• il y a 7 mois
À 9h05, les débatteurs du jour sont : François Samuelson x Arnaud Viviant x Thomas Snégaroff. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mercredi-01-mai-2024-1553235

Category

🗞
News
Transcription
00:00Débat ce matin en forme d'hommage à l'écrivain américain Paul Oster, décédé hier soir
00:06à Brooklyn, à l'âge de 77 ans, écrivain prolifique, une quarantaine de livres, dont
00:12une vingtaine de romans, le plus écrivain, le plus français des écrivains américains
00:19attendit tout au long de ce 7-10.
00:22On va en parler avec vous, Sonia De Villers, et avec Arnaud Vivian que je salue.
00:27Bonjour Arnaud.
00:28Bonjour.
00:29François Samuelson, bonjour, vous êtes là aussi, on va parler évidemment longuement
00:38de Paul Oster juste après une première archive qui date de 1990, Paul Oster publiait Moon
00:49Palace et il était reçu chez Bernard Pivot dans Apostrophe Consécration déjà.
00:55Tout ce que vous racontez qui pourrait paraître sinistre, vous le racontez avec une gaieté,
00:59avec un allant, avec une bonne humeur, avec... alors ça c'est quoi ?
01:03Pour moi, il y a une raison très simple, c'est parce que c'est une sorte de mémoire,
01:08c'est quelqu'un qui écrit sur sa jeunesse, mais il n'est plus jeune, il est un homme
01:14de 40 ans à peu près, qui a survi tout ça et il reflète sur le passé avec une certaine
01:22distance et ironie sur lui-même.
01:25Donc il s'en amuse ?
01:26Oui, un peu, il se moque de lui.
01:28Il se moque de lui ? Quelle élégance ! Alors Arnaud Vivian, vous étiez à l'époque déjà
01:34critique littéraire, vous étiez aux Inrocks, il est chez Bernard Pivot au bout de trois
01:40ans, il est à peine publié en France, comment les critiques littéraires de l'époque ont
01:44reçu l'oeuvre de Paul Oster ?
01:46Ça a été un choc absolu, puisqu'on découvrait une nouvelle génération d'écrivains américains
01:53et on découvrait surtout avec Paul Oster un écrivain américain, on ne le savait pas
01:57encore, qu'il avait traduit du français, qu'il a commencé en étant traducteur, mais
02:02on sentait qu'il avait lu les écrivains français, les formalistes français, les écrivains
02:08du nouveau roman, qu'il avait lu Samuel Beckett, et tout commence avec la trilogie new-yorkaise
02:13qui sont trois courts romans réunis aujourd'hui en un seul volume, alors tout y est déjà
02:19en fait, parce que vous savez, les écrivains américains, ils aiment le territoire, donc
02:25son territoire à lui, évidemment à Paul Oster, c'est New-York, et on peut même dire
02:29Brooklyn, oui c'est ça, et encore plus Brooklyn, et là soudainement, on découvrait des espèces
02:34de petits polars, parce qu'il a commencé en écrivant des polars, Paul Oster, des petits
02:39polars métaphysiques, Beckettiens, très secs, minimalistes, post-modernes, allait-on
02:45dire d'une manière un peu galvaudée, mais qui soudainement nous frappaient, et qui donnaient
02:51un sentiment extrêmement important, je crois, et c'est ça qu'il faut garder de Paul Oster,
02:57c'est ce sentiment qu'il arrivait à mélanger culture haute et culture basse, je veux dire
03:03le polar et en même temps une littérature quand même très métaphysique.
03:07Bruno Vivian, écoutez-le en 2018, là on est chez Laure Adler, c'est juste après
03:11la sortie d'un livre que vous avez adoré, que vous avez chroniqué à l'époque, qui
03:15s'appelle 4-3-2-1, qui est un roman très, très, très étonnant, écoutez-le parler
03:20d'un thème qui est cher à son œuvre, la bifurcation.
03:23Chaque situation crée une possibilité, et à côté de ces possibilités, il y a d'autres
03:35possibilités, et je peux trouver dans mon esprit des moments essentiels où j'aurais
03:43pu aller à gauche ou à droite, et j'ai choisi un ou l'autre.
03:48Arnaud Vivian, la bifurcation, elle n'est qu'en dans l'œuvre de Paul Oster, l'idée
03:55que comme, on peut peut-être rappeler qu'il a traduit Malarmé, le coup de D.
03:59N'abolit pas le hasard, et ce titre de roman formidable, la musique du hasard, on peut dire
04:04que c'est le thème principal de l'œuvre de Paul Oster, 4-3-2-1, donc son avant-dernier
04:12livre est une autobiographie, un chef-d'œuvre à mon avis, du genre autobiographique, puisque
04:18ça raconte quatre fois sa vie, et une seule est la vraie, on ne sait pas évidemment nous
04:23lecteurs laquelle c'est, et à chaque fois une petite bifurcation a modifié le destin
04:30du narrateur.
04:31Alors ça fait mille pages, personne ne veut s'embarquer dans cette histoire, et bien
04:35c'est un tort et il faut absolument lire ce livre.
04:37François Samuelson, Françoise Nyssen au micro de Sonia De Villers, nous disait ce
04:43matin que vous étiez là au tout début de la présence en quelque sorte de Paul Oster
04:49en France.
04:50Quel sentiment vous traverse ce matin ?
04:51Tout d'abord une énorme tristesse pour la perte d'un ami, d'abord et avant tout,
04:58avant l'écrivain.
04:59Quand j'ai rencontré Paul, c'était bien avant qu'il ne soit connu en France, puisqu'il
05:03était un jeune auteur, disons en culottes courtes, il venait de publier une ontologie
05:07de la poésie chez Random House, et c'est deux éditeurs de l'époque, Jonathan Galassi
05:13et Marc Polisetti, qui me l'ont présenté, parce qu'à l'époque j'allais établir
05:18une agence littéraire à New York, et je cherchais un assistant, et ils m'ont dit
05:22il y a ce Paul Oster qui parle le français et qui pourrait être utile, donc l'ironie
05:27de l'histoire montre qu'il aurait pu être mon assistant à l'époque, ça ne s'est
05:29jamais produit, mais j'ai gagné un ami.
05:33François Samuelsson, dites-nous.
05:36Oui, il venait de publier chez un tout petit éditeur qui s'appelait Son Books, qui
05:45éditait une revue de poésie qui s'appelait Son, il y avait une équipe de fondue de poésie
05:51avec toute une bande de poètes, dans lesquelles il y avait Paul qui justement avait traduit
05:55et mal armé un certain nombre d'autres auteurs français, et il venait de publier
06:00chez Son Books, la division éditeur de cette revue de poésie, et ça s'appelait
06:06« The Invention of Solitude ». Et ce livre qu'il m'avait donné dans l'édition
06:13de l'époque était un petit bijou, et il m'a dit « Toi qui connais les éditeurs
06:18français, est-ce que tu pourrais m'aider à trouver un éditeur français ? »
06:23Alors justement, vous l'avez envoyé à qui ? Et qui l'a accepté ?
06:28Alors je l'ai envoyé à deux éditeurs qui je pensais pouvaient correspondre au
06:33profil de Paul Steyr, c'était P.O.L, Paul Tchaikovsky-Lawrence et Hubert Nyssen.
06:39Et Hubert Nyssen a été manifestement le plus rapide, parce qu'il venait souvent
06:44à New York pour aller à Princeton rencontrer Nina Berberova, qu'il publiait chez Actesud,
06:50et c'est ainsi que je lui ai présenté Paul, et je crois que ça a été un coup
06:56de foudre qui ne s'est jamais démenti, puisque toute l'œuvre de Paul a été publiée
07:00en France chez Actesud par Hubert, et ensuite par Françoise Nyssen, et traduite je crois
07:06dans un premier temps par Christine Leboeuf, si ma mémoire est bonne.
07:08Oui, c'est ça, oui.
07:09François Samuelson, comment expliquez-vous son succès auprès du public français ?
07:16Toutes les nécrologies de la presse américaine soulignent cet aspect-là, le fait qu'il
07:24était massivement lu ici.
07:26Alors écoutez, comme on dit souvent, c'est toujours un malentendu, c'est que je pense
07:32que le public français lui a fait une telle fête que les Américains se sont réveillés.
07:38J'en veux pour preuve le fait qu'après l'invention de la solitude, il avait écrit
07:43la trilogie new-yorkaise, et je me souviens de son état de désespoir, puisque tous les
07:48éditeurs new-yorkais refusaient ce livre, et ça avait été publié par une toute petite
07:54maison d'édition en Californie qui s'appelle Sun & Moon, et je me souviens de conversations
08:01très longues avec lui et Lika Davis, où il avait l'impression que rien n'allait
08:06se produire, d'autant que l'invention de la solitude n'était pas encore parue
08:09en France, puisqu'il était en cours de traduction.
08:12Je pense en réalité, pour rebondir sur ce que disait Arnaud Vivian, c'est que la
08:18grande force qualité de Paul, c'est cette écriture un peu labyrinthique, une manière
08:25de déconstruire la narration romanesque classique pour mieux y revenir et la sublimer, je dirais
08:31une sorte d'équivalent fictionnel de Derrida, et en cela, sa démarche était, et restera
08:39toujours unique, pour toutes ses raisons.
08:42Merci beaucoup François Samuelson, merci, et le New York Times raconte ce matin que
08:47la trilogie new-yorkaise a été refusée par 17 éditeurs à New York.
08:51Merci d'avoir été avec nous ce matin, Thomas Négaroff nous a rejoint, bonjour Thomas !
08:57Bonjour Sonia !
08:58Thomas Négaroff qui est historien, spécialiste des Etats-Unis, passionné d'ailleurs par
09:03l'histoire politique américaine et lui-même écrivain, vous le connaissez bien, dans tous
09:07les romans de Paul Auster, il y a un pan de l'histoire américaine qui est décortiqué
09:13et qui sert de colonne vertébrale au récit romanesque.
09:16Oui, on dit depuis le début qu'il est hyper français, mais en fait il est hyper américain
09:20aussi, parce qu'il raconte l'Amérique, et que l'Amérique en réalité, il n'y
09:24a que l'Amérique qui l'intéresse, et si je reprends les mots de labyrinthe qu'on
09:27a employés depuis tout à l'heure avec les autres invités, il y a effectivement
09:31à chaque fois chez lui l'idée du labyrinthe, et quand même au milieu la volonté de résoudre
09:36cette grande énigme pour lui que c'est l'Amérique, déboussolée, qui a renié
09:40ses valeurs, qui est née d'un double crime comme il l'est écrit dans 4.3.2.1, l'esclavage
09:46des Noirs et l'extermination des Indiens, c'est quelqu'un qui n'a cessé de vouloir
09:50raconter à travers des itinéraires individuels, comme un écrivain, un grand romancier doit
09:54le faire, l'histoire de son pays, c'est en effet dans M. Vertigo ce type-là, pourquoi
10:01va-t-il mettre des statuts de la liberté qui explosent un peu partout dans le pays
10:04avec des vots contre l'État, pourquoi lui-même, Paul Auster, va écrire sur les
10:08armes à feu récemment ? Parce qu'il découvre qu'en 1919, sa grand-mère a tué par une
10:14arme à feu son grand-père, et donc il se dit, cette histoire qui semble peut-être
10:17un peu loin de moi, juif de Brooklyn, en fait ça me concerne et ça m'intéresse, et
10:23tout à coup ça résonne en moi. Et donc c'est cet aller-retour permanent entre l'histoire
10:27d'une nation, déboussolée encore, je répète le mot parce que je crois que c'est
10:30Et l'histoire des individus, comment se construit ça ? Et c'est en ça peut-être qu'il y a
10:35tout à coup une bifurcation, le mot a été employé aussi, pourquoi tout à coup cette
10:39nation se perd ou se retrouve ? Et ça c'est assez fascinant et ça a été très fort
10:43avec Trump.
10:44Le New York Times raconte ce matin, Arnaud Vivian, qu'il écrivait au stylo pour avoir
10:52un rapport physique à l'écriture, qu'il n'avait pas à l'ordinateur. Donc c'était
10:58écrit au stylo, puis tapé ensuite à la machine à écrire. L'écriture ne vient
11:03pas de la tête mais du corps, disait-il. Ça vous évoque quoi ?
11:08Vous connaissez l'anecdote qu'il a souvent racontée, comment il est devenu écrivain.
11:12C'est qu'il était fan de baseball. Et donc il était enfant, il voit son joueur préféré,
11:17il lui demande un autographe, le joueur lui dit « tu as un crayon ? » Et l'autre,
11:21évidemment Paul Auster n'avait pas de crayon, et il a raconté qu'il n'a pas eu l'autographe
11:26et qu'à partir de ce moment-là, il a toujours eu un crayon sur lui. Et donc c'est
11:30comme ça qu'il est devenu écrivain, racontait-il notamment à ses enfants.
11:34Vous voulez nous dire un dernier mot sur Baumgartner ? Parce que Françoise Nyssen nous en a parlé,
11:38elle vient de le faire traduire, elle vient de le faire publier en France, c'est son
11:41dernier roman. C'est un livre que vous avez aimé ?
11:44C'est un livre très étrange mais évidemment testamentaire, très clairement, c'est l'histoire
11:49d'un veuf et qui fait en sorte que l'œuvre de sa femme, qui était poétesse, qui est
11:54décédée depuis une dizaine d'années, soit toujours présente. Il fait en sorte
12:01qu'on réédite les poèmes de sa femme et ça en dit long sur son désir de postérité
12:06là qu'il avait forcément. Il y a quand même une espèce d'inversion
12:09parce que dans la réalité, c'est sa femme, qui est elle-même écrivain, qui va s'occuper
12:13de la postérité de son œuvre. C'est Ciri Utzeth qui va s'occuper de la postérité
12:16de l'œuvre de Paul Auster. Et là aussi, il y a un jeu labyrinthique
12:19et il y a beaucoup de bifurcations encore dans ce roman très beau.

Recommandations