• il y a 14 heures
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.


Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives
00:10d'Europe 1. Bonjour Robert, voici deux attitudes bien différentes de policiers dans le dossier
00:16extraordinaire que Jacques-Antoine nous propose aujourd'hui. L'un s'appelle Wilcox, c'est un
00:21civil, petit, costaud, les cheveux gris, en brosse, environ 55 ans, un garçon, une fille
00:28mariée, cinq petits-enfants, un grand-père paisible qui se préoccupe de sa famille autant
00:33que de son boulot et songe déjà à la retraite. L'autre, le lieutenant Dietz, uniforme démodé,
00:41soigneusement repassé, la face large, l'air d'un petit fonctionnaire timide mais patient
00:46au travail. L'un comme l'autre connaissent merveilleusement leur boulot et l'on ne pourrait
00:53leur reprocher que de manquer d'ambition. Mais comme vous allez le voir, Wilcox passe,
01:00Dietz reste, ça fait toute la différence. Ce dossier a aussi un autre mérite, il nous
01:09permet d'aller pêcher ensemble le barracuda, ce qui n'est pas si fréquent dans notre émission.
01:24L'histoire commence dans le nord de l'Australie lorsque le chef de cabinet du maire de Port
01:37Darwin demande à Wilcox d'aller faire une tournée d'inspection à Bitterst,
01:42capitale de l'archipel qui dépend directement de son autorité. L'administration centrale a
01:48déjà reçu plusieurs réclamations émanant de différentes personnalités de Bitterst qui se
01:51plaignent du chef de la police locale, le lieutenant Dietz. Wilcox est un civil,
01:57il n'aura donc pas d'autorité réelle sinon celle d'établir un rapport.
02:02Wilcox prend donc l'avion pour Bitterst avec un dossier des plumes minces et une
02:08collection de coupures de presse extraites de la feuille de choux locale, le courrier des îles.
02:13Toutes ces coupures ont trait à l'affaire Montalà. Il y a quatre mois Jane Montalà,
02:20une très jolie femme de 35 ans, appelait un docteur au milieu de la nuit. Elle venait
02:25d'être agressée dans une cocotterie alors qu'elle rentrait à pied chez elle. Une cocotterie,
02:30ai-je besoin de le préciser, est une forêt de cocotiers. Elle disait d'une voix mourante avoir
02:35été bousculée et, en se débattant, sa tête avait heurté une pierre. Elle avait pu se traîner
02:40jusque chez elle et maintenant un voile rouge s'étendait devant ses yeux. Le docteur survenait
02:46cinq minutes plus tard mais trouvait la femme dans le coma. Elle expirait à l'hôpital,
02:51modeste il faut bien le dire, quelques heures plus tard. L'autopsie révélait un crâne
02:57particulièrement fragile, un enfoncement dû au choc d'un objet contondant n'ayant laissé aucune
03:03particule, une hémorragie cérébrale ayant entraîné la mort, des traces de coups,
03:08certaines datant de plusieurs jours, aucune agression sexuelle apparente. Manifestement,
03:15la femme avait été blessée à l'extérieur de sa maison. Depuis, la police, si l'on en croit les
03:21coupeurs de presse, patauge lamentablement. Jane Montana, qui rappelons-le était très belle,
03:27était veuve depuis six ans et une main semblait ne pas suffire pour compter ses amants. Chacun de
03:34ceux-ci disposant d'un alibi solide, étant tous par ailleurs à l'échelon local des
03:40very importantes personalities, au-dessus de tout soupçon, le lieutenant Dietz, chef de la police
03:45et le mal-aimé de Peters avait porté ses soupçons sur les coupables à sa portée quelques chevaux de
03:52retour qu'ils connaissaient bien. Mais Wilcox dans son avion s'étonne et s'amuse d'ailleurs en voyant
03:58l'acharnement avec lequel le rédacteur en chef du courrier des îles ridiculise le malheureux
04:03lieutenant Dietz chaque fois qu'il s'efforce d'établir la culpabilité d'un nouveau suspect.
04:07Dans l'aéroport, flambant en oeuvre d'un style exotique qui appartient au folklore, un homme perdu
04:15dans la foule aborde Wilcox timidement, mais avec des yeux rusés et un sourire narquois.
04:21« Monsieur Wilcox, je me présente, lieutenant Dietz. » Quelques instants plus tard ils sont
04:27dans le bureau du lieutenant Dietz, l'ancienne manière, pas d'air conditionné mais des
04:31moustiquaires aux fenêtres et le ventilateur qui tourne au-dessus de la tête. « Je suppose
04:36que vous allez vous intéresser à l'affaire Montalà. Je vous le dis tout de suite, si vous voulez
04:42reprendre l'affaire à zéro... » Et Dietz lui montre un énorme dossier. « Pourquoi vous pataugez ? »
04:48Dietz sourit pour une feuille de papier qui écrit trois mots, la glisse dans une enveloppe,
04:55donne un coup de langue sur la colle et la referme. « C'est le nom du coupable, dit-il.
05:01Voulez-vous signer en travers ? Merci. Je la mets dans le tiroir. » Et avec un humour assez
05:10inattendu qui démontre une extraordinaire connaissance de son milieu, Dietz explique
05:15que le coupable est l'un des amants de la victime mais qu'il est pour l'instant hors
05:19d'atteinte. Alors il attend, ici, à régner au milieu de sa toile. Et comme il faut bien amuser
05:24la galerie, de temps en temps il met en cabane l'un ou l'autre des reprises de justice qu'il a
05:28sous la main jusqu'à ce que le courrier d'ésile, qui semble vouloir sa peau et démontrer que l'homme
05:32ne pouvait pas être le coupable, alors il le libère et en coffre un autre. « Et ça va durer
05:38combien de temps ? » demande Wilcox. « Oh, jusqu'à ce qu'on oublie l'affaire ou que la vérité éclate
05:44comme un fruit mûr. C'est-à-dire, au moins encore, ou peut-être des années. J'ai de la réserve. »
05:50Wilcox ne peut s'empêcher de regarder le lieutenant Dietz avec un étonnement mêlé de reproches. Mais
05:58le lieutenant Dietz a tenu ce langage chinique pour provoquer cette réaction et en venir rapidement
06:02au fond du problème. « Je me doute de ce que vous pensez, dit-il. Il y a quinze ans, quand je suis
06:08arrivé ici, j'aurais pensé la même chose. Mais j'ai appris qu'on ne fait pas ici la police comme
06:13à Sydney ou à Melbourne. J'espère que vous le comprendrez avant de m'avoir fait virer. Sinon,
06:18il faudra cinq ans à mon successeur pour le comprendre. Car l'affaire est simple, monsieur
06:23Wilcox. Ou bien le crime a été effectivement commis par un cheval de retour. Alors, je finirais
06:29bien par tomber sur le bon. Dans une île de 18 000 habitants, on en a vite fait le tour. Je les
06:33connais tous. Ou bien il a été commis par un indigène, jusque-là sans reproche. Ça serait bien
06:39étonnant parce qu'ils sont plutôt du genre paisible ici. Mais après tout, il leur arrive
06:43d'être un peu fiou. C'est-à-dire d'avoir un accès de cafards pendant lequel ils ne commandent plus
06:48leurs actes. Dans ce cas, je ne le retrouverai jamais sinon par un coup de chance. Car cette
06:53nuit-là, des gars fiou, il devait bien y en avoir deux ou trois cents. Tous auraient pu commettre le
06:59crime. Et vous le savez, à bicyclette, il faut deux heures pour venir du point le plus éloigné
07:05de l'île. Enfin, troisième solution, le crime a été commis par un de ses amants ou ex-amants. Or,
07:12n'importe lequel d'entre eux est plus puissant que moi ici. Et n'importe lequel d'entre eux se
07:17trouvera autant d'alibi qu'il lui en faut. Mais tous sont des blancs qui se connaissent, s'aiment
07:22et se détestent tour à tour, se jalousent, s'épient. Alors, comme par miracle, le secret
07:27de l'un d'entre eux deviendra un jour le secret de Poliginel, la vérité deviendra notoriété
07:31publique. Avec un peu de chance, un corbeau me fera gagner quelques mois. Voilà, monsieur Wilcox,
07:38comment on mène une enquête ici, dans une île où le chef de la police dispose en tout et pour
07:43tout d'une douzaine de flics, dont trois doivent faire les imbéciles avec un bâton blanc devant
07:48le palais du gouverneur, deux autres surveiller que les gens mettent bien leur monnaie dans les
07:52barquemètres, le reste étant de repos hebdomadaire, souffrant, en vacances ou au pieu parce qu'ils
07:58assurent le service de nuit. Après un instant de silence pendant lequel il essaie de démêler le
08:04vrai et le faux dans ce discours, Wilcox pose enfin une question. Mais pourquoi est-ce que
08:10le journal d'ici vous a dans son colimateur ? Ditz pour une fois reste muet quelques secondes,
08:17les yeux au ciel, la bouche entreouvertes. — Vous avez raison de vous poser la question,
08:23moi aussi je me la pose, car je n'ai jamais eu de problème avec Dundé jusqu'à cette affaire. Dundé,
08:30c'est le rédacteur en chef, l'éditorialiste le secrétaire de rédaction, en bref, c'est le
08:35courrier des îles à lui tout seul. Puis, après un court silence, il ricane.
08:40— Il était aussi l'amant de Jane, m'ont-à-là. Heureusement que tous ses amants ne se déchaînent
08:47pas contre moi. L'un est le gendre du gouverneur, l'autre mon banquier, un autre le propriétaire de
08:53cette bicoque, l'autre a le seul restaurant correct. J'y mets jamais des pieds d'ailleurs
08:58parce que c'est trop cher. Pour couronner le tout, il y en a même un qui est mon bon frère,
09:02le chef de la famille du côté de ma femme, et mon garagiste aussi. Vous voyez le genre,
09:07tout le monde ici considère le chef de la police comme un mal nécessaire,
09:11un fonctionnaire sans importance et pas fréquentable.
09:13Avant de quitter le lieutenant Dietz, Wilcox s'est convaincu de deux choses. La première,
09:20c'est que le lieutenant a probablement raison quant à la façon dont il conduit ses enquêtes
09:25si l'on considère ses moyens et le cadre dans lequel il doit agir. La seconde,
09:30je sais justement son manque de brio et de représentativité qui en sont responsables.
09:35Si Dietz savait traiter d'égal à égal avec ces gens-là, il obtiendrait certainement de
09:39meilleurs résultats. Alors il se retourne. J'ai très bien compris votre situation. Si le nom du
09:47coupable est dans l'enveloppe, c'est que vous avez du flair. Et si avant de repartir, je veux
09:53faire inculper le coupable, c'est que votre méthode n'est pas la bonne.
09:58La première personne à qui Wilcox va rendre visite, c'est Dundee, le rédacteur en chef du
10:05Courrier des îles. 35 ans, en blue jean, brun, aux yeux bleus, bronzé, intelligent, ouvert,
10:11visage presque trop jeune encore et bavard comme une pipe. C'est alors que Wilcox va inconsciemment
10:18enregistrer un détail qui lui reviendra quelques jours plus tard et prendra tout son sens.
10:24Lorsqu'il entre dans le hall, Dundee est en train de se disputer violemment avec un individu,
10:31sans doute un revendeur, il se toise, se pousse de la poitrine comme font les enfants. Wilcox
10:37s'étant fait connaître, Dundee ne cesse pas pour autant de se disputer jusqu'à ce que sa
10:41secrétaire le ramène par la main au bureau. Lorsque Wilcox entre dans le bureau, Dundee,
10:47en devenu soudain aimable, fait asseoir et referme doucement la porte. Et ce qui frappe
10:53inconsciemment Wilcox, c'est qu'il se serait plutôt attendu à ce que cet homme en colère la fasse
10:58claquer derrière lui. Au lieu de ça, il la referme doucement cette porte. Faisant des forces sur lui
11:09même, Wilcox se présente comme un ponte de la police très à l'aise, l'homme qui connaît tout
11:13le monde et que tout le monde connaît. Après cela, avec Dundee, la conversation est aisée,
11:19rapide, aucun besoin de faire des détours. Dundee a bien connu en effet Jane Montana,
11:24puisqu'elle était encore sa maîtresse lorsqu'elle a été assassinée. Non,
11:28elle n'a pas passé la soirée chez lui, ainsi qu'en peut témoigner le couple qui lui sert de
11:32domestique. Pourquoi il ridiculise ce malheureux lieutenant Dietz ? Oh, parce qu'aucun des
11:38suspectes qu'il a coffrés ne faisait un coupable possible et qu'il a l'impression que Dietz moque
11:42du monde et lui, Dundee, aimerait bien que le vrai coupable soit arrêté. Maintenant, si Wilcox,
11:49qui lui est sympathique, veut en savoir plus, il l'invite à venir avec lui à la pêche au gros,
11:53avec quelques amis. Voilà donc ce brave Wilcox, cramponné dès six heures du matin à un moulinet
12:02perfectionné, surveillant le leurre en plastique qui saute dans le sillage du bateau, et bien
12:07entendu il ne parle pas un instant de l'affaire, angoissé à l'idée qu'il va peut-être pécher
12:12quelque chose dont il ne saura pas quoi faire. Wilcox, abrusquement au bout de sa ligne, a un ton
12:18d'une cinquantaine de kilos qui pique vers le fond. Wilcox, encore plus surpris que le poisson, à
12:22moitié arraché de son siège, s'y prend très mal et met un temps fou à le ramener. « Vite, vite ! »
12:27lui crie Dundee, le marin. « Quand ils veulent l'aider, il est trop tard. » Les requins sont accourus,
12:32la mer se met à bouillonner. Du long fuseau argenté qu'on voyait se débattre sous la mer,
12:36il ne reste en quelques secondes plus rien. Mais, bien qu'il n'ait jamais assisté à un pareil
12:43spectacle, ce qui frappe le plus Wilcox, c'est l'attitude de Dundee. Celui-ci a dirigé le bateau
12:50sur le lieu du drame, et là, ivre de rage, se met à frapper à grands coups de gaffe sur les requins.
12:55Le marin aussi frappe. Wilcox se dit « Après tout, ces gens-là détestent les requins,
12:59cette haine est fréquente dans les îles. » Mais, mais, lorsqu'ils sont repartis, qu'ils ont remis
13:04leurs lignes à l'eau, Wilcox ne peut s'empêcher de dire à Dundee « Est-ce que vous êtes coléreux ? »
13:10La première réaction de Dundee, c'est de rire. « Oui, très ! » Mais, il y a ensuite un silence,
13:17et Wilcox sent que Dundee réfléchit. Qu'une pensée l'obsède, brusquement. « Moi, je sais ce
13:26que vous pensez, chers amis, vous pensez « Tout ça, c'est cousu de fil blanc ». « C'est vrai. »
13:32Mais, vous allez voir combien ce dossier cousu de fil blanc est cependant étonnant,
13:38et pourquoi il mérite de figurer dans les Dossiers Extraordinaires.
13:41Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
13:52Retrouvons Wilcox, le policier, et Dundee, le rédacteur en chef du journal local,
13:57sur le bateau où ils pêchent. En fin de matinée, ils ont pris trois ou quatre
14:01barracudas, un maï-maï et quelques bricoles. Alors, ils rentrent.
14:05Lorsqu'ils sortent à terre, Dundee propose à Wilcox de le reconduire à son hôtel.
14:10Comme c'est un hôtel fort médiocre, et que le seul hôtel convenable est complet,
14:14Dundee propose au policier de venir habiter dans un bungalow à côté de chez lui. Ce bungalow
14:19est en réalité la villa où Dundee habitait avant de s'installer dans la nouvelle maison
14:22qu'il s'est fait construire. « Mais, je vais avoir une dette terrible envers vous,
14:27ça me gêne ! » dit Wilcox. « Je préfère vous avoir sous la main. Pourquoi ? Pour être le
14:33premier à connaître le nom de l'assassin de Jane Montalà. » Après cette conversation pleine de
14:39sous-entendus, Wilcox comprend que Dundee se croit soupçonné. Mais au fait, est-ce qu'il
14:45le soupçonne ? Tout l'après-midi, de retour chez le chef de la police, il se replonge dans
14:51le dossier de l'affaire Montalà. Aucun doute. Les amants connus de cette dernière sont
14:57inattaquables. Ils étaient soit absents de l'île, soit en famille. Le restaurateur a passé la soirée
15:03et une bonne partie de la nuit dans son restaurant, quant à Dundee, il est resté seul chez lui,
15:07n'a pas quitté sa propriété, mais les domestiques en font foi. Wilcox demande au lieutenant Dietz
15:14s'il a cherché à découvrir dans la cocotterie un endroit où Jane Montalà aurait pu se faire
15:20à la tête une blessure mortelle. « Bien sûr, répond le lieutenant Gognard. Rien que du sable.
15:28À moins qu'elle soit tombée sur un crabre, rien ne pouvait la tuer. Et reconnaissez qu'on ne voit
15:36pas très bien pourquoi l'homme qui l'a agressé aurait amené une arme avec lui, si ce n'est dans
15:40l'intention de la tuer. Et je ne vois pas pourquoi un indigène aurait voulu la tuer. Mais enfin,
15:48qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire dans la cocotterie ? demande Wilcox. Allons donc,
15:53la cocotterie c'est de la blague. Qu'est-ce que vous vouliez qu'elle fasse dans la cocotterie
15:58à cette heure-là ? Elle pouvait revenir de se baigner, on se baigne la nuit ici. Des cinglés,
16:03oui, c'est de la légende. Puis avec le vent qu'il faisait cette nuit-là, non. C'est d'ailleurs le
16:08vent qui nous a empêché d'établir si oui ou non elle avait été dans la cocotterie, car il a effacé
16:13toutes les traces. Mais alors pourquoi a-t-elle parlé de la cocotterie ? Parce que de toute
16:19éternité c'est là que les femmes se font violer. Vous voulez dire qu'elle a menti pour couvrir
16:24quelqu'un ? C'est mon avis, oui. Pour couvrir l'homme qui l'a tué ? Ça c'est déjà vu. Mais
16:34si elle ne venait pas de la cocotterie, d'où pouvait-elle venir ? Ça c'est le hic. Elle ne
16:47pouvait pas venir de très loin, à moins qu'on l'ait amenée en voiture. Parmi les gens qu'elle
16:53fréquentait, celui qui habite le plus près, c'est Dundee. Mais vous avez lu la déposition de ses
17:00domestiques ? Je les ai fait répéter à l'endroit, à l'envers, inattaquable. Le soir,
17:11alors que Wilcox rentre à son bungalow, Dundee l'appelle pour qu'il vienne boire un verre. Il
17:16lui paraît d'un calme, d'une gravité un peu forcée. Après avoir bu de gorgée en faisant
17:21quelque part silencieux, il se tourne brusquement vers le policier. « Je sais, dit-il, que je
17:27figure sur la liste des suspects dans l'affaire Montalà. Je voulais vous dire ceci, je n'ai pas
17:32tué Jeanne Montalà. Je vous donne ma parole. Cela dit, j'ai menti, et mes domestiques aussi,
17:39à ma demande, car elle est venue ici ce soir-là et nous nous sommes disputés, c'est vrai. Mais
17:47après cette dispute, elle est partie, tout à fait normalement, je vous le jure. Je suis
17:51coléreux, c'est vrai, mais pas au point de tuer une femme. » « Pourquoi avez-vous demandé à vos
17:58domestiques de mentir ? » « Parce que ça ne plaît à personne ici de voir le lieutenant Ditts
18:03fourré sonder dans nos affaires. » « Qu'est-ce que vous avez contre lui ? » « Rien de particulier,
18:10sinon qu'il est mesquin, veul, sale et fourbe, bref, répugnant et infréquentable. Mais vous
18:16comprenez maintenant pourquoi je tiens tant à ce qu'on arrête le coupable et pourquoi Ditts m'agace,
18:20avec ses inculpations bidons. » Évidemment, Wilcox entend le nouveau témoignage du couple
18:27de domestiques d'une cinquantaine d'années qui reconnaissent avoir menti, mais pour le bien en
18:31somme, pour que le lieutenant Ditts ne vienne pas ennuyer leur maître qui est innocent. Il confirme
18:37que ce soir-là, Mme Montalà est arrivée pendant le dîner, leur maître et elle se sont disputés
18:40pendant un bon quart d'heure et elle est repartie. Et après ? Et après, ils se sont couchés. Est-ce
18:48qu'ils sont sûrs que Mme Montalà n'est pas revenue ? Ça les étonnerait, parce qu'en partant,
18:53elle a dit que c'était pour toujours, et si elle était revenue dans la maison, la femme,
18:57qui a le sommeil léger, les aurait entendues se disputer. Pourquoi ? Parce qu'ils se seraient
19:01à nouveau disputés ? Oh, sûrement, ils étaient tellement en collègue ! Après ce témoignage de
19:09dernière minute, Wilcox, sans avoir revu d'un dessin de la maison, traverse le parc sur environ
19:1460 mètres et entre dans la villa où il va passer sa première nuit. C'est là qu'un détail va,
19:20une fois de plus, attirer son attention. Lorsqu'il ressort de la salle de bain où il vient de se
19:24laver les dents, la porte ferme mal, ce qui n'a rien d'extraordinaire. Alors il tourne soigneusement
19:30la poignée en exerçant une forte traction, et cela lui rappelle le geste de Dundee fermant la
19:36porte de son bureau. Mais au fait, pourquoi est-ce qu'elle ferme mal cette porte ? Évidemment,
19:46chers amis, il ne s'agit pas là de savantes déductions, mais d'une série d'observations
19:50presque inconscientes qui déclenchent d'autres observations tout aussi inconscientes. Wilcox
19:56a réouvert la porte et regarde la gâche. Celle-ci s'est légèrement déplacée,
20:01car le chambranlant en bois est fendu dans le sens de la longueur. Wilcox regarde l'autre
20:07côté de la porte, et là, manifestement, l'huisserie est légèrement détachée du mur.
20:12Alors cette fois, un éclair jaillissant de l'inconscient illumine la conscience de Wilcox.
20:19On a enfoncé cette porte, et la mécanique de l'esprit policier se met en route. Dans les
20:26milliers d'affaires dont il s'est occupé, combien de fois a-t-il entendu ce récit ? L'homme jaloux
20:30enfonce la porte de la femme qui s'est enfermée dans la salle de bain, ou bien la femme jalouse
20:34s'enferme dans la salle de bain pour faire croire à un suicide, et l'homme enfonce la porte. Bref,
20:38un scénario classique. Mais qui, ici, peut enfoncer des portes, sinon Dundee ?
20:46Le lendemain matin, Wilcox inspecte les portes des deux salles de bain de la nouvelle maison
20:54de Dundee. Aucune ne semble avoir souffert, donc il n'enfonce pas une porte toutes les semaines.
20:59Alors il demande aux domestiques s'ils se souviennent du jour où leur maître aurait
21:05enfoncé la porte de la salle de bain du bagalot. Non, ils ne s'en souviennent pas.
21:10— Mais est-ce que la porte de la salle de bain fermée ?
21:15Les deux domestiques se regardent étonnés. — Oui, elle fermait.
21:20— Depuis quand M. Dundee habite-t-il dans la nouvelle maison ?
21:24— Depuis quatre mois, à peu près. — À peu près au même moment que l'assassinat
21:32de Mme Montalà ? — Oui.
21:34— Est-ce qu'elle est venue dans la nouvelle maison ?
21:37— Oui, comme ça, pour visiter, parce qu'elle n'était pas finie. D'ailleurs,
21:44elle n'a jamais amené ses affaires ici. — Vous dites qu'elle n'a jamais amené ses affaires ici ?
21:50— Ça veut dire qu'il y avait des affaires à elle dans le bain-galot.
21:55— Oui. — Quelles affaires ?
21:59— Des affaires de toilette, des parfums. — Elle n'y sont plus ? Qui les a emmenés ?
22:08— On a pensé que c'était M. qui avait dû les rapporter.
22:13— Mais pourquoi ne les a-t-elle pas emmenés lorsque vous l'avez vu partir ce soir-là ?
22:18Et si, ce soir-là, elle était revenue chercher ses affaires dans le bain-galot,
22:23vous l'auriez entendue ? — Peut-être pas.
22:29— Par contre, M. Dundee aurait pu voir les lumières de sa fenêtre, y aller,
22:34se disputer avec elle. Et vous n'en auriez rien su.
22:39Tout cela va s'avérer exact, mais, chose étrange, Dundee sera d'autant plus facilement confondu
22:51qu'il espère réellement ne pas avoir tué Jane Montalà. Il reconnaîtra avoir enfoncé la porte,
22:59projetant la jeune femme contre le carrelage du mur. Mais, après une courte perte de conscience,
23:05elle s'est relevée et elle est partie. Aucun des autres coups qu'elle a pu recevoir n'était
23:11susceptible d'entraîner une blessure, encore moins la mort. S'il l'avait tuée,
23:15il aurait prévenu la police. S'il avait eu l'impression de l'avoir grièvement blessée,
23:19il aurait appelé un médecin. Le plus incroyable, c'est que tout ceci est probablement vrai.
23:25D'ailleurs, Jane Montalà elle-même, pas un instant n'a dû penser qu'elle allait mourir. Pour elle,
23:29ce n'était qu'une dispute, comme tant d'autres, avec un homme qu'elle aimait malgré tout.
23:34Voilà pourquoi elle a menti. C'est parce qu'il espérait réellement que Jane Montalà avait été
23:40agressée après l'avoir quittée, que Dundee poursuivait le lieutenant Dietz de ses sarcasmes
23:45chaque fois qu'il emprisonnait un faux coupable. Un vrai coupable l'aurait délivré de toutes ses
23:51angoisses. Quelques heures plus tard, Wilcox s'assoit devant le lieutenant Dietz qui sort
23:58du tiroir de son bureau l'enveloppe, l'ouvre et tend le papier. Wilcox lit. Le coupable, c'est
24:09Dundee. Bravo, dit Wilcox, mais reconnaissez que ma méthode est la meilleure. Au lieu d'atteindre,
24:18je me suis rendu sympathique, j'ai provoqué une invitation, je l'ai accepté et j'ai su la vérité.
24:23Oh, j'ai essayé ça aussi, dit le lieutenant. On vous invite une fois, mais jamais deux. Si
24:35vraiment vous êtes un flic honnête qui fait son travail et qu'on ne peut pas acheter,
24:39vous finissez toujours par vous retrouver seul au milieu de votre toile d'araignée.
24:45Quoi qu'il en soit, Dundee sera inculpé d'homicide par imprudence et acquitté,
24:53ayant bénéficié de larges circonstances atténuantes dues aux révélations de l'instruction.
24:58Jane Montalà avait premièrement un caractère impossible joint à un tempérament de feu,
25:04deuxièmement un crâne tout à fait incompatible avec les risques qu'elle encourait de ce fait,
25:10certains os étant restés ce qu'ils étaient à sa naissance, c'est-à-dire mous.
25:17Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives
25:42d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale Julien
25:49Tarot. Production Raphaël Mariat. Patrimoine sonore Sylvaine Denis, Laetitia Casanova,
25:56Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar. Les récits extraordinaires sont disponibles sur
26:03le site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement
26:08sur votre plateforme d'écoute préférée.