Mercredi 29 janvier 2025, LEX INSIDE reçoit Alan Walter (Associé-fondateur, Walter Billet Avocats) , Mélanie Clément-Fontaine (Professeure de droit, Université de Paris-Saclay) et Mounira Freih-Bengabou (Counsel, Taylor Wessing)
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00:00Bonjour, je suis ravi de vous retrouver pour un nouveau numéro de Lex Inside,
00:26l'émission qui donne du sens à l'actualité juridique. Du droit, du droit et rien que du droit.
00:32Au programme de ce numéro, on va parler du projet L'Artie avec mon invité Mélanie Clément-Fontaine,
00:38professeure de droit à l'université Versailles-Saint-Quentin Paris-Saclay.
00:43On évoquera ensuite la clause d'exclusivité dans le contrat de travail avec Mounira Frey,
00:49consul chez Taylor Vessing. Et enfin, on parlera données personnelles et prospections commerciales,
00:56quelles sont les règles juridiques avec Alan Valter, associé fondateur du cabinet
01:01Valter-Billet-Avocat. Voilà pour les titres Lex Inside, c'est parti !
01:16On commence tout de suite ce Lex Inside, on va parler du projet L'Artie avec mon invité
01:22Mélanie Clément-Fontaine, professeure de droit à l'université Versailles-Saint-Quentin Paris-Saclay.
01:28Mélanie Clément-Fontaine, bonjour. Bonjour.
01:31Nous allons parler ensemble du projet L'Artie, porté par le laboratoire Dante,
01:35qui est liabilisé par le Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle qui se déroulera
01:41les 10 et 11 février prochains. Tout d'abord, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste
01:46ce projet et quels sont ses objectifs principaux ?
01:50Le projet L'Artie consiste à saisir les grands changements que perd l'émergence de l'IA dans le domaine du droit.
01:58On s'est réunis avec ma collègue Claire Bouclet, historienne du droit, alors que je suis spécialiste du droit des données et du numérique,
02:07pour penser cette transformation. Et pour cela, on réunit des acteurs du secteur du droit,
02:14ça peut être des notaires, des juges, des avocats, qui nous témoignent des transformations que l'IA engendre dans leur pratique.
02:24Et c'est un sujet tout à fait d'actualité. Le Sénat vient de publier un rapport, d'ailleurs, sur les transformations du métier du droit,
02:32qui est disponible depuis quelques jours avant Noël. Et ce projet a pour objectif aussi de rassembler ces réflexions
02:44et, en miroir, de réagir à ces évolutions. Nous qui sommes enseignants aussi du droit, puisque les facultés ont pour mission,
02:52vocation à former les juristes de demain, donc on doit prendre la mesure de ces changements.
02:58Quels sont les partenaires du projet ?
03:00Les partenaires du projet sont des éditeurs de droit comme LexisNexis, ce sont aussi des facultés de droit, puisque c'est nos principaux partenaires,
03:12et puis c'est ceux avec lesquels on a envie de poursuivre cette réflexion, d'Amiens, de Strasbourg, de Paris 1, au sein du grand périmètre Paris-Saclay,
03:24puisque au sein de ce périmètre, j'ai en charge ce dossier-là dans le cadre de la Graduate School droit.
03:33Dans le cadre de ce projet, vous organisez une journée d'études le 11 février prochain. Quels vont être les temps forts, les grands axes ?
03:41Les grands axes sont le nombre de droits de trois. Il y a la recherche, la pratique du droit, donc les pratiques professionnelles, et la formation.
03:52La recherche, ce sera l'occasion de présenter un outil en matière de recherche dans les archives judiciaires,
04:02donc comment l'IA va transformer le travail notamment des historiens du droit, sachant qu'il faut aussi garder un peu la mesure de cette transformation,
04:12parce que, par exemple, les archives en droit sont assez peu numérisées encore.
04:18J'ai rencontré récemment un chercheur brésilien qui venait exprès en France et à Paris pour faire des recherches dans les archives nationales,
04:27pour dire que l'accessibilité n'est pas encore énorme et donc le traitement par des IA est encore à ses débuts.
04:34Le deuxième temps, c'est les transformations des métiers du droit.
04:38Là, c'est très intéressant. On va entendre, par exemple, un juge consulaire du tribunal de commerce de Paris,
04:44qui va nous expliquer quels sont les tests qu'ils font déjà à partir de l'IA.
04:50Le troisième temps fort, c'est la formation. Donc, réunir autour de la table des enseignants-chercheurs
04:57pour réfléchir sur la manière dont nous, universitaires, allons former les juristes demain.
05:03Est-ce qu'on doit changer nos méthodes ? Est-ce que ce sont des compétences nouvelles qu'on doit enseigner à nos étudiants ? Voilà les grands enjeux.
05:10On voit que l'impact de l'IA dans le domaine du droit est assez fondamental.
05:16En tout cas, ça ouvre de nouvelles perspectives.
05:18Quelle est la suite, justement, pour ce projet Larti ?
05:22Après cette journée d'études, quels sont les nouveaux projets qui peuvent découler, les nouvelles perspectives ?
05:29Alors, on en est au début de la réflexion parce que l'IA vient d'émerger, finalement, dans ce secteur.
05:36Nous sommes au stade du test. On ne sait pas encore ce que va nous apporter réellement l'IA.
05:43Est-ce qu'on va gagner du temps ? Est-ce qu'on va gagner en qualité ? On n'en sait rien encore.
05:48En revanche, ce que l'on sait, c'est qu'il y a des enjeux très importants au niveau des droits fondamentaux.
05:54Et la CNIL s'est saisie de cette question.
05:57Elle va rendre un rapport sur l'articulation de l'usage de ces outils IA avec la protection des données à caractère personnel.
06:06Parce que, certes, on va tous utiliser ces outils, mais il faut-il encore le faire dans de bonnes conditions ?
06:12Et le Conseil d'État mène aussi une étude sur ce sujet.
06:16Donc, on va entendre Thierry Tuyot, qui est président de la section de l'intérieur au Conseil d'État, nous présenter leurs réflexions.
06:25Donc, à terme, ce que l'on souhaite, c'est poursuivre, évidemment, accompagner, faire ce travail d'accompagnement en tant que chercheur et en tant qu'enseignant du droit.
06:35Alors, justement, vous évoquez la protection des droits fondamentaux.
06:39Quels sont les principaux défis et les opportunités que vous identifiez dans l'utilisation de l'IA pour l'enseignement et l'histoire du droit ?
06:46Vous avez évoqué les archives.
06:48Alors, je ne saurais dire à ce stade exactement quelle incidence cela va avoir.
06:56Est-ce que c'est un plus pour nos étudiants ?
06:59Est-ce que, au contraire, cela risque de les mettre dans une situation où l'apprentissage va être plus délicat ?
07:07Je prends un exemple.
07:09Pour être un bon juriste, il faut savoir lire un arrêt assez rapidement.
07:13C'est comme du calcul mental.
07:14Il faut s'entraîner.
07:15Donc, on a des exercices pour cela.
07:16Cela s'appelle une fiche d'arrêt.
07:18Et la répétition, l'entraînement fait qu'ensuite, on regarde un arrêt, on lit en diagonale et on en tire les enseignements principaux.
07:27Cet exercice-là, on peut le faire dès aujourd'hui avec une IA en deux secondes.
07:33Donc, est-ce qu'on doit donner encore cet exercice à faire à nos étudiants ?
07:38Est-ce que c'est une compétence qui n'est plus utile pour les juristes puisque l'on peut produire le même résultat à l'aide d'une IA ?
07:46Voilà les grands enjeux qui se posent aujourd'hui.
07:49Et donc, on est bien en peine aujourd'hui de savoir si c'est un plus, si c'est quelque chose qu'il va falloir simplement accompagner parce qu'on n'a pas le choix.
08:02Et pour cela, il faut être nombreux à réfléchir et à fédérer nos expériences.
08:10Alors, j'imagine que vous avez parlé des étudiants qui ont le défi aussi de la formation des nouvelles générations à ces outils,
08:17d'expliquer aussi les hallucinations que peuvent produire les intelligences artificielles génératives.
08:23Donc, vous, en tant qu'enseignante, en tant que professeur de droit, il y a aussi de la pédagogie à faire à ce niveau-là ?
08:30Alors, il y a de la pédagogie à faire auprès de nos étudiants et nos étudiantes.
08:34Il y a de la pédagogie à faire auprès de nos collègues parce que c'est aussi une transformation pour chacun et chacune de nous.
08:40Il va falloir penser des nouvelles méthodes pédagogiques, il va falloir penser de nouvelles évaluations.
08:46Donc, c'est assez vertigineux.
08:48C'est une transformation qui doit absolument être accompagnée parce que les enseignants-chercheurs ne sont pas armés pour faire ça tout seul.
08:59Est-ce que vous avez déjà des lignes directrices dans le corps professoral quant à l'utilisation de ces outils ?
09:05Alors, l'objectif du groupe de travail que l'on a monté au sein de la Graduate School de droit, que j'anime,
09:13est de justement rédiger une charte des bonnes conduites de l'IA et surtout montrer à nos étudiants qu'ils ne sont pas seuls dans cet apprentissage-là,
09:24qu'on va les accompagner et qu'il y a des précautions à prendre, c'est certain.
09:29Notre objectif, c'est d'ici la rentrée, avoir constitué cette charte et ces cahiers de bonne conduite.
09:39Pour finir, en un mot, qu'est-ce que vous attendez de la journée d'études du 11 février prochain ?
09:44J'attends qu'il y ait un vrai dialogue entre ceux qui vont présenter ces outils au cours de la journée.
09:51On a plusieurs acteurs qui vont nous présenter ces outils.
09:54Et puis ceux qui sont en prise avec la pratique et leur expérience, et qu'il y ait une vraie rencontre en vue d'un travail collectif par la suite.
10:06On va conclure là-dessus. Merci d'être venue sur notre plateau.
10:09Merci à vous.
10:10Tout de suite, l'émission continue. On va parler de la clause d'exclusivité dans un contrat de travail.
10:22On poursuit ce Lex Inside et on va parler de la clause d'exclusivité dans le contrat de travail avec Mounira Frey, consul chez Taylor Vessing.
10:34Mounira Frey, bonjour.
10:35Bonjour Arnaud. Merci de m'accueillir.
10:37On va faire le point ensemble sur la clause d'exclusivité dans un contrat de travail.
10:41Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'une clause d'exclusivité ?
10:44La clause d'exclusivité est une stipulation contractuelle par laquelle l'employeur interdit à son salarié d'exercer une activité pour un autre employeur pendant la durée du contrat de travail.
10:55Elle peut être insérée dans un contrat à durée indéterminée ou dans un contrat à durée déterminée. C'est une limite à la liberté de travail.
11:04Quelles sont ces conditions de validité ?
11:06Plusieurs. La clause d'exclusivité doit tout d'abord être écrite.
11:12Je l'ai dit, c'est une stipulation contractuelle. Elle doit être indispensable aux intérêts légitimes de l'entreprise, avoir un objectif de préservation des intérêts de l'employeur, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
11:29C'est très important parce que la jurisprudence et le juge vont être à l'examen, vont analyser la nature et les conditions de validité pour déterminer si, oui ou non, on est dans une clause qui va porter atteinte à la liberté de travail du salarié et qui n'est pas rédigée dans des termes généraux et imprécises,
11:53qui pourrait être une atteinte excessive à ce droit constitutionnel qui est la liberté de travail.
11:59Donc attention à la rédaction de ces clauses.
12:01Exactement. Il faut être prudent. Lorsqu'on rédige une clause d'exclusivité, l'employeur doit veiller à déterminer l'étendue de cette interdiction et doit justifier le recours pour que son salarié puisse avoir connaissance des limites qui lui sont apportées à cette liberté de travail.
12:24Vous dites qu'il doit justifier le recours, mais qu'est-ce qui motive en général un employeur pour insérer une telle clause ?
12:30Généralement, c'est la nature de l'activité de l'entreprise ou le poste qu'occupe le salarié, la technicité qu'il a, le savoir-faire qu'il a ou même l'accès à un certain nombre d'informations confidentielles qui vont justifier le recours à une clause d'exclusivité pour éviter effectivement que les informations sur des données stratégiques de l'entreprise soient divulguées auprès de tiers.
12:54On va s'intéresser un peu à son champ d'application. Quelles sont les limites d'application de la clause d'exclusivité ?
13:00C'est très intéressant cette question, dans la mesure où on peut se poser la question de savoir si la clause d'exclusivité peut être insérée dans un contrat à temps partiel.
13:10D'une manière générale, on considère qu'un salarié à temps partiel ne peut pas se voir imposer une clause d'exclusivité parce que ce serait contradictoire au régime de durée du travail auquel il est soumis.
13:23Généralement, on considère qu'un salarié à temps partiel souhaite ou peut avoir la possibilité de compléter son activité par une activité complémentaire.
13:32Mais lorsqu'on regarde la jurisprudence de plus près, on se rend compte que l'interdiction de principe d'insérer une clause d'exclusivité dans un contrat à temps partiel n'a été posée que pour les VRP exclusifs.
13:47Le VRP est un statut spécifique et le VRP exclusif dédie son activité à un seul employeur.
13:55Pour les salariés qui n'ont pas ce statut de VRP exclusif, la clause d'exclusivité peut être tout à fait prévue par le contrat de travail, sous réserve des conditions qu'on a vues et qu'on vient d'évoquer,
14:10à savoir qu'elle soit indispensable aux intérêts de l'entreprise, proportionnée et justifiée par la nature de la tâche à accomplir.
14:18D'accord. En d'autres termes, ça veut dire qu'il peut y avoir une clause d'exclusivité pour des salariés à temps partiel ?
14:23Tout à fait.
14:24Et la jurisprudence est plutôt libérale sur ce sujet ?
14:28Non, la jurisprudence va veiller à ce que les conditions de validité de la clause sont bien remplies.
14:34Elle est de plus en plus restrictive et cette jurisprudence d'ailleurs, on doit l'analyser à l'aune de la directive du 20 juin 2019,
14:41qui est une directive qui porte sur les conditions de travail transparentes.
14:44Et dans cette directive, il est prévu que les États membres doivent veiller à ce qu'un employeur n'impose pas des restrictions trop importantes à la liberté de travail du salarié
14:55et n'impose pas de manière générale une interdiction de cumuler un emploi.
15:00Concrètement, ça veut dire quoi ?
15:02Concrètement, le droit national ne peut pas totalement interdire le cumul d'emplois, sauf à justifier de restrictions par des motifs objectifs
15:12tels que la protection de la confidentialité, le conflit d'intérêts ou encore le secret des affaires.
15:20Alors abordons maintenant la question des sanctions.
15:23Quelles sont les sanctions si on ne respecte pas les conditions que vous avez listées tout à l'heure ?
15:27Un salarié qui ne respecterait pas sa clause d'exclusivité pourrait se voir exposer à des sanctions disciplinaires
15:34qui pourraient aller jusqu'au licenciement pour faute.
15:37Évidemment, la sanction pourrait être modulée ou va être modulée par l'employeur en fonction du degré de gravité du manquement du salarié.
15:49Il peut également engager sa responsabilité, mais ce qui est assez rare puisque l'employeur devra justifier d'une faute lourde
15:56qui suppose une intention de nuire du salarié et qui est assez peu retenue en jurispondance.
16:03L'intention de nuire, c'est quoi ? Des exemples ?
16:06Un salarié qui va volontairement aller travailler pour un concurrent en utilisant des informations qui ont été confidentielles
16:16pour détourner une clientèle, par exemple.
16:19L'intention de nuire est assez claire.
16:21Tout à fait.
16:22Est-ce qu'il y a des bonnes pratiques que vous recommandez sur ce sujet ?
16:26Tout d'abord, il est important de veiller à la rédaction de la clause, de solliciter des avis juridiques, éventuellement d'un avocat, par exemple,
16:37pour être sûr que les limites que l'on pose à la clause d'exclusivité soient déterminées, qu'on puisse justifier du motif
16:47et qu'elle soit adaptée au poste du salarié que l'on embauche.
16:51Aujourd'hui, ces clauses d'exclusivité sont largement répandues ou elles concernent plutôt certains types d'emplois ?
16:58On a tendance à les voir dans tous les contrats de travail, à l'exception, c'est vrai, dans les contrats de travail à temps partiel
17:03où la retenue est plus… on en trouve moins, mais en revanche, dans un CDI à temps complet, il est courant de retrouver une clause d'exclusivité,
17:13y compris rédigée dans des termes très généraux, comme une simple interdiction de toute activité pendant l'exécution du contrat,
17:20ce qui pourrait être, en fonction de la nature du poste, encore une fois, du salarié, préjudiciable à l'employeur puisqu'elle ne pourrait pas être opposable au salarié.
17:30Alors on a vu les bonnes pratiques, est-ce qu'il y a des pièges à éviter, des choses à ne pas faire ?
17:35Je dirais, comme je viens de le dire, ne pas rédiger des clauses sans tenir compte de la nature de l'emploi du salarié,
17:44ne pas systématiser la clause d'exclusivité, j'allais dire clause de non-concurrence parce que ça s'y rapproche,
17:50mais ne pas systématiquement avoir recours.
17:52Pas le faire dans tous les contrats de travail pour tous les salariés.
17:54Tout ne se justifie pas, il faut tenir compte de l'objectif de cette clause qui est vraiment de préserver les intérêts légitimes de l'entreprise
18:03et il est vrai que tous les postes ne sont pas nécessairement voués à avoir une clause d'exclusivité.
18:08Et ce n'est pas lié simplement au poste de manager ?
18:11Pas seulement, vous pouvez très bien avoir une technicité particulière dans votre emploi qui justifierait la clause d'exclusivité
18:19sans pour autant avoir un poste d'encadrement ou d'autres responsabilités.
18:24C'est vraiment à nuancer en fonction de la teneur des tâches que le salarié accomplit.
18:29Donc bien regarder la nature de l'emploi et les tâches du salarié.
18:33Tout à fait, exactement.
18:35On va conclure là-dessus, merci Mounira Frey, je rappelle que vous êtes console au sein du cabinet Taylor Vessing.
18:41Merci.
18:42Tout de suite, l'émission continue, on va parler données personnelles et prospections commerciales.
18:48Quelles sont les règles juridiques ?
19:01On va parler données personnelles et prospections commerciales avec mon invité Alan Walter,
19:07associé fondateur du cabinet Walter Billet Avocat.
19:10Alan Walter, bonjour.
19:11Bonjour Arnaud, merci de l'invitation.
19:14L'utilisation des données à des fins de prospections commerciales est strictement encadrée par des règles juridiques,
19:20on va le voir ensemble.
19:21Quels sont les différents fondements juridiques qui régissent l'utilisation des données à des fins de prospections commerciales ?
19:28Il y a réellement deux corpus législatifs qui viennent encadrer cette pratique.
19:33Le premier, qui n'est pas celui auquel on pense nécessairement,
19:38c'est le code des postes des communications électroniques qui a instauré cette distinction entre l'opt-in et l'opt-out.
19:44Très concrètement, avant de recevoir de la prospection commerciale, je dois avoir donné mon consentement,
19:50sauf quelques très rares exceptions.
19:53Donc on n'envoie pas des mails de publicité sans avoir reçu le consentement, c'est long, tout simplement, c'est du spam.
20:02Avec une légère inflexion au cours des dernières années,
20:06la CNIL est venue se prononcer sur la prospection commerciale B2B,
20:10en indiquant que si la prospection était dans le cœur d'activité de l'entreprise visée,
20:16et que ça restait à vocation professionnelle, on pouvait assouplir cet opt-out.
20:21Et puis, en surcouche du code des postes des communications électroniques, bien évidemment, le RGPD,
20:27puisque toute prospection commerciale implique d'avoir collecté des données à caractère personnel
20:33pour pouvoir contacter la personne et puis pour pouvoir cibler la publicité qu'on adresse.
20:38Donc il convient de respecter dans ce cadre-là le RGPD avec sa carrière d'obligation que l'on connaît.
20:44Alors on va revenir sur une décision récente de la CNIL qui a condamné la société Casper à une somme de 240 000 euros.
20:53Pouvez-vous expliquer un peu les faits, la sanction, et on verra après les perspectives de cette décision.
21:00La société Casper propose un plugin pour le navigateur Internet qui permet de collecter des données à caractère personnel.
21:07Alors sans définir de finalité d'usage particulier, vous pouvez enrichir votre base et évidemment envoyer de la prospection commerciale avec.
21:17Ce qui est reproché directement à Casper, c'est d'avoir permis à ses utilisateurs de collecter des données à caractère personnel directement sur LinkedIn
21:25et sans distinction des données collectées par rapport aux choix qui avaient été opérés par les différents utilisateurs quant à la diffusion de ces données.
21:36Donc cette décision est finalement assez peu surprenante dans ce qu'elle dit, car elle nous dit qu'il faut une base légale pour traiter des données à caractère personnel.
21:48Alors ça peut être le consentement, ça peut être l'exécution d'un contrat, c'est le cas de l'employeur qui traite les données de son salarié,
21:54et puis ça peut être l'intérêt légitime. Cette notion d'intérêt légitime est très large.
21:58La Cour de justice de l'Union européenne est venue la préciser, en fait même en la précisant, est venue l'élargir au mois d'octobre dernier,
22:06en indiquant que l'intérêt légitime, ça pouvait être de réaliser des actions de prospection commerciale, car c'est l'intérêt de la société qui réalise cette prospection.
22:15Et donc c'est possible, sous réserve bien évidemment que l'intérêt soit légitime et de ne pas porter atteinte aux droits des personnes.
22:23Donc il y a un test de proportionnalité qui va être réalisé entre l'intérêt de celui qui prospecte et les droits et en fait le dérangement de celui qui reçoit la prospection.
22:35Et la CNIL est très claire dans sa décision, elle nous dit l'intérêt légitime, pas de problème.
22:42Mais à partir du moment où l'utilisateur a fait le choix de ne pas diffuser ses données à l'intégralité des utilisateurs de LinkedIn,
22:50ce choix prime, il doit être respecté.
22:54Alors en quoi cette sanction ouvre-t-elle le champ des possibles pour des pratiques commerciales selon vous ?
22:59Ce qui est intéressant dans cette décision, c'est surtout ce qu'elle ne dit pas.
23:04Quand elle impose de respecter le choix de l'utilisateur et qu'elle impose de ne pas collecter des données pour lesquelles l'utilisateur a spécifiquement demandé à ce qu'elles soient restreintes,
23:15ça nous laisse penser que tout le reste, je peux le collecter.
23:19Mon intérêt légitime ne porterait pas atteinte aux droits des personnes si je collecte des données qu'elles ont librement mises en ligne sur Internet.
23:28Et cette décision a introduit une notion qui est assez intéressante, qui parle des attentes légitimes des personnes.
23:35Effectivement, si j'ai demandé à ce que mes données ne soient pas diffusées au-delà de mon deuxième niveau de connexion sur LinkedIn,
23:41je peux légitimement me dire qu'un tiers ne va pas me contacter sur ces bases-là.
23:48A l'inverse, si je n'ai rien restreint, l'utilisation reste ouverte.
23:52Bien sûr. Alors, quels sont les risques qui sont encourus par les entreprises qui proposent des outils d'exploitation de données du type de Casper en cas de plainte d'utilisateur de LinkedIn ?
24:03On a un petit peu recadré le débat avec cette décision en disant, attention, maintenant on a tracé de nouvelles lignes qu'il conviendra de ne pas franchir.
24:12Et donc, de la collecte de données qui auraient été plus ou moins restreintes dans leur diffusion par l'utilisateur expose les sociétés qui collectent aux mêmes sanctions que celles qui ont été infligées à Casper.
24:25Pour vous, c'est quoi les bonnes pratiques qui résultent de cette décision ?
24:28Il y aurait réellement une distinction à opérer et de pouvoir identifier en amont quelles données ont été restreintes,
24:37quelles données ont été librement et largement diffusées sur Internet pour ne collecter que celles qui ont fait l'objet d'une diffusion large, car on ne pourrait pas utiliser les autres.
24:47Cela reviendrait à se mettre en infraction par rapport au RGPD.
24:51Alors, sur LinkedIn, on peut avoir un niveau, une granularité de sélection des données privées, publiques, voire il y a d'autres niveaux, mais ce n'est pas toujours le cas sur d'autres plateformes.
25:03Effectivement.
25:04Donc, ça laisse la porte ouverte à des contentieux, peut-être ?
25:07Probablement, parce qu'une plateforme qui ne permettrait pas du tout de restreindre la diffusion de ces données,
25:13on considérera nécessairement que le choix de l'utilisateur d'utiliser cette plateforme revient à accepter la diffusion large de ces données et donc à être prospecté sur cette base-là.
25:24Est-ce qu'on va voir un infléchissement dans les usages ? Les prochains mois nous le diront.
25:30Alors, pour terminer, peut-être un mot sur la jurisprudence sur ces questions.
25:36Est-ce qu'il y a déjà des décisions sur des questions de prospection commerciale et d'utilisation des données ?
25:43Oui, ce sont des décisions qu'on connaît assez bien et qui sont en général très défavorables aux entreprises qui prospectent,
25:50parce que celles qui jusqu'à présent ont été épinglées par la CNIL sont celles qui avaient vraiment des pratiques qui étaient totalement en dehors des cadres.
25:57Là où la manière dont opérait Casper ne semblait pas être quelque chose de complètement ahurissant, du moins sur cette partie-là.
26:06D'accord. Et donc à quoi on peut s'attendre dans les prochaines semaines selon vous ?
26:10Très probablement à une multiplication, pas nécessairement immédiatement des contrôles, mais probablement des plaintes adressées à la CNIL,
26:18de ceux qui auront pu tirer les bons enseignements de ces décisions-là.
26:22Bon, on va suivre tout ça de près. Merci Alain Walter. Je rappelle que vous êtes associé fondateur du cabinet Walter Bier, avocat.
26:31C'est le moment de se quitter. On va conclure cette émission. Merci de votre fidélité. Restez curieux et informés. A très bientôt sur Bsmart for Change.