cumul horizontal, c'est-à-dire qu'on peut être maire, président
12:41d'agglo, cumuler je ne sais combien de présidences, de syndicats, d'offices, voilà.
12:46Donc là, effectivement, il faut mettre de l'ordre.
12:49Ça, c'est la première remarque.
12:50La deuxième, c'est que quand même, le non-cumul, il a favorisé la parité.
12:54Et le fait de mettre fin au cumul, ça a complété les lois de 2000 sur la parité et ça a permis
13:01aux femmes de conquérir beaucoup plus d'espace dans le monde politique.
13:05Et c'est une des raisons pour lesquelles, in fine, je reste hostile au retour du cumul,
13:10parce que c'est défavorable aux femmes.
13:12Merci à tous les deux, Laurence Rossignol, sénatrice PS du Val-de-Marne, Hervé Marseille,
13:18sénateur des Hauts-de-Seine, intéressant débat sénatorial ce matin au micro d'Inter.
13:23On est comme ça au Sénat.
13:25Oui, merci infiniment.