Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10
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00:00 Néa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10
00:05 Débat à deux mois des élections européennes sur la dynamique qui semble porter les partis
00:10 d'extrême droite, donnés en tête des intentions de vote dans plusieurs pays de l'Union, dont
00:14 la France.
00:15 Qu'est-ce qui nourrit cette dynamique ? Est-elle résistible ou irrésistible dans
00:20 un scrutin qui se jouera peut-être plus ? Je vous poserai la question sur des enjeux
00:25 nationaux qu'européens.
00:27 Merci à Marc Lazare que je salue, bonjour, d'être là, professeur d'Histoire et de
00:33 Sociologie politique à Sciences Po.
00:35 Avec nous, Jérôme Jaffray, bonjour, politologue, chercheur associé au Cevipof.
00:40 Avant d'entrer dans le détail, notamment la dénomination « extrême droite », un
00:46 point sur la photographie européenne à l'instant T.
00:50 Comment décrire le paysage européen à la droite de la droite ? Je vais dire ça pour
00:54 commencer, pourquoi la dynamique politique semble être de ce côté de l'échiquier
01:00 en France, mais pas seulement Marc Lazare ?
01:03 Oui, incontestablement, toutes les élections nationales, ou presque, ont enregistré la
01:08 progression de ces formations.
01:10 Le « presque », c'est l'allusion bien sûr à la défaite de Droit et Justice qui
01:14 était au pouvoir en Pologne, et c'est l'échec de Vox en Espagne aux dernières élections.
01:18 Mais sinon, la tendance, effectivement, c'est à cette progression aux élections nationales.
01:22 Quand on voit toutes les enquêtes d'opinion dans la perspective des élections européennes,
01:26 on voit que ces formations, on verra peut-être tout à l'heure comment les désigner, sont
01:32 en relative ou même forte progression selon les pays.
01:35 Je crois qu'il y a plusieurs explications possibles.
01:38 D'une part, il y a la question du pouvoir d'achat, et un malaise social très profond,
01:43 beaucoup plus d'ailleurs que l'autre question, mais qui les porte aussi, ces formations.
01:47 C'est la question de l'immigration, ça c'est les deux points importants.
01:50 Il y a aussi la question d'un malaise par rapport à l'Europe, et puis d'une défiance
01:55 politique qui varie selon les pays.
01:58 Je crois que les principaux ingrédients, j'en ajoute un, qui a beaucoup de succès,
02:02 qui est un des éléments de la campagne de ces partis, c'est la contestation du pacte
02:05 vert.
02:06 Et donc des dispositions qui avaient été prises à l'initiative de la présidente
02:09 de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour lutter contre...
02:12 - Ça en a vu le monde, effectivement, et c'est devenu un sujet de privage.
02:15 - Y compris avec les mobilisations des paysans dans un certain nombre de pays.
02:18 C'est un sujet sur lequel d'ailleurs ces partis n'ont pas exactement toutes les mêmes sensibilités,
02:22 mais pour lequel ils critiquent vertement et durement ces dispositions, et ça rencontre
02:27 un certain écho.
02:28 - Sur cette dynamique, Jérôme Jaffray, le cœur du réacteur, ce qui l'anime, la nourrit,
02:34 c'est quoi selon vous ?
02:35 - Écoutez, d'abord c'est la défiance.
02:38 La défiance envers la politique, la défiance envers les gouvernements, la défiance envers
02:43 l'Union européenne, considérée comme une machine à éventuellement remettre en cause
02:48 les modes de vie.
02:49 La défiance des modes de vie est un point essentiel aujourd'hui, qui s'ajoute, si vous
02:54 voulez, l'immigration est considérée comme une mise en cause des modes de vie.
02:58 Le pacte vert dont parlait Marc Lazar, également une remise en cause des modes de vie.
03:03 La place de la voiture est un point essentiel.
03:05 Et donc nous avons ces éléments, l'Union européenne, ces élections européennes,
03:10 il faut bien comprendre que ça reste des élections largement nationales, parce que
03:15 déjà ce sont des listes nationales qui se présentent dans le cadre des élections européennes,
03:20 ce qui automatiquement nationalise les campagnes et pousse les listes à parler des intérêts
03:26 français en Europe, des intérêts allemands en Europe, etc. sans dépasser ces éléments.
03:31 Donc on a cette dynamique parce que tout ça s'entrecroise, défense des modes de vie,
03:39 réunion et défiance politique qui est maintenant très largement répandue.
03:43 Marc Lazar, est-ce que le mot "extrême droite" est le bon pour qualifier ces différents
03:47 mouvements à travers l'Europe ? Où sommes-nous face à quelque chose de différent, de nouveau
03:53 dans l'œuvre politique ? Vous parlez de droite nationale populiste ?
03:57 Oui, c'est l'expression qu'on a retenue pour une note qu'on va faire paraître dans
04:01 quelques temps par l'Institut Montaigne sur ces formations.
04:04 Je crois qu'il faut faire attention au mot.
04:06 Bien sûr, il y a une composante de l'extrême droite, mais quand on pense à l'extrême
04:09 droite, historiquement, c'est des partis antisystèmes, des partis qui veulent contester
04:14 radicalement l'organisation du système politique et qui parfois, d'ailleurs, n'hésitaient
04:20 pas dans le passé à utiliser la violence.
04:22 Alors attention, cette composante de l'extrême droite, on la retrouve dans beaucoup de partis,
04:26 incontestablement.
04:27 Et en même temps, ça s'accompagne de quelque chose qui mérite réflexion, c'est-à-dire
04:31 qu'il y a une forme d'adaptation au système politique et on peut peut-être utiliser l'expression
04:37 de droite radicale.
04:39 Ce qui est intéressant parce que ça permet de démontrer deux choses.
04:42 D'une part, qu'il y a une capacité d'absorption par les démocraties, les régimes démocratiques.
04:46 Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de danger venant de ces partis, mais il y a une
04:49 capacité d'absorption.
04:50 Et par rapport à ce que disait Jérôme Jaffray sur les questions européennes, ces formations
04:54 ont beaucoup évolué, ce qui prouve aussi qu'elles ne peuvent plus remettre en cause
04:58 complètement l'Union européenne.
04:59 C'est un point tout à fait important.
05:01 En Italie, il y a une expression très intéressante, c'est la "romanisation des barbares".
05:05 C'est une expression qui a beaucoup de succès.
05:07 C'est-à-dire que c'est l'idée que ces formations sont obligées justement d'être
05:12 acculturées en quelque sorte par les institutions et le fait aussi qu'une partie des électeurs,
05:19 Jérôme Jaffray rappelait effectivement la question de la critique de l'Europe, mais
05:21 en même temps une grande partie des électeurs européens souhaitent rester dans l'Europe
05:25 et notamment dans la zone euro.
05:27 Il faut bien comprendre que le débat européen, s'il se fait réellement pour le 9 juin,
05:33 il oppose quand même une utilisation nationaliste de l'Europe, l'acceptation de l'Union
05:38 européenne par l'extrême droite.
05:40 - A vous de vous maintenir le mot.
05:42 - Oui, parce qu'en terme politique, il est fondamental.
05:44 Si les scientifiques sont plus précis et nous disent des choses, etc., les politiques
05:50 me semble-t-il, si dans le débat politique on abandonne le terme d'extrême droite,
05:54 on bascule dans autre chose et on accepte qu'à ce moment-là la notion s'élargisse
05:59 dans le champ usuel de la politique, donc ça c'est pas un petit débat.
06:03 Et donc vous avez une utilisation nationaliste de l'Europe, c'est-à-dire au fond, et
06:08 d'ailleurs le schéma par exemple de Marine Le Pen c'est des politiques de coopération
06:13 entre les pays, et vous avez une Europe qui continue de se construire réellement par
06:17 des politiques communes.
06:18 Des politiques communes supposent à ce moment-là d'accepter des sacrifices, des efforts.
06:23 Tandis que si vous faites que la coopération entre sur les domaines que vous voulez, vous
06:26 n'acceptez de coopération que sur ce qui vous arrange, avec les pays qui vous arrangent,
06:31 et à ce moment-là il n'y a plus de construction européenne.
06:33 Et donc le débat du 9 juin, ça doit être éventuellement sur l'utilisation nationaliste
06:38 de l'Europe ou un vrai développement des politiques communes de l'Europe, et la question
06:42 va se poser par exemple sur les politiques de défense.
06:45 - Marc Lazare, oui un mot ?
06:46 - Oui, vous avez raison Jérôme Jaffray, mais en même temps on voit que, et c'est ça qui
06:50 est un élément important, c'est pour ça qu'on peut parler de résistible ascension,
06:54 parce que ces formations sont très divisées entre elles, et les prendre comme un bloc
06:57 unitaire justement ne permet pas...
07:00 - Je ne l'ai pas fait.
07:01 - Bien sûr que non, mais je précise votre pensée, ou en tout cas la mienne.
07:04 Et je pense que c'est important, d'abord il ne faut jamais oublier de dire à nos auditeurs
07:08 qu'il y a deux groupes qui rassemblent ces parties.
07:11 D'un côté il y a le parti, au niveau européen, du Parlement européen Identité et Démocratie,
07:15 dont elle appartient par exemple Marine Le Pen, en tout cas le futur élu Jordane Bardella
07:20 pour le Rassemblement National, et puis il y a le parti des conservateurs et réformistes
07:24 européens.
07:25 Et ils n'ont pas exactement le même type d'attitude par rapport à l'Europe.
07:28 - Et Georgia Meloni est dans le groupe du conservateur réformiste européen, beaucoup
07:33 plus accepté au sein du Parlement européen.
07:35 - D'une part, et d'autre part, ça n'empêche pas qu'elle souhaiterait recouvrer plus, comme
07:39 elle dit, de souveraineté nationale, même si on ne comprend pas exactement sur quoi
07:43 ça porterait, mais elle a des sensibilités différentes et j'en veux pour preuve qu'il
07:46 est en train de s'affirmer un combat des chefs féminins entre Marine Le Pen et Georgia
07:52 Meloni pour être les grandes figures de référence de ce camp des droites nationales populistes
07:56 tel que moi je l'exprime, en Europe.
07:58 Marine Le Pen a attaqué violemment Georgia Meloni récemment en disant "mais est-ce que
08:02 vous êtes pour maintenir Ursula von der Leyen comme présidente de la Commission européenne
08:06 parce que nous n'avons rien à faire avec ces gens-là ?"
08:08 - Et en même temps, si vous permettez, Marine Le Pen, le Rassemblement National est dans
08:14 le même groupe que l'AFD, que le parti d'extrême droite autrichien, que le parti d'extrême
08:19 droite bulgare, qui sont sur des positions les plus extrémistes de droite possible.
08:24 L'AFD, des représentants de l'AFD ont participé à une réunion sur la remigration
08:29 au départ de 2,5 millions soit d'immigrés en Allemagne, soit d'Allemands de fraîche
08:33 date.
08:34 Vous vous rendez compte de la position ?
08:36 Alors, le Rassemblement National a condamné cette position, mais on voit bien que là,
08:40 il y a un divorce là-dedans.
08:42 - Marc Lasar, vous rentrez d'Italie dont vous êtes un grand spécialiste, le quotidien
08:46 Libération consacré s'a une à l'Italie de Georgia Meloni.
08:50 Il y a quelques jours, un pays repris en main sur le plan médiatique, culturel, sur les
08:57 mœurs, c'est ce qui transparaissait de l'ensemble d'articles de Libération, mais qui montrait
09:03 patte blanche sur le plan international, qu'en est-il selon vous de l'Italie de Meloni ?
09:09 - Effectivement, il y a un double aspect.
09:11 D'un côté, au niveau européen, Georgia Meloni a réussi à avoir une crédibilité
09:14 européenne et internationale, elle a fait profil bas, elle ne parle plus du tout de
09:18 sortir de l'Europe, de renoncer à la monnaie unique, ce qui était ses positions dans le
09:22 passé.
09:23 Attention, encore une fois, elle a toujours cette idée, en fonction des résultats d'élection,
09:26 de pouvoir obtenir un peu plus de dimension nationale, comme le disait Jérôme Jaffray
09:31 dans les politiques européennes, mais au niveau intérieur, effectivement, elle est
09:34 dans une position très dure, très dure sur certains nombres de sujets.
09:38 Je ne suis pas tellement d'accord avec ce qu'a écrit Libération sur les mœurs,
09:42 mais surtout, c'est vrai qu'il y a une entreprise, littéralement, de mise sous
09:46 coupe de la télévision et de la radio publique, c'est réalisé, la raille est aux mains
09:51 des gens du frère d'Italie, c'est-à-dire le parti de Georgia Meloni.
09:53 Il y a une offensive culturelle extraordinairement puissante, c'est-à-dire placer tous ces
09:58 gens dans les grandes institutions culturelles, les opéras, les musées, tout avec l'idée
10:04 qu'il faut détruire ce qu'ils appellent l'hégémonie de la culture de gauche.
10:07 Et puis, il y a une grande réforme que veut avancer Georgia Meloni, là aussi en fonction
10:11 du résultat des élections européennes, puis c'est très compliqué en Italie de
10:14 faire cette réforme constitutionnelle, qui consisterait à faire élire au suffrage universel
10:19 le Premier ministre, le Président du Conseil, avec une loi électorale qui favoriserait
10:24 justement cette élection pour la présidence du Conseil.
10:28 Et là, il y a des tensions très fortes.
10:30 Nous ne sommes pas encore en Italie, je précise, à mon sens, dans une démocratie dite illibérale
10:36 comme on a connu en Hongrie.
10:37 Il y a des forces de résistance, d'une part la présidence de la République, d'autre
10:41 part une opposition, n'oublions jamais qu'en Italie, l'opposition c'est 50% à Georgia
10:45 Meloni, simplement l'opposition est divisée.
10:47 C'est le point central quand on examine la situation en France.
10:51 Le Rassemblement National espère faire 30% à ces élections européennes, avec le léger
10:56 inconvénient pour lui qu'étant donné systématiquement à plus de 30% à deux mois
11:00 du scrutin, si à l'arrivée c'est 27%, on va l'interroger le soir du scrutin sur
11:05 "vous n'êtes pas trop déçu de ce résultat, même s'il est en tête et assez largement".
11:09 Mais en France, pour gagner vraiment, il faut faire plus de 50% au second tour.
11:13 Il y a un second tour d'élection présidentielle où il faut rallier là la majorité absolue
11:18 des Français.
11:19 Et donc vous pouvez faire des 30% au premier tour si vous êtes isolé, si vous n'avez
11:23 pas d'alliés et si vous êtes face à un candidat acceptable à la fois par la gauche
11:28 réformiste, vous aviez François Hollande comme invité, et la droite modérée et le
11:33 centre, c'est une situation beaucoup plus difficile.
11:36 Dans les autres pays européens c'est des systèmes de coalition dans lesquels il faut
11:39 rentrer parce qu'on vote aux législatives à la proportionnelle et il faut s'entendre.
11:44 Et on a vu par exemple aux Pays-Bas la victoire de Gert Wilders qui est arrivée largement
11:48 en tête aux élections législatives mais finalement il n'accède pas au poste de
11:52 premier ministre et il ne rentrera peut-être même pas dans la coalition pour gouverner
11:56 le pays.
11:57 Avec le problème quand même que pour les électeurs, l'avoir placée en tête et ne
12:00 pas l'avoir au gouvernement, ça peut accentuer la défiance envers la politique.
12:04 Merci à tous les deux.
12:05 Marc Lazare, Jérôme Jaffray, c'était passionnant, on continuera à suivre ces européennes avec
12:11 vous si vous acceptez notre invitation bien entendu.