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Jérôme Jaffré, politologue, chercheur associé au Cevipof, et Laetitia Strauch-Bonart, essayiste, étaient les acteurs du débat du 7/10 de France Inter, mardi 18 février. Le thème : la guerre des droites.

Retrouvez « Le débat du 7/10 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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00:00Qu'est-ce que la droite en 2025 ? La bataille des chefs est lancée chez LR, entre Bruno
00:06Retailleau et Laurent Wauquiez.
00:07Il s'agit de prendre la succession d'Eric Ciotti, parti s'associé à Marine Le Pen.
00:12Et justement, entre l'ERN et la Macronie, la droite dite traditionnelle a-t-elle encore
00:17une place ? Et même, existe-t-elle encore en France ? Deux invités pour en débattre.
00:22Laetitia Strauch-Bonnard, bonjour, vous êtes essayiste, chroniqueuse dans l'émission
00:26« L'esprit public » chez nos amis de France Culture, et vous venez de publier
00:29« La Gratitude, récit politique d'une trajectoire inattendue ». Comment vous êtes
00:34devenu de droite, si je résume ? C'est aux éditions de l'Observatoire.
00:38Et Jérôme Jaffray, bonjour, politologue, chercheur associé au CEVIPOF, le centre de
00:43recherche de Sciences Po.
00:45Cet affrontement Retailleau-Wauquiez, est-il aussi idéologique ? On parle de guerre des
00:50chefs, est-ce que c'est aussi une bataille de lignes ? Est-ce que ce sont deux droites
00:55qui s'affrontent, Laetitia Strauch-Bonnard ?
00:57Possiblement, mais pas assez à mon goût, parce que s'il est assez clair de voir à
01:05quelle droite Brune Retailleau appartient, la droite de Laurent Wauquiez est beaucoup
01:09plus, disons, mouvante ou imprécise.
01:12Laurent Wauquiez a quand même eu des idées différentes au cours du temps, et d'ailleurs
01:18il ne fait pas des idées, il me semble, le cœur de son programme.
01:22Je pense que beaucoup de gens auraient du mal à décrire et à dire ce en quoi ils
01:27croient et ce qu'ils pensent.
01:28Au contraire, Brune Retailleau, c'est un libéral conservateur, ou plutôt je dirais
01:33un conservateur libéral, finalement qui correspond assez bien à la droite classique, gaulliste
01:42d'une certaine façon, mais je pense qu'on est quand même assez loin aujourd'hui du
01:46gaullisme.
01:47Vous trouvez qu'il correspond à la droite classique ? Il a un discours qui s'est quand
01:50même déporté de plus en plus vers la droite et vers celui du RN en matière d'identité,
01:56en matière d'immigration ?
01:57Alors, sur l'aspect conservateur, c'est-à-dire tout ce qui concerne le régalien, la sécurité,
02:05l'immigration, il a des positions qui sont des positions classiques de la droite.
02:10Là où il est plus à droite que les gaullistes n'ont pu l'être ou que Nicolas Sarkozy
02:15ne pouvait l'être, c'est sur les questions de mœurs, les questions de société, mais
02:19vous voyez bien qu'il n'en fait pas du tout un programme, il n'en parle pas de
02:24toute façon, ça n'est pas son rôle comme ministre de l'Intérieur, mais je doute
02:27qu'il en fasse le cœur de sa campagne pour gagner la tête du parti.
02:34Et par rapport à son rapprochement supposé avec le RN, je ne vois pas les choses ainsi,
02:39je pense qu'il s'adresse avant tout à des électeurs de droite qui attendent une
02:47certaine fermeté sur les questions régaliennes.
02:50Il se trouve que le RN répond à ces demandes depuis un certain temps, ou en tout cas prétend
02:56pouvoir y répondre, je crois que la droite en la matière fait ce qu'elle est supposée
03:01faire.
03:02Jérôme Jaffré, sur cet affrontement idéologique, ça peut être un moment de clarification pour
03:06la droite ?
03:07Sait-on jamais.
03:08Moi je crois que c'est quand même un affrontement extrêmement intéressant qui s'annonce
03:15parce qu'il dit quelque chose.
03:16Retailleau, il incarne, et je rejoins là Laetitia Strauch-Bonnard, une droite de conviction
03:22et une droite de tradition.
03:23C'est ça qu'il incarne très clairement.
03:26Si vous voulez, Retailleau, je pourrais depuis 1789 dire où il se serait situé à toutes
03:33les étapes de l'Histoire, pratiquement, on voit bien quelle figure il aurait prise.
03:39Voilà, le Vendéen contre la Révolution, le rallié à la monarchie constitutionnelle
03:47mais opposée au suffrage universel étendu en France, le rallié du bout des lèvres
03:55au Second Empire pour occuper le ministère de l'Intérieur afin de rétablir un ordre
04:01qui serait menacé, celui qui finit par se rallier à la République à la fin du XIXe
04:07Mais en hésitant beaucoup, et parce que le cardinal Lavigerie à Alger en 1891 a dit
04:13que l'Église acceptait la République, etc, etc, etc, on peut s'amuser comme ça.
04:19Retailleau, on peut le situer à travers le temps, il incarne une droite de tradition.
04:23Wauquiez, c'est autre chose, Wauquiez, il incarne une droite de combat, de combat politique
04:30et de ce point de vue, Wauquiez, s'il devait répondre, j'imagine, à Madame Strauch-Bonnard,
04:36il dirait que s'il y a des changements, c'est parce que la situation politique change.
04:40Au fond, d'une certaine façon, il est l'héritier un peu de Jacques Chirac à certains égards,
04:44car Dieu sait si Jacques Chirac a changé de position, d'attitude dans les combats
04:49politiques.
04:50Chirac, il avait commencé par signer l'appel de Stockholm en 1950, initié par le Parti
04:55communiste contre les essais nucléaires.
04:57C'est vous dire qu'il a fait un sacré parcours.
04:59Wauquiez, c'est le combat politique.
05:01Et ce qui est intéressant, c'est que Retailleau, aujourd'hui, parle d'abord aux électeurs,
05:07effectivement, mais le combat, il va se faire auprès des militants et c'est les militants
05:11qui vont voter.
05:12Et donc, Wauquiez, la partie n'est pas complètement perdue pour lui, bien qu'il ait évidemment
05:17beaucoup de retard au départ, parce que les militants, ils aiment la droite de combat.
05:21Pardon, je reviens sur ce que je disais sur la proximité avec le discours du Rassemblement
05:27national.
05:28Quand Laurent Wauquiez, qui est aujourd'hui à la tête du parti, par intérim on va dire,
05:36dit « il n'y a pas de cordon sanitaire à avoir avec le Front National, nos seules divergences
05:41aujourd'hui sont d'ordre économique ». Finalement, est-ce que cette droite-là a encore un sens
05:47quand elle est si proche idéologiquement du Rassemblement national ?
05:50Laëtitia Strojbonar, est-ce qu'Éric Ciotti, qui lui est parti et assume ses convergences,
05:55a fait alliance ? Et ce qui n'est pas plus cohérent finalement ?
05:58Je trouve la formulation de Laurent Wauquiez étrange, parce que là encore, on a l'impression
06:02qu'il s'adresse aux appareils et non pas aux électeurs.
06:04Et par ailleurs, le fait qu'il y ait des divergences sur les questions économiques
06:09n'est pas du tout un détail.
06:10Pour moi, c'est fondamental.
06:12Si vous avez des divergences sur la création de richesses, le rôle de l'État, la taille
06:17de l'État-providence, l'innovation, tout ce qui va faire la prospérité de notre pays,
06:24c'est essentiel.
06:25Le problème du Rassemblement national, c'est qu'il a un programme économique
06:32très mauvais, qui serait vraiment très très mauvais pour le pays, qui est un programme
06:37en réalité socialisant, qui n'a absolument rien à voir avec un programme de droits.
06:41Donc je m'étonne que Laurent Wauquiez ne soit pas beaucoup plus offensif et ne dise
06:44pas « oui d'accord, nous avons des points communs sur les questions sécuritaires ».
06:49Et encore, je pense qu'il y a des distinctions à faire, bien évidemment, entre l'approche
06:53de la droite et l'approche du Rassemblement national, mais nous avons des distinctions
06:57majeures, devrait-il dire, sur les questions économiques, parce que ça veut dire que
07:00nous considérons l'individu aussi d'une façon tout à fait différente que ne peut
07:07le faire le Rassemblement national, qui a une vision finalement très communautaire
07:11de ce qu'est un pays.
07:13Le Rassemblement national, d'ailleurs, vous remarquerez, est très critique de la bourgeoisie.
07:19Marine Le Pen le montre assez souvent et dans sa vie, d'ailleurs, elle a eu des expériences
07:24assez malheureuses qui l'ont fait détester les bourgeois.
07:27Elle déteste le libéralisme, elle déteste tout ce qui peut s'en rapprocher.
07:31Ça aussi, c'est une distinction de taille et je ne comprends pas pourquoi la droite,
07:36et pourquoi Laurent Wauquiez en l'occurrence, n'insiste pas aussi davantage sur cette
07:41différence-là, sur la différence, par exemple, de la conception de l'individu, de l'entreprenariat,
07:47de la prise de risque dans la société, du fait aussi que les gens ont des responsabilités.
07:52La responsabilité, c'est un concept très important pour la droite.
07:54Vous n'entendez jamais Marine Le Pen en parler, parce que Marine Le Pen et le Rassemblement
07:58national estiment que les gens qu'elle veut défendre n'ont pas vraiment de responsabilité.
08:03Les seules personnes qui ont des responsabilités ou qui, finalement, devraient contribuer
08:07davantage, selon elle et selon ses électeurs, ce sont les immigrés.
08:12Quand vous écoutez le Rassemblement national, vous avez l'impression qu'il suffirait
08:16qu'on donne moins d'argent aux immigrés pour que la France, soudain, aille très bien.
08:20Mais c'est absolument faux.
08:21Donc, il y a encore, Jérôme Jaffray, il y a encore une différence fondamentale entre
08:29la droite et le RN.
08:30D'abord, il y a le choc pour la droite qui est un Rassemblement national qui est monté
08:35pratiquement à 35% des suffrages exprimés.
08:37Ce qui signifie que les électeurs de droite votent plutôt pour le Rassemblement national
08:44que pour les Républicains.
08:45C'est cette vérité qui existe, qui a été révélée aux Européennes, confirmée
08:49aux législatives et qui fait, du coup, que la notion de frontière entre la droite et
08:53le RN ne peut plus être la même.
08:55Par ailleurs, au RN, vous avez une fracture entre la ligne Le Pen et la ligne Bardella,
09:01qu'il faut suivre et qui est très significative.
09:04Bardella, il est là sur le thème « Vive l'Union des droites » et sur l'économie
09:07« Moi, je ne suis pas du tout sur la ligne Le Pen ».
09:10Donc, on est sur une incohérence à l'intérieur du RN, mais le problème de la droite, c'est
09:16de récupérer des électeurs partis au RN et du coup, l'un et l'autre, les frontières
09:24ne sont pas claires.
09:25Vous avez parlé de Wauquiez, parlons de Retailleau.
09:27Retailleau, il a à la bouche la notion de majorité nationale.
09:31Mais la notion de majorité nationale, et je l'écoutais dimanche, par exemple, dans
09:35une émission de télévision, où il expliquait que ça allait jusqu'à Marion Maréchal,
09:42Xavier Bertrand à Marion Maréchal.
09:43Ça n'est pas rien.
09:44C'est-à-dire qu'un tout petit pas de plus et vous intégrez l'extrême droite de RN
09:51dans la notion de majorité nationale.
09:53Ça, on a donc ce point-là.
09:56Et puis la responsabilité, ça c'est très intéressant, parce que c'est effectivement,
10:00je trouve, ce qui aujourd'hui caractérise la notion de droite, ça n'est plus la notion
10:05de liberté ou de tradition qui caractérise la droite aujourd'hui, ce sont les notions
10:09d'autorité, mais très difficiles dans notre société où les parents n'inculquent
10:14plus l'autorité aux enfants de la même façon qu'il y a 20-30 ans, on voit bien,
10:19même 50 ans.
10:20On voit bien que là, la notion de droite n'est plus du tout la même, mais la responsabilité,
10:27le thème de la droite, c'est de renvoyer chacun à sa responsabilité.
10:31Vous êtes chômeur, vous êtes responsable de votre chômage.
10:35La retraite, vous devez capitaliser pour préparer votre retraite.
10:39La santé, si vous n'avez pas fait ce qu'il fallait en termes de prévention de santé,
10:43vous ne serez pas remboursé de la même façon.
10:45C'est cette bascule qui renverse l'État-providence complètement et que la droite, de façon
10:50sous-jacente, presque cachée, est en train de développer en vue de… parce que son
10:56problème, c'est que l'État-providence coûte trop cher dans la France des déficits
11:00de la dette.
11:01Donc nous avons un vrai débat aussi économique, philosophique, qui se développe en vue de
11:062027.
11:07Justement, puisqu'on parle de ce débat économique, c'est la question à 10 000 euros,
11:10qu'est-ce que la droite aujourd'hui ? Vous vous dites dans votre livre, c'est son titre,
11:14que la définition, votre définition de la droite en tout cas, c'est de remplacer le
11:19ressentiment par la gratitude.
11:21Laëtitia St-Gonard, expliquez-nous.
11:23Oui, complètement.
11:25En fait, quand on est de droite, on pense qu'on a des devoirs avant d'avoir des droits.
11:31Et ça veut dire qu'on estime que l'on doit quelque chose à la société avant de
11:34demander à la société de faire quelque chose pour nous.
11:37Et ça explique pourquoi on fait les loges du travail, de l'effort, de la responsabilité
11:43justement.
11:44Et qu'on essaye le moins possible ou le plus tard possible de demander à la société
11:49de nous aider si on en a besoin.
11:53Quand je dis que c'est une critique ou une opposition au ressentiment, c'est que malheureusement,
11:58bien trop souvent, il me semble que la gauche utilise et alimente le ressentiment de certains
12:05électeurs pour finalement qu'ils restent à la même place.
12:08C'est un petit peu cruel ce que je dis, mais la gauche ne dit pas aux gens qui sont
12:11dans le besoin, je vais vous aider à vous en sortir pour que vous ne soyez plus pauvres.
12:15Elle leur dit d'une certaine façon, je vais vous aider par l'intermédiaire de l'État
12:19et j'ai besoin que vous restiez tels que vous êtes parce que sinon je n'aurai plus
12:22personne à aider et plus personne pour m'élire.
12:24Je voulais juste passer là-dessus, sur votre définition de la droite et la gratitude,
12:35juste terminer rapidement pour qu'on puisse passer la parole à Jérôme Jaffré qui faisait
12:39la mousse.
12:40C'est pour ça que je voulais lui passer la parole.
12:41La gratitude c'est aussi quelque chose qui s'exprime eu égard aux institutions, eu égard
12:47au passé aussi.
12:48C'était très important pour la droite, la droite estime que nous ne sommes pas nés
12:52aujourd'hui, nos sociétés sont anciennes et que nous tous aujourd'hui devons énormément
12:56à tous ceux qui nous ont précédés et notamment aux gens de grands talents.
13:01C'est pour ça aussi que dans la gratitude de la droite, il y a souvent beaucoup d'admiration
13:05à l'égard des inventeurs, des innovateurs, des hommes d'État et des gens riches.
13:10Jérôme Jaffré, pourquoi vous faisiez la mousse ?
13:12Je faisais la mousse parce que les choses sont discutables bien entendu.
13:16La gratitude si vous voulez, elle n'est pas réservée qu'à la droite, je vous rassure,
13:20à cet égard.
13:22Ce qui me gêne plus dans votre définition, c'est que vous renvoyez du coup le ressentiment
13:26à la gauche, le ressentiment, l'envie à la gauche.
13:29Et là, non, ça n'est pas le moteur de la gauche.
13:32Le moteur de la gauche, il est par exemple dans la notion de justice qui est beaucoup
13:38plus valorisée que de dire simplement les gens de gauche vivent dans l'envie et le
13:41ressentiment.
13:42Et la différence majeure, si vous voulez, là on pense à la phrase de Margaret Thatcher
13:47qui est absolument décisive, c'est-à-dire qu'elle ne croit pas à la société, la
13:51société n'existe pas, il n'y a que des individus.
13:54Ça, c'est la vraie définition de la droite.
13:56Mais la société en réalité existe.
13:58Il y a eu une interview récente et absolument passionnante d'Alain Juppé dans Le Point
14:02où Alain Juppé, homme de droite s'il en fut et qui ne s'est jamais caché de l'être,
14:06explique en gros que sur le mariage pour tous, la PMA, la fin de vie, la place des femmes
14:14dans la religion catholique, bref, en gros, il a eu un retard constant toute sa vie par
14:19rapport à toutes ces notions et arrivé à un âge assez avancé, il le reconnaît avec
14:24une très grande honnêteté.
14:25Merci à tous les deux, en tout cas il y aura encore mille autres sujets à évoquer sur
14:30ce thème et on vous réinvitera, il y aura l'occasion de faire d'autres débats là-dessus
14:34puisque la campagne pour la présidence de LR ne fait que commencer.
14:38Laetitia Strojbona, je rappelle le titre de votre livre « La gratitude, récits politiques
14:42d'une trajectoire inattendue », c'est aux éditions de l'Observatoire.
14:45Jérôme Jaffray, merci à vous aussi, chercheur au Cévi-Pof.

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