Mercredi 22 janvier 2025, LEX INSIDE reçoit Hervé Lehman (Avocat au barreau de Paris et ancien juge d’instruction)
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00:00On commence tout de suite ce Lex Inside, on va parler du procès Dupont-Moretti, c'est
00:15le titre de l'ouvrage d'Hervé Léman, avocat au Barreau de Paris, ouvrage publié
00:20aux éditions du CERF.
00:22Hervé Léman, bonjour.
00:23Bonjour.
00:24Pourquoi avoir écrit cet ouvrage sur l'affaire, le procès Dupont-Moretti ?
00:29Parce que c'est une affaire tout à fait exceptionnelle.
00:32On n'avait jamais vu un ministre de la Justice en exercice, jugé par la Cour de Justice
00:39et sur la plainte des syndicats de magistrats.
00:41Donc un procès entre le ministre de la Justice et ses magistrats, c'était quelque chose
00:45de tout à fait inimaginable et je ne pense pas qu'on ait jamais vu ça nulle part.
00:49Donc c'était un procès extraordinaire, mais derrière cet aspect extraordinaire,
00:55il y a des questions de fond qui sont très importantes, puisque c'est un procès
00:59dans lequel un conflit entre l'exécutif, le ministre de la Justice, soutenu par le
01:04président de la République, et les syndicats de magistrats, donc l'autorité judiciaire
01:09quelque part, est arbitré par le Parlement, puisque la Cour de Justice est composée majoritairement
01:15de parlementaires.
01:16Donc un conflit entre l'exécutif et le judiciaire arbitré par le législatif, c'est
01:22aussi quelque chose d'extrêmement nouveau et d'extrêmement important dans ce conflit
01:29latent, je dirais, entre les juges et le politique.
01:32Donc, on l'a compris, affaire inédite, pouvez-vous revenir sur le déclenchement
01:38de l'affaire pour bien comprendre cette affaire ?
01:39Alors l'affaire est assez compliquée, mais pour simplifier, il était reproché à Éric
01:45Dupond-Moretti, ministre de la Justice, d'avoir engagé une enquête administrative, c'est-à-dire
01:49une procédure pré-disciplinaire, contre des magistrats du parquet national financier,
01:55qui avaient initié l'enquête de ce qu'on appelait des FADET, c'est-à-dire l'examen
02:00des factures téléphoniques détaillées d'un certain nombre d'avocats, dont Éric
02:06Dupond-Moretti, et aussi d'ailleurs du juge Vanhoenbeek, on l'a un petit peu oublié,
02:09mais il était aussi victime de cette curieuse façon de faire.
02:13Donc, enquête engagée pour essayer de rechercher s'il y avait une taupe qui avait averti Nicolas
02:19Sarkozy qu'il était sous écoute téléphonique dans l'affaire Bismuth.
02:22Voilà, et donc, lorsque Éric Dupond-Moretti arrive à la chancellerie, il engage cette
02:32enquête administrative, et les syndicats de magistrats considèrent que, puisqu'il
02:36est en conflit d'intérêt, ça constitue le délit de prise illégale d'intérêt.
02:40Et ils vont donc saisir la Cour de Justice de la République, et ça va enclencher toute
02:45la procédure jusqu'au procès, et jusqu'à, finalement, la relaxe d'Éric Dupond-Moretti.
02:50Alors, venons-en au procès, quelle était la ligne de défense d'Éric Dupond-Moretti
02:56face aux accusations ?
02:57Alors, Éric Dupond-Moretti disait d'abord, quelque part, c'est pas moi, c'est ma directrice
03:01de cabinet qui a signé la lettre de mission de l'inspection des services judiciaires,
03:09de la générale de la justice, et sur le fond, il disait, mais moi, j'avais aucune
03:14vindicte contre ces magistrats, il y avait eu une enquête, un rapport, ce qui est vrai,
03:21il y a eu un rapport de l'inspection de la justice, qui avait montré un certain nombre
03:25de dysfonctionnements au sein du parquet national financier, et il me paraissait que ces dysfonctionnements
03:30ne pouvaient pas laisser sans suite.
03:33Voilà sa position.
03:34Lui, en gros, disait, ça n'a rien à voir avec l'affaire dont j'avais été l'objet.
03:39Ce que contestaient, évidemment, les syndicats de magistrats.
03:42Alors, cette affaire, c'est conflit d'intérêts sur conflit d'intérêts ? Expliquez-nous
03:46un peu les deux.
03:47Oui, c'est une affaire, comme vous dites, c'est exactement ça, c'est-à-dire qu'on
03:51se trouve dans une situation, on s'est retrouvé dans une situation assez hallucinante où
03:56le ministre de la justice était jugé sur les poursuites du procureur général Mollins,
04:04qui lui-même avait plus ou moins conseillé sur l'ouverture de l'enquête administrative,
04:09qui lui-même avait peut-être espéré à un moment être nommé garde des Sceaux à
04:15la place d'Éric Dupond-Moretti.
04:17Et puis, on avait donc cette affaire extraordinaire.
04:19Vous savez, Éric Dupond-Moretti, il dénonçait toujours l'entre-soi des magistrats.
04:22Là, il a été servi quand même.
04:24Il s'est retrouvé dans un procès où il y avait quand même quelques magistrats, dont
04:28le président de la cause justice, sur la poursuite des magistrats, poursuivi par le procureur
04:33général qu'il venait de faire nommer.
04:35C'était une situation complètement hallucinante et effectivement avec des conflits d'intérêts
04:40les uns sur les autres.
04:41Éric Dupond-Moretti a reproché à un moment, par exemple, au procureur général d'être
04:46un ami personnel de la procureure nationale financière Eliane Ouellet, qui était une
04:54des entre guillemets victimes de l'affaire.
04:57Donc, vraiment, tout ça était extrêmement consanguin quand même.
04:59Et finalement, ça aboutit à la relaxe de l'ancien garde des Sceaux.
05:04Comment vous analysez cette décision ?
05:06Alors, il y a le secret des délibérés et je ne sais pas si vous avez remarqué que
05:11le secret des délibérés, c'est un des derniers secrets qui tient.
05:13Le secret de l'instruction, c'est pour rigoler.
05:15Le secret du conseil des ministres, c'est pour rigoler aussi.
05:17On sait ce qui se dit quasiment pendant le conseil des ministres.
05:21En revanche, le secret des délibérés, c'est quelque chose qui tient.
05:23Et pourtant, là, ce n'était pas si facile parce qu'il y avait quand même 15 personnes
05:28plus que le greffier qui étaient au courant de la décision et elle n'est pas sortie.
05:33Donc, c'est un peu difficile de savoir exactement.
05:35Mais enfin, ce qu'on peut sentir quand même quand on lit la décision, c'est qu'il y a
05:40une démonstration de culpabilité d'Éric Dupond-Moretti.
05:45Et puis, à la fin, il y a une phrase dans laquelle une négation qui est introduite
05:51et boum, tout d'un coup, ça devient une relaxe sur l'élément moral, c'est-à-dire que finalement,
05:57la Cour de justice dit qu'il n'est pas établi qu'Éric Dupond-Moretti était conscient
06:01qu'il avait commis une prise illégale d'intérêt.
06:04Il manque l'élément intentionnel, donc, du coup, il n'est pas responsable.
06:08Exactement, il manque l'élément moral dans l'infraction, donc pas de culpabilité.
06:14Alors évidemment, ça fait un peu sourire de penser que quelqu'un qui a été avocat
06:19pendant 35 ans, garde des sceaux avec tous les services du ministère de la Justice,
06:25ne savait pas ce que c'est qu'une prise illégale d'intérêt.
06:28Donc là, on sent quand même qu'il y a une décision, probablement, des parlementaires
06:34qui l'ont emportée, des douze parlementaires qui l'ont emportée sur les trois magistrats
06:38professionnels pour prononcer cette relaxe.
06:40Si on va plus loin, on voit que les affaires politiques n'ont jamais été aussi nombreuses.
06:45Est-ce qu'on doit s'inquiéter de la judiciarisation de la vie politique
06:49qui peut entraver l'action politique ?
06:52Oui, moi, je crois que c'est extrêmement inquiétant.
06:54Aujourd'hui, nous avons poursuivi par la justice pénale le Premier ministre,
07:01le secrétaire général de l'Elysée, la ministre de la Culture, la principale leader
07:05de l'opposition, ça fait quand même beaucoup, sans compter le procès actuel de l'ancien
07:11président de la République, Nicolas Sarkozy, le XVIème procès Sarkozy, ça fait quand même beaucoup.
07:16Alors il y a deux hypothèses, où on a une classe politique qui est vraiment pourrie
07:19de chez pourrie, où il y a une petite tendance chez certains magistrats à être un petit
07:29peu pointilleux à l'égard des politiques.
07:33Personnellement, je pencherais plutôt pour cette seconde hypothèse.
07:37Le problème de cela, c'est que la confiance des Français, tant dans la classe politique
07:46que dans la justice, ne cesse de diminuer.
07:50C'est-à-dire que toutes ces affaires ne restaurent pas la confiance, ni dans la classe
07:55politique, ni dans la justice, mais au contraire, aggravent la méfiance.
07:58C'est-à-dire que je ne crois pas que les fruits de l'arbre soient délicieux.
08:05Qu'est-ce qu'il faudrait faire pour restaurer cette confiance ?
08:08Tour à tour, les gardes d'Essot veulent restaurer la confiance envers les justiciables,
08:13c'est ce qu'a affiché le nouveau garde d'Essot, Gérald Darmanin.
08:16Qu'est-ce qu'il faudrait faire selon vous ?
08:17Je crois que c'est très difficile.
08:19Je pense que, et puis l'ensemble des Français ont un peu une part dans la responsabilité,
08:24je crois qu'il faut accepter l'idée que les responsables politiques sont des hommes
08:28et des femmes, bien sûr, et de plus en plus des femmes, Dieu merci, comme les autres,
08:33c'est-à-dire qu'ils peuvent quelquefois commettre quelques manquements, à part vous
08:40et moi, presque tout le monde commet de ci, de là, un petit manquement, et qu'il ne
08:45faut pas être trop sévère à l'égard de ces manquements, ça ne veut pas dire qu'il
08:47ne faut pas que la justice passe, mais il faut que la justice soit mesurée.
08:53Par exemple, dire que pour un leader politique, on va lui mettre une inéligibilité avec
09:01exécution provisoire, même s'il fait appel, parce qu'il y a eu des assistants parlementaires
09:08qui ont travaillé pour le parti, pas d'enregistrement personnel, pas d'établissement de fonds,
09:12je pense que c'est un peu excessif.
09:13On va conclure là-dessus, merci Hervé Léman d'être venu sur notre plateau.
09:17Merci.
09:18Tout de suite, l'émission continue, on va parler des contenus illicites sur les plateformes
09:23en ligne face à l'article 17 de la Directive sur le droit d'auteur.