• il y a 6 mois
Analyse du paysage politique français à quelques jours des élections législatives. Avec l'ancien ministre Benoît Hamon, directeur général de l'ONG Singa, et Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00Le 7-10. C'est la suite de ces débats du 7-10, en période d'élection législative.
00:07Comment comprendre ce que traverse la France ?
00:10Quelles sont les recompositions politiques à l'œuvre depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale il y a dix jours ?
00:18Ces questions, on va les retrouver pendant toute la campagne.
00:21Et on les pose ce matin à Natacha Polony, la directrice de la rédaction de l'hebdomadaire Marianne
00:27et à Benoît Hamon, ancien ministre et directeur général de l'ONG Singa.
00:32Bonjour à tous les deux.
00:33Bonjour.
00:34Merci d'être au micro d'Inter.
00:36Emmanuel Macron l'a redit hier à l'Île-de-Sein sur la dissolution.
00:41« La solution que j'ai prise, c'est la plus lourde, la plus grave, mais la plus responsable.
00:47Sans dissolution, cela aurait été la chianlie.
00:50N'ayez pas peur, allez voter et choisissez votre avenir », a ajouté le président.
00:57Voilà donc pour l'explication de cette dissolution.
01:00Pour commencer, on va remonter un peu en arrière tout de même.
01:03Quelle fut votre réaction, Benoît Hamon, quand vous avez appris la dissolution il y a dix jours ?
01:11Et dix jours après, comment qualifiez-vous le moment dans lequel se trouve le pays ?
01:16Je ne vais pas vous mentir, j'ai été stupéfait.
01:19J'ai été stupéfait parce que le président de la République nous place délibérément, consciemment,
01:26devant la possibilité, voire même l'imminence d'une victoire de l'extrême droite.
01:30Ça, il le sait.
01:32Il le sait, alors que j'ai voté deux fois pour lui, comme des millions de Français,
01:37parce qu'il fallait faire barrage à l'extrême droite.
01:40Il avait lui-même annoncé qu'il ferait reculer l'extrême droite dans les urnes.
01:44Il a fini par faire une loi sur l'immigration avec les voix de l'extrême droite.
01:48Et là, il nous met dans la situation d'avoir l'extrême droite au pouvoir et de dire
01:54« Bon ben voilà, vous avez trois semaines pour vous débrouiller.
01:57Débrouillez-vous avec ça et débrouillez-vous pour éviter le chaos. »
02:00Il a dit hier aussi « On ne peut pas craindre le peuple dans une démocratie ».
02:04Non, on ne peut pas craindre le peuple, mais de sa part, c'est quand même spectaculaire.
02:09C'est l'homme qui est passé, sur la question de la réforme des retraites,
02:13en force, contre le peuple.
02:15En tout cas, 9 actifs sur 10, ça signifiait quelque chose.
02:18Et on ne peut pas jouer avec la référence du peuple quand ça nous arrange.
02:23Le fait est aujourd'hui que c'est une...
02:26Je ne sais pas comment caractériser...
02:28Natacha Polony est une observatrice de la vie politique française,
02:31peut-être plus accomplie, plus experte que moi,
02:33mais j'y vois à la fois un geste prétentieux et capricieux.
02:36Je ne sais pas comment vous dire ça.
02:38Qui est à la fin irresponsable.
02:40Irresponsable parce qu'il nous place devant, tous collectivement,
02:44devant le vertige d'un basculement, honnêtement, vers l'inconnu.
02:49Et on pourra y revenir peut-être dans nos échanges.
02:51Natacha Polony, votre réaction en apprenant la dissolution
02:56et votre analyse du moment dans lequel on se trouve depuis ?
03:00La réaction, en effet, la même que tout le monde, la surprise.
03:05J'avais, comme beaucoup de journalistes,
03:07entendu des bruits sur la dissolution,
03:09mais évidemment à l'automne,
03:11puisque c'est à l'automne que pouvait arriver une motion de censure.
03:14Et c'est là où il faut être précis.
03:15La dissolution en soi, c'est tout à fait légitime
03:18quand on a une majorité relative et un blocage à l'Assemblée.
03:22Le problème, c'est qu'en effet, Benoît Hamon vient de le dire,
03:24ça pouvait se faire au moment où il y avait réellement un blocage
03:28entre l'exécutif et l'Assemblée nationale,
03:30c'est-à-dire au moment de la réforme des retraites.
03:32Là, il eût été légitime de revenir au peuple.
03:35Ça pouvait se faire à l'automne.
03:37Motion de censure, donc dissolution de l'Assemblée.
03:40Là aussi, ça respecte les institutions.
03:42Là, Emmanuel Macron a choisi, une fois de plus,
03:45de brutaliser les institutions et de brutaliser le pays.
03:49Et il ne fait que ça depuis sept ans.
03:52Il lui manquait cet aspect-là de la brutalisation.
03:55C'est arrivé. Et pourquoi je dis ça ?
03:57Parce que le but est justement qu'il y ait la réaction de Benoît Hamon,
04:01c'est-à-dire, mon Dieu, l'extrême droite peut arriver.
04:04C'est-à-dire que c'est ce qu'on appelle le gouvernement par la peur.
04:08Il s'agit qu'il n'y ait pas de véritable campagne
04:11avec des débats de fond sur les sujets qui doivent être tranchés,
04:14comme il n'y en a pas eu en 2022.
04:17Il s'agit de mettre en œuvre des réflexes politiques.
04:21Et c'est ça que je trouve profondément néfaste pour le pays.
04:24Mais oui, nous avons besoin de débats politiques de fond.
04:28Je prolonge ce que dit Natacha Polony,
04:31parce qu'on va peut-être mettre des briques les unes par-dessus les autres.
04:34En fait, je suis d'accord sur le fait qu'il convoque la peur,
04:37sauf que jusqu'ici, il était la réponse à la peur.
04:39Et il sous-estime, là encore, complètement sa capacité à incarner un bouclier face à cette peur,
04:44là où il a méthodiquement démoli les arguments
04:47qui justifiaient que l'on choisisse Macron contre le RN.
04:51Je le rappelle. Cette affaire qu'il a totalement sous-estimée, là encore,
04:55de la loi Immigration, votée avec le RN, ça n'est pas rien.
04:59C'est comme si demain, vous votiez une loi sur la transition écologique avec Jadot,
05:02et vous disiez que vous n'étiez pas écolo.
05:04C'est pareil, là aujourd'hui, sur le cœur de la promesse malveillante
05:08de l'extrême droite sur la migration, Emmanuel Macron s'est associé avec eux.
05:12Donc, aujourd'hui, il n'est plus ce bouclier-là.
05:14Et dans les faits, c'est peut-être la vertu de ce moment,
05:19j'espère qu'il y aura une vertu dans tout ça,
05:21c'est qu'il y a une aspiration ultra majoritaire au changement.
05:24Ultra majoritaire au changement.
05:26Alors, vous pouvez choisir le changement en considérant que
05:30votre situation ne s'améliorera pas, mais vous serez très heureux
05:32de mettre au pouvoir des gens qui vont faire mal à d'autres.
05:34C'est ce que fera le RN.
05:36Il n'améliorera pas votre sort, mais au moins, il fera mal, il fera souffrir d'autres,
05:39et peut-être que vous pourrez tirer une satisfaction qu'on fasse mal à d'autres.
05:42Mais il y a aussi une solution, et honnêtement, qui est une solution
05:45qui se situe autour du Front Populaire, aujourd'hui, parce que c'est la seule offre,
05:48et qui propose un changement, mais je crois que de toute façon,
05:53Vous êtes d'accord avec ça, Natacha Polony ?
05:55La seule offre, c'est le nouveau Front Populaire ?
05:58Je pense qu'il faut d'abord se poser plusieurs questions.
06:01Il faut faire le constat qu'il y a une part croissante des Français
06:06qui considèrent, à tort ou à raison, que le Rassemblement National,
06:10ce n'est plus tout à fait l'extrême droite.
06:12Il faut se poser la question, pourquoi ? Qu'est-ce qui a bougé ?
06:15Ça nécessiterait de revenir sur l'évolution politique des 40 dernières années,
06:20de se pencher sur ce qu'était le programme du RPR des années 80-90,
06:23qui prônait immigration zéro et préférence nationale, il faut s'en souvenir.
06:27Le paysage politique a bougé.
06:30Deuxième point, vous abordiez, Benoît Hamon, la question de l'immigration.
06:34Il y a un décalage extrêmement frappant, c'est sans doute le sujet
06:38sur lequel il y a le plus de décalage entre les décideurs politiques
06:42et les électeurs des différents partis.
06:48Par exemple, même chez les Insoumis, les électeurs de la France Insoumise
06:52considèrent, je crois que c'est, je n'ai plus le chiffre en tête,
06:56mais ça doit atteindre les 40 ou 50% que, par exemple,
06:59il y a trop d'immigration en France, dans les sondages.
07:02Ça veut dire que ce sujet-là est un sujet dans lequel
07:07beaucoup de Français ont l'impression de ne pas être représentés
07:10par la classe politique. Et ce que j'observe, moi, c'est que c'est un sujet
07:13qui, aujourd'hui, fait chuter la gauche.
07:16Alors que dans d'autres pays européens, il y a eu des mouvements
07:20pour se dire, par exemple au Danemark, que la préservation du modèle social
07:24nécessitait de réfléchir à la façon dont on régulait l'immigration.
07:28Et je me pose la question, pourquoi la gauche française n'arrive pas
07:32à prendre ce sujet de front, à bras le corps, pour essayer de répondre
07:37à une inquiétude qui est une inquiétude légitime ?
07:41Sur le même terrain, je suis ravi qu'on aille sur ce sujet.
07:45Sur la préservation de notre modèle social, la réponse en France
07:49sera totalement différente du Danemark. Parce qu'en réalité,
07:52si on veut éviter que l'âge légal de la retraite soit reporté à 66, 67, 68 ans,
07:57nous avons besoin des cotisations des travailleurs étrangers.
08:00Si nous voulons garder nos services publics et un haut niveau
08:03de protection sociale, nous aurons besoin d'immigration.
08:06Et en réalité, ce que la gauche n'assume pas, là où j'ai un désaccord avec vous,
08:09c'est que je pense que les électeurs expriment une peur de l'immigration,
08:12parfois un ras-le-bol de l'immigration, mais que leurs dirigeants politiques
08:15sont parfaitement alignés avec ça. On a tous les jours abondance
08:18de déclarations, alors j'aime pas le mot populiste, mais xénophobes,
08:23ouvertement hostiles aux migrations.
08:25Mais quels seraient les discours de gauche sur le sujet ?
08:27En fait, nous avons un problème dans ce pays d'accueil.
08:29C'est ça la question que vous avez, Natacha ?
08:30Oui, mais je pense que nous avons un problème d'accueil.
08:32Nous n'avons pas de politique d'inclusion. D'ailleurs, ça n'est pas que valable
08:35sur la question de l'immigration. Le problème d'accueil de la société française,
08:38vous le retrouvez à l'égard des personnes en situation de handicap.
08:41Nous ne sommes pas une société hospitalière à la différence.
08:45Et nous ne savons pas regarder ce qu'est le potentiel des individus.
08:48Et aujourd'hui, moi je pense que le déficit de discours de la gauche,
08:52il est sur les questions d'inclusion et d'accueil.
08:55Pas pour dire qu'on va accueillir tout le monde.
08:57C'est comment créer-t-on les conditions de l'inclusion ?
09:00Or là-dessus, pardon de le dire, mais on avait pris la société française
09:04un retard considérable. Et c'est pour ça que si demain, on reconnaissait
09:09pour préserver notre modèle social, ce qui est une part de l'identité de la France,
09:16ce à quoi on attachait nos modes de vie, l'égalité,
09:19la question de la migration peut apparaître comme une solution.
09:22C'est un changement assez radical, me semble-t-il, de l'approche de ce sujet.
09:26Alors, plusieurs choses.
09:28D'abord, je pense que prendre ça uniquement sur le plan de l'inclusion
09:34est un peu limité, pour plusieurs raisons.
09:37Évidemment que la France a un problème d'inclusion des plus fragiles,
09:42et je pense qu'il y a des inégalités absolument intolérables,
09:45un traitement même des migrants, des handicapés, qui est dramatique.
09:52Pour autant, vous avez en France un modèle d'accueil,
09:56des personnes venues d'ailleurs, qui est beaucoup plus favorable
10:00que dans d'autres pays européens.
10:02Et ça, la plupart des gens le comprennent.
10:04Et vous avez un sentiment d'injustice auquel, je crois, il faut répondre.
10:08Quand vous expliquez à des Français qu'ils ont cotisé toute leur vie,
10:13mais qu'on ne va plus leur rembourser leurs soins dentaires,
10:15qu'on ne va plus leur rembourser leurs médicaments,
10:17qu'on va rogner sur des choses qui leur sont essentielles,
10:20vous créez un sentiment, petit à petit, d'injustice.
10:24Et évidemment qu'ils vont aller regarder en se disant
10:26« mais il y a de l'argent pour le reste ».
10:27Ça, c'est le premier point.
10:28Donc il faut réfléchir à ça.
10:31Il faut réfléchir à la question de savoir quelle est la nature de ces migrations.
10:35J'ai tendance à croire que le slogan de gauche,
10:37le droit à vivre et travailler au pays, il est valable pour tout le monde.
10:41Et que moi, ce qui m'intéresse, c'est que des gens ne soient plus forcés
10:44à quitter leur pays dans des conditions tragiques,
10:47où ils risquent leur vie.
10:48Et il y a là un travail à faire, plutôt que de dire
10:52« formidable, tout le monde peut venir, on va accueillir tout le monde ».
10:55Je crois que c'est dans un monde où...
10:57Le président de la République a qualifié hier le programme du Nouveau Front Populaire
11:03de « totalement immigrationniste ».
11:05Je tiens à verser aussi cet élément au débat.
11:09Ça, ça fait partie des caricatures pour essayer de faire peur.
11:15Il s'agit de la part d'Emmanuel Macron d'expliquer qu'il y a une extrême droite,
11:19une extrême gauche, et que le seul camp républicain serait le sien.
11:23Il avait appelé l'extrême centre.
11:24Bien sûr, mais ce qui est une folie, puisque ça interdit l'alternance
11:28qui est le cœur de la démocratie.
11:30Si je peux me permettre un commentaire,
11:33que le président de la République continue à caractériser son mandat de progressiste
11:38quand il a fait la réforme des retraites,
11:40quand il vient de fragiliser l'indemnisation des chômeurs,
11:42c'est-à-dire les plus fragiles,
11:43je comprends que, naturellement, celui qui veut augmenter le SMIC de 5 euros
11:46soit d'extrême gauche à ses yeux.
11:48Et on est quand même dans ce genre de caricatures.
11:50Mais un mot quand même sur l'utilisation du mot immigrationniste.
11:53Ce n'est pas la première fois que le président de la République
11:56emprunte au lexique de l'extrême droite,
11:58mais derrière le lexique de l'extrême droite,
12:00il y a les idées, les valeurs et les représentations de l'extrême droite.
12:03Et c'est irresponsable de sa part
12:07de participer à la déshumanisation de millions de femmes et d'hommes.
12:11Et ça ne concerne pas que les personnes immigrées,
12:13mais ça concerne aussi, pardon de le dire,
12:15tous ceux qui ont une tête d'étranger.
12:16Parce que, rappelons-le,
12:18non seulement le Rassemblement National, aujourd'hui,
12:21va libérer la parole raciste,
12:24et c'est ce qui se passerait,
12:26mais que sera l'attitude de l'État demain ?
12:28Qui est censé protéger tout le monde, justement, de la parole raciste ?
12:31Un mot de conclusion, Natacha ?
12:33Pour que les Français continuent à considérer
12:36que la France est une terre d'accueil,
12:38il faut garantir une chose.
12:40L'intégration.
12:41C'est-à-dire qu'il faut garantir que nous allons préserver
12:44ce qui fait le cœur du modèle français,
12:46c'est-à-dire la mixité entre hommes et femmes,
12:49toutes ces façons de concevoir l'existence sociale,
12:55et donc travailler sur l'intégration,
12:58la laïcité, les valeurs de la République.
13:00Ça, ça me semble nécessaire.
13:02Je ne suis pas certaine qu'au sein du nouveau Front Populaire,
13:05tout le monde soit raccord avec ça.
13:07Le meeting de Montreux l'a démontré,
13:09et c'était quand même très gênant.
13:11Et quand François Ruffin se fait traiter de raciste
13:13par son propre camp, je trouve ça effarant.
13:16D'un mot Nicolas Demorand,
13:17c'est quand même pas le choix entre une pomme et une orange
13:19qu'on aura le 30 juin,
13:20c'est le choix entre une pomme et du verre brisé.
13:22Il faut quand même bien prendre conscience de ça.
13:24Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne,
13:28merci.
13:29Merci Benoît Hamon,
13:31directeur général de l'ONG Singa
13:34et président de SS France,
13:36c'est l'organisation qui représente
13:38l'ensemble des acteurs de l'économie sociale et solidaire.
13:42Merci à tous les deux.

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