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Ce matin dans le débat du 7/10 : Les journalistes Birgit Holzer et Thomas Wieder parlent des législatives allemandes, dix jours avant le scrutin. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-jeudi-13-fevrier-2025-4796067

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00:00Débat ce matin sur l'Allemagne, à dix jours maintenant des élections qui font suite à l'explosion de la coalition que dirigeait le SPD Olaf Scholz.
00:10Face à lui, représentant la CDU, Friedrich Merz, donné favori dans les sondages.
00:16Sur quel thème se joue le scrutin ? Quelle place y occupe le parti d'extrême-droite AFD ?
00:22Comment expliquer que la légendaire économie allemande soit en panne pour la troisième année de suite ?
00:29On va en débattre avec Birgit Holzer, bonjour, vous êtes correspondante pour plusieurs titres de la presse régionale allemande.
00:37Et avec Thomas Wider, bonjour, journaliste au Monde, vous rentrez tout juste de Berlin où vous avez été correspondant de 2016 à 2024.
00:49Bienvenue au micro d'Inter. Un mot de comparaison peut-être pour commencer.
00:55Quand on voit la France, on a une petite idée de ce qu'est une crise politique.
01:00Pas de majorité, Assemblée nationale fracturée, les motions de censure qui s'enchaînent.
01:07Ce qui se passe en Allemagne, est-ce de même nature ou pas du tout ?
01:11C'est juste une coalition qui a explosé et des élections qui suivent. Thomas Wider.
01:16Alors je pense qu'il y a des éléments semblables et des éléments différents.
01:19Les éléments semblables, c'est qu'on voit bien qu'il y a un délitement un peu partout en Europe des partis traditionnels, un rejet des dirigeants.
01:27Et ça a frappé l'Allemagne comme ça a frappé la France.
01:31Là où c'est différent, c'est que malgré tout, la vie politique allemande, malgré la progression de l'extrême-droite dont on va parler,
01:38reste quand même structurée autour des grands partis traditionnels.
01:41Certes, ils ont baissé ces dernières années, mais en tous les cas, il n'y a pas de remise en cause fondamentale des deux grands partis
01:47que sont le SPD au centre-gauche et la CDU au centre-droite.
01:50Et la deuxième chose qui me paraît assez différente, c'est que malgré les remous que traverse l'Allemagne aujourd'hui,
01:56par exemple, vous n'avez pas de débat en Allemagne sur les institutions.
01:59Alors qu'aujourd'hui, évidemment, ça n'est pas nouveau, mais c'est encore plus fort aujourd'hui,
02:03en France, on débat d'une réforme de la Ve République, ce débat-là est absent en Allemagne.
02:07Donc, pas de fragmentation du paysage partisan et pas de remise en cause institutionnelle ?
02:12Non, effectivement. Après, quand on regarde les résultats de 2021, les dernières élections et les sondages d'aujourd'hui,
02:20on voit quand même un chamboulement, un changement.
02:22On voit un mécontentement avec la coalition qui a gouverné, la SPD, les Verts et les libéraux,
02:28parce que la SPD et les libéraux baissent énormément.
02:31Et on voit, effectivement, la percée de l'AFD qui pourrait, selon les sondages, doubler son score de 2021.
02:37Alors, on va venir à l'AFD, mais un mot d'abord sur les forces et les personnes en présence.
02:44Si on connaît maintenant bien Olaf Scholz, on connaît moins Friedrich Merz.
02:49Qui est-il ? Quel est son parcours ? A-t-il grandi dans l'ombre de Merkel ?
02:55Est-ce que ça lui a fait plaisir ? Thomas Wider, comment le présenter ?
02:59Alors, c'est vrai qu'en France, on connaît assez mal Friedrich Merz.
03:02Les Allemands le connaissent bien. On peut qualifier Friedrich Merz de revenant de la politique.
03:06C'est quelqu'un qui, au début des années 2000, se voyait candidat à la chancellerie.
03:10Il a été président du groupe parlementaire conservateur entre 2000 et 2002.
03:15Mais Angela Merkel lui a pris la place.
03:17Et ensuite, l'a en quelque sorte marginalisé, comme tant d'autres de la vie politique allemande.
03:22Il a d'ailleurs été tellement marginalisé qu'il est parti faire des affaires.
03:26Il a travaillé pour BlackRock, le grand gestionnaire d'actifs.
03:29Il a fait beaucoup, beaucoup d'argent.
03:30Et quand Angela Merkel, en 2018, a tiré sa révérence, il a été candidat à la présidence de la CDU.
03:36Il a perdu une première fois. Il a perdu une deuxième fois.
03:39Et c'est seulement au bout de la troisième, en 2022,
03:43trois mois après le départ de la chancellerie d'Angela Merkel, qu'il a enfin été président du parti.
03:47Donc, c'est un revenant, mais un revenant persévérant.
03:50On sait ce qu'il pense ?
03:54Qu'est-ce qu'il pense ? Alors, c'est quelqu'un qui représente surtout l'aile économique.
03:58Une fois, en fait, il est très connu pour dire, avec moi, vous allez faire une déclaration fiscale sur un bout de papier.
04:07Après, effectivement, aujourd'hui, il va plus vers les sujets migration, sécuritaire.
04:17C'est devenu un sujet de campagne alors qu'il était d'abord plutôt sur l'économie,
04:22parce que c'est ça, quand même, le problème numéro un de l'Allemagne.
04:28Soutenir plus l'industrie allemande.
04:31Mais il se démarque aussi beaucoup de Merkel, effectivement.
04:34Donc, c'est vraiment une relation pas très chaleureuse.
04:37Et elle, d'ailleurs, lors d'un débat, elle a refusé de dire clairement qu'elle allait voter pour lui
04:44et pas, par exemple, pour le candidat des Verts, Robert Habeck.
04:48Pour compléter ce que vient de dire Birgit, Merkel, c'est un conservateur, beaucoup plus qu'Angela Merkel.
04:54Mais c'était effectivement, au départ, un libéral.
04:56Il faut se souvenir que le titre du livre qu'il avait publié, je crois que c'était en 2008,
05:01« Oser plus de capitalisme ». C'est tout un programme.
05:04Effectivement.
05:05Alors, atmosphère de la campagne jusque-là, tendue, sereine ?
05:12Elle est devenue tendue, notamment ces dernières semaines où il s'était beaucoup question de cordon sanitaire.
05:18Est-ce qu'il va se fissurer ? Est-ce qu'il va tenir ?
05:21Il y a eu des attentats ces dernières semaines ou ces derniers mois.
05:24Il y en a eu deux.
05:25Et donc, sous cette ambiance déjà pas très rose, ces derniers mois ou même ces dernières années,
05:31où l'Allemagne, qui était très prospère depuis très longtemps,
05:35qui, voilà, on avait l'impression que tout va bien,
05:37on a plutôt regardé les autres pays européens un peu s'enfoncer dans la crise parfois,
05:42crise politique, crise de confiance.
05:44J'avais moins senti ça en Allemagne.
05:46Et là, c'est devenu plus d'inquiétude, plus, oui, des débats, plus houleux.
05:53Et effectivement, avec deux votes en une semaine,
05:56où Friedrich Merz, justement, a compté sur les voix de l'extrême droite.
06:01Pour moi, c'était un tournant dans la campagne,
06:05parce que l'AFD a encore pris beaucoup plus de place.
06:10Et surtout, la question, comment se positionner contre une extrême droite qui monte aujourd'hui en Allemagne ?
06:16Voilà, les intentions de vote, je le disais.
06:19CEDEU en tête, SPD en troisième position,
06:23et au milieu, l'extrême droite, l'AFD, à 20% environ.
06:28Comment expliquez-vous, Thomas Vidère, la puissance du parti d'extrême droite, sa dynamique ?
06:35Alors d'abord, il faut rappeler que l'AFD a été créé en 2013.
06:38C'est un parti récent.
06:39Il a commencé à prospérer sur la scène politique allemande
06:42à la faveur de la crise des réfugiés, 2015-2016.
06:46En 2017, il est entré au Bundestag, pour la première fois,
06:49avec une centaine de députés, 12% des voix.
06:52Ensuite, il a un petit peu reculé aux élections de 2021, 10%.
06:55Et son ascension, sa nouvelle ascension dans les sondages, date de l'année 2023.
07:002023, c'est un an après le début de la guerre en Ukraine.
07:03C'est le moment où les effets de la guerre se font sentir,
07:06à la fois sur l'économie allemande, sur le pouvoir d'achat des Allemands.
07:09Et là, il y a une forte montée de l'AFD.
07:11Ensuite, il stagne un peu.
07:12Vous vous souvenez peut-être de la fameuse réunion de Potsdam, il y a un an et demi,
07:16où on a parlé de rémigration.
07:17Il y a une forte mobilisation de la société civile allemande.
07:20Donc, l'AFD a connu quelques difficultés en 2024.
07:24Et puis ensuite, comme l'évoquait Birgit,
07:26il y a eu des attentats, une série d'attaques au couteau,
07:28depuis le mois de septembre, à Solingen, à Magdeburg, à Aschaffenburg,
07:33qui ont jalonné l'actualité allemande ces derniers temps.
07:37Et évidemment, ce genre de faits divers et du carburant pour l'AFD.
07:40J'ajouterais un dernier point, qui à mon avis n'est pas négligeable,
07:43c'est le soutien affiché par Elon Musk, l'homme le plus riche du monde,
07:46aujourd'hui membre de l'administration américaine, en faveur de l'AFD.
07:49Je pense que ça joue en faveur, en termes de légitimation, de crédibilité
07:55et d'exposition médiatique de l'AFD, pour Alice Weidel, sa candidate, c'est du pain béni.
08:00Merci Elon Musk.
08:02Merci Elon Musk, merci Victor Orban, merci à tous ceux qui parlent effectivement de l'AFD
08:07et qui la rendent effectivement très très visible.
08:10Il y a eu un débat télévisé entre Olaf Scholz, le chancelier, et Friedrich Merz,
08:14il y a quelques jours, qui a duré une heure et demie,
08:16donc c'est très très court par rapport à ce qu'on voit en France.
08:19Et pendant la première demi-heure, on n'a parlé que de migration et du courant sanitaire.
08:24Donc l'AFD n'était pas présente sur le plateau, mais on en parle énormément.
08:29Donc il y a une visibilité et je pense que ça rend pour beaucoup le choix, le vote AFD possible.
08:35Ce qui ne l'était pas, simplement parce qu'il est très visible,
08:38parce qu'il représente aussi une alternative, parce qu'il y a un ras-le-bol,
08:43un mécontentement avec le personnel politique global.
08:47Et donc il y a un peu ce côté de nouveauté d'Alice Weidel et de son parti.
08:53Thomas Havider, vous nous disiez en préparant cette émission
08:57qu'à la différence du Rassemblement National, la dynamique de l'AFD
09:02n'est pas fondée sur la dédiabolisation, mais sur la reradicalisation.
09:08Oui, c'est extrêmement frappant.
09:11L'AFD a prospéré ces dernières années au fur et à mesure qu'elle se radicalisait.
09:17Les plus radicaux du parti ont chassé les plus modérés.
09:21Et aujourd'hui, c'est vraiment l'aile la plus radicale qui gouverne.
09:24Et par exemple, quand vous voyez que le principal dirigeant de l'aile radicale de l'AFD,
09:29qui s'appelle Björn Höcke, en Thuringie, un land d'Allemagne de l'Est,
09:33a été condamné l'année dernière par les tribunaux pour avoir utilisé le slogan
09:37« Deutschland für Alles, l'Allemagne pour tous »
09:41« Alles für Deutschland », qui était un slogan des SA hitlériennes.
09:45Malgré cela, malgré cette condamnation, l'AFD, dans sa région,
09:49a obtenu plus de 30% des voix aux dernières élections régionales.
09:52Donc il y a une prime à la radicalité, même ?
09:55Peut-être que s'il était un peu moins radical, il le ferait encore plus.
09:58La radicalité ne l'a pas desservi jusqu'à présent.
10:00Alors, le fameux cordon sanitaire, le 29 janvier,
10:04la CDU a voté avec l'AFD une motion sur l'immigration,
10:08mettant, je vous pose la question, fin de fête à ce fameux cordon sanitaire
10:15qui interdit aux partis de se rapprocher, de travailler avec l'extrême droite ?
10:22Alors, Friedrich Merz lui-même avait dit quelques mois avant
10:25qu'il n'allait jamais compter sur des voix de l'extrême droite.
10:30Et là, il a rompu sa promesse.
10:32Donc oui, c'est la première fois qu'on a fait volontairement un vote avec l'extrême droite.
10:38Il y a eu énormément de manifestations en Allemagne,
10:40et c'est ça aussi qui marque ces dernières semaines.
10:43Je pense qu'il y a une partie de la population voit le problème,
10:46voit le problème justement parce que ce parti est tellement radical,
10:49joue avec, fait des allusions à l'époque nazie, clairement, délibérément.
10:56Et donc c'est quelque chose qui bouleverse beaucoup le pays.
11:00Donc on est demandé de se positionner.
11:03Est-ce qu'on accepte ça ? On accepte des voix de l'extrême droite ?
11:08On ne va pas forcément déjà travailler avec eux, mais c'est une forme de travail avec eux.
11:13Et ça, oui, c'est un tournant, je pense, pour l'Allemagne.
11:17Thomas Wider, travailler avec l'extrême droite selon le modèle autrichien
11:24d'une alliance électorale entre la droite traditionnelle et l'extrême droite,
11:28c'est impensable en Allemagne ?
11:31Alors c'est impensable y compris pour beaucoup au sein de la CDU.
11:34Il faut dire que le geste qu'a fait Merz la semaine dernière
11:38ne fait pas l'unanimité au sein de son parti.
11:40En ce moment, il y a une certaine discipline qui prévaut parce que les élections sont dans dix jours
11:44et chacun sait qu'il n'a pas intérêt à créer de la division.
11:47Mais en tout cas, ça ne va pas de soi.
11:49Il faut remarquer quand même que pas plus tard qu'hier,
11:52les négociations de coalition ont échoué en Autriche
11:54entre le FPE, le parti d'extrême droite et le FAOP, le parti conservateur.
11:59Et ça, c'est plutôt un mauvais signe.
12:01Si elles avaient abouti, ça aurait été du pain béni pour ceux qui prônent le même type d'alliance en Allemagne.
12:07Je pense qu'on est loin d'une coopération au niveau fédéral.
12:11Mais il faut dire que ce à quoi on a assisté la semaine dernière n'est pas totalement nouveau en Allemagne.
12:15Au niveau communal et au niveau régional, déjà depuis trois, quatre ans,
12:19il y a des rapprochements entre la droite et l'extrême droite,
12:21notamment dans l'est du pays où l'extrême droite est extrêmement forte.
12:25Et donc ce cordon sanitaire avait déjà sauté au niveau local.
12:29L'Allemagne est en récession pour la troisième année consécutive.
12:33Hausses du chômage, de grands groupes comme Volkswagen, Bayer, BASF, Bosch
12:39des plans de réduction du coût des fermetures d'usines.
12:43Comment cette dégradation de la situation économique pourrait se traduire dans les urnes, Birgit Holzer ?
12:50Justement avec un vote pour les extrêmes, l'extrême droite.
12:53Il y a aussi une autre partie d'extrême gauche, Bündnis Sarah Wagenknecht,
12:56qui ne va peut-être pas avoir les 5% qu'il lui faut pour rentrer au Bundestag,
13:01mais qui a quand même un certain pourcentage.
13:03Donc effectivement, oui, un sentiment de morosité globale qui est là.
13:09Beaucoup d'électeurs, du coup, donnent la faute au gouvernement précédent,
13:14alors qu'il y avait effectivement eu la guerre en Ukraine, avec toutes les conséquences.
13:18Et aussi plus globalement, le modèle allemand, un peu avec les trois piliers importants mis en question,
13:25donc les trois piliers gaz russe pas cher, exportation, notamment en Chine,
13:31qui maintenant produit beaucoup elle-même.
13:33Et de toute façon, le commerce mondial est un peu au ralenti,
13:37ce qui fait énormément ressentir en Allemagne.
13:40Et puis troisièmement, la sécurité assurée par les États-Unis,
13:43ce qui n'est plus du tout assuré aujourd'hui.
13:46Donald Trump, Thomas Wider, ça fait peur aux Allemands,
13:52notamment si on pense à l'industrie automobile ?
13:56Ça fait peur aux Allemands. Il faut dire que Donald Trump avait déjà fait peur aux Allemands lors de son premier mandat,
14:01entre 2017 et 2021.
14:03Les relations avec Angela Merkel, à l'époque, étaient glaciales.
14:07A la fois, il fait peur aux Allemands, et en même temps, c'est peut-être quelque chose qu'on ne voit pas trop ici,
14:12mais on remarque une forme de trumpisation du débat politique en Allemagne dans certaines franges.
14:18On voit par exemple que l'ancien ministre libéral des Finances, Christian Lindner,
14:23qui a quitté la coalition il y a trois mois, a dit dans une déclaration il y a quelques semaines
14:27qu'il faudrait plus de Millet et de Trump et de Musk dans la vie politique allemande.
14:33Donc c'est un signe que, dans une certaine frange de la droite libertarienne allemande,
14:38le modèle trumpiste commence à semer des graines.
14:42Merci à tous les deux. Thomas Wider, journaliste au Monde,
14:45Birgit Holzer, correspondante pour plusieurs titres de la presse régionale allemande,
14:51merci pour ce débat passionnant.

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