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Dans le débat du 7/10, mardi 25 février, Alain Minc, essayiste, et Pierre Servent, spécialiste des questions de défense et de stratégie militaire, débattent du thème "Face à Trump et Poutine, quelle stratégie de défense pour l’Europe ?"

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00:00Ce débat ce matin sur la vaste recomposition géopolitique qui frappe l'Europe en seulement
00:06un mois de présidence Trump.
00:09Le front Etats-Unis-Europe sur l'Ukraine, il a volé en éclats, Poutine n'est plus
00:14un pestiféré, il parle à Trump quand Zelensky, lui, est traité de dictateur.
00:20Les Européens seront-ils invités à la table des négociations pour la fin éventuelle
00:25de cette guerre ? On peut se poser la question.
00:28Et puis, quel sera le sort réservé à l'avenir de l'OTAN et à ses règles de solidarité
00:34militaires ? L'Europe peut-elle prendre en main son destin ?
00:38Beaucoup de questions, on les pose à Alain Minc, bonjour, essayiste, conseiller en entreprise,
00:47auteur de Somme toute chez Grasset, et à Pierre Servan, bonjour, spécialiste des questions
00:53de défense et de stratégie, colonel de réserve honoraire.
00:58Merci d'être au micro de France Inter ce matin.
01:02Emmanuel Macron rencontrait hier le président Trump à la Maison-Blanche, il a évoqué
01:10un tournant dans les échanges et dans la position américaine sur l'Ukraine.
01:18Avez-vous vu, Pierre Servan, ou senti les preuves d'un tournant dans la position de
01:26Donald Trump ?
01:28Non, pas vraiment, j'ai passé pas mal d'heures sur le plateau de LCI hier à commenter les
01:34deux points de presse, le premier point de presse informel et la conférence de presse.
01:39Je salue les efforts du président français, j'ai trouvé le président Macron remarquable
01:44dans la tentative d'essayer de se mettre dans le sillage, dans la psychologie du président
01:48américain pour essayer de l'amener à apporter des garanties de sécurité aux Européens
01:56qui s'engageraient sur le terrain.
01:58Lors du point de presse informel, une question a été posée par un journaliste à Trump,
02:03et il a été complètement évasif en disant, par rapport à l'appui d'une sécurité américaine,
02:09notamment en termes de renseignements, de logistique, de transport, aux Européens qui
02:12s'engageraient sur le terrain pour faire respecter une paix supposée, et bien il a
02:17dit non non mais c'est pas la peine, tout ça va se régler gentiment.
02:20Et puis par ailleurs, pendant la conférence de presse, le président Macron a tiré, tiré
02:24au maximum l'administration américaine vers lui, et bon, on s'était à se demander
02:29si le président Trump comprenait vraiment de quoi il était question, donc je n'ai malheureusement
02:35pas vu de tournant, on va voir si le Premier ministre britannique obtient quelque chose
02:42de plus sur le plan explicite, mais juste pour terminer, je pense qu'il n'y aura pas
02:45de garantie américaine, Trump se moque totalement de l'Ukraine, ça ne l'intéresse pas, c'est
02:50un pays loser, parce que lui il divise le monde entre les winners, enfin les gagnants
02:54et les perdants, c'est un pays perdant, il s'en fiche complètement et donc il n'engagera
02:59pas de garantie, à mon sens, on va voir, mais il n'apportera pas de garantie américaine.
03:04Votre lecture à la main de ce qui s'est passé hier à Washington ?
03:07Le tournant, il n'a pas eu lieu à Washington, il a eu lieu à New York, c'est-à-dire que
03:14les Américains ont voté avec les Russes contre les Européens, et si on regarde l'histoire,
03:22il n'y a pas eu beaucoup de tournant de cette ampleur, c'est-à-dire de renversement
03:26d'alliances depuis le pacte germano-soviétique, donc c'est l'univers dans lequel nous sommes
03:31entrés, les Américains ne sont plus nos alliés, ils sont potentiellement nos adversaires,
03:37pas militaires.
03:38À partir de là, il faut se poser les questions qui nous concernent.
03:41En effet, Emmanuel Macron a fait ce qu'il pouvait de mieux avec le deux-deux.
03:45On fait son deuil de ce qui s'est passé depuis 1945 jusqu'à il y a un mois.
03:50Je veux juste dire qu'en effet, le président de la République a fait le mieux possible
03:56avec le deux de carreau et le trois de trèfle qu'il avait en main, mais celui qui a dit
04:00que le monde a changé, c'est le nouveau chancelier allemand qui a déclaré, le chancelier
04:07allemand de la CDU, régnant, dont toute la culture est d'être tournée vers les États-Unis,
04:12a dit « nous ne pouvons plus compter sur les États-Unis, je ne m'attendais jamais
04:16à dire à la télévision ce que je suis en train de vous dire et je pense qu'il faut
04:20que nous demandions la protection nucléaire française et anglaise ». C'est bouleversant.
04:26Alors le problème anglais, Pierre Servan le sait bien, est très particulier parce
04:30que la protection nucléaire anglaise suppose que la clé américaine joue dans le bon sens.
04:36En revanche, ça nous interpelle, nous, Français.
04:39Nous avons dans ce jeu une carte qui est notre force nucléaire.
04:43Jusqu'à présent, nous vivions avec une doctrine qui partait du territoire à l'époque
04:49de De Gaulle, puis qui s'est élargie aux intérêts vitaux, et puis on a dit que ça
04:53a une dimension européenne.
04:54Je pense que le président de la République est devant un choix historique.
04:58Je crois qu'il doit proposer la protection nucléaire française, j'ai dit « proposer
05:03», pas « imposer » à l'ensemble de nos partenaires de l'Union Européenne,
05:08et ça c'est un geste fondateur.
05:10Si nous continuons à nous comporter simplement comme une armée conventionnelle parmi d'autres,
05:16nous ne jouons pas avec la carte que nous avons.
05:18Une petite armée conventionnelle.
05:19Une petite armée comme celle de tous les pays d'Europe.
05:22Et donc, est-ce que la France est prête à aller jusque-là ? Il s'agit, comme disent
05:27les Anglais, à certains moments, de penser « out of the box », c'est-à-dire en
05:31dehors de la boîte.
05:32Qu'en pensez-vous, Pierre Servan ?
05:34Alors, oui et non.
05:37Sur le non, sans être normand, je pense que pour l'instant, il faut rester accroché
05:43aux principes des intérêts vitaux ayant une dimension européenne, et surtout ne pas
05:48rentrer dans le jeu de Poutine consistant, et là c'est un peu la critique que je fais
05:51à votre tribune, au risque d'apparaître comme un esprit poussiéreux, archaïque,
05:55un officier d'état-major que je fus jadis, trop nostalgique du passé.
06:00Il faut éviter de donner des informations à Poutine en disant « écoutez, certainement
06:05que ça peut concerner l'Allemagne, la dimension européenne, sans doute pas la Pologne, pour
06:10le coup les Pays Baltes, pas du tout ». Il faut absolument, pour l'instant, maintenir
06:14l'ambiguïté stratégique des intérêts vitaux et renvoyer à Poutine la question
06:19de savoir « est-ce que si je fais ça ou ça, je rentre, je télescope les intérêts
06:24vitaux de la France ? ». De ce point de vue-là, j'étais très critique sur le président
06:27Macron au début de la guerre en Ukraine qui, d'entrée de jeu, avait dit « bien
06:31sûr, l'Ukraine ne rentre pas dans les intérêts vitaux de la France ». Et je note qu'aujourd'hui,
06:37le président Macron, à juste titre, parle de problèmes existentiels pour l'Europe
06:41à partir de la posture russe, de ce qui se passe en Ukraine.
06:44Donc je pense que, pour l'instant, il faut rester là-dessus, mais je rejoins Alain Minc,
06:48tout est bouleversé, la position allemande est un élément, comment dirais-je, très
06:53important de bascule.
06:55Et juste pour terminer d'un mot, le signal qui permettra à la France d'avancer dans
07:00le sens que vous évoquez, c'est le fait que les Américains retirent leurs armements
07:04nucléaires d'Europe.
07:05Je pense que les auditeurs ne savent pas tous que les Américains ont prépositionné
07:10en Europe, en Italie, dans les Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Turquie, alors Turquie est un pays
07:15à moitié européen, des armes nucléaires qui sont présentes sur ce territoire et qui
07:19sont en quelque sorte la garantie du parapluie nucléaire américain.
07:23A partir du moment où les Américains se désengageant, sortant en quelque sorte de
07:27l'OTAN et enlevant leurs armes nucléaires…
07:30On peut l'imaginer ça ?
07:32Nicolas Demorand, tout est possible, tout est possible, vous auriez imaginé le vote
07:38d'hier à New York, c'est impensable.
07:41Donc, dans ce sens-là, Alain Minc a raison, c'est-à-dire qu'il faut anticiper, il
07:46faut réfléchir, mais sans donner, je dirais, de biscuits à Poutine pour se dire, finalement,
07:53les Pays-Bas, ce n'est pas encore certain.
07:54Les Polonais, je termine par là, les Polonais récemment, pour ça qu'ils ne sont pas
07:59ouverts à une dissuasion nucléaire française élargie, non pas partagée, mais élargie,
08:03puisque les Polonais ont demandé aux Américains des armements nucléaires sur leur territoire.
08:07Donc, on est encore loin du compte, mais tout est possible et pour le coup, Alain Minc a
08:12raison, il ne faut certainement pas dire, ah non, non, non, ça c'est trop horrible,
08:17il ne faut pas y songer.
08:18Alain Minc ?
08:19On est sur un débat d'une incroyable gravité.
08:22Il y a eu peu de débats de cette ampleur, y compris pour la France.
08:26Je pense qu'à la vitesse à laquelle vont les choses, ce qu'a dit Pierre Servand me
08:30paraît très plausible, que les Américains retirent leurs armes nucléaires.
08:35Déjà, les armes non nucléaires ou les contingents non nucléaires qu'ils ont dans la partie
08:40Est de l'Europe, ils peuvent la retirer et je suis convaincu qu'à un moment donné,
08:45les Polonais penseront comme les Allemands.
08:47Je pense qu'il est très difficile de dire que nos intérêts vitaux, c'est l'Allemagne
08:52et s'en tenir là, parce que ça, ça veut dire que la porte est ouverte en réalité
08:57à la Pologne.
08:58Donc, le choix, il est à mes yeux, mais je comprends le débat, il est binaire, c'est-à-dire
09:03est-ce que nous considérons que tout ce qui concerne l'Union Européenne peut être,
09:08si nos partenaires le veulent, protégé par nous ? Ça veut dire Vilnius.
09:11Alors, vous allez me dire, on ne voulait pas mourir pour Danzig, on ne veut pas mourir
09:15pour Vilnius.
09:16Bien sûr, mais si on dit simplement, l'Allemagne et la France, c'est le cœur et le reste,
09:22on est indifférents, on ouvre la porte en réalité à Poutine, surtout sur les pays
09:26baltes.
09:27Mais, je mesure la gravité du sujet, mais je crois qu'aujourd'hui, il faut l'aborder
09:32de front.
09:33C'est une question qui ne se serait jamais posée, évidemment, si Kamala Harris avait
09:38été élue.
09:39On peut imaginer, puisqu'on peut tout imaginer, Pierre Servan, la fin de l'OTAN ?
09:44Oui, oui, alors, comment dirais-je, par une forme de désengagement ou d'émiettement
09:51par l'intérieur.
09:52Parce que l'OTAN sert les Américains, les Américains, notamment Trump, se plaint depuis
09:56son premier mandat de l'effort pas suffisamment important des Européens.
10:00Et c'est vrai.
10:01Mais en même temps, l'OTAN lui sert de porte-avions pour vendre son matériel militaire aux Européens
10:06et pour entretenir une addiction européenne.
10:10Par exemple, les Polonais dont on parlait se sont beaucoup réarmés.
10:14Ils ont acheté massivement, par exemple, des hélicoptères d'attaque américains qui
10:17sont incapables de faire voler parce qu'ils n'ont pas les pilotes.
10:20Donc, vraiment, l'enjeu aujourd'hui, c'est de désintoxiquer le plus rapidement possible
10:26les Européens de l'aide américaine.
10:29Les Européens avaient une triple dépendance, marché économique chinois, ressources énergétiques
10:34bon marché russes et protection militaire américaine.
10:38La question aujourd'hui, c'est est-ce qu'on continue à être peu ou prou dépendant ou
10:42est-ce qu'on devient des grands garçons et des grandes filles ?
10:44C'est vraiment l'enjeu historique de ce moment.
10:46On peut devenir soudainement des grands garçons et des grandes filles à la moinc ?
10:52Ecoutez, l'Europe quand même, il faut essayer de voir le bon côté des choses, l'Europe
10:58bouge que quand elle est dos au mur.
11:00Elle l'a fait à maintes reprises et donc là, elle est lourdement dos au mur.
11:04Et je reviens sur le point de départ de notre conversation.
11:07Ce qui se passe en Allemagne est décisif.
11:09L'Europe ne peut pas bouger si l'Allemagne ne bouge pas.
11:12Et qu'en Allemagne, cette compréhension de ce qui vient de se passer est à cet égard
11:18encourageant.
11:19Les Français, ils ont toujours été sur l'autonomie.
11:21Au fond, la réalité vient sur les positions françaises.
11:26Mais ça veut dire aussi une chose.
11:28Dans la partie qui s'ouvre, il faut que nous jouions sans arrogance.
11:32C'est pas parce que nous avons eu raison que nous devons jouer comme nous savons faire.
11:37Car là, ça se bloquera.
11:39Et donc, autant le président de la République a été excellent hier, autant j'espère
11:43que dans la partie qui s'ouvre, il fera preuve d'humilité avec nos partenaires comme
11:48il a su fictivement le faire avec Trump hier.
11:51Les partenaires, Pierre Servan, européens, ont la même prise de conscience de ce qui
11:59est en train de se passer ?
12:00Oui, c'est-à-dire que nos partenaires européens, pendant des années m'occupant des questions
12:06notamment otaniennes, on disait que les Européens, notamment les Allemands, sont
12:10« NATO-minded », c'est-à-dire que leur cerveau était totalement imbibé de la culture
12:15NATO et américaine.
12:17Là, ils viennent de prendre un TGV en pleine gueule, tous.
12:21Certains pays sont plus armés pour accueillir, je dirais, ce TGV, etc.
12:27Mais là, il y a pas mal de pays européens qui ne savent plus où ils habitent.
12:31Certains continuent à s'accrocher à l'idée que les Américains, quand même, d'une
12:34certaine façon resteront, c'est la position notamment des Polonais, qui sont très importants
12:38parce qu'ils ont développé leur armement.
12:40Donc, il faut arriver à encaisser ce choc et il faut effectivement proposer des pistes
12:45à 27 avec l'aide des Britanniques, parce que ce qui me frappe, c'est, Alain Mack souligne
12:50à juste titre, l'évolution de l'Allemagne qui est fondamentale, mais les Britanniques,
12:54Kerst Tharmer est parfaitement conscient de ce qui se passe et lui aussi, il prend le
13:01train dans la figure, parce que la relation spéciale avec les Américains, avec Trump,
13:05Trump n'a pas d'alliés, il a des partenaires de deal, que ce soit des criminels de guerre
13:10ou pas, ils s'en fichent complètement.
13:12Voilà, donc il faut reconstruire quand même sur le saccage provoqué par la locomotive
13:18Trump qui a foncé sur les Européens.
13:20Alain Mack, un mot, un dernier mot ?
13:22Sur la relation franco-britannique, il faut avoir en tête qu'il y a un traité militaire
13:26qui s'appelle le traité de Lancaster House, où les Français et les Anglais se sont
13:30donnés une garantie nucléaire mutuelle, en disant que les intérêts vitaux de l'un
13:35sont les intérêts vitaux de l'autre.
13:36Donc le paradoxe, c'est que nous avons une solidarité nucléaire avec les Anglais, que
13:41nous n'avons pas encore avec nos partenaires de l'Union.
13:44Donc les cartes bougent et tout ce qui ramène évidemment le Royaume-Uni vers l'Europe,
13:50en dehors même des problèmes économiques de l'Union Européenne, est à saluer positivement.
13:55Donc dans toute catastrophe, il y a toujours un bon usage des choses.
13:59Merci à tous les deux, merci infiniment Alain Mack, merci Pierre Servan pour ce débat.
14:07Nous sommes seuls donc, si j'ai bien compris maintenant.
14:10Alors oui, mais à 27.
14:12Donc l'Europe Unie Européenne est un îlot de vertu dans un monde de brut, mais il faut
14:16que cette vertu soit un peu vertu martiale aussi.

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