Vendredi 17 janvier 2025, LEX INSIDE reçoit Frédéric Wizmane (Associé fondateur, W Avocats)
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00:00Poursuivre ce Lex Inside, on va parler de l'administration de la preuve dans le procès
00:14civil avec mon invité Frédéric Wiesmann, associé fondateur de BW Avocats. Frédéric
00:20Wiesmann, bonjour. Bonjour.
00:22On va faire le point ensemble sur l'administration de la preuve dans le procès civil à l'aune
00:26de la jurisprudence. Tout d'abord, comment le droit à la preuve a-t-il été consacré
00:31par la CEDH et adopté par la Cour de cassation ?
00:34Alors, le droit à la preuve découle de l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne
00:40des droits de l'homme de 1950. L'article 6, paragraphe 1 est relatif au droit au procès
00:46équitable. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement
00:52et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial. De cette disposition
00:58conventionnelle découle l'exercice des droits de la défense. Toute personne a le droit de
01:03se défendre dans le cadre d'un procès et aussi le principe de l'égalité des armes,
01:09c'est-à-dire veiller à ce qu'il n'y ait pas de déséquilibre d'une partie par rapport
01:13à l'autre, de sorte que justement, on puisse respecter ce principe d'égalité. Et de cet
01:20article 6, paragraphe 1 a découlé également le droit à la preuve. Alors, le droit à
01:28la preuve, on en trouve déjà des traces dans la jurisprudence de la Cour européenne
01:32des droits de l'homme dans une décision de 1993. Plus spécifiquement, ce droit à la
01:38preuve a été reconnu dans une décision du 10 octobre 2006. Qu'est-ce que c'est que
01:44le droit à la preuve ? Le droit à la preuve, c'est j'ai le droit de produire des preuves
01:48en justice qui sont pour obtenir le succès de mes demandes, de mes prétentions. C'est
01:54le premier point. Et le deuxième point, c'est j'ai le droit à ce que le tribunal ordonne
01:59la production de pièces aux contradicteurs, à l'adversaire, ou encore ordonne une mesure
02:04d'expertise. Dans le sillage de la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation
02:11a également fait état de ce principe du droit à la preuve, notamment dans un arrêt
02:17du 5 avril 2012. Et c'est alors qu'on a une jurisprudence de la Cour de cassation
02:24qui retient à la fois le droit à la preuve, conformément à la Cour européenne des droits
02:29de l'homme. Et c'est alors que se pose la question de la jurisprudence concomitante
02:37de la Cour de cassation sur la problématique de la loyauté dans l'administration de la
02:43preuve. Alors, on va justement aborder cette question. Comment le droit à la preuve, ça
02:47s'articule-t-il avec ce principe de loyauté que vous venez de rappeler dans l'administration
02:51de la preuve ? Eh bien, quand on dit droit à la preuve, ça veut dire qu'en fait on
02:56peut tout produire pour faire entendre sa cause et pour parvenir à la manifestation
03:04de la vérité. Alors que la loyauté, eh bien, elle commande le respect de certaines
03:09règles. La règle, c'est qu'on ne peut pas produire une preuve qui serait obtenue
03:16de manière déloyale, de manière illicite. L'exemple qui est le plus fréquent et qui
03:21tente à se développer compte tenu de l'évolution des technologies, c'est évidemment les enregistrements,
03:26que ce soit d'entretien téléphonique, de conversation dans une coursive, dans un couloir
03:32avec un téléphone qui est dans une poche, une question posée de manière plus ou moins
03:36anodine et puis, ou encore, l'enregistrement de conversations téléphoniques. Donc là,
03:44on est vraiment dans une situation où la preuve, elle est à la fois déloyale, c'est
03:49un enregistrement clandestin et elle est à la fois illicite car il n'est pas autorisé
03:55de capter un entretien téléphonique à l'insu de son interlocuteur. Et la cour de cassation
04:02donc, à plusieurs reprises dans ces différentes chambres, rappelait ce principe de loyauté
04:08pour écarter les preuves du débat. Et donc, on s'est retrouvé avec une confrontation
04:13et une antinomie entre le droit à la preuve et le respect de la loyauté des débats,
04:19la loyauté qui est un principe que le juge doit veiller à faire respecter tout au long
04:24de la procédure. Et c'est alors que, alors que la loyauté a été affirmée de manière
04:32très claire par un arrêt de l'Assemblée plénière du 7 janvier 2011, et bien la coexistence
04:38de ces jurisprudences qui posait difficulté, a été résolue par un arrêt de l'Assemblée
04:44plénière, donc la formation la plus solennelle de la cour de cassation, du 22 décembre 2023.
04:50Qui a un peu clarifié la situation, si je vous comprends bien.
04:53Alors, elle clarifie la situation et elle repose, elle articule tous les principes.
04:59D'abord, il faut saluer le caractère extrêmement pédagogique, didactique de la rédaction
05:07des arrêts de la cour de cassation, ce qui n'était pas le cas il y a quelques temps.
05:11Et donc, la cour de cassation retrace les différentes jurisprudences, les différentes
05:17problématiques et en arrive à conclure la chose suivante.
05:20Aujourd'hui, c'est le droit à la preuve qui doit permettre de produire toute pièce
05:25en justice, y compris si la pièce est obtenue de manière déloyale ou que c'est une preuve
05:31illicite. Il n'y a pas d'irrecevabilité en soi de la preuve déloyale ou illicite.
05:37C'est-à-dire que le juge ne peut pas l'écarter d'office.
05:39Est-ce qu'on peut dire que c'est un changement de paradigme ?
05:41C'est un changement de paradigme parce que toute partie va pouvoir produire tout type
05:47de pièce sans se retenir et il appartiendra au juge, conformément à ce que dit la cour
05:52de cassation, de veiller à ce que, dans son ensemble, la procédure demeure équitable.
05:57Et là, elle pose des critères.
05:58Il va falloir vérifier si c'est demandé évidemment au tribunal et au juge.
06:03Il devra vérifier si la preuve est absolument indispensable au succès de la prétention,
06:11au droit à la preuve.
06:13Donc pour la partie qui produit cette preuve illicite ou déloyale, premièrement, il va
06:17mettre en balance le droit à la preuve avec les droits auxquels il porte atteinte.
06:22Le droit à la preuve peut porter atteinte au secret des correspondances, au respect
06:26de l'avis privé.
06:27Et dans ce cadre-là, il devra vérifier que la production de cette preuve déloyale
06:33est strictement nécessaire et proportionnelle avec une approche, une analyse de la proportionnalité
06:42de la production de la preuve déloyale.
06:44Et donc, c'est une vraie révolution parce qu'aujourd'hui, le plaideur est libre vraiment
06:53dans la production de sa preuve.
06:55Elle sera admise ou elle sera écartée, mais il ne perd rien et peut tenter sa chance
07:00en produisant une preuve obtenue de manière déloyale ou illicite.
07:03Pour conclure, peut-être un mot sur les conséquences pratiques dans la gestion quotidienne
07:07des entreprises, parce que beaucoup d'entreprises nous regardent sur Bismarck Fortune.
07:10Alors, il y a d'énormes conséquences.
07:14Quand on est par opposition, vous savez qu'en matière pénale, la preuve a toujours été
07:19libre par opposition à ce qui existait avant cette jurisprudence de l'Assemblée plénière
07:26de la Cour de cassation.
07:28Et là, ça veut dire qu'il faut être extrêmement vigilant.
07:31Par principe, on doit toujours veiller à toute parole prononcée.
07:36Mais là, il faut être extrêmement vigilant parce que dès lors que potentiellement il
07:40y a un litige en germe, toute parole prononcée est susceptible d'être enregistrée sans
07:46qu'on le sache.
07:47Et aujourd'hui, les moyens d'enregistrement, la technologie permet d'une captation qui
07:53soit extrêmement discrète.
07:54Et du coup, vous vous retrouvez ensuite dans un procès où on vous produit un enregistrement
08:00que vous n'aurez pas anticipé.
08:01Ça veut dire aussi donc cette vigilance qui doit être totale.
08:05Bien sûr.
08:06De l'autre côté, lorsqu'il y a un litige qui est en germe, si on veut maîtriser les
08:10éléments de la discussion, et bien privilégier le support écrit, ça peut être le mail,
08:16la lettre.
08:17Ensuite, l'autre chose, si on veut s'assurer d'un sas de confidentialité, et bien ce
08:23sont les échanges entre avocats qui sont couverts au titre de la protection du secret
08:27professionnel.
08:28Secret professionnel qui, lorsqu'il est violé, constitue une infraction pénale.
08:32Et l'autre possibilité, c'est aussi dans le cadre d'une médiation, d'une conciliation
08:38telle qu'elle est prévue par le Code de procédure civile.
08:41Eh bien, vous avez une confidentialité qui est protégée.
08:46Donc voilà.
08:47Et le dernier point aussi, c'est que selon le côté où on se trouve, c'est-à-dire que
08:54si parfois on n'arrive pas à obtenir de la preuve et qu'on veut susciter de la preuve,
08:59alors là, il peut y avoir toute une tactique pour essayer de faire accoucher son interlocuteur
09:05d'une information, de la révélation de faits pour lesquels on ne dispose pas de preuves.
09:10Mais il faut faire veiller et être très vigilant sur le fait qu'il ne doit pas y avoir
09:14de chantage dans l'échange que vous avez avec votre interlocuteur.
09:20Le chantage est sanctionné pénalement.
09:22Le chantage, c'est de dire, écoute, il faut que tu me dises que parce que sinon, moi,
09:26je vais me plaindre et j'ai des révélations à faire qui porteront atteinte à ton honneur,
09:30à ta considération.
09:31Et là, c'est une infraction pénale.
09:33On va conclure là-dessus.
09:34Merci Frédéric Wiesmann d'être venu sur notre plateau.
09:37Je rappelle que vous êtes associé fondateur du cabinet W Avocat.
09:41Je vous remercie infiniment de votre invitation.
09:43A bientôt.