Analyse et décryptage du paysage politique français, à quelques jours du premier tour des élections législatives. Les débatteurs du jour sont l'activiste écologique Camille Etienne et le professeur de Science Politique Jean-Yves Dormagen.
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00:00Débat ce matin sur une question simple, où est passée l'écologie ? Après les 5,5% obtenus par les écologistes aux Européennes,
00:10en très fort recul par rapport à leurs résultats d'il y a 5 ans, la campagne législative voit le sujet totalement éclipsé.
00:18Et ce qui semblait jusque-là faire l'objet d'un consensus, pour le dire simplement, lutter contre le réchauffement climatique,
00:26est devenu un nouvel objet de clivage et de combat politique. Alors comment en est-on arrivé là ?
00:32Comment le climato-scepticisme, le climato-relativisme ont-ils fait retour dans le paysage politique ?
00:39On pose ces questions à Camille Etienne, militante écologiste, auteure de « Pour un soulèvement écologique, dépasser notre impuissance collective »,
00:49livre publié aux éditions du Seuil, et avec Jean-Yves Dormagin, professeur de sciences politiques à l'Université de Montpellier
00:57et président fondateur du laboratoire d'opinion « Cluster 17 ». Bonjour à tous les deux.
01:03Bonjour.
01:04Et merci d'être à notre micro. Sondage Ipsos à trois jours des Européennes. Le 7 juin dernier, seuls 9% des électeurs disent qu'ils voteront d'abord
01:14et avant tout pour la protection de l'environnement, contre 24% pour le pouvoir d'achat, 16% pour l'immigration.
01:21Campagne législative, écologie et environnement évaporée du débat, sauf à aller lire les programmes des différents partis, et ça on va y venir évidemment.
01:31La planète brûle et on regarde à nouveau ailleurs. Comment l'expliquez-vous Camille Etienne ?
01:37Je pense qu'il faut analyser conjointement la montée du racisme et la montée du climatoscepticisme qui sont vraiment notoires.
01:44Pour une raison simple, c'est que la destruction de l'environnement, elle est racialement discriminée.
01:49Très concrètement, il y a tout un tas de catastrophes climatiques, par exemple au Tchad, d'un coup il y a eu une malnutrition parce que le lac s'est asséché,
01:57il y a eu des milliers de personnes qui sont déplacées en ce moment où on parle aux Philippines, des indiens qui meurent littéralement de chaud,
02:03au Soudan une sécheresse, et en fait ça passe sous la ligne de couleur.
02:07Donc cette indifférence, cette presque climato-indifférence, elle s'explique aussi par la montée du racisme.
02:13Et en France ?
02:15Et en France, en France, je pense que ce qui est très important de rappeler, c'est qu'on peut avoir un ras-le-bol de cette fameuse écologie,
02:23cette fantasmée écologie punitive, et on a le Rassemblement National qui s'est électoralement situé comme un paratonnerre à cette fantasmée écologie punitive.
02:32Alors que la vraie punition pour les Français dans un monde où le dérèglement climatique s'emballe, c'est d'avoir l'extrême droite au pouvoir.
02:39Jean-Yves Dormagen, dans un article de la revue Le Grand Continent, vous évoquez la dimension identitaire désormais de la question écologique, notamment à l'extrême droite.
02:49Je vous cite, l'écologie ne constitue pas un enjeu idéologique autonome, mais au contraire,
02:55elle ne se comprend qu'en rapport à d'autres attitudes relevant de dimensions proprement identitaires.
03:02Rapport aux étrangers, à l'islam, aux identités sexuelles et de genre.
03:07Expliquez-nous.
03:09Oui, ce qu'on constate quand on fait des études sur le sujet, alors pas seulement d'ailleurs en France, on a fait les mêmes études en Espagne, les mêmes études en Allemagne,
03:19ce qu'on voit c'est qu'il y a une relation très forte entre les positions sur les enjeux écologiques et les positions sur d'autres clivages qui sont aujourd'hui parmi les plus fondamentaux,
03:27les plus structurants de nos sociétés.
03:29Et en particulier, vous les avez évoqués, le clivage identitaire, le clivage sur les migrants, sur l'immigration, sur la diversité culturelle, sur les enjeux de genre, sur les questions de société.
03:40Et en gros, on peut résumer les choses très simplement et c'est quelque chose qu'on retrouve dans tous les pays, dans tous les pays européens qu'on a étudiés.
03:45Plus vous êtes progressiste sur les questions sociétales, plus vous êtes ouvert à la diversité culturelle et plus vous êtes pro-écologie.
03:52Et à l'inverse, plus vous êtes identitaire, plus vous êtes conservateur sur les questions sociétales et plus vous êtes hostile aux politiques de transition, voire climato-sceptique.
04:00Mais quel rapport ?
04:02Alors, il y a deux explications possibles quand on observe un phénomène de ce type, ça peut être juste une corrélation, c'est-à-dire que ce sont les mêmes individus qui sont porteurs de ces attitudes,
04:11donc ces attitudes qui fonctionnent ensemble et il y a tout un tas de moyens, d'explications possibles derrière ça.
04:17Et puis il y a aussi peut-être des liens plus structurels, plus intégrés entre ces attitudes, c'est-à-dire qu'un certain conservatisme culturel peut aller de pair avec une remise en cause des travaux scientifiques.
04:34De même qu'un certain complotisme, qui est très fort dans une partie de l'électorat du Rassemblement National, peut être un anti-hostilité à la science, une méfiance envers les médias, une méfiance envers les experts, ça peut favoriser des attitudes climato-complotistes.
04:48Et l'idée que finalement ce récit que nous présentent les scientifiques, relayé par les médias sur les enjeux climatiques, à tout ça finalement ce sont des fake news, c'est une vaste manipulation pour modifier nos modes de vie,
05:01pour nous imposer des contraintes, pour transformer notre manière de vivre, notre manière de fonctionner.
05:08Donc vous voyez, ce sont des attitudes qui sont imbriquées et qui vont dans le même sens, c'est ça qui est important.
05:13Ce qui explique pourquoi toutes les extrêmes droites aujourd'hui à l'échelle mondiale, parce qu'on le voit bien aussi avec Donald Trump aux Etats-Unis,
05:18toutes les extrêmes droites prospèrent en activant ce clivage anti-écologique.
05:23Comment recevez-vous ce que vient de dire Jean-Yves Dormagen, à savoir que l'écologie soit désormais intégrée à des combats identitaires ? Camille Etienne ?
05:35C'est peut-être rappeler qu'en effet, c'est pas seulement un empensé du Rassemblement national de l'écologie.
05:41C'est pas seulement une flemme, c'est pas seulement absent des programmes.
05:44C'est un parti qui est viscéralement anti-écologie et anti-écologiste.
05:49Si on regarde ce que j'ai fait dans les dix dernières années, toutes les mesures écologiques qui ont été votées au Parlement européen et à l'Assemblée nationale.
05:58Les députés Rassemblement national se sont systématiquement opposés.
06:03J'ai quelques exemples extrêmement concrets.
06:05La loi sur la restauration de la nature, l'idée c'était de protéger 30% des écosystèmes endommagés.
06:12Ils s'y sont opposés.
06:13La loi sur les polluants éternels, une question de santé publique, protéger la santé publique des Français.
06:17Ils s'y sont opposés.
06:18Même des mesures de justice environnementale.
06:21Il y avait ce fameux fonds social pour la transition écologique pour faire en sorte que les Français puissent acheter des voitures ou rénover thermiquement leurs bâtiments.
06:29Ils s'y sont opposés.
06:30Donc en fait, même sur des sujets qui paraissent apolitiques, par exemple la réduction des emballages plastiques ou même limiter la destruction des invendus, par exemple pour la fast fashion.
06:40Ils s'y sont opposés.
06:41Donc il faut réaliser que c'est pas un empensé, c'est le climato-scepticisme au pouvoir.
06:46Et pour finir, il y a quelque chose qui me semble extrêmement grave ici, c'est que c'est un climato-scepticisme qui sert à un projet.
06:53C'est celui du maintien d'un mode de vie basé sur les énergies fossiles.
06:56Il y a un chercheur qui s'appelle Antoine Dubiau qui parle de carbo-fascisme.
06:59C'est la jonction des intérêts de l'extrême droite et de l'industrie fossile qui ont trouvé là leur meilleur allié pour gagner du temps,
07:06pour continuer cette extraction des hydrocarbures et pendant ce temps faire perdre du temps extrêmement précieux aux Français.
07:12Quand on regarde une autre enquête, l'enquête fracture française d'Ipso Soprasteria en 2023, publiée dans Le Monde,
07:21seuls 48% des électeurs du Rassemblement National estiment que le réchauffement climatique est principalement dû à l'activité humaine.
07:3157% pour le camp Macroniste, 74% chez les électeurs socialistes et près de 80% chez les écologistes.
07:42Est-ce que le programme écologique du RN est dicté par cette sociologie ?
07:48Jean-Yves Dormagin, est-ce que le RN se cale tout simplement sur ce que pensent ses électeurs ?
07:54Oui, d'une certaine manière oui. On a bien vu qu'il y avait une relation entre la montée de ce climato-scepticisme,
08:02ce que j'appelle moi le climato-relativisme aussi, on en fait trop, on trouvera un jour des solutions,
08:07pour remplir ça aussi le climato-je-m'en-foutisme, l'idée qu'en gros on nous embête un peu, on exagère, on en fait trop.
08:15Il y a une relation, on la voit, entre la progression dans la société, de ce backlash écologique, de ce retour de bâton anti-écologique
08:24qui est lié au fait qu'on entre dans des politiques de transition écologique tout simplement.
08:28On est dans le dur du sujet maintenant.
08:30Personne n'est contre la nature par principe. Personne ne souhaite le dérèglement climatique.
08:38La question commence quand il s'agit de mener des politiques, de changer la société, de changer nos comportements, nos modes de vie.
08:45C'est là qu'il commence à y avoir des résistances.
08:47Effectivement, ces résistances se sont développées, je le disais il y a un instant, dans l'espace politique du Rassemblement National.
08:54Les clivages se sont superposés et quand le Rassemblement National, avec un peu de retard d'ailleurs, s'en est aperçu,
08:59il s'est emparé de ce sujet pour prospérer et pour prospérer en particulier sur l'ancienne électorat de la droite.
09:05Ce qu'il faut comprendre, si on veut comprendre la dynamique électorale en cours,
09:08c'est que le climato-scepticisme et le climato-relativisme sont encore plus forts
09:13dans ce qui était l'ancien électorat des Républicains ou de l'UMP à une époque, en gros l'électorat Sarkozy,
09:18en particulier un électorat un peu âgé, assez conservateur, vivant plutôt dans les mondes ruraux.
09:23Cet électorat-là qui est encore plus climato-sceptique que l'électorat original du Rassemblement National
09:29a basculé vers le Rassemblement National, entre autres sur ce clivage.
09:32Donc le Rassemblement National a compris l'opposition aux éoliennes, par exemple,
09:35dont le Rassemblement National a fait l'un de ses marqueurs, en particulier dans les mondes ruraux,
09:40la défense des voitures thermiques, qui sont devenus l'un des principaux sujets de la dernière campagne des élections européennes
09:49pour ou contre l'interdiction des moteurs thermiques à l'horizon 2035.
09:52Sur tous ces sujets-là, le Rassemblement National a capté la résistance d'une partie de la population
09:58à ces politiques de transition pour prospérer sur le plan électoral.
10:01Et puis c'est plutôt dans un deuxième temps qu'il s'est clairement positionné sur ces sujets
10:06et qu'il annonce aujourd'hui qu'il veut détruire le Green Deal.
10:09C'est-à-dire que l'un des objectifs aujourd'hui des droites conservatrices et des droites identitaires européennes,
10:14c'est la remise en cause et l'annulation du pacte vert, du Green Deal européen.
10:18C'est très important.
10:19Camille Etienne, quelle est la responsabilité des écologistes dans la situation politique qu'on décrit ?
10:24Pourquoi ne mobilisent-ils pas plus ?
10:29Pourquoi 5,5% aux européennes alors que la planète brûle, je le redis ?
10:36Pourquoi le mouvement que vient de décrire Jean-Yves Dormagen n'est pas enrayé à gauche ?
10:44Camille Je ne sais pas si l'heure...
10:46Là, on est à deux semaines d'un scrutin qui va être historique,
10:49même pas à une semaine d'un scrutin qui va être historique pour la France.
10:52Je ne sais pas si l'heure essaie de pointer les coupables.
10:54Peut-être qu'on aurait pu trouver et incarner une écologie puissante.
11:00L'idée de rappeler qu'en fait, pour des questions géopolitiques,
11:04pour des questions d'indépendance énergétique, pour des questions de droit humain,
11:07le choix écologique est le seul choix vers la paix et vers la liberté.
11:10Peut-être qu'on n'a pas réussi à incarner ça.
11:13Mais la vraie question maintenant, c'est de rappeler aux auditeurs
11:16que partout où l'extrême droite gouverne aujourd'hui dans le monde,
11:19c'est un massacre environnemental.
11:21Bolsonaro, c'est fois deux de la déforestation en deux ans.
11:25Trump, c'est directement dès la première semaine au pouvoir.
11:28Ce n'est pas seulement en un pensée, dès la première semaine au pouvoir.
11:31C'est l'acceptation de deux pipelines énormes qui étaient extrêmement controversés.
11:34En Espagne, là où il y avait des feux qui étaient historiques,
11:37pendant cette semaine des feux historiques, ils ont décidé de faire quoi ?
11:40Ils ont décidé de supprimer les zones à faible émission.
11:43Pour finir, là aujourd'hui, qu'est-ce qu'on vit ?
11:45On vit, au moment où je vous parle, dans les écrins à côté de chez mon père,
11:48des gens qui sont hélitreuillés par leurs toits parce qu'il y a des inondations.
11:52Ce n'est pas demain.
11:53Les gens qu'on va choisir pendant les trois prochaines années,
11:56ils vont concrètement savoir si, oui ou non, on va pouvoir rester dans les 1,5 degrés.
12:00Si oui ou non, on va pouvoir faire en sorte que les Français
12:03ne se prennent pas en pleine face les conséquences du dérèglement climatique.
12:06Ce n'est pas un petit choix. Le RA ne nous sauvera de rien.
12:09Il va simplement criminaliser la possibilité de s'en sortir.
12:12Et pour finir, partout où l'extrême droite est au pouvoir,
12:15c'est aussi des endroits où les activistes écologiques sont baillonnés,
12:18empêchés de se battre, donc personne ne pourra nous sauver
12:21du Rassemblement National sous le Rassemblement National.
12:23Dès lors qu'il y a clivage politique, il y a un espace pour la gauche,
12:26Jean-Yves Dormagin, sur le sujet ?
12:29Absolument. D'ailleurs, les clivages ne sont pas forcément une mauvaise nouvelle.
12:32C'est-à-dire que le fait que l'écologie devienne clivante
12:35signifie aussi qu'elle devient plus centrale.
12:37Auparavant, elle bénéficiait d'une sorte de consensus mou,
12:39mais c'était un consensus mou, un peu d'indifférence.
12:42Donc c'est la progression, d'une certaine manière, de l'enjeu écologique,
12:45c'est aussi le fait que l'on commence à mettre en œuvre des politiques écologiques
12:48qui produisent du clivage.
12:49Et ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle.
12:51D'autant plus que, si on regarde la manière dont s'organisent les électeurs
12:54sur ce clivage, la gauche n'est pas en difficulté.
12:57C'est un des sujets, autant, vous voyez, sur le sujet comme l'immigration,
12:59c'est compliqué pour la gauche parce qu'elle est minoritaire dans la société.
13:01Mais sur l'écologie, elle est majoritaire dans la société,
13:03et en plus, et ça c'est très important pour les élections à venir,
13:06en plus, il y a un relatif consensus aussi sur l'espace modéré,
13:09l'espace centriste, qui va être très important parce que c'est lui
13:12qui va arbitrer le second tour de ces élections.
13:14Donc effectivement, la gauche a tout intérêt aujourd'hui,
13:16du point de vue stratégique, elle a tout intérêt à mettre en avant
13:18l'enjeu écologique et à rappeler ce qui a été dit,
13:20c'est-à-dire que cette élection est capitale en matière de politique de transition.
13:24Merci à tous les deux.
13:25Jean-Yves Dormagin, qui avait la parole à l'instant,
13:27et Camille Etienne, merci.