Mercredi 18 septembre 2024, LEX INSIDE reçoit Mathieu Ragot (Associé, Veil Jourde) , Nina Tarhouny (Fondatrice, Cabinet Global Impact) et Bertrand Brunessen (Professeur, Droit public, Université de Rennes)
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00:00Bonjour, je suis ravi de vous retrouver pour un nouveau numéro de Lexy Inside, votre rendez-vous
00:27consacré à l'actualité juridique. Au programme de ce numéro, on va parler loi industrie verte,
00:34ce sera dans quelques instants, avec Mathieu Rago, associé chez Veillejourde. On parlera
00:40ensuite Quiet Cutting avec Nina Tarouni, présidente de Global Impact. Et enfin,
00:47on évoquera la souveraineté numérique avec Brunsen Bertrand, professeur de droit public
00:55à l'Université de Rennes. Voilà pour les titres, c'est parti pour Lexy Inside.
01:07On débute tout de suite sur Lexy Inside et on va parler de la loi industrie verte avec mon
01:15invité Mathieu Rago, associé au sein du cabinet Veillejourde. Mathieu, bonjour. Bonjour Arnaud.
01:21Pour commencer, je vous propose d'étudier les enseignements de la loi industrie verte,
01:27plutôt les fondements de cette loi. Quels sont ses principaux objectifs ? Alors,
01:32comme son nom l'indique, elle a deux enjeux, une partie verte et une partie industrie. Sur la partie
01:37verte, c'est une partie environnementale. L'industrie en France représente toujours,
01:41c'est à peu près la même chose en Europe, 20% des émissions de gaz à effet de serre. Il y a 50
01:45sites industriels en France qui représentent seuls 11% des émissions de gaz à effet de serre
01:49nationales. Donc on a un bilan carbone industriel qui est élevé. L'enjeu de la loi industrie verte,
01:55c'est d'essayer de réduire, de décarboner cette industrie. Puis il y a un enjeu économique,
01:59c'est la partie industrie. La France devait réagir parce que la Chine, en 2021, a défini un plan
02:08quinquennal pour soutenir l'industrie verte en Chine. Les Etats-Unis ont pris en 2022, c'était
02:14décembre 2022, le Inflation Regulation Act qui est un plan de soutien à l'industrie verte aux
02:20Etats-Unis avec 370 milliards d'euros sur la table pendant 10 ans. Donc un plan extrêmement
02:25ambitieux avec des mesures évidemment protectionnistes. Donc tout ça faisait que la France
02:30et l'Europe, là on va parler de la loi industrie verte en France, mais devaient réagir. Donc sous
02:35cet enjeu économique industriel, il y a un enjeu de souveraineté. C'est-à-dire qu'il faut qu'on
02:40fasse venir sur le territoire français des industries vertes, des industries décarbonées,
02:45parce qu'il y a une compétition entre les grandes économies pour attirer au maximum ces industries.
02:50Et la France est dans un enjeu depuis 2017 de réindustrialisation. On sait que depuis 50 ans,
02:57on a une perte des industries en France. On a enrayé légèrement cette tendance et on essaie
03:02désormais de l'inverser. C'est là qu'on parle de réindustrialisation. Donc voilà vraiment les
03:06deux grands enjeux de cette loi industrie verte. Maintenant qu'on a exploré les grands enjeux de
03:11cette loi, rentrons dans le concret. Quelles sont les mesures concrètes prévues pour accélérer
03:17cette implantation de sites industriels en France ? Alors le maître mot, c'est simplification et
03:22allègement des contraintes administratives. Parce que la France a cette réputation d'être très
03:27bureaucratique, très réglementaire. Donc le message qui est envoyé, c'est de simplifier.
03:31Alors première, une des mesures phares, c'est de diviser par deux les délais d'instruction des
03:36autorisations environnementales. Vous savez que pour implanter des industries, je simplifie un
03:40peu, mais polluantes ou susceptibles d'avoir un impact sur l'environnement, il faut une
03:44autorisation environnementale. Actuellement ce délai est de 17 mois. La loi industrie verte
03:49veut essayer de le faire passer à neuf mois, c'est-à-dire de le diviser par deux. Pour cela,
03:53ce que la loi propose, c'est de mener les phases de consultation du public. Vous savez qu'on doit
03:59toujours avoir une phase de consultation du public en général. Cela va se dérouler
04:05parallèlement à l'instruction du dossier, ce qui va nous permettre de gagner du temps. Ce qui
04:09soulèvera à mon sens quelques problèmes que le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de
04:13loi, a identifié. C'est-à-dire qu'il dit qu'on peut empiler les textes. Parce que là, cette mesure
04:18de simplification de l'autorisation environnementale a s'inscrit dans la continuité déjà de la loi de
04:222020 de simplification de l'action administrative, de l'action publique. Et donc on empile les textes,
04:27mais s'il n'y a pas de moyens associés dans les services instructeurs, on ne gagnera pas
04:31forcément de temps. Une autre mesure très importante, c'est une mesure phare de la
04:35loi Industrie verte, c'est la procédure en quelque sorte tapis rouge pour ce qu'ils
04:39appellent des projets d'intérêt national majeur. Lorsqu'on est reconnu comme tel par décret,
04:45on bénéficie de facilités d'implantation. On l'a vu, il y a l'allègement des autorisations
04:52environnementales, mais il y a aussi des possibilités de dérogation à certaines
04:56mesures de protection des espèces, puisque parfois vous ne pouvez pas mener un projet parce
05:00qu'il y a un hamster nain dans la forêt que vous ne pouvez pas déloger. On aura des dérogations sur
05:05ce volet là. Et puis, on va avoir des mesures de simplification, d'incitation à venir sur le
05:19territoire français. Alors cette loi vise, comme vous l'avez souligné, à accélérer la
05:23réindustrialisation du pays et à faire de la France le leader de l'industrie verte. Comment
05:29la loi compte-t-elle concilier ces deux objectifs ? Alors la première chose, c'est que ces deux
05:34objectifs ne sont pas nécessairement conciliables d'un point de vue conceptuel. Il faut juste rappeler
05:40ce point. C'est que pour protéger l'environnement, pour réduire les émissions carbone, on a plusieurs
05:46leviers. On a la sobriété, c'est un levier qui est un peu difficile à actionner. Et il y a
05:53l'investissement dans la transition écologique vers des outils de production, vers des modes de
05:57production décarbonés. Pour l'investissement, il faut de l'argent. Pour l'argent, il faut de la
06:04croissance, il faut de l'emploi. Pour tout cela, il faut de la production industrielle. Donc l'industrie
06:09verte n'est pas forcément un oxymore. Ensuite, sur des mesures plus concrètes, déjà la commande
06:15publique est incitative. C'est-à-dire que la commande publique va soit intégrer les aspects
06:23qualitatifs environnementaux dans la sélection de l'offre la plus avantageuse, ce qui va permettre
06:30d'inciter les acteurs à proposer des offres qui intègrent des paramètres environnementaux. Et
06:36puis il y a tout un volet de la loi qui est important, qui s'inscrit dans l'objectif de
06:41zéro artificialisation nette des sols. C'est-à-dire que d'ici 2050, on voudrait arrêter,
06:46enfin cesser l'artificialisation des sols et utiliser les friches qui existent déjà. Et pour
06:52cela, la loi prévoit et les décrets d'application, notamment celui du 6 juillet dernier, prévoient
06:56une batterie de mesures qui vont permettre de faciliter la reprise de ces friches industrielles.
07:01Quels sont les secteurs visés par cette réindustrialisation ?
07:04Encore une fois, comme son nom l'indique, ce sont des secteurs qui sont engagés dans
07:09les technologies de décarbonation. Que ce soit décarbonation dans le bâtiment,
07:14dans l'industrie manufacturière, dans les énergies, que ce soit au stade de l'extraction,
07:19de la transformation des réseaux, dans le recyclage, les biomatériaux d'une façon
07:26générale, dans les mobilités également. Donc toutes les technologies qui vont dans le sens
07:31d'une décarbonation de l'industrie et des activités sont définies par le décret comme
07:38des secteurs qui sont ciblés pour bénéficier des mesures de la loi industrie verte.
07:43On a vu que l'ambition est claire, c'est assez ambitieux d'ailleurs. Quelles sont
07:49les incitations financières et fiscales pour parvenir à réussir ces objectifs, à les atteindre ?
07:55Alors en amont des incitations financières et fiscales, on l'a vu, il y a des incitations ne
08:02serait-ce que par des enjeux de compétitivité. C'est-à-dire qu'aujourd'hui par exemple,
08:06je parlais de la commande publique, pour accéder à la commande publique, il sera très judicieux
08:10d'avoir investi dans soit des technologies décarbonées, soit de présenter un bilan
08:17d'émissions des gaz à effet de serre, donc d'être vertueux sur le terrain environnemental. Donc ça
08:22en soi c'est une incitation. Il y a évidemment une incitation par la société civile qui est
08:26également aussi de plus en plus demandeuse. Pour la partie législative, il y a une partie
08:32incitative qui est un crédit d'impôt qui ne figure pas directement dans la loi industrie verte,
08:36mais qui a été pris dans la continuité de la loi de l'industrie verte, mais par la loi de
08:41finances pour 2024. Donc un crédit d'impôt qui devrait permettre, d'après les estimations de
08:47l'État, de générer 23 milliards d'investissements dans l'industrie verte. Et puis pour mobiliser
08:54également la société civile dans cette réindustrialisation verte de la France,
09:00l'État a créé des produits d'épargne qui seront affectés ou avec des obligations d'affectation
09:07minimale vers des projets industrie verte, vers des fonds d'actifs, vers non cotés en bourse,
09:12donc pour essayer de mobiliser un peu l'épargne civile et de la concentrer sur cet effort de
09:18transition écologique de l'industrie. Pour conclure, abordons un peu le calendrier
09:21de mise en oeuvre de cette loi. Il y a des décrets qui ont été publiés en juillet dernier,
09:25quels sont un peu le planning de mise en oeuvre de la loi, les échéances ?
09:31Alors la loi a eu, enfin bon déjà il y a certaines mesures qui s'appliquaient immédiatement sans
09:37nécessairement avoir besoin de décret d'application. Ensuite on a deux décrets sur des mesures phares
09:42qui ont été prises, qui ont été pris en 5 et 6 juillet, donc quelques jours avant la démission
09:48du gouvernement Attal, donc juste avant qu'on passe en gestion des affaires courantes. Donc
09:53la loi est sur les rails, là ces mesures d'application entrent en vigueur soit immédiatement,
09:58enfin soit s'entrent en vigueur, soit entreront en vigueur différé au mois d'octobre, donc d'ici à
10:02l'automne la loi globalement sera intégralement applicable. On va conclure là-dessus, merci
10:09d'être venu sur notre plateau Mathieu Rogot. Merci Arnaud.
10:23Nous poursuivons ce Lex Inside avec Nina Tarouni, fondatrice du cabinet Global Impact avec qui on
10:31va parler d'un phénomène qui se répand dans le monde du travail, le Quiet Cutting. Nina bonjour.
10:37Bonjour Arnaud. Qu'est-ce que le Quiet Cutting et comment se manifeste-t-il en entreprise ?
10:43En fait il s'agit de pratiques déloyales visant à écarter le salarié de l'entreprise. On le
10:52traduit par licenciement silencieux, en réalité c'est plus une incitation à la démission pour
11:00faire partir le salarié de l'entreprise sans le licencier. Donc en fait il se manifeste de
11:08plusieurs façons, il peut y avoir une rupture sur les fonctions et les tâches à réaliser,
11:14c'est-à-dire qu'on va donner de moins en moins de tâches à faire aux salariés et ça peut aussi
11:20se manifester par une coupure du collectif de travail, soit par des consignes qui sont données
11:27par le manager ou par l'employeur de ne plus communiquer avec les salariés, soit ça se fait
11:33d'une manière un peu plus insidieuse dans la mesure où on voit que le vent a tourné pour le
11:38collègue, on ne veut pas être le suivant et du coup on va s'écarter petit à petit de ce salarié
11:44qui est visé par ses pratiques déloyales et il va se retrouver isolé en fait de son collectif
11:51de travail et de ses fonctions. Est-ce qu'en quelque sorte on peut résumer par une mise au
11:55placard ? Oui c'est ça, en fait petit à petit le salarié se retrouve mis au placard, alors ça
12:01peut être fait de manière brutale donc du jour au lendemain ou alors de manière un peu plus
12:06insidieuse où ça va être un peu plus diffus dans le temps et petit à petit le salarié va se
12:12retrouver coupé de ses fonctions et de son collectif de travail. Alors venons-en maintenant
12:18aux motivations de l'employeur pour utiliser ces pratiques, qu'est ce qui pousse les employeurs à
12:23utiliser une pratique telle que le Quiet Cutting ? Et bien en fait l'entreprise ne souhaite pas
12:29licencier le salarié parce que le licenciement a un coût même si aujourd'hui on a le barème
12:36Macron qui permet justement d'évaluer ce coût mais parfois il reste trop important pour
12:43l'entreprise et donc l'entreprise souhaite se débarrasser du salarié en le coupant de ses
12:50fonctions, de son collectif, de façon à ce qu'il prenne lui-même la décision de démissionner de
12:57l'entreprise. Il y a aussi une autre explication qu'on a vu aussi dans la jurisprudence, c'est à
13:04dire en fait c'est un salarié qui peut être problématique avoir posé des problèmes à ses
13:09collègues, ça peut être un management délétère, ça peut être le fait de générer de la souffrance
13:14au travail chez des collègues mais alors au lieu de prendre la décision de licencier le salarié
13:21pour faute et bien on le coupe du collectif de travail et en fait les entreprises justifient
13:27donc cette pratique en disant que ça vise à protéger le collectif de travail qui a pu être
13:31touché par des manœuvres, des agissements délétères sur les autres entreprises. Mais là encore la
13:37jurisprudence refuse ces pratiques déloyales puisque l'employeur a des moyens légaux de mettre
13:45fin à ces agissements par un licenciement. Alors quels sont les risques juridiques justement pour
13:51l'employeur qui userait de ces pratiques de quiet cutting par exemple pour ne pas licencier ?
13:56Alors les conséquences juridiques peuvent être nombreuses puisque souvent on va avoir une atteinte
14:01à la santé du salarié qui vont se traduire de diverses façons, il va y avoir un sentiment
14:09d'inutilité du salarié qui peuvent générer de la souffrance psychique, qui peuvent générer de la
14:18dépression voire aller jusqu'au suicide comme on l'a vu dans les cas de l'entreprise France
14:23Télécom et dans ce cas-là l'employeur peut être condamné pour ses manquements en termes de santé
14:30sécurité au travail, on peut aussi avoir une requalification en licenciement sans cause réelle
14:36et sérieuse et donc ça peut coûter très cher au final à l'employeur et il aurait mieux valu procéder
14:43à un licenciement dans les règles de l'art plutôt que finalement détruire un individu pour arriver à
14:49son départ de l'entreprise. Alors un certain nombre d'agissements que vous décrivez s'ils
14:55sont répétés peuvent-ils être considérés comme du harcèlement moral ? Absolument et c'est le
15:01risque aussi pour l'entreprise de se faire condamner pour harcèlement moral puisque le
15:06fait de ne pas donner de travail au salarié, de le mettre au placard et bien ça peut tout à fait
15:12être qualifié de harcèlement moral donc même quand au départ on avait des agissements du
15:18salarié qui étaient fautifs et qu'on a souhaité écarter d'un collectif pour le protéger et bien
15:25finalement la jurisprudence a décidé qu'on ne harcèle pas le harceleur quand bien même on
15:31aurait qualifié les agissements de ce salarié mis à l'écart de potentiellement individus qui
15:37nuiraient au collectif et cela pourquoi ? Parce que l'entreprise dispose d'un arsenal juridique
15:42disciplinaire qui permet d'écarter un salarié sans porter atteinte à sa santé et sa sécurité
15:49au travail et sans porter atteinte à sa dignité. Alors on a parlé de l'arsenal juridique de
15:54l'employeur maintenant plaçons nous du côté des salariés. Quelles sont les options légales
16:01pour les salariés victimes de quiet cutting pour se protéger et se défendre ? Alors on a des acteurs
16:07qui sont internes à l'entreprise et externes à l'entreprise. A l'intérieur de l'entreprise
16:13il est tout à fait possible de recourir aux représentants du personnel par le biais du
16:17comité social et économique, faire aussi appel au syndicat et puis on a aussi les acteurs externes
16:27qui sont l'inspection du travail, la médecine du travail et puis dans un autre registre plus
16:34judiciaire celui-ci avoir recours à un avocat voire prendre acte de la rupture de son contrat
16:42de travail au tort exclusif de l'employeur mais là ça suppose d'aller en justice. Alors pour
16:47conclure sur une note plus positive est-ce qu'on peut pas agir en mode préventif pour éviter que
16:53de telles situations arrivent en entreprise ? Quelles sont vos recommandations ? Et bien en fait ça
16:58dépend de la situation dans laquelle on se trouve. S'il s'agit de faire partir un salarié qui peut
17:03nuire à certains individus ou collectifs de travail et bien il va s'agir de mettre en oeuvre
17:09le pouvoir disciplinaire de l'employeur et puis si on a d'autres motifs pour par exemple un
17:17insuffisance professionnelle ou autre et bien il va falloir utiliser les voies légales qui sont
17:24ceux du licenciement bien entendu en prenant en compte le fait que les insuffisances professionnelles
17:33ou le fait que le salarié ne performe plus autant qu'avant dans l'exercice de ses fonctions peuvent
17:40aussi provenir de l'exposition à des risques psychosociaux donc il va falloir peut-être aussi
17:45faire un audit ou une évaluation des risques auxquels le salarié est exposé pour comprendre
17:51sa situation et ses motivations de manière à prévenir les atteintes à sa santé, à sa sécurité
17:58bien sûr, mais aussi voir quels sont les répercussions sur sa performance pour pouvoir
18:03corriger ces dysfonctionnements organisationnels qui portent au final atteinte à l'ensemble de
18:08l'entreprise. On va conclure là-dessus, merci d'être venu sur notre plateau. Merci pour votre invitation.
18:16Nous allons nous intéresser maintenant à la souveraineté numérique avec Brunesen Bertrand,
18:30professeur de droit public à l'université de Rennes, codirectrice d'un ouvrage sur la
18:36souveraineté numérique publié aux éditions Brûlant. Brunesen Bertrand, bonjour. Bonjour Arnaud. Alors
18:44pour commencer, je vous propose de parler des enjeux concernant la souveraineté numérique. Quels
18:51sont les principaux enjeux de cette souveraineté numérique ? Alors si je devais résumer les
18:56principaux enjeux, je dirais que ce sont des enjeux ubiquitaires, c'est-à-dire qu'on les
18:59trouve partout, dans absolument tous les domaines. Ça concerne aussi bien la politique de défense,
19:04la politique économique, la protection du modèle de démocratie libérale, la politique commerciale,
19:11la régulation des marchés. Donc ça touche absolument tout. Et quand on met ça tout bout
19:16à bout, on se rend compte que pour les États, ça finit par constituer quelque chose d'existentiel,
19:20de fondamental, puisque c'est la capacité à garder leur indépendance, la maîtrise de
19:25leurs décisions. Et aujourd'hui, on constate que toute décision politique est presque tributaire
19:30d'enjeux technologiques. Pour prendre un exemple, prenons l'exemple du cloud. On a eu un moment
19:36l'idée d'avoir un cloud sinon souverain, à tout le moins un peu sécurisé en Europe. Comment on fait
19:41ça concrètement si on n'a pas de solution ou d'offre européenne capable de rivaliser avec
19:47des solutions techniques étrangères qui sont en plus soumises potentiellement à des lois aussi
19:52extraterritoriales ? Donc la souveraineté numérique, il y a un enjeu d'autonomie stratégique et aussi
19:58d'autonomie sur un plan technologique. Et ça, c'est un enjeu notamment sur le plan industriel
20:02qui est important en Europe. Alors, on va aborder la question justement du rôle de l'État dans le
20:08cyberespace face à des acteurs, les GAFAM, qui sont devenus de plus en plus puissants. C'est
20:14difficile pour les États de garder leur autorité et de maintenir leur souveraineté. Alors, quel
20:20rôle pour l'État dans le cyberespace ? Alors, on dit d'un État qu'il a une puissance souveraine
20:25parce qu'il n'a ni supérieur, ni égal, ni concurrent. Sauf qu'aujourd'hui, les grandes
20:29entreprises technologiques sont devenues potentiellement des rivaux et des concurrents
20:34des puissances étatiques. On le voit avec la puissance économique et politique qu'ils ont
20:39réussi à acquérir. Ils ont inventé ce modèle de la fonction d'intermédiation. Et donc, ils ont,
20:45par cette intermédiation, restructuré toutes les relations de médiation sociale, les nouvelles
20:51formes d'emploi, restructuré le débat public. Et ils ont aussi une puissance économique qui
20:57leur permet d'avoir aussi de jouer un rôle sur le plan politique. Et donc, ils investissent des
21:03domaines régaliens, c'est-à-dire traditionnellement réservés aux États. On le voit en matière
21:08monétaire avec les cryptoactifs. On voit les solutions de sécurité, d'identité numérique
21:14qui sont proposées aussi sur le terrain de la régulation. C'est-à-dire que pendant longtemps,
21:17les conditions générales d'utilisation, c'était la seule régulation des réseaux sociaux. Et
21:22maintenant que les États adoptent des règles étatiques, certains contestent l'application
21:28de ces règles. On insiste comme ça à des bras de fer entre des grandes plateformes et des États.
21:34En 2021, c'était Meta et l'Australie. Aujourd'hui, on le voit avec X et le Brésil et dans une moindre
21:40mesure aussi l'Union européenne. Alors, est-ce que c'est l'approche justement de la souveraineté
21:46numérique ? Est-elle différente en Europe, aux États-Unis, en Chine, en Russie ou en Afrique,
21:52par exemple ? Alors oui, très différente. Déjà, dans toutes les puissances que vous avez citées,
21:59les États-Unis sont les seuls à avoir leurs propres grandes entreprises technologiques. Donc
22:04évidemment, le sujet pour eux en termes de souveraineté numérique, même s'ils ne le
22:07formulent pas comme ça, ça va être surtout sous l'angle de la guerre économique et commerciale
22:12à l'échelle mondiale et en particulier avec la Chine, même s'ils ont aussi des sujets en interne
22:17de régulation, de concurrence, etc. avec ces plateformes. La Russie, c'est évidemment une
22:22situation extrêmement différente, mais elle, elle concentre toute sa stratégie sur le champ
22:26informationnel, le contrôle de l'espace informationnel, que ce soit en interne ou
22:31aussi à l'étranger. L'Afrique est un continent qui fait l'objet de beaucoup de convoitises. Il y a
22:37beaucoup d'enjeux en termes d'équipement, d'infrastructures, de logiciels et là aussi
22:42d'investir le champ informationnel. Après, à l'échelle d'un continent, forcément, la position
22:47africaine n'est pas univoque sur la question et s'agissant de l'Union européenne, c'est vrai qu'on
22:51a tendance en France à bien développer cette idée parce que la France a beaucoup porté ce thème de
22:59la souveraineté numérique. Ce n'est pas partagé partout. Il y a quand même aussi beaucoup d'États
23:03membres qui voient ça avec un peu plus de suspicion comme une atteinte au fond à la relation
23:08transatlantique qu'ils espèrent privilégier. Donc il n'y a pas de position européenne univoque non
23:13plus. Alors les États doivent faire face aussi à un problème crucial, ce sont les cybermenaces.
23:19Vous savez, par exemple, un pays comme l'Estonie a été victime de nombreuses cyberattaques. Alors
23:25comment les États peuvent-ils se protéger face à ces cybermenaces ? Alors d'abord en identifiant
23:32les auteurs de ces cyberattaques parce qu'il y a des profils et des motivations extrêmement
23:37différentes. Vous pouvez avoir des hackers individuels qui sont motivés par des
23:43considérations financières, des activistes qui sont mus par des considérations plus idéologiques.
23:48Vous pouvez aussi avoir des formes de cyberespionnage industriel, économique ou alors des
23:55ingérences étrangères de nature plus politique ou aussi tout simplement de la cybercriminalité au
23:59sens de la criminalité classique. Donc évidemment on ne lutte pas de la même façon contre le
24:05cyberespionnage, la cybercriminalité et les ingérences étrangères. Ensuite dans un deuxième
24:10temps, une fois qu'on a fait cette identification, il faut prendre la mesure que l'enjeu pour relever
24:17le niveau de cyberrésilience, c'est un enjeu collectif. C'est-à-dire que si une entreprise se
24:22protège seule, prend des mesures de cybersécurité. Si ses fournisseurs n'ont pas pris de telles
24:27mesures, il y aura une faille assez considérable. Donc la cyberrésilience est vraiment un enjeu
24:32collectif et aussi un enjeu financier parce que pour une petite entreprise, ça a un coût aussi
24:37au départ, qui est sans doute rentabilisé après, mais en tout cas il faut avoir aussi les moyens et
24:42le réflexe de le faire. Aujourd'hui on voit que les chaînes de valeurs économiques, elles sont
24:46européennes, elles sont mondiales, donc il faut vraiment penser ça collectivement. C'est un des
24:49objectifs de la directive NIS2 notamment, d'essayer de proposer une réaction collective, un partage
24:56d'informations, une coopération entre les états membres de l'union européenne, mais voilà c'est
25:00quelque chose qui se met en place lentement. Vous avez évoqué NIS2, la régulation c'est
25:06la seule manière de faire pour essayer de contrer ces géants du numérique ? Alors ça fait l'objet de
25:14beaucoup de discussions, il y a des points de vue différents. En Europe, on estime en effet que la
25:18régulation est nécessaire, d'une part pour protéger les droits fondamentaux, protection des données à
25:23caractère personnel, vie privée, liberté d'expression, protection des droits d'auteur, des droits de
25:27propriété intellectuelle, et aussi pour des enjeux économiques parce qu'on s'est aperçu, peut-être un
25:34peu tard, mais néanmoins la prise de conscience a été là, qu'il y avait des nouvelles barrières à
25:38l'entrée par ce qu'on a appelé les contrôleurs d'accès, des gatekeepers, et donc il fallait
25:43appréhender différemment les questions de concurrence. Après il y a toujours ce débat
25:49sur jusqu'où réguler pour ne pas trop annihiler et freiner l'innovation. Sur la régulation de
25:56l'intelligence artificielle, c'est un vrai sujet. Mais sur les considérations économiques, le projet
26:01européen, c'est de considérer qu'on est largement dans une économie fondée sur
26:06la donnée, que la donnée est une ressource essentielle, que les données personnelles comme
26:10non personnelles au demeurant ont été massivement captées précisément par ces géants du numérique,
26:15et on voudrait essayer d'organiser un modèle européen de partage, de gouvernance des données
26:20pour qu'elles puissent circuler. Et sur ce sujet aussi le Data Governance Act qui
26:27cherche précisément des façons de faire circuler ces données. Alors est-ce qu'il n'y a pas d'autres
26:35perspectives pour les états ? Comment vous voyez justement à l'avenir cette question de la
26:41souveraineté numérique, davantage de régulation, plus de liberté pour les acteurs du numérique ?
26:46Comment ça va s'arbitrer tout cela ? Alors c'est sans doute une question d'équilibre, d'arbitrage
26:50politique aussi, parce qu'on voit que les perspectives diffèrent aussi en fonction de
26:55certains choix politiques qui peuvent être faits. Il y a un enjeu industriel, de politique industrielle,
26:59c'est sûr que quand on compare les investissements dans la politique industrielle et sur ces
27:06technologies de rupture, notamment aux Etats-Unis, en Chine ou en Europe, c'est sans commune mesure,
27:13et donc ça passe aussi beaucoup par une politique dynamique en matière industrielle. La régulation,
27:20donc on a adopté beaucoup d'actes, vous les avez rappelés, maintenant l'enjeu ça va être
27:25celui de leur application et de leur application effective, et on voit que notamment à chaque
27:29élection la question de l'application du DSA se pose. C'est plus compliqué. Oui, tout à fait.
27:35On va suivre tout ça avec intérêt, merci d'être venu sur notre plateau. Merci beaucoup pour votre
27:40invitation. C'est le moment de se quitter, merci à toutes et à tous de nous avoir suivis, restez
27:48curieux et informés. A très bientôt pour un nouveau numéro de LexInside.