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C'est notre débat du jour, avec les éditorialistes Françoise Fressoz, Guillaume Roquette et Thomas Legrand. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/f-bayrou-a-matignon-les-ennuis-commencent-francoise-fressoz-x-guillaume-roquette-x-thomas-legrand-7245888

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00:00Débat ce matin sur la nomination de François Bayrou à Matignon, après à en croire plusieurs
00:04médias.
00:05Un échange tendu avec Emmanuel Macron, qui ne voulait pas de cette option, mais a fini
00:11par s'y plier.
00:12Au nouveau Premier ministre de nommer désormais un gouvernement, en essayant d'élargir sa
00:17base à l'Assemblée Nationale, des consultations ont lieu avec les chefs de parti aujourd'hui
00:22et demain, à l'exclusion de la France Insoumise qui a refusé l'invitation.
00:27François Bayrou n'ignore pas, pour reprendre ses mots, qu'il est face à un Himalaya de
00:31difficultés et que les ennuis commencent.
00:34Un clin d'œil à François Mitterrand.
00:36Ces ennuis, on va les passer en revue ce matin avec Françoise Fressoz, éditorialiste politique
00:44au quotidien Le Monde, Thomas Legrand, chroniqueur politique au quotidien Libération, producteur
00:51d'enquêtes de politique sur Inter et enfin Guillaume Roquet, directeur de la rédaction
00:56du Figaro Magazine.
00:57Soyez les bienvenus au micro d'Inter, avant de se projeter sur l'avenir, un mot, de cette
01:02nomination sous tension de François Bayrou, qui aurait donc menacé de rompre avec le
01:07Président de la République si Matignon lui échappait.
01:10François Bayrou a démenti ce récit en se disant « Premier ministre de plein exercice
01:17et de complémentarité avec Emmanuel Macron ». De quoi cet épisode est-il le nom, Françoise Fressoz ?
01:26Alors, c'est un épisode où on voit le Premier ministre qui s'impose au chef de l'État.
01:30Et moi, ce qui m'intéressait dans l'épisode, c'est que ce n'est pas la première fois
01:33que ça se produit.
01:34Le précédent, c'était Dominique de Villepin, face à Jacques Chirac, après le référendum
01:39sur le traité constitutionnel européen, un nom massif, un Président de la République
01:45qui ne sait plus comment se rétablir.
01:48Il avait une candidate qui s'appelait Michèle Alliomarie, qui était une sorte d'animatrice
01:53de l'équipe, comme aurait aimé Emmanuel Macron en choisissant Sébastien Lecornu.
01:58Dominique de Villepin entre dans son bureau et lui dit « Vous ne pouvez pas faire, vous
02:03devez me faire confiance, c'est moi qui dois aller à Matignon ». Et Villepin emporte
02:06le morceau.
02:07Ce qui m'intéresse dans ce parallèle, c'est que les deux hommes tentent le coup de force
02:11aussi, parce que ce sont aussi des proches du Président de la République, c'est-à-dire
02:16que Villepin était aux côtés de Chirac dans sa combat contre Édouard Balladur, et
02:21dans le cas présent, ce qui soude François Bayrou et Emmanuel Macron, c'est la constitution
02:28du centre, en 2017.
02:30Ils n'ont pas la même version, mais ils sont quand même attachés à la création
02:33d'un espace central face à la gauche et à la droite.
02:36Mais pourquoi ça clashe ?
02:37Pourquoi ça clashe ? Parce qu'au fond, Macron voulait garder les manettes jusqu'au
02:42bout.
02:43Il ne voulait qu'un animateur, parce qu'il voulait « Je veux la politique de l'offre »,
02:46tandis que François Bayrou lui dit « Non, vous avez perdu, vous avez besoin de quelqu'un
02:51qui vous protège, quelqu'un qui mène une politique pas très différente, mais qui
02:55vous protège.
02:56» Et c'est comme ça qu'il emporte le morceau.
02:57Thomas Legrand…
02:58Ça clashe exactement pour ça, parce que François Bayrou dit « Il faut faire une
03:01autre politique ». Alors qu'il a perdu deux élections législatives, Emmanuel Macron
03:05pense qu'il peut continuer.
03:06Ça pose un problème et c'est constitutif de la crise.
03:09Et puis quand vous devez nommer quelqu'un qui a essayé… Vous êtes Président de
03:11la République et vous devez nommer quelqu'un qui a essayé d'être trois fois Président
03:15de la République et qui cite, dans son premier discours, non pas Mendès-France ou Édouard
03:22Balladur ou Raymond Barre, un modéré, mais qui cite Henri IV et que vous êtes Président
03:27de la République, vous savez que vous perdez les manettes.
03:29Guillaume Roquet, j'ajoute qu'on peut dire que François Bayrou est le premier ministre,
03:36premier et premier ministre d'Emmanuel Macron, qui a un vrai capital politique.
03:39Thomas l'a rappelé à l'instant, trois fois candidat à la présidentielle, à la
03:43tête de son propre parti, c'est ce poids politique aussi qui a coincé ou effrayé
03:48Emmanuel Macron ?
03:49Oui bien sûr, parce que Thomas Legrand l'a rappelé à l'instant, François Bayrou s'est
03:54déjà présenté trois fois à l'élection présidentielle et je pense qu'il ne compte
03:57pas en rester là.
03:58C'est la grande différence avec Michel Barnier, qui était un homme qui a priori
04:02arrivait au sommet de sa carrière politique.
04:06Mais souvenez-vous, quand en janvier dernier, Emmanuel Macron nomme Gabriel Attal, on a
04:10l'impression que c'était il y a très longtemps, vu la rapidité avec laquelle valsent les
04:14premiers ministres dans notre pays.
04:16Mais on avait interviewé François Bayrou, qui était déjà candidat, sur ses intentions
04:21pour 2027 et il avait dit « je ne suis pas indifférent », ça veut dire bien sûr que
04:25je compte y aller.
04:26Et pour le président de la République, avoir, alors que lui-même ne peut plus se représenter,
04:31qu'il est extrêmement affaibli par des erreurs politiques majeures comme la dissolution,
04:35avoir face à lui quelqu'un qui est plein d'énergie et qui a bien l'intention d'exister
04:40par lui-même, ça va être compliqué.
04:41En fait, c'est souvent comme ça en politique, on s'oppose plus quand on est proche, parce
04:46qu'on n'est pas sur la compétition des idées, on est sur la compétition des personnes,
04:50des caractères, des tempéraments, des psychologies.
04:52Et ça, c'est ce qu'il y a de plus difficile à démêler, parce que les détestations personnelles,
04:57il n'y a pas de détestation entre les deux, mais en tout cas, les concurrences personnelles.
05:01Moi, je pense qu'en 2017, François Bayrou s'est rallié à Emmanuel Macron, ce qui
05:06a d'ailleurs été décisif dans le succès de celui-ci, ça l'a sans doute fait élire,
05:10il avait gagné 5 points dans les sondages, mais que Bayrou s'est dit « bon, il est
05:14plus jeune que moi, il est plus charismatique, mais finalement, quelque part, il me prend
05:17la place, parce que ce sont mes idées, cette idée de la victoire du centrisme, en même
05:23temps, tout ça c'était Bayrou, et il se dit « maintenant, c'est mon tour, je vais
05:26vraiment le mettre en place ».
05:27Donc on n'aura pas Françoise Fressoz de profil Premier ministre collaborateur ?
05:32Non, on va avoir un Premier ministre pleinement aux manettes, mais alors dans une situation
05:37extrêmement compliquée.
05:38C'est un vrai pari pour François Bayrou, parce qu'en fait, il y a deux facettes du
05:42personnage, et il le dit d'ailleurs, dans la Tribune Dimanche, il dit « je suis un
05:46bâtisseur et je suis un réparateur ».
05:48Ce n'est pas du tout le même profil, le bâtisseur c'est quelqu'un qui a de l'audace,
05:52qui construit, le réparateur c'est quelqu'un qui est tout en précaution.
05:55Et là, François Bayrou…
05:57Il peut faire les deux ?
05:58Bah non, moi je pense que c'est impossible de faire les deux, et je pense que c'est
06:03là la complexité de la situation pour lui.
06:06C'est vrai qu'il a incarné un projet qui était de rassembler, de construire un
06:09centre rassemblant les sociodémocrates, les démocrates chrétiens, les libéraux de progrès
06:14comme il les appelle.
06:15Et donc je pense qu'il est très attaché à ce projet, mais maintenant qu'il est
06:19aux manettes, ça va être très compliqué à la fois d'unir une partie de la gauche,
06:23la gauche réformiste qui s'est séparée de LFI, la droite qui veut rester là, la
06:29neutralité du RN.
06:31Donc est-ce qu'il fait un projet où on élimine tout ce qui dépasse et donc on fait
06:37très peu de choses ? Ou est-ce qu'on continue quand même d'avancer ? Et ça, ça va
06:41être le grand pari des mois qui viennent.
06:43Thomas Legrand…
06:44Il y a un paradoxe en fait, c'est son moment quand même François Bayrou, parce que lui
06:48qui théorise l'entente démodérée depuis toujours, c'est le moment de le faire.
06:53Et finalement, Emmanuel Macron n'a jamais réussi, en tout cas ça n'a jamais été
06:56efficace.
06:57Le problème c'est qu'il théorise ça depuis 30 ans, mais d'une façon différente
07:02d'Emmanuel Macron.
07:03Emmanuel Macron voulait un grand parti du centre, style 5ème République, un grand parti
07:07de masse, alors que François Bayrou a toujours considéré, et c'est pour ça qu'il était
07:12pour la proportionnelle, qu'il fallait une coalition, c'est-à-dire que les parties
07:15existantes devaient continuer à exister, mais devaient être responsables et s'entendre.
07:19Alors il est maintenant dans cette situation, le problème c'est que ces parties qui pourraient
07:25s'entendre n'ont pas été élues par la proportionnelle, mais ont été élues avec
07:30un sentiment majoritaire.
07:31Je le répète toujours, c'est peut-être un petit peu une lubie, mais s'ils avaient
07:35été élus en se disant « qu'est-ce que je vais pouvoir, qu'est-ce que je vais devoir
07:39céder plutôt, c'est-à-dire, ça c'est quand on est élu à la proportionnelle, plutôt
07:43qu'est-ce que je vais devoir imposer, ça c'est quand on est élu avec l'esprit majoritaire
07:48en pensant qu'on va tout gagner », et bien quand on veut réduire les déficits, les
07:52coalitions ne peuvent se faire qu'en dépensant de l'argent, et non pas en pensant ce qu'on
07:58veut, faut-il en dépenser plus ou moins, ce n'est pas la question, mais en tout cas
08:01mécaniquement, la façon dont ont été élus les députés va les conduire à faire des
08:08compromis plus chers.
08:09Un gouvernement centriste d'apaisement, Guillaume Roquette, ça suscite quel commentaire chez vous ?
08:18Il me semble que c'est hors-sujet.
08:20Pourquoi ?
08:21C'est-à-dire que François Bayrou a dit « je veux réconcilier les Français », mais réconcilier
08:27ça veut dire quoi ? Ça veut dire remettre d'accord des gens qui ne l'étaient pas,
08:30mais les Français ne sont pas d'accord entre eux, et il me semble qu'il y a un...
08:34Réconcilier ?
08:35Non, mais justement, la politique ça sert à quoi ? Ça sert à faire vivre les oppositions,
08:40ça sert à faire que des gens qui ne sont pas d'accord puissent vivre ensemble sans
08:43entrer en guerre civile, ça ne sert pas à effacer ces différences, il y a l'éléphant
08:48dans le couloir, c'est toujours le même, c'est le rassemblement national.
08:52Peut-être avez-vous vu le sondage du Figaro Magazine de ce week-end, Marine Le Pen est
08:55entre 35 et 38% au premier tour s'il y avait une présidentielle demain.
09:01Et François Bayrou dit « ah oui, mais ce qui est important c'est un gouvernement centriste,
09:06avec les gens qui sont modérés... »
09:08Mais elle était à 38% aux législatives et elle a perdu au deuxième tour, c'est-à-dire
09:12que ce n'est pas parce que vous avez 38% que vous n'avez pas 60% ?
09:15Oui, sauf que si vous additionnez les voix de Marine Le Pen avec celles de Laurent Wauquiez,
09:22de Nicolas Dupont-Aignan, d'Éric Zemmour, vous arrivez à une majorité.
09:25Et donc la question existentielle, c'est celle-là, je dis que Michel Barnier avait
09:31trouvé quelque chose, ça n'a pas marché, Michel Barnier « traitait » le rassemblement
09:36national, à plusieurs reprises, dans le projet de loi de finances de la Sécurité Sociale,
09:40il a voulu, il a entendu, effectivement ça s'est mal terminé, c'est pour ça que c'est
09:44une impasse.
09:45Mais le paradoxe, c'est que jamais le pays n'a été aussi à droite, et Emmanuel Macron
09:50l'emmène vers la gauche, en passant de Michel Barnier, LR historique, à François
09:55Bayrou, centriste, je dirais, de conviction et de constitution.
10:00Françoise Fressoz ?
10:01Il me semble qu'un des éléments qui va jouer, c'est le rapport à l'opinion.
10:05Pour le moment, il n'y a pas d'effet Bayrou du tout, le sondage est là, BFM montre qu'il
10:11y a 40% qui trouvent que c'est une mauvaise chose, 31% une bonne chose, et 29% sans opinion.
10:18Donc, il n'y a pas d'effet Bayrou, il y a quand même un gros problème, c'est la dette,
10:22et je pense que ça va être une des problématiques pour François Bayrou, c'est d'essayer de
10:27sensibiliser les Français, il a parlé de la dette comme un poids moral, pas du tout
10:32comme une question financière, donc est-ce qu'il arrive à dire, au fond, il y a quand
10:36même un problème qui nous concerne tous, et est-ce qu'il y a un chemin pour arriver
10:40à un peu la contrôler ? Je pense que ça a été ce qui a manqué à Michel Barnier,
10:45Michel Barnier, il avait le projet d'essayer de réconcilier les partis, puis après de
10:49faire ce qu'il appelait un projet de progrès, qu'il n'a jamais réussi à présenter aux
10:52Français, puisqu'il a été censuré avant.
10:54Est-ce que François Bayrou va dire, il y a peut-être une voie difficile, mais sur
10:58lequel on peut un minimum d'entendre ? Je pense que c'est la seule chose à laquelle
11:02il peut se raccrocher pour essayer d'éviter cette négociation entre partis, et d'être
11:06complètement baluté à gauche et à droite.
11:08Mais un rude budget, disons d'austérité, entre guillemets, en majorité relative,
11:14est-ce possible ?
11:15Je redis ce que j'ai dit tout à l'heure, ça n'est pas possible, à mon sens, quand
11:21chacun a été élu en se disant « je veux appliquer tout mon programme, et tout ce
11:25que je céderai sera une défaite », s'ils avaient été élus dans un autre état d'esprit,
11:30un esprit de compromis, comme ça se passe dans d'autres pays, c'est pas toujours
11:33gage de stabilité, on le voit en Allemagne par exemple, mais en tout cas, au moment de
11:37prendre des décisions, c'est plus facile de céder des choses plutôt que d'en demander.
11:44Donc ça va être très compliqué, je pense que pour avoir une majorité, ou une grosse
11:48majorité relative, une majorité non-censurable, François Bayrou va devoir céder des choses
11:55qui seront coûteuses à droite et à gauche.
11:57Il y a eu en fin de semaine dernière des confidences du ministre du budget des missionnaires,
12:02qui disaient « oui, l'année prochaine on sera à plus de 6% de déficit budgétaire
12:06».
12:07Merci en panique a dit « pas du tout », il a été mal compris, mais c'est vers ça
12:11qu'on s'oriente.
12:12Et le sujet c'est en fait, qui va décider si le budget sera dur ou pas ? Ce seront
12:16nos créanciers.
12:17Ou bien ils continuent à nous dire « bon ok, la France est un peu compliquée, mais
12:21c'est quand même un pays riche, et puis il y a Emmanuel Macron qui est pro-business,
12:24donc on leur laisse du temps ».
12:25Ça il se disait ça quand on était stable, maintenant c'est plus stable.
12:27Je suis d'accord, mais sauf que si vous voulez passer de Michel Barnier à François
12:31Bayrou, je pense que quand vous êtes le responsable d'un fonds de pension texan,
12:34vous n'écoutez pas forcément France Inter tous les matins, il n'est pas facile
12:37de voir la différence.
12:38Donc ce n'est pas non plus les communistes au couteau entre les dents, il y a un pouvoir.
12:42Ils ne savent pas que c'est le même, mais ils voient que ça change dans le budget.
12:45Oui, peut-être, mais c'est ça la question en fait, la vérité c'est que personne
12:48n'a la réponse.
12:49Si on pouvait prévoir les crises financières, on serait tous riches, et donc en fait c'est
12:53ça.
12:54Ou bien il y a un affolement sur les taux d'intérêt, sur le financement de la dette,
12:59et là, il y aura un rédissement de la politique budgétaire avec de vraies économies, sinon
13:07malheureusement ça continuera à partir à volo.

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