• il y a 11 mois
À 9h05, les débatteurs du jour sont : Sylvie Kauffmann et Gérard Araud. Au menu aujourd'hui : Peut-on négocier avec Poutine ? Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mardi-09-janvier-2024-5625216

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00:00 Débat ce matin alors que la guerre d'Ukraine s'enlise, que les bombardements russes s'intensifient sur le pays,
00:06 alors que des voix posent la question « faut-il négocier avec Vladimir Poutine ? ».
00:11 « Ce serait tomber dans un piège, dites-vous, Sylvie Kaufmann, dans une chronique argumentée que vous avez publiée dans Le Monde,
00:17 chronique qui vous a fait bondir, Gérard Harraud, vous vous êtes dit effaré qu'on ne puisse négocier avec Poutine. »
00:24 On a donc eu envie de vous entendre plus longuement débattre sur le sujet, Sylvie Kaufmann.
00:29 Je rappelle que vous êtes éditorialiste internationale au Monde, auteur récemment des Aveuglés,
00:35 comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie, publié chez Stock.
00:40 Gérard Harraud, je rappelle que vous fûtes ambassadeur de France aux Etats-Unis et représentant de la France à l'ONU.
00:48 Bonjour à tous les deux. Merci d'être là.
00:51 Commençons par votre chronique, Sylvie Kaufmann, qui a donc énervé légèrement, agacé son excellence, Gérard Harraud.
00:58 Sylvie Kaufmann, vous revenez dans cette chronique sur ces voix insistantes qui viennent notamment des Etats-Unis, de Washington,
01:02 et qui disent en substance « l'Ukraine ne peut pas gagner la guerre, les forces sont trop disproportionnées,
01:07 il faudrait donc ouvrir, commencer à ouvrir des négociations avec Poutine. »
01:11 Or, dites-vous, c'est une erreur, c'est même un piège, car je vous cite « la guerre hybride ne connaît pas la paix,
01:15 pas plus que Poutine ne connaît la bonne foi ». Expliquez-nous.
01:19 Alors, ces voix dont vous parlez et que j'ai citées dans cette chronique qui viennent des Etats-Unis disent,
01:28 et c'était notamment expliqué dans un article du New York Times, que Poutine fait passer des messages en ce moment par des intermédiaires,
01:38 selon lesquels, malgré son triomphalisme de façade, parce qu'il est en train d'imposer un narratif, un récit,
01:45 selon lequel la Russie est en train de gagner cette guerre, il serait en réalité prêt à ouvrir des négociations pour un cessez-le-feu.
01:54 Et moi je dis que c'est un piège, parce que si on regarde le parcours de Vladimir Poutine,
02:00 et on a de quoi regarder en plein espace, par l'expérience, ça va faire bientôt un quart de siècle qu'il est au pouvoir,
02:09 il est arrivé en 2000 au pouvoir, et donc les multiples épisodes auxquels les Occidentaux ont été confrontés avec Poutine
02:17 montrent que chaque fois qu'il se met en position de négocier, nous les Occidentaux, on marche dans son mécanisme,
02:27 on entre dans sa logique, parce que nous sommes un univers fondé sur l'état de droit, sur la règle de droit,
02:35 et on considère qu'une négociation c'est pour aboutir à la paix. Et lui finalement, une négociation c'est pour gagner une guerre,
02:43 c'est pas nécessairement pour arriver à la paix, c'est pour avancer, c'est pour obtenir ses objectifs.
02:49 Alors évidemment les diplomates diront que les négociations se font entre eux.
02:54 - Gérard, vous avez réagi, je cite un de vos tweets, "je suis proprement effaré par l'affirmation qu'on ne peut pas négocier avec Poutine".
03:02 Alors vous faites quoi ? Vous attendez son suicide dans les ruines du Kremlin ? Vous planifiez une guerre de 30 ans ?
03:08 A part la négociation, c'est la seule alternative qui reste. Mais sur le fond de ce que dit Sylvie Kaufman,
03:14 est-ce que la guerre hybride se règle par des négociations en paix à l'ancienne ?
03:18 - Alors d'abord, je pense qu'on sera d'accord sur le fait que, personnellement, je pense qu'aujourd'hui, Poutine n'a aucun intérêt à négocier.
03:26 Parce que tout simplement, il va y avoir les élections présidentielles américaines, et la victoire éventuelle de Trump serait pour lui le jackpot.
03:33 Donc je vois pas pourquoi il négocierait aujourd'hui si on se met à sa place.
03:38 Sinon, face à une guerre, moi je suis assez simpliste comme d'habitude, face à une guerre vous avez deux solutions.
03:45 Soit vous négociez, soit c'est la victoire totale. Voilà, la victoire totale, dans les ruines du Kremlin, le suicide de Poutine.
03:52 Et donc, il faut choisir l'un ou l'autre. Et si vous ne voulez pas négocier avec Poutine, ça veut dire la victoire totale de l'Ukraine.
03:59 Et là je dis, elle est impossible, et deuxièmement, ça veut dire 30 ans de guerre.
04:04 - Vous êtes d'accord avec ça, avec ce qu'il dit, ou est-ce qu'il est en train lui aussi, Gérard Haraud, de tomber dans le piège des négociateurs ?
04:10 Ceux qui croient qu'on peut négocier avec Poutine alors qu'à chaque fois on perd.
04:13 - La question importante en réalité, et je pense qu'on peut aussi être d'accord sur ce point-là, c'est pas négociation, non, c'est le timing.
04:20 Et je pense que c'est pas le moment de la négociation. Il est là le piège.
04:26 C'est que l'Ukraine en ce moment est en difficulté sur le front. La Russie fait croire qu'elle gagne, mais en réalité, elle est aussi en difficulté.
04:34 Parce que ce front est figé, que les deux côtés perdent un nombre de soldats absolument ahurissant.
04:42 Et elle a besoin de refaire ses forces, elle a besoin de régénérer à la fois la Russie, ses forces humaines, et son équipement.
04:49 Son industrie est en train d'être mobilisée à fond. L'industrie de la défense russe tourne à plein régime.
04:58 Mais ça prend du temps. Donc ce qui arrangerait Poutine en ce moment, c'est d'avoir une pause, d'ouvrir des négociations, d'avoir une sorte de trêve.
05:05 Pendant laquelle il continuerait à se réarmer, à mobiliser. Et puis les Occidentaux en revanche, eux, feraient une vraie pause.
05:15 Parce qu'ils sont naïfs dans ce genre de négociations.
05:17 On va parler des Occidentaux et notamment des Européens, parce que vous ne les épargnez pas, Gérard Arraud, dans un article très intéressant dans le point.
05:23 Mais sur ce que dit Sylvie Kaufmann ?
05:25 Je crois que Sylvie a raison d'une manière, d'un certain aspect, en disant que les Européens sont naïfs.
05:33 Justement, moi je dis que nous sommes entrés dans un nouveau monde, et bien les Européens justement ne sont pas idiots.
05:40 Et donc s'il y avait un armistice, et bien il faudrait que du côté Européen, et bien on continue à armer d'Ukraine, et qu'on se prépare éventuellement à une reprise de la guerre.
05:52 Je voudrais un point important, parce que je crois que c'est vous qui avez dit ça, Léa, sur le fait qu'on ne peut pas faire confiance à Poutine.
05:58 Mais après une guerre, on ne fait jamais confiance à l'ennemi. Vous avez quelqu'un qui vous a envahi, qui vous a détruit, il est évident que d'un seul coup, si on signe un traité de paix, on ne va pas lui faire confiance.
06:08 Donc la confiance n'est pas un élément des relations internationales. C'est-à-dire que s'il y a une paix ou un armistice entre l'Ukraine et la Russie, il faudra naturellement que l'Ukraine, et bien se dote d'un instrument de défense particulièrement robuste, et que par ailleurs, nous, on soit les alliés de l'Ukraine.
06:24 Il faudra dissuader Poutine de reprendre le conflit. On ne va pas faire confiance à Poutine.
06:30 La confiance n'est peut-être pas un élément des relations internationales, mais à lire la chronique de Sylvie Kaufmann, la mémoire l'est dans les relations internationales.
06:37 Or, ce que dit Sylvie Kaufmann, c'est que depuis près de 25 ans qu'il est au pouvoir, Poutine, à chaque fois qu'il a fallu négocier sur la Géorgie, sur la Tchétchénie, sur l'Ukraine, à chaque fois, il a trompé notre confiance, ou il n'a pas respecté ce qu'il avait conclu.
06:50 C'est nous qui avons été naïfs. Moi, je pense qu'il fallait négocier, on pourrait parler aussi de l'excellent livre de Sylvie, moi je pense qu'il fallait parler à la Russie, qu'il faut continuer à négocier avec la Russie, mais connaissant la Russie, il faut le faire avec un gros bâton dans le dos.
07:03 L'erreur que nous avons commise en février 2022, ça a été de ne pas dire à Poutine, si vous envahissez l'Ukraine, on sera aux côtés de l'Ukraine. Nous avons besoin d'un gros bâton pour négocier.
07:17 - Dans une récente chronique au point, vous le disiez Léa, Gérard Haraud déclarait que ni la guerre de Poutine, ni le conflit au Proche-Orient n'avaient réveillé les Européens, et que l'Europe était un nain géopolitique qui entendait le rester.
07:32 Gérard Haraud, vous citez l'incapacité des Européens à livrer les armes promises à Kiev, l'incapacité des Européens à faire fonctionner leur industrie de défense, à se mettre en économie de guerre, vous partagez ce constat-là ?
07:45 - Oui, et c'est pour ça que l'argument du timing de la négociation est essentiel à mon avis. Et Gérard Haraud vient de le dire, s'il y avait une négociation, il faudrait que l'Ukraine soit en position de force.
08:00 On n'est pas contre le dialogue, mais il faut parler en position de force, avec un grand bâton. Et ça, on n'y est pas actuellement.
08:11 - Mais on n'y est pas ontologiquement, semble dire Gérard Haraud.
08:15 - Oui, on n'a pas encore compris, et pourtant ça fait maintenant bientôt deux ans que cette guerre à grande échelle, que cette invasion a été lancée, on n'a pas encore compris qu'on a changé d'univers.
08:31 Et que notre univers à nous, qui est fondé sur la règle de droit, n'est pas celui de Vladimir Poutine. Vladimir Poutine, c'est quelqu'un qui fonctionne au rapport de force.
08:41 La règle de droit, il n'en a rien à faire. Il le prouve encore, encore et encore. Donc il faut que nous, on comprenne, qu'on intègre ce logiciel, et que sans abandonner, bien entendu, la règle de droit,
08:55 parce que c'est notre système et qu'il ne faut surtout pas y renoncer, mais qu'on s'arme, qu'on ait aussi la possibilité du recours à la force.
09:05 - Pourquoi on ne vous le prend pas ? Pourquoi on ne vous le prend pas ? - Pourquoi vous déplorez dans ce texte du point, le fait qu'on reste, on ne s'est pas réveillé, qu'on reste un nain géopolitique ?
09:15 Ça fait 77 ans qu'on a vécu dans une sorte de paradis ahistorique, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une période où nous avons connu la prospérité, la liberté et la sécurité.
09:27 Et vous demandez d'un seul coup aux Européens, qui ont vécu en réalité sous la protection américaine, dont les Français se plaignent en permanence, vous leur demandez d'un seul coup de réintégrer le monde glacial de la géopolitique.
09:38 Moi je comprends que les Européens n'ont pas tellement envie de quitter ce paradis. Mais je voudrais dire aussi, nous avons sans doute là un désaccord avec Chivy, il faut quand même trouver un désaccord.
09:50 Moi je pense que la disproportion des forces à laquelle vous êtes référé Léa, est telle que plus la guerre se prolonge, plus ça devient difficile pour l'Ukraine.
10:01 Les pertes humaines sont énormes, et vous avez quand même une différence de 1 à 4 en termes de population, l'industrie d'un 3. Un 3 et demi.
10:11 L'Ukraine ne peut pas gagner.
10:13 Et je pense que l'Ukraine ne peut pas gagner. Et je pense même que, vous savez, j'ai des amis, évidemment on a tous des amis, Kiev, on en parle, les Ukrainiens sont fatigués.
10:22 Leurs pertes humaines sont lourdes, la question de la mobilisation est posée.
10:27 C'est nous qui sommes fatigués.
10:29 Alors voilà, je crois que c'est notre désaccord. Mais oui, mais même si c'est nous qui sommes fatigués, c'est capital.
10:35 Parce que l'Ukraine ne peut pas, alors là vraiment pas, même pas résister sans nous.
10:39 Et nous sommes, donc d'un côté vous avez une Ukraine qui est fatiguée, une Ukraine beaucoup moins puissante que la Russie, beaucoup moins, il faut l'insister,
10:46 et la guerre c'est quand même le champ de bataille, c'est le plus fort qui l'emporte, et deuxièmement c'est les divisions.
10:51 Alors on renonce.
10:54 Non, ça veut dire qu'il faut penser à la négociation, un jour on sera obligé d'y venir, et il faut y venir dans les meilleures conditions, et là on se retrouve.
11:02 Sylvie Koffman, vous dites "on renonce", c'est nous qui sommes fatigués, c'est pas les Ukrainiens.
11:06 Oui, c'est-à-dire que les Ukrainiens sont faibles, mais les Ukrainiens se battent avec les armes de l'Occident.
11:15 Donc tout ça dépend des Européens et des Américains.
11:19 Les Américains sont en train de... on est bien d'accord, c'est assez clair, les Ukrainiens fournissent les hommes, ils fournissent les soldats,
11:26 et les Occidentaux fournissent l'équipement, les armes, etc.
11:30 Donc si on arrête de fournir ces armes, bien sûr, ils perdent la guerre, c'est clair.
11:35 Mais voilà, ça dépend des Européens et des Américains, et je dirais que ça dépend de plus en plus des Européens, puisque les Américains sont en train de flancher.
11:43 Est-ce que le vrai réveil géopolitique de l'Europe sera, serait une victoire de Donald Trump en novembre prochain, le "wake up call" comme on dit, Gérard Haraud ?
11:53 Pour aujourd'hui, les Européens sont dans un état de déni.
11:56 C'est-à-dire que, franchement, étant donné l'importance de cette guerre en Ukraine, les Européens devraient se dire "préparons-nous au pire, au scénario du pire".
12:05 C'est-à-dire l'élection de Trump, parce que Trump a dit qu'en 24 heures il résoudrait le conflit, et on connaît bien son hostilité à la fois aux engagements extérieurs, et à l'Ukraine en particulier.
12:15 Les Européens ne veulent pas en entendre parler.
12:17 Alors, il y a certains Français en particulier qui disent "au moins si Trump est élu, les Européens seront obligés de parler de défense européenne, d'autonomie stratégique".
12:25 Ça vous ne le croyez pas ?
12:26 Moi je pense que c'est quand même la politique du pire.
12:28 Et connaissant les Européens, je pense qu'au contraire, les Européens risquent de se diviser, risquent de se précipiter à Washington par la porte derrière de la Maison Blanche, pour dire "pas moi, pas moi".
12:39 Encore un instant, M. Dubouraud.
12:41 Et vous, Sylvie Coffray ?
12:42 Oui, moi je crois que la menace, la menace russe, elle est réelle, on la voit depuis deux ans de manière très très claire, et elle est proche de nous.
12:50 Elle est loin des États-Unis, mais c'est notre continent.
12:53 Et on avait déjà prévu l'année dernière, on avait prédit que les Européens se diviseraient pendant l'hiver, que tout le monde serait là, que là LAS, et qu'on abandonnerait le soutien à l'Ukraine dès l'hiver 22-23.
13:06 Ça n'est pas arrivé.
13:08 Et le soutien dans l'opinion publique européenne reste fort.
13:11 Reste majoritaire.
13:12 Donc voilà, moi je crois que ce qu'il faut dire aux Européens, c'est non pas ce que va nous coûter la victoire de l'Ukraine, mais ce que nous coûterait sa défaite.
13:20 Et là le coût, à mon avis, serait bien supérieur.
13:23 Vous êtes d'accord sur ça ?
13:24 Sur ça, vous êtes d'accord tous les deux ?
13:25 Évidemment.
13:26 Mais c'est vrai qu'on peut se demander, puisqu'il utilise, Nicolas a utilisé le terme de "wake up call", on pensait que le 22 février, il y a deux ans, serait le "wake up call" des Européens.
13:34 Déjà, le précédent Trump devait être le "wake up call" des Européens.
13:39 Il y a encore le Proche-Orient, il y a quelques jours, et ça dure encore, qui doit être encore un "wake up call" des Européens.
13:45 Et en fait, les Européens ne veulent pas se réveiller, non ?
13:47 Ils se réveillent lentement et difficilement, mais il y a quand même beaucoup de progrès qui ont été faits depuis l'année dernière.
13:55 Il y a quand même des livraisons d'armes importantes qui ont été faites.
13:58 On ne peut pas dire que les Européens n'ont rien fait.
14:01 Un mot, Gérard ?
14:02 Regardez ce qu'il se passe avec les outils qui sont en train de détourner tout le commerce, et c'est un commerce qui va vers l'Europe, puisque c'était par le canal de Suez.
14:10 Eh bien, les Européens, qu'est-ce qu'ils font ? Ils ont attendu les Américains.
14:14 Alors que pour là, c'est vraiment leur sécurité, et en face, c'est quand même que les outils.
14:18 Merci à tous les deux, Sylvie Kaufmann, Gérard Haraud, d'avoir été en studio ce matin sur Inter.
14:24 Il est 9h22 à suivre Léa, votre invitée, l'écrivaine Nina Bouraoui, juste après Henri Salvador.

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