Vendredi 21 février 2025, LEX INSIDE reçoit Frédéric Wizmane (Associé fondateur, W Avocats) , Manon Lamotte (Associée, Eversheds Sutherland) et Emmanuel Moyne (Associé, Bougartchev Moyne)
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Bonjour, je suis ravi de vous retrouver pour un nouveau numéro de Lex Inside, l'émission
00:27qui donne du sens à l'actualité juridique. Du droit, du droit et rien que du droit.
00:32Au programme de ce numéro, on va parler de l'affaire France Télécom, ce sera dans
00:36quelques instants, avec Manon Lamotte, associée au sein du cabinet, et Verschette Suzorlande.
00:42On parlera ensuite de la directive sur le devoir de vigilance avec Emmanuel Moine, associé
00:47au sein du cabinet, Bourgachev Moine. Enfin, on évoquera le droit de la preuve et le secret
00:53des affaires avec Frédéric Wiesmann, associé fondateur de W Avocat. Voilà pour les titres,
00:59Lex Inside, c'est parti ! On commence tout de suite ce Lex Inside, on
01:13va parler de l'affaire France Télécom avec mon invité, Manon Lamotte, associée
01:18au sein du cabinet et Verschette Suzorlande. Manon Lamotte, bonjour !
01:21Bonjour Arnaud ! Dans un arrêt du 21 janvier 2025, la Cour
01:26de Cassation reconnaît le harcèlement moral institutionnel. Il marque la fin de la saga
01:33judiciaire France Télécom avec la condamnation définitive de ses dirigeants. Tout d'abord,
01:39pouvez-vous revenir sur les faits qui ont conduit à cette décision de la Cour de Cassation ?
01:43Bien sûr, vous l'avez dit, c'est effectivement une décision qui marque la fin d'un long
01:48feuilleton judiciaire et médiatique. Ce feuilleton a commencé il y a plus de 15 ans, en 2009,
01:53lorsque l'organisation syndicale Sud a déposé une plainte à l'encontre de ce qui s'appelait
01:58à l'époque France Télécom, de certains de ses dirigeants. Il faut rappeler peut-être
02:02un peu le contexte, c'est que France Télécom traversait quand même une période difficile
02:05à cette époque. Pourquoi ? Parce que c'était quand même un secteur des télécommunications
02:09qui connaissait des mutations massives, technologiques, qui s'ouvraient à la concurrence.
02:15Et donc, France Télécom était dans une situation de dette importante. Et donc, ça avait conduit
02:20ses dirigeants à adopter des politiques d'entreprise et des plans qui visaient à réduire les
02:25effectifs de près de 22 000 salariés et agents. Et c'est précisément ce que reprochait
02:30l'organisation syndicale Sud à France Télécom et à ses dirigeants. Et c'est la raison
02:34pour laquelle ils ont été mis en examen. C'est parce qu'il avait été considéré
02:38qu'en réalité, ces politiques d'entreprise visaient à forcer le départ de certains
02:43salariés. Ça s'était manifesté par plusieurs événements. En tout cas, c'est ce qui est
02:48relevé dans la décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Pour donner quelques
02:52exemples, des mobilités géographiques ou professionnelles imposées aux salariés.
02:56On a entendu parler des suicides chez France Télécom. Un climat globalement très délétère,
03:01très anxiogène. Des salariés qui avaient une surcharge de travail importante, d'autres
03:05qu'on privait totalement de travail. Une longue enquête a eu lieu, qui a duré quand
03:09même près de dix ans. En tout cas, dix ans avant qu'on ait une décision de première
03:13instance, rendue par la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Paris. Et
03:18qui a condamné certains dirigeants de France Télécom et certains cadres supérieurs.
03:22Également France Télécom, en tant que quantité juridique, qui les a condamnés pour harcèlement
03:26moral. Ce qui est important, c'est qu'effectivement, on avait des personnes physiques qui ont été
03:30condamnées à des peines d'emprisonnement, des peines d'amende. Et aussi au versement
03:34de dommages d'intérêt aux personnes qui s'étaient constituées, aux salariés qui
03:37étaient constitués, parties civiles. Ce dossier est allé en appel. Et c'est la Cour d'appel
03:42de Paris qui, en 2022, a rendu une décision qui confirme la condamnation. Alors qui a
03:47relaxé certaines personnes physiques, certains dirigeants, certains cadres supérieurs. Qui
03:51a allégé les peines d'autres personnes physiques. Mais qui néanmoins, sur le principe, a confirmé
03:56ces condamnations et a consacré cette notion de harcèlement moral institutionnel. Et c'était
04:01en cet état que s'est présenté ce dossier devant la Chambre criminelle de la Cour de
04:05Cassation qui, en janvier 2025, a confirmé les condamnations qui sont donc devenues définitives.
04:11Et elle aussi a consacré cette notion de harcèlement moral institutionnel.
04:15Alors on va revenir justement sur cette notion de harcèlement moral institutionnel. Qu'est-ce
04:20que cela signifie ?
04:22Alors c'est une très bonne question. Et la définition que nous en livre la Chambre criminelle
04:27de la Cour de Cassation est très longue, très précise. Je pense que si on devait résumer
04:32cette définition de la Cour de Cassation, elle nous dit que le harcèlement moral institutionnel,
04:37ce sont des agissements qui élaborent ou mettent en œuvre une politique d'entreprise.
04:43Et qui sont porteurs d'une dégradation potentielle ou effective des conditions de
04:49travail des salariés. Et dernier élément, il faut que ces agissements aillent au-delà
04:53de l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur. Il y a trois éléments importants
04:57dans cette définition. Premièrement, c'est que ça peut être une politique d'entreprise.
05:01Les agissements définissent une politique d'entreprise.
05:04Ça veut dire que ça doit être coordonné par l'entreprise ?
05:06C'est-à-dire qu'en fait, ce ne sont pas des agissements isolés. Ça peut être une
05:10politique d'entreprise qui est constitutive d'un harcèlement moral. L'autre élément
05:13important, c'est que ce n'est pas uniquement ceux qui élaborent la politique d'entreprise
05:17qui tombent potentiellement sous le coup de l'infraction de harcèlement moral. Ça peut
05:20être aussi ceux qui n'ont pas participé à cette définition, mais qui simplement
05:23la mettent en œuvre. Et c'était le cas justement de certains cadres supérieurs
05:27qui ont été condamnés.
05:28Le deuxième élément important, c'est qu'il faut que cette politique d'entreprise
05:33porte en elle la possibilité d'une dégradation des conditions de travail des salariés.
05:37C'est intéressant aussi parce qu'il n'est pas nécessaire que ça ait eu effectivement
05:41pour conséquence une dégradation des conditions de travail. La simple potentialité déjà
05:46réunit les caractères de l'infraction. Et troisième élément, qui est assez rationnel,
05:50il faut que ça aille quand même au-delà de l'exercice normal du pouvoir de direction.
05:54Alors, en quoi cette décision constitue une nouveauté ?
05:57Ce qui est intéressant, je trouve, dans cette décision, c'est que c'est présenté
06:01assez largement comme une nouveauté. En réalité, ce que nous dit l'accord de cassation,
06:04c'est que ce n'est pas une nouveauté, dans le sens où ce n'est pas une nouvelle
06:07infraction qui est créée par le juge. Et d'ailleurs, le juge n'a pas le pouvoir
06:10de créer une nouvelle infraction. C'est intéressant parce que c'était justement
06:13l'argument des personnes mises en cause dans ce dossier. C'était de dire, vous
06:18ne pouvez pas nous condamner pour harcèlement moral institutionnel qui est une infraction
06:21qui n'existe pas dans le code pénal ou dans le code du travail. Ce qui existe, c'est
06:24le harcèlement moral. Et ce qu'il défendait, c'était une vision restrictive du harcèlement
06:28moral. C'était de dire, pour que cette infraction soit constituée, il faut qu'une
06:33personne déterminée commette des agissements de harcèlement de manière concrète et directe
06:38vis-à-vis d'une autre personne déterminée. Et ce que vient de dire la Cour de cassation,
06:42la Cour d'appel à 1REL, c'est non, en fait, ce n'est pas une condition du harcèlement
06:45moral. Le harcèlement moral peut être constitué par une politique d'entreprise qui vise
06:51non pas une personne déterminée, mais un collectif de travail. Donc, en fait, ce que
06:56vient nous dire la Cour de cassation, c'est ce n'est pas une nouvelle infraction. C'est
06:59simplement une nouvelle illustration d'une infraction qui existe déjà, qui est le harcèlement
07:03moral et donc vient balayer l'argument des personnes mises en cause qui disaient la loi
07:07pénale est d'interprétation stricte. Vous ne pouvez pas nous condamner pour ça. Elle l'a fait.
07:11Alors, on va s'intéresser maintenant aux conséquences pour les entreprises de cette,
07:15je reprends vos termes, de cette nouvelle illustration du harcèlement moral. Quels sont les risques
07:20pour les entreprises? Alors, tout d'abord, ce qui est important, c'est que les risques ne sont pas
07:24seulement pour les entreprises et cette décision, c'est une très bonne illustration. Les risques
07:28sont aussi pour les dirigeants des entreprises, voire pour les cadres supérieurs des entreprises.
07:33Donc, on le voit bien dans cette décision, ce sont des personnes physiques autant que la
07:37personne morale qui ont été condamnées et sévèrement puisque des peines d'emprisonnement,
07:41même si après, elles ont été converties en peines d'emprisonnement avec sursis. Mon opinion,
07:47c'est qu'il faut prendre quand même du recul sur cette décision. Première raison, parce que tout
07:51d'abord, ça concerne quand même des faits qui étaient assez extraordinaires, assez inhabituels.
07:55Je conseille tous les jours des entreprises sur des projets de transformation, des projets de
08:00réorganisation. Les faits qui sont décrits dans cette décision sont particulièrement extraordinaires.
08:05Je les ai décrits tout à l'heure. On parle de priver complètement quelqu'un de travail,
08:09d'énormes surcharges de travail, de forcer des mobilités. Donc, certains acteurs,
08:15certaines organisations syndicales et certains commentateurs ont pu voir dans cette décision,
08:20ont voulu voir dans cette décision, une condamnation générale des projets de
08:24transformation, des projets de réorganisation d'entreprise. Je ne partage pas du tout cette
08:28opinion. On demeure libre quand on est une entreprise, quand on est un dirigeant d'entreprise
08:32ou un cadre supérieur, d'élaborer, de mettre en oeuvre des politiques d'entreprise, y compris
08:37quand il s'agit de projets de transformation difficiles, par exemple des réductions d'effectifs.
08:41Ce n'est pas du tout ce qui est condamné par la Cour de cassation. La décision s'expliquait
08:44aussi peut-être par la taille de l'entreprise, France Télécom, et par l'ampleur du coup du
08:48phénomène. Oui, c'est ça. Et je pense que ce qui a été condamné surtout, c'est l'abus en fait
08:52qui a été commis. C'est-à-dire que vraiment ce qui a été condamné, c'est que cette politique
08:55d'entreprise visait à forcer les salariés au départ. Ce qui n'est quand même pas une situation
09:00qu'on rencontre très souvent. Plus généralement, même si je pense encore une fois qu'il ne faut
09:05pas trop donner de portée à cette décision, en tout cas pas plus qu'elle n'en a, je pense
09:11qu'elle s'inscrit, c'est intéressant de le relever, dans une tendance plus générale qu'on
09:15voit devant les juridictions, devant les administrations, qui est l'attention portée
09:19aux aspects santé-sécurité et aux conditions de travail des salariés. On le voit beaucoup sur les
09:23projets de réorganisation. C'est un sujet dont très peu d'acteurs se saisissaient il y a une
09:27dizaine d'années. Aujourd'hui, on voit très nettement que c'est un sujet qui est dans le
09:29radar des administrations, des juridictions. Évidemment, j'invite tous les employeurs à
09:33prendre en compte ces éléments dans l'élaboration de projets de transformation.
09:36On va conclure là-dessus. Merci, Manon Lamotte, d'être venue sur notre plateau. Je rappelle que
09:41vous êtes associée au sein du cabinet Evershed Sutherland. Tout de suite, l'émission continue,
09:47on va parler du devoir de vigilance et notamment de la Directive sur le devoir de vigilance.
09:51On poursuit ce Lex Inside, on va parler de la Directive sur le devoir de vigilance avec
10:07mon invité Emmanuel Mouane, associé chez Bourgachev Mouane. Emmanuel Mouane, bonjour.
10:12Bonjour Arnaud.
10:13Alors, nous allons nous intéresser aux différents aspects de la Directive sur le
10:17devoir de vigilance. Mais tout d'abord, quelles sont les entreprises concernées par cette Directive
10:22sur le devoir de vigilance ?
10:23Elles sont nombreuses et elles vont être de plus en plus nombreuses au fur et à mesure de leur
10:28assujettissement à la Directive. La Directive a ceci de nouveau par rapport à la loi française,
10:34qu'elle va finir par assujettir un nombre très important d'entreprises. Il s'agira, c'est
10:41l'article 2 de la Directive, des entreprises européennes avec plus de 1000 salariés et un
10:48chiffre d'affaires de plus de 450 millions d'euros. Les entreprises extra-européennes qui réaliseront
10:56dans l'Union Européenne un chiffre d'affaires de plus de 450 millions d'euros ou celles dont la
11:02société maire aura son siège social en dehors de l'Union Européenne et qui feront, par un sous-groupe
11:08dans l'Union Européenne, plus de 450 millions d'euros de chiffre d'affaires. Cet assujettissement
11:13va monter en puissance, c'est-à-dire que dans deux ans, à partir du 26 juillet 2027, lorsque la
11:21Directive aura été évidemment transposée, les premières entreprises assujetties sont celles
11:26dans l'Union Européenne qui auront plus de 5000 salariés et qui feront plus de 1,5 milliard d'euros
11:33de chiffre d'affaires. Et puis un an plus tard, les seuils vont être abaissés. Un an plus tard
11:38encore, les seuils vont être de nouveau abaissés pour arriver au seuil que j'évoquais tout à l'heure.
11:43Ça signifie que dans l'Union Européenne, on parle d'à peu près 6000 entreprises, on estime qu'il y
11:50aura 6000 entreprises qui vont être assujetties. Dans le monde, ce seront 900 entreprises qui
11:58seront assujetties. Et en France, on passera aujourd'hui d'un nombre de 250 entreprises à
12:06peu près 700 entreprises dont on estime qu'elles seront assujetties. Quelles sont les principales
12:10obligations qui pèsent sur les entreprises ? Les obligations qui vont peser sur les entreprises au
12:16titre de la Directive sont les articles 7 à 16 de la Directive. Elles sont de deux ordres. D'abord,
12:21ce sont des obligations en matière de vigilance. Ensuite, ce sont des obligations en matière de
12:27transition climatique. Les obligations en matière de vigilance sont très nombreuses. L'entreprise
12:34devra avoir une politique de vigilance. Cette politique de vigilance devra s'intégrer dans les
12:41dispositifs de l'entreprise. Ce sera une politique de vigilance fondée sur les risques, ce qui amène
12:46à l'obligation suivante d'établir une cartographie des risques. La Directive est plus précise que la
12:52loi française à cet égard. Elle impose de réaliser une cartographie des risques avec des obligations
12:58plus précises, d'identification des risques par leur gravité et leurs risques d'occurrence. Les
13:07entreprises devront disposer d'une politique d'évaluation des tiers, donc des parties prenantes,
13:15parties prenantes qui sont entendues de manière plus large que dans la loi française actuelle.
13:20Elles devront avoir une ligne d'alerte qu'on pourra actionner. Elles devront être en mesure
13:28de réaliser des plans d'action pour remédier ou pour prévenir les risques qui auraient été
13:34identifiés. Elles devront communiquer autour de tout ça. On leur impose, au travers de cette
13:43Directive, d'aller réaliser des due diligence sur leurs parties prenantes. Je le disais tout à l'heure,
13:47entendue de manière assez large. On leur demande de ne rien ignorer des atteintes
13:54potentielles aux droits humains et à l'environnement dans toutes leurs chaînes de valeur, donc sur un
14:00nombre d'entreprises beaucoup plus important que la loi française et avec des obligations beaucoup
14:04plus précises. A ce titre, la Directive prévoit dans l'une de ses annexes une liste des obligations
14:11que les entreprises auront à respecter. C'était un grief qui avait été fait à la loi française,
14:16notamment dans différentes actions qui avaient été menées. De ne pas préciser exactement de
14:24quoi il était question. Là, on a quand même maintenant une liste d'obligations beaucoup plus
14:29précises que précédemment. Vous avez souligné beaucoup de divergences entre la loi française,
14:33qui a été présentée souvent comme pionnière sur le devoir de vigilance en 2017 par rapport à cette
14:39Directive. De manière générale, qu'est-ce que la Directive européenne apporte par rapport à
14:44cette loi ? Est-ce qu'elle est plus sévère ou au contraire plus libérale ? Elle est beaucoup plus
14:49précise. La loi française, vous avez raison de le dire, c'était la toute première loi en
14:55matière de vigilance en 2017. Donc oui, la France a été précurseur à ce titre. La Directive va
15:03beaucoup plus loin. En fait, elle part de ce texte et elle le développe, elle le précise. D'abord,
15:12des entreprises davantage assujetties, puisqu'on a vu que le nombre d'entreprises qui allaient
15:18être assujetties augmente considérablement. Ensuite, des obligations plus précises. Ensuite,
15:23une chaîne de valeurs entendue de manière plus large. Ce ne sont plus simplement les filiales
15:28et les sous-traitants, mais ça va s'étendre à tous les partenaires commerciaux, à toutes les
15:37personnes avec lesquelles l'entreprise entretient des relations commerciales. Donc un champ d'application
15:42beaucoup plus large. Et puis surtout, un régime de sanctions et un régime de contrôle, ou plutôt
15:51un régime de contrôle et un régime de sanctions. Quel est l'objet de tout ça ? L'objet, c'est que
15:57les entreprises, dans leur chaîne de valeurs, s'assurent qu'aucun de leurs partenaires,
16:02aucune de leurs parties prenantes, ne porte atteinte aux droits humains, ne porte atteinte
16:07aux droits environnementaux. La directive va imposer, en cas d'atteinte aux droits humains
16:14et aux droits environnementaux, qui aurait dû être prévenue par un plan de vigilance et qui ne
16:19l'a pas été, une responsabilité conjointe entre les solidaires, entre les personnes qui auront
16:26rendu possible ces atteintes. Par exemple, une maison mère et sa filiale, pas seulement la
16:32maison mère. Il est prévu la création d'agences de contrôle dans les différents pays, qui vont
16:40être des agences nationales, qui vont faire partie d'un réseau européen de ces organismes de contrôle.
16:47Est-ce que ce sera à l'image de l'agence française anticorruption ? On peut peut-être l'imaginer,
16:51avec des droits d'investigation, avec des droits d'accès à la documentation, et puis avec un
16:57pouvoir de sanction qui pourra aller, excusez du peu, jusqu'à 5% du chiffre d'affaires mondiale
17:06net de l'entreprise. C'est significatif. Je pense qu'on peut dire que c'est significatif. Et qui dit
17:13contrôle et sanctions, si la sanction n'est pas réglée par l'entreprise, il est prévu aussi une
17:22alternative de communication de cette sanction. Il est prévu aussi un régime de responsabilité
17:30civile, je l'évoquais tout à l'heure, ce qui fait qu'on pourra se retrouver avec des entreprises
17:36qui sont sanctionnées d'un point de vue administratif et qui ont à répondre d'un point de vue civil,
17:40de l'absence de mise en oeuvre suffisante d'un plan de prévention qui aura entraîné des atteintes
17:50aux droits humains ou des atteintes à l'environnement. Donc on voit qu'on va avoir plusieurs types de
17:55responsabilités qui vont pouvoir être mises en action, on va dire. Bien sûr, et on voit qu'on
18:03impose des obligations nouvelles aux entreprises. On leur impose quoi ? On leur impose des nouveaux
18:07comportements, on leur impose des obligations d'agir. À partir du moment où on impose à des
18:11entreprises des obligations d'agir, on comprend tout de suite que si elles n'agissent pas,
18:16on va pouvoir rechercher leurs responsabilités. Donc juste comment les entreprises vont pouvoir
18:21répondre justement à cette directive et être en conformité ? Les entreprises ont un peu de
18:26temps devant elles, mais pas énormément de temps devant elles, pour anticiper la transposition de
18:33la directive dans les différents droits nationaux. Les entreprises, celles qui sont déjà à sujet
18:37aux devoirs de vigilance français, elles devront adapter leurs dispositifs, bien sûr. Celles qui
18:45ne le sont pas devront intégrer un dispositif. Il est important de penser qu'un dispositif doit
18:53être effectif. Il ne faut pas juste avoir une cartographie des risques, il faut en tirer des
18:59conséquences. Le report de la directive demandé par le ministre Éric Lombard, vous pensez que
19:04c'est une bonne chose ? Il faut laisser du temps aux entreprises de préparer les choses. Ça me
19:10paraît une évidence, parce qu'on leur demande beaucoup. Aujourd'hui, on demande aux entreprises
19:14de faire un travail que parfois les États ne font pas. On va conclure là-dessus. Merci Emmanuel
19:20Moine d'être venu sur notre plateau. Je rappelle que vous êtes associé au sein du cabinet,
19:23Bourgachev Moine. Merci à vous, Arnaud. Tout de suite, l'émission continue. On va parler droit
19:28de la preuve et secret des affaires. Tout de suite, on parle secret des affaires et droit
19:44à la preuve avec mon invité Frédéric Wiesmann, associé du cabinet, W Avocat. Frédéric Wiesmann,
19:50bonjour. Bonjour. Dans un arrêt du 5 février dernier, la Cour de cassation a indiqué que le
19:57droit à la preuve peut justifier la production d'éléments couverts par le secret des affaires,
20:02mais à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte
20:09soit proportionnée au but poursuivi. Quelles étaient les circonstances de cette affaire ? Il
20:16s'agit classiquement d'une affaire en concurrence déloyale entre, d'une part, un franchisé et un
20:22franchiseur et leur concurrent d'une ancienne de pizza. Et dans ce cadre-là, les demandeurs ont
20:30fait valoir qu'il y avait des pratiques qui étaient déloyales de la part de l'autre enseigne,
20:35notamment du fait de l'octroi de délais de paiement excessifs ou encore de prêts qui étaient
20:42consentis par le franchisé ou franchisé. Et dans le cadre de cette instance, les défendeurs,
20:47donc ceux qui étaient poursuivis, ont opposé le fait qu'une des pièces produites par les
20:54demandeurs était couverte par le secret des affaires et qu'à ce titre, la violation du
21:00secret des affaires devait donner lieu à l'octroi d'une indemnisation, ce à quoi a fait droit
21:05précisément la Cour d'appel de Paris dans son arrêt, je crois, du 23 novembre 2022 et 30 000
21:13euros de dommages et intérêts pour préjudice moral ont été alloués. Et c'est dans ce cadre-là que
21:18la Cour de cassation se retrouve donc avec un pourvoi où elle se retrouve avec la mise en
21:25balance et la contradiction entre deux droits, le droit au respect du secret des affaires d'une
21:31part et de l'autre côté, le droit à la preuve de l'autre part. Vous avez rappelé l'attendu
21:37principe qui a été rendu par cet arrêt de la Cour de cassation. C'est un arrêt publié au bulletin,
21:43donc ça veut dire qu'on veut lui donner une large publicité. Et ce qui est intéressant aussi et qui
21:48montre bien le but poursuivi par la Cour de cassation, c'est un moyen relevé d'office
21:53puisqu'il est visé l'article 1015 du code de procédure civile. Et ce qui est intéressant,
21:58c'est qu'on voit que la Cour de cassation rappelle les dispositions légales internes sur la
22:05protection du secret des affaires et le cas dans lequel on peut y déroger, c'est l'article L151
22:138 du code de commerce. C'est donc à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret
22:20des affaires. On ne peut pas opposer le secret lorsqu'il est nécessaire de protéger un intérêt
22:26légitime. Et cet intérêt légitime pour les demandeurs, c'était de pouvoir prouver et
22:32d'obtenir à ce que leurs prétentions soient entendues équitablement, conformément à l'autre
22:39disposition qui est visée par la Cour de cassation, à savoir l'article 6, paragraphe 1, le droit au
22:45procès équitable et toutes ses déclinaisons de la Convention européenne des droits de l'homme.
22:49Comment expliquez-vous cette solution de la Cour de cassation ?
22:52Et bien donc, la Cour de cassation veille à trouver cet équilibre. Et l'équilibre,
22:59elle pose des conditions, c'est-à-dire qu'il faut que la preuve soit indispensable à l'exercice
23:07du droit à la preuve, première condition, et que l'atteinte portée au secret, deuxième condition,
23:12soit strictement proportionnée. Et c'est là où on se rend compte qu'en fait, il n'y a pas de
23:18solution binaire. Il est nécessaire pour chacun des juges d'apprécier in concreto si la pièce
23:26produite porte atteinte ou non au secret des affaires. Est-ce qu'elle était indispensable ?
23:32Est-ce que l'atteinte portée au secret des affaires était strictement proportionnée ? Dans
23:37cette affaire, il s'agissait d'une pièce qui avait été obtenue par les demandeurs. C'était
23:43un guide d'évaluation des points de vente avec des conseils aux franchisés pour améliorer la
23:50qualité de la gestion et la rentabilité de la gestion. C'était une pièce qui était estampillée
23:55confidentielle et qui comportait une mention d'interdiction de diffusion en dehors du réseau
24:01de franchisés des défendeurs. Donc, à l'évidence, la pièce était bien couverte par le secret des
24:07affaires. Et c'est là où en fait, il y a la juste balance. Pourquoi ? Parce que si on lâche les
24:14vannes et qu'on dit on a le droit à produire toute preuve sans aucune restriction, et bien ça veut
24:19dire qu'une partie peut initier une action, peut essayer de collecter des éléments de preuve chez
24:25son adversaire qui peut être un concurrent, et utiliser les pièces obtenues dans un contexte et
24:31dans un but autre que celui du procès lui-même. Et c'est pour ça que la Cour de cassation,
24:36dans le prolongement de la CEDH, fait son contrôle de proportionnalité et du caractère indispensable
24:43de la production de cette pièce. Comment cet arrêt s'inscrit dans l'évolution de la jurisprudence
24:49récente ? C'est vrai que la jurisprudence récente a la force d'être extrêmement claire et d'être
24:57très pédagogique. Mais il faut savoir qu'en fait, le droit à la preuve était déjà reconnu par la
25:02CEDH depuis 1993. Il y a un arrêt de 1993, un autre arrêt de la CEDH du 10 octobre 2006. Vous
25:12avez un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 5 avril 2012. Et
25:18précisément, sur le secret des affaires, quelles étaient les solutions qui étaient rendues
25:22auparavant ? Parce que la problématique du secret a toujours existé. Eh bien, vous avez notamment
25:28une affaire que j'ai bien connue, puisque j'ai travaillé dans ce dossier-là, c'est l'affaire
25:32Caer Media du 8 février 2006 de la Cour de cassation. Et là, la Cour de cassation s'est
25:39prononcée sur l'articulation entre la mesure d'instruction de l'article 145 du code de procédure
25:45civile, c'est-à-dire prouver qu'on a un intérêt légitime à obtenir la production de preuves
25:51nécessaires au succès de sa prétention, vu d'un potentiel futur procès. Et de l'autre côté, le
25:56respect du secret. Et la Cour de cassation avait dit que le secret des affaires ne constitue pas
26:02en soi un obstacle à la production d'une pièce en justice et à ce qu'une mesure d'instruction
26:09soit ordonnée. Donc on est dans une cohérence, mais avec des rajouts de critères et un contrôle
26:17qui est plus précis. Pour bien comprendre, comment le juge évalue-t-il la production d'un
26:22élément couvert par le secret des affaires ? Eh bien, c'est là où on rajoute du travail au juge,
26:29très clairement. Parce que pour se prononcer sur ce caractère indispensable, ça veut dire
26:35qu'il faut déjà appréhender un peu l'intégralité du litige, l'ensemble des faits, l'ensemble des
26:40preuves qui sont produites par le demandeur. Et le juge va devoir se poser la question,
26:45est-ce que cette pièce est absolument nécessaire à savoir ? Est-ce qu'il y a d'autres preuves qui
26:50sont produites par la partie demandresse qui permettent de justifier du bien fondé de sa
26:57prétention ? En d'autres termes, pourquoi violer le secret des affaires quand d'autres pièces se
27:01suffisent à elles-mêmes, premièrement ? Et la deuxième, c'est de se dire aussi de manière plus
27:08générale, est-ce que par rapport aux demandes qui sont formulées, dans l'appréciation finalement
27:14presque du fond du dossier, est-ce que la preuve est vraiment indispensable pour justifier de cette
27:20prétention ? Donc ça veut dire que le juge, alors qu'on est finalement dans une phase qui est une
27:25phase préalable d'analyse des pièces qui sont produites par le demandeur ou qui peuvent être
27:31sollicitées aux contradicteurs, va devoir se lancer dans une analyse in concreto, avec une
27:39argumentation qui touche déjà un peu au fond du dossier. Et je me permets de souligner qu'il y a
27:45finalement aussi un petit hiatus procédural. Pourquoi ? Parce que devant le tribunal de
27:53commerce, vous avez le juge chargé de l'affaire, qui en vertu d'instruire l'affaire, qui en vertu
27:59de l'article 865 du code de procédure civile, peut trancher toute difficulté relative à la
28:05communication des pièces. Et ça donc, il peut le faire, donc s'il y a une difficulté sur la
28:09production d'une pièce, sa recevabilité, etc., il peut trancher. En revanche, le juge de la mise
28:14en état, lui, n'a pas un pouvoir aussi étendu, ce qu'a rappelé la cour de cassation dans une autre
28:20affaire que j'ai eu à connaître à mes dépens, c'est un arrêt de la deuxième chambre civile du
28:2525 mars 2021. Et là, la cour de cassation de la deuxième chambre, qui a voulu traiter cette
28:31affaire, a dit que le juge de la mise en état n'a pas le pouvoir d'ordonner le retrait de pièces
28:37des débats. Ça veut dire qu'en fait, tout le procès va se passer avec des pièces dont on va
28:43discuter de la recevabilité, que ce soit en première instance, en appel, voire même en
28:47cassation. Et donc, il y a une complexification du litige. On va conclure là-dessus. Merci Frédéric
28:53Wiesmann d'être venu sur notre plateau. Je rappelle que vous êtes associé fondateur du
28:57cabinet W Avocat. Merci beaucoup pour votre accueil. Merci de votre fidélité. Restez curieux
29:04et informé. A très bientôt sur Bsmart4Change.