• il y a 2 mois
À 9h05, Débat du jour : Dérapage budgétaire : le macronisme à l’heure des comptes ? » Avec : Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde, Thomas Legrand, chroniqueur à Libération, producteur d’En quête de politique sur France Inter, Guillaume Roquette, directeur de la rédaction du Figaro Magazine.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00Débat ce matin sur le budget 2025, cette énorme montagne économique et politique qui
00:06arrive en débat aujourd'hui dans l'hémicycle fragmenté de l'Assemblée Nationale.
00:11« Avis de tempête fiscale ! » clament à la une les échos quand l'édito du Figaro
00:18alerte sur la frénésie fiscale, la furia disait Dominique Seux tout à l'heure.
00:24En page intérieure, le Parisien cite un député marcheur qui l'assure, ce débat, ça va
00:31être une « boucherie totale ». S'il semble difficile à ce stade de se mettre d'accord
00:37sur le nombre de milliards à trouver, les manières d'y parvenir, beaucoup pensent
00:43que la messe est d'ores et déjà dite et que le budget sera pour finir adopté par
00:4949-3.
00:50On va en débattre ce matin, et ce ne sera pas une « boucherie totale », avec Françoise
00:55Fressoz, éditorialiste au Monde, Thomas Legrand, chroniqueur à Libération, producteur
01:00d'enquêtes de politique sur France Inter, et avec Guillaume Roquet, le directeur de
01:04la rédaction du Figaro Magazine.
01:06Bonjour à tous les trois, et merci d'être là.
01:09Le débat parlementaire s'engage, Guillaume Roquet, Michel Barnier avaient posé une équation
01:14simple pour sortir de la crise des finances publiques, un tiers de hausse d'impôts,
01:20deux tiers de baisse des dépenses.
01:22Cette équation est-elle encore d'actualité ?
01:25Alors, elle ne l'est plus, mais elle ne l'a jamais été.
01:29Dans la mesure où la présentation de Michel Barnier était pour le moins tendancieuse,
01:33la vérité, c'est le Haut Conseil pour les Finances Publiques qui nous l'a donné,
01:37c'est que ce sera le contraire, c'est-à-dire qu'en fait, l'année prochaine, ce sera
01:40un tiers de dépenses en moins et deux tiers d'augmentation d'impôts.
01:44Pour une raison simple, c'est qu'en fait, les économies promises planifiées par Bercy
01:48ne sont pas des vraies économies, c'est de l'argent qu'on voulait dépenser et
01:52que finalement, on ne dépensera pas.
01:53C'est exactement comme si vous aviez décidé d'aller faire des courses, vous dites « allez,
01:57je me fais 200 euros de shopping », puis vous dites « non, finalement, ce n'est
01:59pas raisonnable, je ne vais dépenser que 180 euros », et vous dites à votre banquier
02:04« oh, vous pouvez me féliciter, je viens d'économiser 20 euros », sauf que ce
02:06n'est pas vrai.
02:07Donc, dès lors qu'il y avait cette priorité donnée à l'augmentation des impôts, je
02:12pense que Michel Barnier a un peu ouvert la boîte de Pandore et malheureusement, l'Assemblée
02:16s'est précipitée dans la brèche.
02:18Donc l'équation, Françoise Fressoz, de base, vous la trouvez comme Guillaume Roquet,
02:24déjà fragilisée, voire fausse ?
02:26Oui, moi ce qui me frappe dans tout ce débat, c'est qu'au fond, la base n'est pas solide.
02:30C'est-à-dire que le projet de loi de finances a été bâti en 15 jours, après des semaines
02:35de vacances politiques, qui étaient dues au fond à un effet générateur, la dissolution,
02:40qui à mon avis est liée justement à la crise des finances publiques, l'incapacité
02:44pour Emmanuel Macron de sortir du dilemme dans lequel il était, c'est-à-dire soit
02:49continuer la politique de l'offre, continuer à baisser les impôts alors que les déficits
02:53augmentaient, soit trouver quelqu'un d'autre pour faire le sale boulot.
02:57Et je pense que Michel Barnier est arrivé pour faire le sale boulot.
03:00Sauf que Michel Barnier, il fait ça en 15 jours et la base n'est pas solide.
03:05Notamment pourquoi ?
03:06Parce qu'à Bercy, il y a eu un accident industriel, on n'a pas su prévoir les recettes
03:11fiscales il y a deux ans, ni celle de l'année dernière, et donc il y a aussi un doute sur
03:15ceux qui font le budget.
03:17Donc aujourd'hui, on est dans la situation où les chiffres n'ont pas beaucoup de réalité
03:21et où le débat qui s'inscrit sur ces chiffres devient complètement irréel aussi.
03:25Et en ce sens-là, je trouve qu'on est vraiment proche d'une crise, parce que normalement
03:30le budget c'est le texte avec des chiffres, une trajectoire qui fixe le sérieux d'un
03:35pays, et là on voit bien que tout risque de partir à volo.
03:38Thomas Legrand.
03:39Oui, là on est dans les 4 tiers de la partie de cartes de Pagnol et en réalité, si on
03:45fait un petit bilan de ces derniers mois pour arriver au budget, pourquoi la France arrive
03:51à emprunter plus que les autres ? Pourquoi les créanciers nous font plutôt confiance
03:56? Deux choses, parce qu'on a là une sorte de visibilité et de stabilité politique
04:01et puis on est réputé avoir des budgets sinon équilibrés, du moins sérieusement
04:06présentés par des gens compétents.
04:08En 6 mois, Emmanuel Macron a réussi à casser ces deux outils qui nous permettaient d'emprunter
04:13beaucoup et d'emprunter dans des conditions favorables.
04:16Donc ça c'est assez grave et maintenant on rentre dans une période de théâtre d'ombre
04:23et de folie totale, c'est-à-dire que tout le monde sait très bien que tout ça va être
04:28ramassé à la fin par un 49-3 et que le gouvernement fera ce qu'il veut, ce qu'il peut plutôt
04:34et on ne sait pas encore, parce que ce n'est pas très visible, entre les dépenses et
04:37les recettes, on ne sait pas, il y a des dépenses qui sont présentées comme des recettes,
04:39c'est assez compliqué.
04:40Donc chacun y va de ses propositions un peu folles ou d'économies, là on en est au
04:47vol des recettes, parce que vous allez voir, dans les économies, il y aura des propositions
04:50aussi complètement tarées.
04:51Bon ben là, il y a des propositions tarées de recettes, c'est moi qui le dis, tout le
04:55monde peut y aller joyeusement en disant « c'est moi qui ai proposé ça, c'était très intelligent
04:59parce qu'on sait qu'il y aura l'éponge magique du 49-3 après ». Donc on est le
05:03moment très sérieux du budget qui doit fixer non seulement les finances publiques mais
05:08qui doit aussi fixer la majorité, c'est au moment du vote du budget qu'une majorité
05:12se dessine.
05:13C'est le moment le plus fou aujourd'hui.
05:14Juste une petite parenthèse, attendez-vous avec impatience la commission d'enquête
05:20sur les finances publiques, le dérapage des finances publiques ? Parce qu'à vous
05:24entendre, l'outil même de mesure des comptes de la France a dysfonctionné.
05:31Oui, puisque je rappelle que finalement le déficit de cette année sera de 50 milliards
05:37d'euros supérieurs à ce qui avait été prévu l'année dernière.
05:40Je pense que cette commission d'enquête va être utile, elle va être utile parce
05:43qu'elle va permettre de s'apercevoir qu'il n'y a pas quelqu'un qui s'est trompé
05:46d'un chiffre dans son addition à Bercy l'année dernière.
05:50Il y a eu une sorte d'auto-intoxication d'Emmanuel Macron, de Bruno Le Maire et
05:59du gouvernement, consistant à se dire, puisque nous faisons la bonne politique, c'est-à-dire
06:04que nous faisons ce qu'on appelle une politique de l'offre, nous favorisons les entreprises,
06:09eh bien la croissance va revenir et donc les recettes vont revenir et donc le budget va
06:14s'équilibrer.
06:15Mais ça a été le cas pendant un temps.
06:16Le problème, c'est qu'il reste en France un problème de productivité, un déficit
06:21de productivité des entreprises par rapport au reste de nos concurrents et que donc, malgré
06:27les efforts méritoires d'Emmanuel Macron, parce que c'est quand même un de ses acquis,
06:31il faut bien le reconnaître, ça n'est pas suffisant et donc les entreprises françaises
06:35peinent.
06:36Et puis parce que la France ne travaille pas suffisamment, parce qu'on n'investit
06:39pas suffisamment.
06:40Quand on voit le faible nombre de PME françaises par rapport à ce qui existe de l'autre
06:45côté du Rhin en Allemagne, on s'aperçoit qu'il y a un problème et le drame, si vous
06:50voulez, c'est qu'il y a eu la bonne politique par Emmanuel Macron, c'est-à-dire la politique
06:54de l'offre, mais elle n'était pas financée.
06:56C'est-à-dire que la baisse des impôts n'a pas été financée par une baisse des
06:59dépenses avec cette espèce de mythe, de rêve, selon lequel le retour de la croissance
07:05allait tout payer.
07:06Et bien malheureusement, ce n'est pas le cas.
07:07Allez, on revient au débat sur le budget 2025.
07:10Françoise Fressoz, qu'attendre du débat parlementaire dans le contexte actuel de
07:15l'Assemblée nationale ? Je citais tout à l'heure ce marcheur, ce député, « ça
07:20va être une boucherie totale », disait-il.
07:23Vous en attendez quoi ?
07:25Moi, j'ai une déception sur ce débat a priori parce que je m'attendais à la situation
07:32suivante.
07:33On est en situation où personne n'a vraiment de majorité et où une possibilité par le
07:39Parlement de se saisir de ce qu'on appelle la coalition, c'est-à-dire la capacité
07:44à essayer de proposer une voie en négociant, mais en négociant sur quelque chose d'assez
07:51déterminé à l'avance, c'est-à-dire une politique que vous déterminez, ça, ça
07:55n'existe pas.
07:56Donc, si vous voulez, on voit la fragilité du Bloc central, vous avez tout un tas de
08:00compétitions qui se jouent, le Modem qui essaye de se rapprocher du centre-gauche,
08:05Wauquiez et Attal qui se livrent une grande compétition pour savoir qui va récupérer
08:09le Bloc central, donc tout ça se délite et vous avez deux blocs d'opposition très
08:14forts, d'un côté la France Insoumise et le Nouveau Front Populaire, de l'autre le
08:19Rassemblement National, qui peuvent faire chuter Michel Barnier si, si jamais, ils s'unissent.
08:30Donc, on est dans cette situation-là d'un très fort émiettement et je pense que chacun
08:35aujourd'hui fait son marché électoral en se disant « ça ne va pas durer, il y aura
08:39une dissolution, donc on va parler à nos électeurs ». Et donc, toute la politique
08:43fiscale, elle est destinée aux électeurs de chacun des partis qui essayent de…
08:47Thomas, d'un mot sur le débat parlementaire ?
08:50En réalité, on en revient depuis quelques mois toujours à la même question, c'est
08:54notre culture de compromis.
08:55Je pense que le rêve de Françoise Fressoz advienne, il eut fallu qu'il y ait non pas
09:06une coalition parlementaire, mais une coalition de gouvernement, c'est-à-dire que ce travail
09:10de coalition se fasse avant, comme dans tous les pays où c'est le Parlement qui décide,
09:15c'est-à-dire que le Parlement est élu et avant de voir qui on va mettre à l'exécutif,
09:19on négocie sur la sphère, la taille et l'identité de la majorité.
09:28Ça ne s'est pas fait, parce qu'on est toujours dans cette culture de l'affrontement,
09:31cette culture dominée par le spectre de l'élection présidentielle où il faut gagner au premier
09:35tour d'abord, donc il ne faut surtout pas s'unir, et l'élection présidentielle,
09:39ça peut paraître bizarre, mais c'est l'élection présidentielle qui pourrit le travail du Parlement
09:44pour que, si on avait fait un accord de gouvernement, il y aurait eu un budget, qu'on l'aime ou
09:50qu'on ne l'aime pas, un budget un peu cohérent avec une majorité pour la voter.
09:53Réagissez, Guillaume Roquet !
09:55Moi, je serais peut-être un petit peu moins sombre, parce que si on reprend la séquence
09:59qu'on vient de vivre, il y a eu trois jours de foire à l'impôt, en commission des finances,
10:04c'est-à-dire que c'est une espèce de poussée de sadisme fiscal comme ça, où on a fait
10:1140 milliards de dépenses supplémentaires, et puis, samedi dernier, la même commission
10:15des finances a fini par dire « ok, maintenant, la fête est finie, on va se calmer », et
10:22la commission des finances elle-même a renoncé à ce nouveau projet qui est aggraver les
10:28augmentations d'impôts, et en particulier grâce au Rassemblement National.
10:31Et donc, tant que le Rassemblement National envoie des messages de bonne volonté en disant
10:37« nous ne censurerons pas le gouvernement sur ce projet de budget », c'est une assurance
10:45vie, même si elle est très provisoire, pour Emmanuel Macron.
10:48Et je pense que le RN ne changera pas d'idée, pourquoi ? Parce que pour une partie de l'électorat,
10:52peut-être d'ailleurs pour une partie d'électeurs du Figaro, voir le Rassemblement National
10:56être l'élément modérateur de ce délire fiscal, eh bien ça le crédibilise d'une
11:02façon qui est, pour ce parti, inespérée.
11:05Un mot sur le camp présidentiel, divisé, avec une situation baroque, les macronistes
11:10sont à la fois au gouvernement et dans l'opposition, avec par exemple le député Darmanin qui
11:15fustige toute hausse d'impôts, au gouvernement, Agnès Pannier-Runacher menace de démissionner
11:21si le budget de son ministère n'est pas rehaussé, tout comme Didier Migaud pour son
11:28ministère de la Justice… Est-ce lunaire comme situation ?
11:34Là, je pense que c'est moins lunaire, je pense que ce qui se joue, c'est au fond,
11:39est-ce que ce bloc macroniste, dont l'identité s'est constituée autour de deux choses
11:44pour le moment, c'est l'Europe, la construction européenne et la politique de l'offre,
11:49est-ce que ce bloc peut rester uni ou est-ce qu'il va repartir dans une sorte de clivage
11:54gauche-droite ? Et on voit par exemple le Modem qui essaye beaucoup de se rapprocher
11:59du centre-gauche, on voit les macronistes comme Darmanin qui dit « non, non, il faut
12:04sauver la politique de l'offre », et on voit la droite, Wauquiez, qui va essayer
12:10de mettre la main sur tout ça. Donc je pense que les tensions aujourd'hui sont liées
12:14à ça, c'est-à-dire la possible disparition du bloc central, sauf s'il reste uni, mais
12:20pour le moment, qui peut les unir ? Donc c'est l'offensive Attal qui va essayer
12:24de prendre le parti, qui va essayer de doter le parti d'une sorte de doctrine, mais enfin
12:28on voit qu'il y a quand même cette énorme incertitude qui pèse là-dessus.
12:33Un mot Thomas sur ces menaces de démission sur place publique ?
12:39Oui, chaque ministre défend son précaré, quand il s'agit de son budget mais veut
12:46évidemment des économies pour tout le monde, c'est toujours la même chose, il n'y a
12:51pas d'accord de gouvernement, il n'y a pas de ligne, parce que…
12:54Ça va tenir combien de temps tout ça ?
12:56Ça peut tenir un peu de temps, parce que franchement, tant que Michel Barnier est un
13:01peu plus populaire, il n'est pas très populaire, mais un peu plus populaire que les autres,
13:04on ne voit pas pourquoi Marine Le Pen, qui pour l'instant a l'air de tenir un petit
13:09peu les ficelles, comme vous l'avez dit Guillaume Roquet, c'est un petit peu la maîtresse
13:13du jeu, on ne voit pas pourquoi si elle décide d'appuyer sur le bouton, ça serait la maîtresse
13:20du chaos, c'est-à-dire qu'au lendemain, comme il n'y a pas de dissolution possible,
13:23on lui dirait « So what, tu as fait ça, et maintenant qu'est-ce qui se passe ? ». Et
13:26il nous reste 30 secondes, Guillaume, ça peut tenir combien de temps ?
13:30À mon avis, plusieurs mois, d'abord parce qu'il est 9h23, et qu'à ma connaissance,
13:35ni Didier Migaud, ni Agnès Pannier-Wenachin n'ont toujours démissionné, vous savez
13:39le côté « Retenez-moi ou je fais un malheur », c'est un grand classique politique…
13:41Oui, attendez qu'ils écoutent le podcast !
13:43Et donc, comme il n'y a pas de… De toute façon, il n'y a pas de plan B, donc à
13:48mon avis, sachant qu'il n'y a pas de majorité alternative, je pense que Michel Barnier
13:53est tranquille, à mon avis, pour quelques mois, même si je me mouille en disant ça.
13:57Et je suis d'accord, et je pense que Michel Barnier va jouer « Moi ou le chaos », et
14:01je pense qu'il est en train de gagner là-dessus.

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