Analyse et décryptage du paysage politique français : Valérie Toranian x Patrick Weil

  • il y a 3 mois
Analyse et décryptage du paysage politique français, à quelques jours du premier tour des élections législatives. Les débatteurs du jour sont Valérie Toranian, directrice de la rédaction du Point et Patrick Weil, historien et juriste.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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00:00Débat ce matin sur les propos du Président de la République, tenu lundi dans son entretien
00:06Fleuve au podcast Génération Do It Yourself, à propos du Rassemblement National et de
00:13la France Insoumise qu'il renvoyait d'Osado, il a évoqué des programmes qui conduiraient
00:18à la guerre civile.
00:19Alors, comment comprendre ces mots ? Relève-t-il de la stratégie électorale pour tenter de
00:26desserrer la mâchoire qui enserre le camp présidentiel ? Le Président de la République
00:32utilise-t-il l'arme de la peur ? Ou le pays est-il à la veille d'une crise majeure ?
00:37On va poser ces questions ce matin à Valérie Thoragnan, la directrice de la rédaction
00:43du Point.
00:44Bonjour.
00:45Bonjour.
00:46Et à Patrick Veil, historien, directeur de recherche au CNRS.
00:49Bonjour.
00:50Bonjour.
00:51Deux de vos nombreux livres, Le Président est-il devenu fou ? C'était chez Grasset,
00:55en 2022, et De la laïcité en France, ça c'était chez Grasset, mais en 2021.
01:03La citation complète, je vous la donne, ce sont les mots du Président de la République.
01:08L'extrême droite, parce qu'elle renvoie les gens, ou à une religion, ou à une origine,
01:15divise et pousse à la guerre civile.
01:18Quant à la France Insoumise, elle enferme dans un communautarisme qui est un peu électoral,
01:24mais ça, c'est aussi la guerre civile.
01:28Comment avez-vous reçu ces propos, Valérie Thoragnan ?
01:31Alors, d'abord, ce sont les propos d'un pompier pyromane.
01:36Emmanuel Macron nous a expliqué, ne paniquez pas, même si le Rassemblement National passe,
01:43je suis le garant des institutions, je suis là, vous pouvez compter sur moi.
01:47Quelques jours après, il nous dit, non, ça va être la guerre civile.
01:51Donc, soit il est le garant, et on peut compter sur lui, et tout ira bien, parce que les
01:55institutions vont fonctionner, soit ça va être la guerre civile, mais ça ne peut pas
01:58être les deux.
01:59Après, ce qui me frappe, c'est que la guerre civile est un mot excessivement violent.
02:03Qu'il y ait des émeutes après le second tour, énormément de gens, des préfets,
02:09des gens à l'intérieur du pays s'y préparent.
02:11Il y en a déjà eu, je vous rappelle qu'il y a un an, on a eu des émeutes assez costaudes.
02:14Il y en aura peut-être.
02:16La guerre civile, c'est tout autre chose.
02:18C'est un pays qui se déchire et qui sort les couteaux.
02:21Je voudrais rappeler une chose, c'est que la situation, bien sûr, elle est grave, mais
02:25que, souvenez-vous, en 2015, quand il y a eu les séries d'attentats, on a dit, on
02:30est au bord de la guerre civile, les Français vont aller se venger, ils vont attaquer des
02:33mosquées.
02:34Il ne s'est rien passé.
02:35Il ne s'est rien passé.
02:36En revanche, cette guerre, nous avons publié aujourd'hui dans Le Point, tout un volant
02:41autour de ces psys qui analysent à la fois nos politiques et le pays.
02:45Et Jean-Pierre Winter raconte, les gens sont en état de sidération, de choc.
02:50Il y a des guerres intrafamiliales, entre les amis, les gens sont paumés.
02:54Et quand il dit, on nous a donné trois semaines pour réfléchir, trois semaines pour réfléchir,
02:59c'est insuffisant.
03:00Donc, quand on n'a pas le temps de réfléchir, ce sont les émotions et les passions qui
03:03montent.
03:04Et ça, évidemment, ça peut entraîner des tensions vives.
03:08Et vous, Patrick Veil, quand vous avez entendu ces mots de guerre civile, quelle fut votre
03:14réaction ?
03:15J'ai les mêmes, Madame de Magnan, et je vais rajouter quelques points.
03:19Je pense qu'en 2022, quand les Français ont dit non à Marine Le Pen à l'élection
03:26présidentielle et qu'ils ont dit non à une majorité, à Emmanuel Macron, à l'élection
03:32législative, c'était un événement politique extrêmement important parce que ça n'était
03:36jamais arrivé dans l'histoire de la Ve République.
03:39C'était un message qu'il fallait changer le rapport des dirigeants politiques aux citoyens.
03:44Qu'a fait Emmanuel Macron face à un mouvement massif de rejet de sa réforme des retraites
03:51mené par Laurent Berger qui n'est pas un extrémiste ? Il l'a traité comme un extrémiste.
04:01Il ne lui a même pas parlé.
04:03Il a renvoyé la colère des Français vers des forces politiques à gauche ou à droite
04:12ou à l'extrême-droite.
04:13Et lorsqu'il décide de dissoudre, que se passe-t-il ? Il y a un rassemblement, surprenant
04:21peut-être, mais historiquement, dans la lignée de tous les rassemblements antifascistes,
04:27anti-extrême-droite, ça fait partie de l'ADN de la gauche, on se rassemble malgré
04:32les totales divergences qu'on a pu avoir encore quelques semaines avant.
04:36Ça n'a rien à voir, la gauche qui a tous ses défauts, c'est une alliance antifasciste
04:46face au seul danger, et tout ce qu'on nous a raconté tout à l'heure sur le risque,
04:52le risque n'est pas la gauche majoritaire, c'est l'extrême-droite.
04:56Et l'alliance de gauche est insuffisante d'ailleurs, il faudra que la gauche et toutes
05:01les forces démocratiques et républicaines se rassemblent au second tour pour empêcher
05:05l'extrême-droite d'avoir la majorité.
05:07Donc, vous récusez le discours, le parallèle qui consiste à dire « nous sommes face
05:14à deux extrêmes ».
05:15Nous sommes face à un extrême, aujourd'hui, c'est la séquence dans laquelle nous sommes,
05:21nous sommes le danger, c'est la victoire de l'extrême-droite, face à laquelle tous
05:26les républicains et démocrates de gauche et de droite doivent se rassembler.
05:30Alors, je pense que bien au contraire, nous sommes face à deux extrêmes, mais qu'il
05:36y a un rassemblement national avec un danger beaucoup plus imminent, ça c'est une réalité,
05:43et ce que tout à l'heure les sondages et vos invités l'ont rappelé, l'imminence
05:48avec les chiffres qui sont actuellement ceux du rassemblement national, c'est celle-là
05:52aujourd'hui dont on parle.
05:53Donc, mettre un signe égal, oui, moi j'ai envie de m'amuser, on pourrait faire des
05:56additions aussi, parce qu'il y a les poutinistes de gauche et puis les poutinistes de droite,
05:59vous voyez.
06:00Et puis, mettre un signe égal, il y a quand même, moi je pense qu'il y a un signe égal
06:06à mettre entre LFI et l'ERN, et qu'aujourd'hui, les Français, qui sont extraordinairement
06:12déboussolés, n'ont pas oublié toutes ces dérives autour de l'antisémitisme.
06:17D'ailleurs, les apostrophes, les candidats, ils leur en parlent.
06:19Ils n'ont pas oublié que ça a été honteux et que LFI a gangréné, en quelque sorte,
06:25et le message de la gauche avec ça.
06:27Donc, oui, oui, oui, c'est un extrémisme, c'est un extrémisme qui nous mènera dans
06:31le mur, en plus, économiquement.
06:33Donc, voilà, n'oublions pas ça et n'ayons pas de complaisance avec ça, parce que c'est,
06:39pour moi, quelque chose qui, en termes civilisationnels, marque notre séquence actuelle et qu'il
06:44ne faut pas oublier.
06:45Maintenant, l'imminence du danger, aujourd'hui, les sondages le montrent, c'est le rassemblement
06:48national qui, de toute façon, économiquement, nous mettra dans le mur aussi, et dont il
06:52faut redouter les excès.
06:54Avant l'économique, il y a le premier point, à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale,
07:01cet été, pendant les Jeux Olympiques.
07:02Et c'est quoi ?
07:03Et c'est la suppression du droit du sol.
07:05Et quand on dit le rassemblement national, c'est modéré, Mme Marine Le Pen est différente
07:11de son père.
07:12Eh bien, la suppression du droit du sol, qui n'a même pas été proposée par Vichy,
07:18quand ils ont fait leur projet de loi sur la nationalité, c'est le programme de Charles
07:23Bass, de la fin du XIXe siècle.
07:25Il y a des enfants, aujourd'hui, qui ont 11 ou 12 ans, qui sont nés de parents étrangers,
07:31qui s'apprêtaient à faire, à l'âge de 13 ans, une déclaration de choix de la nationalité
07:36française.
07:37Ils ne pourront pas le faire.
07:38Ils ne pourront devenir français que par un décret de naturalisation signé par M.
07:42Bardella, qui ne le signera pas facilement.
07:45Ça, c'est pour la première génération des enfants nés.
07:48Pour la troisième génération, ceux qui sont nés en France, d'un parent né en France,
07:55ceux-là, pareil, ils resteront étrangers.
07:57On va créer des enclaves de faux étrangers, de français sociologiques, d'enfants et
08:04de petits-enfants qui auront été élevés dans la nationalité française et on va les
08:07maintenir dans la nationalité étrangère.
08:08Et si je veux rajouter quelque chose, en mettant en cause le droit du sol, on va empêcher
08:15les français eux-mêmes, de famille française, de prouver facilement leur nationalité.
08:21Quand vous voulez faire votre passeport ou votre carte d'identité, ce qui n'est pas
08:24toujours facile en ce moment, il suffit, pour la preuve de la nationalité, d'amener un
08:28acte de naissance qui montre que vous êtes né en France d'un parent né en France.
08:31Dorénavant, la terre de France deviendra une terre étrangère, y compris pour les
08:35français, en matière de preuve de nationalité.
08:38Valéry Thoragnan, cette perspective, vous la voyez comment ?
08:41Je pense que c'est une réforme qui n'est pas souhaitable, qui n'est pas une bonne
08:44réforme et qui, par ailleurs, je ne suis pas sûr qu'elle soit très efficace, même
08:49dans la logique du rassemblement national.
08:51Maintenant, une fois qu'on a posé ces choses-là, allons au fond des choses.
08:55Les italiens fonctionnent sur le droit du sang.
08:57Aujourd'hui, quand deux français ont un enfant à l'étranger, l'enfant a automatiquement
09:01la nationalité française, le droit du sang existe déjà chez nous.
09:04Et la Troisième République a, vous avez raison de le dire, à un moment donné, marqué
09:10la question du droit du sol, mais elle a aussi été, à un moment donné, sous le
09:13droit du sang.
09:14Donc, les allemands, jusqu'en 1999, étaient régis par le droit du sang.
09:19Donc, tous les états qui sont régis par le droit du sang ne sont pas forcément des
09:24états autoritaires et fascistes.
09:26En revanche, par exemple, en Italie, vous avez le droit du sang, mais la naturalisation
09:31est beaucoup plus simple.
09:32Il y a des procédures qui sont beaucoup plus faciles.
09:34Et puis, par ailleurs, je pense que ce qu'ils veulent, là où ils grattent, c'est sur
09:39cette question de l'automatisation de l'acquisition de la nationalité à 18 ans.
09:43C'est ça aussi que chez beaucoup de français, on ressent comme, oui, mais c'est bien qu'à
09:47un moment donné, soit posée la question de « je veux être français ». Et oui, c'est
09:51un moment qui n'est pas automatique, c'est un moment important, c'est un moment solennel.
09:54Et je crois qu'il y a un débat autour de ça et que c'est finalement un débat qu'on
09:58peut avoir.
09:59Patrick Dey.
10:00La manifestation de volonté, ça, c'est la position tout à fait légitime de la droite
10:04classique.
10:05Mais là, ça va bien au-delà.
10:07Oui, absolument.
10:08Il y a des traditions historiques.
10:10Depuis 1515, nous avons le droit du sol.
10:14L'Italie ne l'a pas, mais nous sommes la France et nous avons cette tradition.
10:20Et changer la tradition, ça, c'est la première fois qu'on le voit.
10:25Je veux dire que l'Allemagne l'a fait parce que justement, le droit du sang ne permet
10:29pas d'intégrer facilement les enfants d'immigrés.
10:33La France avait gardé les deux, le droit du sol et a créé en 1804 le droit du sang.
10:40Et dans ces deux dispositifs complémentaires, le droit du sol est devenu plus important
10:48parce que c'est aussi un moyen de preuve pour les enfants français.
10:52On va détruire notre système de preuve de la nationalité.
10:57On va détruire une logique qui est dans notre histoire depuis 1515 pour satisfaire ce qui
11:03est au cœur du programme maurassien de la fin du XIXe siècle et qui est contraire
11:07à notre tradition historique.
11:08Vous êtes inquiète, Valérie Thoragnan ?
11:10Bien sûr, mais qui ne le serait pas ? On vit quand même une séquence inouïe.
11:14L'état des français, d'ailleurs, le prouve, bien sûr.
11:19Et je pense qu'aujourd'hui, s'il y a un sursaut à avoir, c'est de se dire qu'il
11:25y a un arc qui va de la droite non-hérenne, j'allais dire à la gauche non-mélenchoniste,
11:31et je précise bien non-mélenchoniste, et avec tout ce qui est au milieu, et que l'espoir
11:37réside un peu dans cette troisième voie.
11:38Mais effectivement qu'il y a des raisons d'être inquiets.
11:40Et je pense qu'on verra à l'issue du premier tour jusqu'à quel point la vague
11:46du RN va être efficace.
11:48Un mot, Patrick Veil ?
11:49Je pense que si le RN n'a pas de majorité, il faudra faire un gouvernement d'union
11:56républicaine et démocratique qui s'attelle aux transformations profondes que les français
12:01demandent.
12:02Parce que ce vote parlera à cette majorité hétéroclite, et cette union devra se faire
12:08même avec des forces que l'on n'aime pas, parce que c'est les transformations
12:13qui sont exigées, la demande de plus de démocratie, de plus de respect de la volonté et de la
12:18situation des citoyens qui se sentent abandonnés, elle doit être prise en compte par toutes
12:23ces forces du centre modéré qui donnent le sentiment parfois de ne pas avoir entendu
12:30les français.
12:31Merci à tous les deux.
12:32Patrick Veil, Valérie Thauragnan.

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