• il y a 6 mois
Jérôme Jaffré, politologue, chercheur associé au Cevipof, et Marc Lazar, professeur d'Histoire et de sociologie à Sciences Po, sont les invités du débat du 7/10 sur France Inter.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00 France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10.
00:06 Débat ce matin sur les répliques du séisme politique des européennes, un RN à plus de 31%
00:13 et annoncé dans la foulée de ses résultats par le président de la République, la dissolution de l'Assemblée Nationale.
00:21 Comment lire ce paysage politique à bien des égards inédits ?
00:26 On pose la question à Marc Lazare, historien sociologue, professeur d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po
00:33 et à Jérôme Jaffray, politologue, chercheur associé au Cévipof. Bonjour messieurs.
00:38 Bonjour.
00:39 Et merci d'être sur Inter avant de voir à quoi peuvent ressembler les semaines à venir.
00:45 Question sur dimanche soir et le moment où Emmanuel Macron annonce la dissolution de l'Assemblée Nationale.
00:52 Avez-vous été surpris, voire ahuri par cette décision, Jérôme Jaffray ?
00:57 Alors ahuri, j'espère que non, car ça peut s'entendre dans plusieurs sens.
01:02 Sidéré, oui. Sidéré parce qu'une dissolution, elle était relativement prévisible dès le résultat de 2022,
01:12 dans une assemblée où il n'y avait qu'une majorité relative et aucun concours possible des oppositions.
01:19 Donc à un moment donné, le recours au peuple et le retour aux urnes étaient évidents.
01:26 Reste à choisir le moment et reste à pouvoir bénéficier d'un élan.
01:32 Ce sont les deux conditions d'une dissolution réussie, à tous égards sous la Ve République.
01:38 Et là, oui, la sidération a lieu, car c'est une très lourde défaite qu'a subie le camp macroniste dimanche soir.
01:46 Et d'une certaine façon, la dissolution permettait au président qu'on ne parle plus de cette défaite,
01:52 mais qu'on parle uniquement du nouveau combat à mener.
01:55 Donc il y a une forme de négation du choc subi dimanche soir, mais le moment choisi est ahurissant.
02:03 Pourquoi ? Parce que vous n'allez pas à la dissolution dans un système majoritaire à deux tours,
02:10 où il faut être absolument dans les deux premiers pour pouvoir gagner, se qualifier dans les circonscriptions pour le second tour.
02:17 C'est tout simple. Si vous êtes le troisième, et d'assez loin le troisième, à partir du moment où la gauche s'unit.
02:22 Et l'élan, par ailleurs, dans un délai si court, de trois semaines, ça veut dire qu'il n'y a pratiquement pas de campagne,
02:29 ça veut dire donc que les électeurs sont priés finalement de revoter pratiquement comme ils l'ont fait aux européennes,
02:35 avec les corrections d'implantation d'un certain nombre de personnalités dans leurs circonscriptions.
02:40 Mais vous ne pouvez plus créer les conditions d'un élan.
02:44 Et donc je trouve que, alors effectivement, je trouve que c'est assez stupéfiant tout de même comme calcul.
02:50 Stupéfiant donc pour Jérôme Jaffray. Et vous Marc Lazare, dimanche soir, votre réaction ?
02:56 Mais voyez-vous Nicolas Demorand, je ne fais pas partie de ceux qui aujourd'hui disent qu'ils avaient annoncé cette dissolution,
03:01 qu'ils savaient qu'ils n'étaient absolument pas surpris. Non, j'ai été très surpris.
03:05 Très surpris, au moins pour deux raisons. D'une part parce que, historiquement, on a eu des élections européennes
03:12 où la liste liée au gouvernement a été battue. Mais pas à ce niveau-là, bien sûr.
03:17 Et surpris surtout de l'intervention à 21h01. C'est-à-dire qu'on avait les premières estimations,
03:23 mais on n'avait pas encore les résultats définitifs. On annonce donc une allocution du président de la République,
03:28 on est un peu surpris. Et on apprend justement les raisons de cette annonce.
03:34 Donc oui, très surpris. Et maintenant, évidemment, on peut rationaliser.
03:38 On peut tous essayer de comprendre ou de chercher à comprendre ce que veut faire Emmanuel Macron à l'occasion de cette dissolution.
03:44 La presse utilise, noté hier, le registre du coup de poker, l'idée de faire tapis.
03:51 Alors, est-ce que, selon vous, cette dissolution est un pari, un coup de dé ? Ou est-ce que vous y voyez tout de même une stratégie politique, Jérôme Jaffray ?
04:01 Alors, il faut chercher, chercher désespérément, quelle peut être la stratégie de réussite derrière pour le président Macron.
04:09 Alors, on peut faire l'hypothèse, si vous voulez, que nous arrivons éventuellement à une victoire du Rassemblement National,
04:16 même à une majorité absolue du Rassemblement National à l'issue de ces élections législatives.
04:21 Ça, c'est possible ?
04:22 C'est possible. C'est tout à fait possible.
04:24 Et si nous sommes dans cette situation, nous rentrons donc dans une cohabitation extrêmement difficile entre le président Macron et sa majorité du Rassemblement National.
04:35 Et ceux que la campagne, à ce moment-là, n'aura pas le temps de faire la démonstration, éventuellement,
04:41 de ce que le programme du Rassemblement National contient d'impossibles, d'irréalisables, d'erronés,
04:48 de fait qu'il ne pourra pas mettre en œuvre ce qu'il annonce comme mesure que les catégories populaires considèrent qu'il va leur accorder,
04:55 parce qu'il n'en aura pas les moyens, et qu'à ce moment-là, la démonstration sera faite avant 2027,
05:01 que le Rassemblement National n'apporte aucune des solutions aux problèmes du pays.
05:06 Une autre victime possible de ce qui s'est passé dimanche soir, c'est peut-être Marine Le Pen, tout simplement.
05:13 Parce que si nous sommes dans la situation où la démonstration est faite que le Rassemblement National échoue à gouverner le pays,
05:20 s'il se retrouve à gouverner le pays, comment Marine Le Pen peut-elle espérer dans ces conditions, être élue présidente de la République ?
05:27 C'est la stratégie qu'on peut prêter, mais qui commence à consister par donner le pouvoir au Rassemblement National pour un bon moment.
05:34 Sur la stratégie, Marc Lazare, et l'hypothèse d'une majorité absolue du RN à l'Assemblée Nationale ?
05:41 D'abord sur la stratégie, je crois que si on essaie justement de chercher les raisons logiques, rationnelles, de ce qu'a décidé le président de la République, j'en vois quelques-unes.
05:52 La première, c'est justement de prendre l'offensive, de jouer le contre-pied, comme on dit au football.
05:58 C'est-à-dire qu'on attendait effectivement une crise, notamment une motion de censure à l'automne, et donc de prendre de vitesse tout le monde.
06:06 Donc là, c'est un des principes de la stratégie politique et de la stratégie militaire.
06:10 Deuxièmement, de mettre encore plus les Républicains en crise, parce qu'ils vont devoir faire des choix, soit à l'occasion des élections législatives,
06:19 soit à la suite des élections législatives, entre ceux qui sont prêts à s'allier avec le RN et ceux qui au contraire le refusent, refusent cette possibilité.
06:27 Puis mettre en crise la gauche, et on le voit très bien, c'est-à-dire de savoir...
06:32 Je pense que le président Macron pensait que la gauche serait divisée, apparemment elle serait unie, on va peut-être en parler plus tard.
06:37 Mais en tout cas de mettre en difficulté la gauche, et puis donc d'essayer de rassembler son électorat.
06:43 Parce que quand même, il y a eu 3 600 000 électeurs sur la liste de Valéry Hayé,
06:48 je pense que le président se rappelle qu'il a eu 9 700 000 électeurs à l'occasion du premier tour de la présidentielle,
06:54 donc il y a 6 millions d'électeurs qui sont passés où ? Qui sont peut-être abstenus ?
06:59 Et donc à cette occasion, en dramatisant, et on voit bien qu'avec la conférence de presse annoncée demain,
07:04 le président de la République va être en première ligne, on sait que le Premier ministre n'a pas accepté,
07:08 enfin en tout cas n'a pas été hostile à la démission, il semble être très discret depuis dimanche,
07:13 donc c'est sans doute le président de la République qui va mouiller sa chemise d'une façon ou d'une autre à l'occasion de cette élection.
07:18 Pourquoi ? Il prend un risque considérable, encore plus, parce que je pense qu'il ne se rend peut-être pas compte du rejet dont il a l'objet.
07:25 Mais voilà, je pense que c'est ça son calcul, non pas peut-être de gagner avec son camp, mais de limiter justement la poussée du RN.
07:33 Et sur cette poussée du RN, je pense qu'il y a deux éléments. D'un côté, il y a cet énorme mouvement qui est en route,
07:39 on l'a vu avec ces élections, la nationalisation du vote du rationnement national,
07:43 l'homogénisation sociologique de plus en plus forte du vote, à l'exception des retraités CSP+,
07:49 c'est une des rares catégories qui échappent à l'emprise du rationnement national,
07:53 mais en même temps, il y a 577 circonscriptions, il y a des enjeux locaux, il y a des candidats, etc.
08:00 Donc ça peut peut-être limiter l'ampleur du résultat du RN. C'est peut-être, me semble-t-il, la stratégie macroniale.
08:07 Et les partis de gauche qui sont donc parvenus à un accord électoral, PS, Insoumis, écologiste, communiste,
08:15 que peuvent-ils espérer selon vous, Jérôme Jaffray ?
08:18 Alors, d'abord, c'est un événement majeur, car si le calcul macroniste consiste à penser que la gauche partirait diviser
08:25 toute la mécanique de ces élections législatives, c'est qui se qualifie pour le second tour,
08:30 sachant qu'il n'y aura que deux candidats qui se qualifieront à l'issue du premier tour, pratiquement dans chaque circonscription.
08:36 Pourquoi ? Parce qu'il y aura quand même pas mal d'abstentions et qu'il faut 12,5% des inscrits à l'issue du premier tour,
08:43 des inscrits à l'issue du premier tour, pour pouvoir accéder au second tour, sauf si vous êtes dans les deux premiers,
08:49 auquel cas vous êtes automatiquement qualifiés.
08:51 À partir du moment où le RN est très fort, et où la gauche s'unit, c'est le troisième qui paie les pots cassés.
08:58 C'est-à-dire qu'à l'issue de ce premier tour, nous pouvons avoir énormément de candidats, Renaissance, Modem, Horizon, sur le tapis.
09:07 Le vote des européennes, ça a été un vote sanction contre Emmanuel Macron.
09:11 Emmanuel Macron transfère la sanction sur ses députés.
09:14 Sur ses députés qui vont payer les pots cassés du macronisme.
09:17 C'est ça qui se présente devant nous.
09:19 Alors la gauche unie, elle a du mal à le faire croire au pays qu'elle est unie, la gauche, après tout ce qui vient de se passer.
09:24 Mais l'idée de base, c'est qu'on protège nos députés sortants.
09:28 Et les dirigeants socialistes, ils ne plaisantent pas sur ce sujet.
09:32 C'est pour ça qu'ils ont tourné le dos à la rénovation que pouvait porter Raphaël Glucksmann, pour se jeter dans les bras des autres partis.
09:40 Parce que prenons l'exemple d'Olivier Faure, en Seine-et-Marne, où le RN fait des performances énormes,
09:46 pour sauver son siège, la condition minimale, c'est la candidature unique de toute la gauche au premier tour.
09:52 Sur ce nouveau Front populaire, Marc Lazare ?
09:55 D'abord l'appellation. On fait appel à la mythologie du Front populaire.
09:59 C'est François Ruffin qui l'a lancé, cette formule des dimanche soir s'est reprise.
10:03 C'est un puissant élément de mobilisation de l'électorat de gauche le plus militant.
10:08 Et on voit qu'il y a des appels à des manifestations.
10:11 Donc on sent qu'il y a quelque chose qui bouge du côté de l'électorat de gauche.
10:15 Mais je rappelle que l'ensemble de l'électorat de gauche, c'est 31%.
10:18 C'est-à-dire que c'est un étiage très faible.
10:20 Et donc ça va être très difficile entre cette mythologie, ces mobilisations et la réalité électorale.
10:25 Deuxièmement, Jérôme Jaffray faisait allusion, c'est vrai qu'il y a un problème de crédibilité
10:29 après des affrontements terribles entre les différents partis politiques sur des questions essentielles.
10:35 Gaza, Israël, le Hamas, les questions de réforme des retraites, la question de la guerre en Ukraine,
10:43 les questions de défense européenne.
10:45 On a là des divergences importantes.
10:47 On nous annonce un programme et je remarque que le mot « clarté » est employé d'un côté par Raphaël Glucksmann,
10:53 qui entre parenthèses a été littéralement éliminé par le retour en force des partis politiques et des députés.
10:59 Et d'autre part, « clarté » dit La France Insoumise qui a tout de suite, dès lundi matin, émis un communiqué dans lequel il y a son programme.
11:05 Donc sur quel programme vont s'unir ces différents partis de gauche ?
11:09 Est-ce que le réflexe de la gauche, parlons clair, antifasciste, va fonctionner ?
11:13 J'ai moi aussi quelques doutes.
11:15 Et l'hypothèse d'une chambre introuvable, Jérôme Jaffray ?
11:18 Alors, « introuvable », c'est son sens historique, c'est qu'elle dispose d'une énorme majorité en faveur d'un camp.
11:25 C'est plutôt une chambre ingouvernable dont il conviendrait de parler.
11:28 C'est-à-dire là, l'hypothèse, si vous voulez, où il y a un équilibre de force qui ne conduit à ce que personne soit suffisamment puissant
11:36 pour faire adopter des textes à l'Assemblée Nationale.
11:39 Et donc, la gauche reste très puissante.
11:42 Renaissance ne perd pas trop de terrain, l'ERN progresse énormément,
11:46 et le président est privé du droit de dissolution pendant un an.
11:50 C'est-à-dire que nous...
11:51 Là, on ferait quoi, alors ?
11:52 Là, on ferait quoi ?
11:53 À la gaudie, pendant un an, avant que le président puisse éventuellement à nouveau dissoudre.
11:59 Et donc, une situation...
12:01 C'est pour ça qu'à la limite, pour le pays, un résultat clair et une majorité,
12:06 c'est quelque chose qui finalement est porteur de simplification.
12:10 Et c'est un axe de campagne assez simple, pour Renaissance, bien sûr,
12:14 mais dont j'ai dit combien elle était en situation difficile.
12:17 Pour le RN, c'est évident.
12:20 Une majorité pour le pays dont je persiste à dire que Marine Le Pen pourrait être la victime en 2027.
12:26 Et pour la gauche, le problème, c'est de ne pas faire qu'un combat défensif
12:30 et d'arriver à trouver une posture offensive.
12:33 Conclusion de Marc Lazare ?
12:35 Il y a une autre hypothèse.
12:36 Je sais qu'elle fait beaucoup discuter.
12:38 Le président de la République s'adresse aux Français,
12:41 voyant qu'il y a une chambre introuvable, disant "je vous ai donné la parole, je ne peux rien faire, donc je démissionne".
12:46 Je démissionne, et là s'ouvre un débat qui sera tranché par le Conseil constitutionnel.
12:50 Est-ce qu'il a le droit de se représenter, puisqu'il n'a fait que deux ans ?
12:54 Jérôme Jaffray, je le dis aux éditeurs, dit non.
12:57 Moi j'ai consulté trois constitutionnalistes de sensibilité différente qui disent que c'est ouvert.
13:02 Et par conséquent, peut-être que c'est son pari.
13:05 Justement, vous parliez de Paris, peut-être que c'est son pari, son zeste à la fin,
13:09 pour essayer de vaincre Marine Le Pen une deuxième fois, enfin une troisième fois,
13:14 et donc justement d'ouvrir une crise au sein du Rational National et d'essayer de se faire réélire.
13:19 Hypothèse extraordinairement hypothétique.
13:23 D'un mot, pour que Emmanuel Macron devienne rééligible, il faut que son successeur ait été élu,
13:29 ou sa successeur ait été élu, et le lendemain de l'élection de son ou de sa successeur, il redevient rééligible.
13:35 Mais il faut qu'entre les deux, un mandat de président de la République soit ouvert.
13:39 Oui, mais il y a deux ans là. Et par conséquent, le mandat n'est pas atteint jusqu'à sa fin.
13:43 Il n'est pas précisé dans l'article 8 de la Constitution que le mandat du président doit aller jusqu'au bout.
13:50 Et donc à mon avis, vous pourrez inviter Laurent Fabius pour en discuter.
13:55 Voilà, exactement.
13:57 favorable à mon hypothèse.

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