Législatives : analyse du paysage politique, avec Alain Minc et Caroline Fourest
Législatives, analyse du paysage politique. Avec Alain Minc, essayiste, auteur du "Dictionnaire amoureux du pouvoir" (Plon, 2023), et Caroline Fourest, directrice de Franc-Tireur.
Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10
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00:00On poursuit nos débats de campagne dans le 7-10 pour essayer de saisir le moment politique
00:05dans lequel se trouve plongée la France, suite à l'annonce de la dissolution de l'Assemblée
00:10nationale par Emmanuel Macron.
00:12La campagne est lancée, elle sera extrêmement courte, on parviendra-t-elle à la clarification
00:18que le président de la République a appelée de ses voeux ? On pose la question ce matin
00:23à Caroline Fourest, directrice de l'hebdomadaire Franc-Tireur, qui consacre son numéro de
00:29demain au réseau suprémaciste, et à Alain Minc, essayiste, auteur du dictionnaire amoureux
00:36du pouvoir chez Plon.
00:38Bonjour à tous les deux, et bienvenue sur France Inter, je le disais, le président
00:43de la République a justifié dimanche, il y a dix jours, sa décision de dissoudre l'Assemblée
00:51par la volonté d'opérer une clarification politique.
00:54A ce stade, y voyez-vous plus clair le paysage politique ? Est-il en train de se clarifier ?
01:01Caroline Fourest.
01:02J'y vois un peu plus clair à droite, puisque le sursaut de la droite républicaine face
01:08à l'attitude d'Éric Ciotti, face à sa tentation d'aller rejoindre une extrême
01:12droite qui est contre-nature, cette alliance est contre-nature sur les fondamentaux, sur
01:17l'essentiel, sur le rapport à la démocratie, sur le rapport au respect de l'autre, à
01:20la xénophobie.
01:21J'y vois clair, je n'y vois pas clair à gauche malheureusement, et je le regrette,
01:26parce que j'entends dire que l'Union fait la force, et c'est peut-être un calcul
01:29électoral que j'entends, je comprends que certains se disent ça, mais moi je suis
01:33convaincue, et je le défends depuis plus de vingt ans, qu'une gauche qui n'est pas
01:37claire sur ses valeurs, et qui n'est notamment pas claire sur la question du totalitarisme,
01:43de l'islamisme, de l'antisémitisme, de la laïcité, donc ces fondamentaux, est une
01:47gauche qui fait le jeu du Front National et du Rassemblement National, est une gauche
01:50qui favorise la montée de l'extrême droite, et donc de ce point de vue, non, je ne suis
01:54pas, je fais partie de ces, c'est toujours de ces orphelins de gauche de la clarification.
01:58On va revenir sur le fond, sur la gauche, dans un instant, clarifications à la minc ?
02:06Je crois qu'il y a deux alternatives, j'ai dit chez un de vos confrères, au mieux le
02:14chaos, et au pire le Rassemblement National, donc on ne peut pas dire…
02:18C'est ça le…
02:19C'est l'alternatif.
02:20C'est l'alternative, je veux dire, où le Rassemblement National a une majorité
02:24absolue, il est au pouvoir, et on verra qu'une cohabitation n'est pas nécessairement
02:30un jeu très codé entre vieux professionnels de la politique, parce qu'on sera dans
02:35un cas différent, je veux dire, ça n'est pas Mitterrand, ça n'est pas Chirac, c'est
02:39pas les membres du système qui savent comment faire, on aura à certains égards, entre
02:46guillemets, deux puceaux, parce que c'est un cas de figure auquel le Président de
02:51la République, par son tempérament, n'est évidemment pas prêt, et Bardella, par son
02:57inexpérience, non plus.
02:59Et puis l'autre cas de figure, c'est qu'il n'y a pas de majorité absolue au Rassemblement
03:04National, donc on est dans un cas très chaotique, sans majorité parlementaire.
03:09Il se passe quoi là ?
03:11Je ne sais pas, parce que Macron peut essayer de faire une espèce de gouvernement qui pourrait
03:19avoir un soutien des socialistes modérés jusqu'au républicain canal historique, mais
03:27c'est un gouvernement minoritaire, par définition, qui peut tomber à tout instant avec l'impossibilité
03:33de dissoudre à nouveau, donc ça, c'est un chaos pire que la 4ème République.
03:38Entre les deux hypothèses, je pense qu'aujourd'hui, franchement, on ne peut pas trancher.
03:42Je vous sens abattu !
03:43Ah non, mais moi, je suis passé de la sidération à l'inquiétude, voilà, donc maintenant,
03:51c'est l'inquiétude.
03:52Il y a une semaine, c'était la sidération.
03:54Même sentiment chez vous, Caroline Forest ? On va rentrer ensuite dans les détails.
03:59Il n'y a rien, il n'y a pas d'espoir dans cette élection, il n'y a que l'espoir de
04:03sauver l'essentiel.
04:05Moi, encore une fois, ça fait je ne sais pas combien d'années que nous sommes dans
04:08l'inquiétude de voir un jour l'extrême droite accéder au pouvoir, et cette inquiétude
04:11n'a jamais été si forte, elle n'a jamais été si proche de gouverner.
04:16Et contrairement à une forme de résignation ou peut-être de défaitisme, quelque part,
04:21de cette dissolution qui était de se dire que la seule façon que les Français ne donnent
04:25pas les clés définitivement pour 5 ans au plus haut niveau, c'est-à-dire celui des
04:29affaires étrangères à Marine Le Pen, c'est de voir, de montrer aux Français comment
04:33ils gouverneraient.
04:34Je ne suis même pas, je ne peux même pas me raccrocher moi à cette idée-là, parce
04:38que je pense qu'aujourd'hui, les populistes, lorsqu'ils gouvernent, ne suspent pas si
04:40facilement que nous ne sommes plus dans le monde de la rationalité où les gens voient
04:44ce qu'il y a à voir, nous sommes dans un monde où il serait très facile à M.
04:47Bardella de faire ce qu'ils ont fait à l'Assemblée Nationale.
04:50Rien.
04:51Rien pour ne rien montrer, ça c'est la solution la plus, enfin c'est le scénario le plus
04:54optimiste.
04:55Que l'extrême droite au pouvoir ne fasse rien pendant deux ans, c'est-à-dire bloque
04:58le pays, que tout ce qui doit être mené soit à l'arrêt pour montrer qu'ils sont
05:03fréquentables et accéder enfin à la dernière marche du pouvoir.
05:06Donc je ne suis même pas sûre que les Français verraient à quel point ce parti cache en
05:09coulisses sa dangerosité.
05:11La vérité, elle est vue dans leur vote, elle est vue dans leur travail, par exemple
05:16au Parlement européen, ce sont des gens qui ne travaillent pas, sauf à une chose, servir
05:21de cheval de troie, notamment à la Russie de M.
05:23Poutine.
05:24Alors bien sûr, comme Premier ministre, il y a un garde-fou que le Président garde
05:29le régalien entre ses mains, mais quand même, dans les candidats qui viennent déposer
05:34par exemple, il y a plus de 19 minimum, c'est quasiment tous candidats pro-russes au niveau
05:39du Rassemblement national, dont 19 au minimum ont même été des observateurs des référendums
05:45fantoches de M.
05:46Poutine.
05:47Je vous donne juste un exemple, Nicolas, M.
05:49Gentillet, qui est censé être avocat, qui nous dit « en cas d'arrivée au pouvoir,
05:53nous mettrons au pas le Conseil constitutionnel ». Les Français ne peuvent pas dire qu'ils
05:58ne sont pas prévenus des gens qui vous annoncent avant d'être au pouvoir, qu'ils vont abattre
06:01les contre-pouvoirs.
06:02Je ne parle même pas de privatiser l'audiovisuel public pour mettre au pas un autre contre-pouvoir.
06:06M.
06:07Gentillet, il a qui comme modèle ? M.
06:09Poutine, qui en 2020 a justement, par un référendum fantoche, mis au pas la Constitution pour
06:14rester au pouvoir.
06:15Et M.
06:16Gentillet, candidat du Rassemblement national, était observateur de ces élections et a
06:20trouvé ça formidable à la demande de la Russie.
06:22Dans ce début de campagne, Alain Minc, le gouvernement, le camp présidentiel, renvoie
06:27dos à dos le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national, les extrêmes, le
06:35double épouvantail, est-ce que vous les renvoyez dos à dos vous aussi ?
06:39A.
06:40Minc.
06:41Non, bien sûr.
06:42Je considère que le Nouveau Front populaire, entre guillemets, au fond, c'est la vieille
06:49tradition du cartel des gauches.
06:50On fête d'ailleurs le cartel des gauches de 1924, un siècle après.
06:55C'est un cartel électoral, c'est-à-dire que le soir du deuxième tour, chacun rentre
07:00chez lui dans son groupe parlementaire.
07:02Et donc on ne peut pas mettre les parties prenantes de ce cartel des gauches sur le
07:07même plan.
07:08Je vous donne l'exemple de ce que serait mon vote si j'étais confronté à cela.
07:15Si le représentant du cartel des gauches est un socialiste contre un ARN ou un FM,
07:23peu importe.
07:24Je vote pour lui.
07:25Pour un communiste, je vote pour lui.
07:26Pour un écologiste, je vote pour lui.
07:28Pour un LFI, je m'abstiens.
07:30A.
07:31En raison de ?
07:33M.
07:34Parce que je pense que LFI porte en germe une négation, Caroline Fourest l'a dit,
07:43lui aussi des valeurs républicaines, dans la pratique de la parole publique telle qu'est
07:51la sienne depuis quelques mois.
07:53Et je ne parle pas évidemment de son programme économique délirant auprès duquel celui
07:59de M.
08:00Bardella semble, ce qui est quand même un paradoxe, un modèle de sérieux.
08:04A.
08:05Renvoyer dos à dos le nouveau Front Populaire et Rassemblement National, comme le fait le
08:11gouvernement.
08:12Qu'en pensez-vous Caroline Fourest ?
08:13C.
08:14Attention, ce n'est pas la même chose de renvoyer dos à dos les deux extrêmes comme
08:17l'a fait Kylian Mbappé par exemple, que de renvoyer dos à dos le nouveau Front
08:21Populaire et le Rassemblement National.
08:23Moi je ne renvoie pas dos à dos effectivement le Front Populaire et le Rassemblement National.
08:27Je suis d'accord sur ce point avec Alain Minc, on ne le sera peut-être pas sur l'économie
08:30mais on le sera là-dessus et sur les questions de totalitarisme.
08:33Il y a au sein du Front Populaire des gens admirables, Estima, moi je comprends, je peux
08:39comprendre le choix impossible dans lequel a été Raphaël Glucksmann.
08:42Par contre, il y a des candidats LFI, et je ne parle même pas de toute la France Insoumise,
08:46mais je dis que beaucoup de candidats LFI ne valent pas mieux que des candidats du Rassemblement
08:51National.
08:52Je vous donne un exemple, parce que moi j'aime être rentrée dans les tailles, monsieur
08:55Thomas Porte qui la veille du 7 octobre est allé faire une photo et soutenir une organisation
09:00qui est une organisation satellite du Hamas, humanitaire, qui a été placée sur liste
09:04noire depuis.
09:05Et qui le lendemain du 7 octobre, lui et la militante LFI qui l'accompagnait, a montré
09:10cette photo en disant « on va y arriver, vive la résistance ».
09:12Un programme commun qui d'ailleurs ne revient pas entièrement sur tout ça, et qui parle
09:18d'ailleurs d'islamophobie qui est un mot qui est une trahison de Charlie Hebdo, de
09:20Charles et de tous ceux qui ont expliqué pourquoi ce mot était dangereux.
09:23Un programme commun ne peut pas effacer les actes et poser le candidat qui a été opposé
09:28à madame Raquel Garrido, pour lui faire payer un peu de résistance à Jean-Luc Mélenchon,
09:33est un candidat, monsieur Diwara, qui nomme les juifs en fonction de leurs origines pour
09:39les traiter de complices du génocide, du génocidaire.
09:42Moi je crois au Front Républicain, je vais vous dire Nicolas, en fait j'y crois plus
09:47que jamais.
09:48Je n'ai pas cessé de croire au Front Républicain, mais je suis pour un vrai Front Républicain.
09:50Le Front Républicain, on ne l'a pas pensé tous et on ne l'a pas tenu toutes ces années,
09:54pour simplement faire barrage au Front National, au Rassemblement National, parce qu'il s'appelait
09:57comme ça.
09:58On l'a fait parce qu'on voulait faire barrage aux idées totalitaires, à la complaisance
10:01envers les dictatures, à la complaisance envers ceux qui menacent l'état de droit,
10:05l'égalité, et qui tiennent des propos racistes et antisémites.
10:08Donc il n'est impossible de nous demander de voter pour des candidats qui tiennent des
10:11propos antisémites, complices de mouvements totalitaires comme le Hamas, pour faire front
10:15à d'autres apprentis totalitaires.
10:17Ça ne marche pas.
10:18Donc les électeurs ne pourront pas être paresseux.
10:20Ils ne pourront pas se fier à l'étiquette des gens pour qui ils vont voter.
10:23Ils vont devoir regarder en détail qui ils ont dans leurs circonscriptions et faire un
10:27choix entre démocrate et apprenti totalitaire.
10:30Comment expliquez-vous, 32%, le score du Front National aujourd'hui, Alain Minc, qui ne
10:39cesse d'étendre sa géographie électorale, sa sociologie électorale ?
10:45Il y a 42% des Français qui ont voté, mis un bulletin Marine Le Pen il y a deux ans
10:50dans l'urne.
10:51Donc, d'une certaine façon, ils ont déjà franchi le tabou.
10:56Donc les 32% plus les quelques pourcents qu'on peut rajouter, on retrouve ces 40%.
11:03Il n'y a pas, je pense, à s'en étonner.
11:06Sauf que dans une élection parlementaire, avec le scrutin majoritaire, avec la règle
11:12des 12,5% d'inscrits, avec un score pareil, vous avez la majorité absolue ou vous flirtez
11:20avec la majorité absolue.
11:21Et c'est quand même le cas politique le plus probable.
11:24Ils seront ou à la majorité absolue, ou un peu en dessous, mais ils auront la majorité
11:29relative.
11:30Emmanuel Macron avait théorisé dans l'entre-deux-tours de la présidentielle la tripartition du paysage
11:36politique français en disant qu'il y avait trois extrêmes, extrême gauche, extrême
11:40droite et extrême centre.
11:41Qu'en est-il de l'extrême centre là, selon vous Caroline Fourest ?
11:46Il est extrêmement émietté et moi c'est une des choses que j'ai reprochées à la
11:50première campagne d'Emmanuel Macron, c'était de vouloir trop enjamber l'alternance droite-gauche
11:55parce que ma grande peur, c'était que derrière l'alternance se fasse entre républicains
12:00contre nationalistes.
12:01Et on y est un peu.
12:02Moi je rêve d'un paysage politique qui pourrait encore exister, fractionné en cinq, une
12:07extrême droite, une droite républicaine, un centre, une gauche républicaine et puis
12:11une gauche radicale.
12:12On pourrait y arriver, mais ça demande encore une fois que les partis soient clairs sur leurs
12:16valeurs, ce qui est compatible et ce qui ne l'est pas.
12:18Or on n'y est pas encore à cette clarification et en attendant, évidemment, le front républicain
12:23est obligé de faire un bloc au centre avec la droite républicaine et la gauche républicaine
12:28et le centre quand il faut tenir bon et ça prive aussi de ces nuances et ça prive de
12:32ces choix.
12:33Mais je voudrais revenir aussi à votre question Nicolas, qu'est-ce qui fait monter le rassemblement
12:37national ? Ça fait un moment qu'on se la pose cette question.
12:39On pourrait se dire c'est difficile et c'est bien sûr que ça n'aide pas que les gens
12:44aient autant de difficultés et que les prix soient devenus si fous que sur les transports,
12:49l'alimentation, ça devient très très dur pour certains.
12:51Mais moi je n'ai jamais jamais excusé le vote xénophobe et antidémocratique par la
12:56condition sociale.
12:57Je ne pense pas que c'est une bonne piste.
12:58La preuve est donc aujourd'hui des retraités et des cadres votent rassemblement national.
13:03Et là je le dis à ma famille idéologique, posez-vous la question de pourquoi des cadres
13:08et des retraités votent pour le rassemblement national ? Quand la gauche fuit les sujets
13:12qui fâchent, quand la gauche s'allie avec le pire, ou flatte le pire, ou fait des élections
13:17européennes, un référendum pour Gaza, ou met des drapeaux palestiniens et plus aucun
13:22drapeau français dans ses manifestations, vous ne pouvez pas me dire que vous ne pensez
13:26pas, que vous vous demandez pourquoi le rassemblement national monte dans ce pays.
13:28Un mot sur l'extrême centre, son état, son avenir, à la marque ?
13:32L'expérience politique dans tous les pays où les élections sont libres, c'est que
13:39quand le centre grossit et exerce durablement le pouvoir, les extrêmes prospèrent.
13:44Ça c'est quand même un fait de physique politique comme il y a de la physique classique.
13:50Donc on est dans ce cas de figure.
13:52Après, on revient à l'erreur politique originelle en 2022 d'Emmanuel Macron, qui
13:59était que n'ayant qu'une majorité relative, il devait faire un accord et chercher un accord
14:06avec LR qui correspondait grosso modo au positionnement idéologique entre un centre droit qui était
14:14devenu le macronisme et une droite démocratique qui aurait été prête à un accord.