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Sylvie Kauffmann et Gilles Gressani sont les invités du débat de ce jour.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00Partons ce matin d'une citation extraite du livre collectif Portrait d'un monde cassé,
00:07édité par la revue Le Grand Continent et Gallimard, je cite « à l'élection la plus suivie
00:12cette année en Europe, les Européens n'ont pas le droit de vote, quelques dizaines de
00:18milliers d'électeurs de Pennsylvanie pèsent davantage sur les destinés du continent européen
00:24que les 427 millions appelés à renouveler le Parlement européen ». Fin de citation.
00:31Eh bien ça y est, les électeurs de Pennsylvanie vont bientôt se rendre aux urnes et l'Europe
00:37attend, médusée ou angoissée, le résultat de la présidentielle américaine.
00:43Trump, Harris, à quoi pourrait ressembler la relation transatlantique avec la ou le
00:48prochain président américain ? On pose la question à Sylvie Kauffman, bonjour, éditorialiste
00:54au quotidien, le monde spécialiste évidemment des questions internationales, et à Gilles
00:59Gressani, bonjour, directeur de la revue géopolitique que je viens de citer, Le Grand Continent.
01:06Merci d'être à ce micro, allez, j'ajoute une autre citation pour la route, là c'est
01:13l'ancien commissaire européen, Thierry Breton, qui disait ce week-end dans la tribune dimanche
01:18que « nous, Européens, ne sommes plus une priorité pour les États-Unis ». Kamala
01:23Harris n'a pas évoqué une seule fois l'Europe pendant sa campagne, quant à Trump, il en
01:27parle en termes peu amènes.
01:30Pour les deux candidats, l'Europe n'est plus qu'une puissance régionale.
01:34Les deux candidats ont-ils forcément tort, Sylvie Kauffman ?
01:39Alors, l'Europe n'est plus qu'une puissance régionale, moi j'aimerais qu'elle soit
01:42déjà une puissance tout court.
01:44Ah oui, c'est pire encore ! La question, évidemment, est posée avec plus d'acuité
01:51quand on attend le résultat de cette élection américaine, et c'est vrai qu'il concerne
01:57le monde entier alors que seuls les Américains votent.
02:00Moi, je dirais que cette élection pose trois défis, en fait, ou des défis de trois catégories
02:07à l'Europe, la défense et la sécurité, bien sûr, dans le domaine économique ensuite
02:13et puis sur l'avenir de la démocratie.
02:16Donc, sur ces trois volets, on est évidemment très, très concernés.
02:22Enfin, c'est existentiel, ce que vous êtes en train de décrire.
02:25Oui, oui, c'est existentiel et je crois que quel que soit le résultat, les Européens
02:29sont un peu dans une forme de déni, c'est-à-dire qu'ils ne veulent pas se rendre, ils ne veulent
02:35pas réaliser, alors qu'on en parle depuis des années, c'est pas la première campagne
02:40présidentielle américaine qui nous pose ce genre de questions, mais on est dans une
02:44forme de déni sur la redéfinition des priorités de la politique étrangère américaine.
02:50On parle de ce pivot vers l'Asie depuis Obama, en fait, et on a beaucoup de mal en Europe
02:57à accepter les conséquences de cette réorientation.
03:00Et donc, je crois qu'évidemment, on est tous focalisés sur Trump parce que c'est
03:05la menace la plus visible, la plus terrible, d'une certaine manière.
03:10Mais si Kamala Harris gagne, il faut aussi faire, l'Amérique a changé, le monde a
03:15changé surtout, et donc la situation sera différente pour l'Europe et l'Europe, je
03:20le crains, n'est pas prête.
03:22Gilles Gressani, vous partagez cette analyse d'une Europe pas prête et qui n'a pas fait
03:27en quelque sorte la mise à jour de ce qu'elle devait être, allez, on va le dire rapidement
03:33depuis la fin de la guerre froide.
03:34Oui, disons qu'il y a effectivement un sujet qui à mon avis devient absolument structurel
03:39et très évident avec cette élection, c'est que la relation entre les Atlantiques n'est
03:44plus portée d'une manière égalitaire des deux fronts de l'Atlantique.
03:48En gros, un contre-courant par rapport à ce qui a été présenté par le Président
03:53Biden, qui avait des liens historiques avec l'Irlande, qui avait joué toute sa carrière
03:56politique dans une relation avec l'Europe.
03:58Ici, on se retrouve avec deux candidats, l'un a considéré et considère que l'Union
04:03Européenne est un peu son, un de ses principaux adversaires, c'est Donald Trump, qui c'est
04:08assez remarquable, d'ailleurs on voit vraiment dans l'Union Européenne, plus qu'un simple
04:12partenaire, vraiment c'est un adversaire systémique, presque un rival systémique,
04:16et de l'autre côté Kamala Harris qui n'a pas vraiment l'Europe dans son radar.
04:21Donc, quelque part on est forcé à penser ça, et quelque part c'est un peu paradoxal
04:26parce que c'est vrai qu'on a interprété 2016 et l'élection de Donald Trump beaucoup
04:31comme une parenthèse, quelque part Biden nous a aidé à penser de cette manière là,
04:37mais au fond, quand on regarde fondamentalement ce qui s'est passé avec Biden, le bidenisme,
04:40on peut peut-être utiliser cet isme puisque désormais c'est une ère passée, au fond,
04:45est-ce que le bidenisme était autre chose qu'un trumpisme pour un télo, qu'un trumpisme
04:51à visage humain qui essayait de mettre autour de la table ? En tout cas, au moins, quand
04:57on regarde d'un point de vue géopolitique, du point fondamental, c'est-à-dire la rupture
05:03du rythme de la mondialisation, pour un objectif sécurité stratégique, c'est-à-dire la
05:08rivalité systémique de plus en plus intense vis-à-vis de la Chine, en fait, si on regarde...
05:12Oui, c'est-à-dire, s'il n'y avait pas eu l'Ukraine, les Etats-Unis ne revenaient pas
05:16en Europe, c'est ça ? Et même avec l'Ukraine, ils sont revenus en Europe, mais sans vraiment
05:23en faire une priorité stratégique, c'est d'une manière un peu réactive plus que d'une
05:26manière proactive, et c'est là qu'on voit une chose essentielle, à mon avis, il y a
05:29une vraie continuité entre Biden et Trump, les deux sont en train de, d'une manière
05:34très différente, avec un style différent, démanteler l'ordre sorti de la première
05:39guerre froide, de la mondialisation, dont l'Union Européenne est la fille aînée,
05:44et ainsi faisant, au fond, on nous pose une question qui, elle, est totalement existentielle.
05:48Est-ce qu'on peut changer de système ? Est-ce qu'on peut changer de cas par le gardant,
05:53quelque part ? Il semble que Kamala Harris soit plus respectueuse
05:57des alliances anciennes, même si vous dites, Sylvie Kaufman, qu'elle n'est pas du monde
06:03de la guerre froide, qu'elle est de la côte ouest, de la Californie, ça change quoi,
06:08ça ? Oui, c'est vrai que la foi de Kamala Harris,
06:13ça c'est la continuité avec Biden, dans les alliances, c'est quelque chose qui la
06:16distingue très clairement de Donald Trump, donc on sait qu'avec elle, l'OTAN ne sera
06:23pas menacée, la présence américaine en Europe ne sera pas menacée, et les relations
06:28seront plus cordiales et plus civilisées.
06:31Mais si vous voulez, je pense que, alors qu'avec Trump, tous les scénarios sont possibles,
06:38la fin de l'aide militaire et financière à l'Ukraine, ce qui posera un problème absolument
06:44énorme à l'Europe, on peut peut-être y revenir, mais la continuité, si vous voulez,
06:50du bidenisme, pour reprendre l'expression de Gilles, ou des démocrates d'aujourd'hui,
06:57avec le trumpisme, est très claire, par exemple dans le domaine commercial et économique.
07:01Biden a gardé l'essentiel des droits de douane qu'avait imposé Trump dans son mandat,
07:09et il en a même renforcé certains, il a imposé des droits de douane de 100% sur les
07:14véhicules électriques chinois, ce qui explique en partie que le marché
07:19européen aujourd'hui soit inondé de ces véhicules chinois, et donc on peut imaginer
07:25la même chose d'ailleurs, si Trump revient au pouvoir, il va à nouveau augmenter les
07:30droits de douane sur d'autres séries de produits, et les conséquences pour l'Europe
07:35seront à nouveau très mauvaises.
07:37Mais donc, on a en effet, je pense, si vous voulez, on peut résumer ça un peu de deux
07:42formules, c'est-à-dire que pour Trump c'est « America First », et pour Biden et Kamala
07:47Harris c'est « Buy American », et donc on est dans les deux cas de figure dans un
07:53repositionnement des Etats-Unis vers eux-mêmes, protectionnistes, ouvertement protectionnistes
07:59et auxquels l'Europe doit vraiment faire face.
08:01Et leur plan massif, le plan Biden, massif d'investissement, n'était pas un geste
08:10d'amitié à l'égard de l'économie européenne, Gilles Grissani ?
08:15C'est le moins qu'on puisse dire, et c'est pour ça qu'il y a ce point qui est stratégique.
08:22Et au fond, c'est intéressant, parce que l'IRA c'est aussi une manière de prendre
08:25en compte une contrainte écologique, donc c'est quand même quelque chose qui sera
08:29sans doute remis en question par Donald Trump, c'est un des points sur lesquels il y aura
08:32vraiment une divergence, si jamais il est élu, l'accord de Paris sera à nouveau remis
08:38en question.
08:39A mon avis, il y a un point qui est assez structurant dans la proposition Trump, aujourd'hui
08:43on parle beaucoup, on essaie de comprendre à quoi ça ressemblera une présidence Trump,
08:47et on regarde beaucoup les personnes qui sont autour de lui.
08:49Et à mon avis, la relation qu'il y a entre Trump et les trumpistes, c'est un peu la
08:54relation qu'il y a entre un réquin et les poissons-pilotes.
08:56En fait, on aime bien regarder les poissons-pilotes pour essayer de voir dans quelle direction
09:03ira le réquin, mais à tout moment le réquin peut décider d'en manger un ou de changer
09:06de direction.
09:07Et c'est quelque chose d'assez important pour comprendre la séquence dans laquelle
09:10nous sommes.
09:11Au fond, on ne sait pas vraiment quelle sera la position du président éventuel Trump
09:18sur les grands dossiers géostratégiques et géopolitiques.
09:20Il en a parlé de façon très confuse, autour de lui, J.D.
09:23Vance notamment a donné des formes beaucoup plus précises, mais est-ce que vraiment il
09:27y aura une convergence idéologique et une capacité de gouvernement commune entre le
09:32vice-président et le président ?
09:33On peut se poser la question.
09:34Si on regarde le premier mandat, il y a une différence fondamentale avec un éventuel
09:39deuxième mandat, c'est qu'il est beaucoup plus seul, il y a beaucoup moins de personnalités
09:44du parti républicain, de personnalités qui ont la technique administrative et politique
09:47pour accomplir l'action, mettre en œuvre l'action du président des Etats-Unis.
09:51Et donc, on risque de se retrouver avec un président sans doute qui serait le plus vieux
09:55président des Etats-Unis.
09:56On voit, il y a des éléments de sénilité qui apparaissent, de plus en plus incontrôlables,
10:02de plus en plus isolés aussi, qui se retrouveraient au cœur d'une machine qui, elle, est très
10:07fortement structurée à une position anti-chinoise.
10:10Et donc, c'est là aussi que des fronts nouveaux pourraient être ouverts.
10:14C'est peut-être aussi pour ça que le parti communiste chinois probablement souhaite
10:17la victoire de Donald Trump, parce que c'est une des seules choses qu'il lui reste pour
10:21imaginer de pouvoir suspendre la pression que les Etats-Unis sont en train de porter
10:25sur la Chine en ce moment.
10:26Sait-on, Sylvie Kauffman, quels seraient les interlocuteurs de Trump en Europe ?
10:32Oui, ça, c'est une très bonne question, parce qu'on peut imaginer qu'il y aura une
10:37petite course à la Maison-Blanche s'il est élu.
10:39Je crois que le premier qui coiffera tout le monde au poteau, c'est Viktor Orban, évidemment,
10:44le premier ministre hongrois qui a déjà rendu visite à Trump à Mar-a-Lago, en Floride,
10:50chez lui.
10:51Et c'est intéressant parce que pendant le mandat de… je préfère dire le mandat que
10:55le premier mandat de Trump, parce qu'on n'est pas sûr, heureusement, qu'il y aura un deuxième.
11:01Mais donc, quand Trump était à la Maison-Blanche, Viktor Orban n'était pas tellement en cours
11:06et il n'a pas été reçu à la Maison-Blanche.
11:08Donc maintenant, ça, c'est une évolution très visible et inquiétante.
11:12Maintenant, Viktor Orban est vraiment un interlocuteur privilégié de Trump en Europe.
11:18Ensuite, on peut imaginer que Giorgia Meloni, la première ministre italienne, cherchera
11:25à avoir un lien privilégié.
11:27Mais elle, elle est quand même assez loyale vis-à-vis de l'OTAN, contrairement à Orban.
11:32Donc, elle aura un jeu plus compliqué.
11:33On voit qu'elle est déjà en train de nouer des liens avec Elon Musk, donc elle se dirige
11:40sur ce chemin.
11:41– Le but, c'est de fissurer l'Union Européenne ?
11:43– Oui, c'est ce qu'il a voulu faire de 2016 à 2020, c'était un rôle de division
11:50vis-à-vis de l'Union Européenne.
11:52Il déteste l'Union Européenne, il la méprise et donc il cherche à bilatéraliser, à avoir
11:57des relations bilatérales avec les chefs d'État et de gouvernement.
12:01– Il y a quelqu'un qui devrait jouer un rôle positif, on espère, si Trump est élu,
12:07c'est Mark Rutte, le nouveau secrétaire général de l'OTAN, donc né irlandais,
12:11qui lui est un vrai démocrate et qui est une personnalité assez forte, donc qui pourrait
12:17essayer d'établir un dialogue avec Trump, mais évidemment, il ne représente plus l'Union
12:22Européenne.
12:23– Gilles Grissani, sur les interlocuteurs potentiels de Trump en Europe.
12:28– C'est très évident qu'Orban a joué une espèce d'all-in pour parler avec une
12:31métaphore de poker, il a tout misé sur Trump, et depuis longtemps d'ailleurs.
12:35C'était l'un des seuls qui niaisait sur la possibilité d'une réélection, il a organisé
12:41à Hongrie le grand meeting des conservateurs, il est très présent aujourd'hui justement
12:45dans la communauté des trumpistes et son analyse répond un peu à ce qu'on disait
12:49tout à l'heure, au fond, ce qui est très important pour avoir de l'influence et de
12:53l'impact dans l'administration Trump, si jamais il est réélu, c'est d'avoir un
12:55accès direct au président.
12:57C'est beaucoup plus important que tout le reste, parce que c'est au fond le seul qui
13:00peut décider, et donc avoir une relation personnelle et directe, c'est la seule manière
13:04pour pouvoir de l'influence.
13:05Il est aujourd'hui, on le sait, il a la présidence tournante du Conseil de l'Union
13:11Européenne, et la devise de sa présidence hongroise c'est « make Europe great again ».
13:16Donc en fait il surjoue ces dimensions de convergence.
13:19Sur la question effectivement de Mélanie, je pense que c'est intéressant, il y a deux
13:26points de distinction très rapides.
13:27Le premier, c'est que quand on regarde les dynamiques électorales, il y a un sondage
13:32très intéressant qu'on a publié dans la revue, où on a posé la question à 40 000
13:36Européens, entre Trump et Harris, qui est-ce que vous allez voter ? Et le seul pays dans
13:42lequel, d'une façon très forte, la préférence va à Trump, c'est l'Hongrie.
13:46On a 37 points d'écart entre Harris et Trump.
13:49L'Italie, et quand on regarde d'une façon encore plus granulaire, même chez Fratelli
13:53d'Italie, donc le parti de Mélanie, en réalité la préférence continue à aller
13:57vers Harris.
13:58Par ailleurs, je finis sur ce point-là, il y a toujours une conséquence inattendue,
14:03c'est que les courants d'air du palais Kiji, donc le palais dans lequel se trouve
14:06le président du conseil, font tomber malade très vite quand le vent change à Washington.
14:11Et donc on se pose la question pour la tenue du gouvernement Mélanie, et même ce qui
14:16s'est produit dans le passé.
14:17Merci à tous les deux, Gilles Gressani, directeur de la revue Le Grand Continent.
14:22Merci Sylvie Kauffman, éditorialiste quotidien Le Monde, il est 9h23.

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