L’éducation de la violence

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Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.


Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Un vieux quartier. Une petite impasse charmante toute bosselée de vieux pavés. Une vieille
00:21maison. Un vieil appartement où habite une très vieille dame, enfin où habiter.
00:30Une très vieille dame. Elle est morte. Elle est morte au milieu d'un bric-à-brac incroyable
00:38accumulé en 80 années d'existence au même endroit. Trois perruches en liberté volent
00:46autour d'elle en piaillant. Un poisson rouge tourne au fond de son bocal. Le médecin se penche
00:55sur le corps de la vieille dame perplexe. Il ne la connaît pas. Il ne l'a jamais soignée. Il
01:04semble bien que la vieille dame soit morte de mort naturelle. Toutefois l'examen montre une
01:09petite plaie derrière la tête et une autre à la mâchoire. De son côté, le commissaire du
01:17quartier note des détails curieux. On a découvert le corps grâce aux voisins. Depuis la veille,
01:25un petit paquet était resté devant la porte. Son repas du jour que lui livrait une association
01:31communale. Or la vieille dame ne laissait jamais rien se gâter. Elle était réputée au contraire
01:37pour son économie, bien compréhensible vu ses faibles ressources. Ensuite, une nièce venue
01:45reconnaître le corps affirme que sa tante possédait un carnet d'épargne, une montre et 420 francs
01:52d'économie en pièces. Elle cachait le tout sous son oreiller. Il n'y a rien sous l'oreiller
02:00ni ailleurs et la maison n'a pas l'air d'avoir été fouillée. La clé est toujours sur la boîte aux
02:08lettres. Donc s'il y a eu vol, il a été commis par quelqu'un qui savait tout cela. Mais y a-t-il
02:20eu assassinat ? Rien n'est moins sûr. Elle a pu tomber victime d'un malaise et se cogner à un
02:26meuble, ce qui expliquerait les légères blessures. Le médecin délivre un certificat de décès prudent,
02:32cause de la mort non éclaircie. Cela suffit pour demander une autopsie dont les conclusions sont
02:40formelles. Grave affection du cœur ayant provoqué la mort. La police ne recherche donc plus qu'un
02:48voleur pour un tout petit vol. 420 francs, une montre et un carnet d'épargne avec 100 francs de
02:55capital. Une misère à notre époque puisque ce dossier se situe en 1969 à Düsseldorf. Une misère noire.
03:18Vous ne connaissez pas une petite fille qui s'appelle Adeline. En 1969, Adeline a 13 ans.
03:30Elle est jolie, Adeline. Pas tout à fait finie, mais elle promet, Adeline. Adeline va à l'école.
03:40Adeline traverse en courant les rues de son quartier en brinqueballant son cartable.
03:45Qui est Adeline? 50 cm de jupes à carreaux, de genoux écorchés, une frange en bataille. Mais le reste?
03:56Le reste? Une bonne paire de gifles qui claquent à toute volée sur les joues rondes d'Adeline. Une
04:07bonne paire de gifles de la main d'un père hors de lui dépassé. Un père qui se cogne la tête de rage
04:12et d'incompréhension totale. Mais enfin, bon sang de bon sang, mais qu'est-ce que tu foutais là-bas?
04:16On s'amusait. Ah, c'est ça, on s'amusait. T'appelles ça un amusement? Une surprise partie à ton âge,
04:23avec des gamins vicieux. Mais tu te fous de moi, dis! Et c'est pas la première fois en plus. Tu as
04:28manqué la classe trois fois. Trois fois, t'as raconté des histoires aux professeurs, t'as fabriqué des
04:32mots d'excuses bidons pour aller galoper dans des surprises parties avec qui, hein? Je veux savoir
04:36où ça se passait et avec qui. Ben, on allait chez une vieille. Mais comment ça, une vieille? Une vieille.
04:45Elle disait rien. C'est les garçons qui la connaissent. Et vous faisiez des surprises parties chez elle.
04:52Et ça l'amusait, je te dis. Elle disait rien si on fumait. Oh, c'est les garçons qui fumaient, pas moi.
04:59Ils buvaient de l'alcool aussi. Et elles disaient rien. Elles s'en rendaient même pas compte.
05:06Elles voyaient qu'on s'amusait, c'est tout. Ça lui passait le temps. Comment elle s'appelle? Je sais pas.
05:11Ben alors tu sais au moins où elle habite, c'est où? Ben, c'est où? C'est pas la peine.
05:20Elle est morte. Tu te fiches de moi? Ça suffit de raconter des histoires, hein? Elle est pas
05:28plus morte que toi et moi. Mais je te dis que si. Je sais même quand elle est morte. Bon, d'accord.
05:34Mais j'irai vérifier moi-même. T'as tellement raconté d'histoires que c'est fini. T'entends?
05:39C'est fini. À partir de maintenant, je crois plus rien. Et ta mère non plus. Je vais aller la voir,
05:44cette bonne femme, moi. Elle va m'entendre. Allez, donne l'adresse. Donne l'adresse ou je te flanque
05:49une raclée dont tu te rappelleras. Mais c'est pas la peine, je te dis. Elle est morte. Même qu'ils
05:57l'ont tuée. Alors? Inutile d'aller plus loin. Vous imaginez la suite. Vous imaginez ce père de
06:07famille pétrifié devant cette Adeline de 13 ans, sa fille, qui répète en pleurant les rangs-dessous.
06:13Ils l'ont tuée, je sais pas comment, je sais pas. Ils ont dit qu'ils l'avaient eue. Je sais rien d'autre.
06:20Et le voilà qui court, ce papa bien ordinaire, traînant sa fille, ce petit monstre, jusqu'au
06:26commissariat du coin. Mais qui c'est, il? Demande le commissaire un peu démonté devant cette arrivée
06:33en trombe. C'est Herbert, 13 ans. Robert, 13 ans. Jurgen, 14 ans. Et Nicolas, 15 ans. Les petits
06:45compagnons de surprise partie, les petits mâles du cours secondaire en jean et en t-shirt, des
06:50gamins, des freluqués qu'il faut aller tirer par l'oreille chez papa, maman, et traîner comme
06:55des hommes jusqu'au commissariat de police. Les voilà tous les quatre, assis en randonnions sur
07:00des chaises de bois dans le bureau du commissaire, l'air méfique, mi-raisin, l'air de ce qu'ils sont.
07:05Dans la pièce à côté, les parents tournent en rond effarés, cherchant déjà à deviner qui
07:12d'entre eux possède le rejeton responsable, celui qui a forcément entraîné les autres,
07:17la brebis galeuse. Regarde en dessous, affrontement muet, brève estimation de la mère et du père des
07:23autres. Oh, tout cela est inutile d'ailleurs. Et c'est en réalité la traduction de leur désarroi,
07:31un réflexe de défense bien compréhensible. Car ils se ressemblent, les pauvres gens.
07:37Arrêtement ordinaire identiquement moyen, convenablement simple.
07:42Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast européen.
07:53Permettez-moi maintenant de vous présenter les parents. Pour Herbert, 13 ans, un petit garçon
07:59mince et nerveux à l'œil malin, papa est ébéniste, maître ébéniste. Papa fabrique des modèles de
08:06meubles de style ancien qu'un industriel reproduit à des milliers d'exemplaires et à grand profit.
08:11Il a l'air brave, les mains galeuses, un regard un peu buté. Sa femme, la maman d'Herbert,
08:19est employée dans une compagnie d'assurance. Lui boit de temps en temps et il bat sa femme
08:25quand il est ivre. En 1963, il divorce. Herbert est élevé chez sa grand-mère. Petit à petit,
08:35on le confie à une garderie après les heures de classe. Devenu grand, il réclame la clé de
08:41l'appartement de sa mère, il l'obtient et vit sans grande surveillance. Son dernier bulletin scolaire
08:47est très mauvais. Avant le divorce de ses parents, il travaillait plutôt bien. Maintenant, les
08:55appréciations sont claires, sournois, peu sincère et paresseux. Pour Robert, 13 ans, rondelé, pas très
09:03grand pour son âge, papa égaragiste. On le voit peu à la maison, tôt levé, tard couché, travailleur
09:09obstiné pour peu de rapports. Maman ne travaille pas et reste à la maison car il y a une petite
09:14sève. Robert est le camarade de classe d'Herbert. Lui aussi depuis quelque temps travaille mal,
09:21c'est un bagarreur, plus exactement un organisateur de bagarres. Il aime raconter des histoires aux
09:26filles et se faire valoir. Pour Jurgen, 14 ans, adolescent au très fin et intelligent, papa est mort
09:34quand il avait 9 ans. Papa était employé des douanes, maman travaille à la société protectrice des
09:41animaux. Elle est absente toute la journée. Récemment, elle s'est fiancée à un Italien et a fait le
09:48projet de partir avec lui en Italie avec les enfants, Jurgen et sa sœur de 12 ans. À l'âge de 6 ans,
09:55Jurgen a eu la polio. Il a été malade un an mais il est maintenant parfaitement guéri. Il ne
10:01travaille pas en classe et sa mère n'a jamais répondu aux convocations du proviseur. Pour
10:06Nicolas, 15 ans, fils unique, trop grand pour son âge, un père employé de bureau, une mère postière,
10:12ses grands-mères qu'il a élevées. Les parents ont bien du souci avec lui depuis deux ans. École
10:17buissonnière, fugue, vol d'une bicyclette. Nicolas ne cesse pas d'accumuler les bêtises, il est pourtant
10:22intelligent et son professeur estime qu'il pourrait être le premier de sa classe s'il
10:25le voulait. Mais Nicolas ne veut plus entendre parler d'école. Pour l'instant, il est de toute
10:31façon renvoyé des cours. Personne n'a pris de décision à son sujet. Voilà, je vous le disais
10:38tout à l'heure, tous ces gens se ressemblent, moyen, ordinaire, simple. Alors bien sûr, vous allez
10:44répondre, il y a un père qui battait sa femme et ils ont divorcé. Il y en a un autre qui est mort et sa
10:49veuve vit avec un Italien. Un des gamins a eu la polio, l'autre a été élevé par sa grand-mère. Tous ces
10:54gens-là travaillent toute la journée, ils n'ont pas le temps de surveiller leurs gosses, c'est vrai.
10:57C'est bien ce que je disais, des gens moyens, ordinaires, simples, avec leurs problèmes et
11:03leur caractère, guère plus. Combien sont-ils dans ce cas-là attentés d'élever des enfants ? Des
11:10centaines de milliers ? Et certains d'entre eux ne comprennent pas, ne comprendront jamais pourquoi
11:16leurs gamins sont là, dans le bureau d'un commissaire de la criminelle. Alors, qu'est-ce qu'ils me
11:25racontent toute l'histoire ? Tous, ils la racontent tous, sans même essayer de rejeter la faute sur l'un
11:33ou sur l'autre, comme s'il s'agissait d'un exploit. Robert, on a pensé à la sommet pour lui prendre
11:41ses sous. Nicolas, j'ai dit que je pouvais le faire. Je sais comment on fait au cinéma. Un coup de la
11:49raide de la main contre la gorge, c'est radical. Ils ont tout de même essayé de cambrioler dans
11:55la grande tradition. D'abord, éloigner la vieille, trouver un prétexte pour la faire sortir, car elle
12:02ne la laissait jamais seule. Ils inventent une histoire de vieille amie malade qui la demande à
12:07l'hôpital et lui porte un message. Alors, au bout d'une heure, elle n'est toujours pas sortie.
12:15Herbert, 13 ans, je vous le rappelle, s'énerve. Ça suffit, on va s'en occuper. Un bon coup sur la tête,
12:21c'est bien plus simple. Ils ne se font pas voir, se faufilent dans l'escalier et frappent discrètement.
12:28D'habitude, la vieille dame ouvre vite la porte. Ce jour-là, elle ne met plus de temps. Jurgen pense
12:35qu'elle a hésité, mais il ne sait pas pourquoi. Enfin, elle entre bas et la porte. Aussitôt, Herbert et
12:41Nicolas la bousculent. Le premier la baillonne, le second claque la porte, ce qui empêche les deux
12:46autres de rentrer. Ils restent donc sur le palier à faire le guet. Pendant ce temps, les deux petits
12:51énergumènes traînent la pauvre femme sur le plancher. Herbert, 13 ans, s'y reprendra dix fois avant
12:57de réussir son fameux coup de karaté, le tranchant de la main sur la gorge, comme au cinéma. Par précaution,
13:03Nicolas la baillonne ensuite avec un foulard. Ils prennent l'argent sous l'oreiller, la montre et le
13:08livret d'épargne, aussi quelques bouteilles d'eau de vie. En sortant, Nicolas vérifie que la victime
13:13est bien morte. Herbert hésite. On devrait la mettre sur son lit, comme ça, personne ne se
13:20douterait de rien. Mais le corps est trop lourd. Les deux gamins abandonnent et filent retrouver
13:26leur congénère sur le palier. Jurgen s'inquiète. Elle est vraiment morte ? Oh là là ! Mais son petit
13:33camarade Robert le console. De toute façon, elle était vieille alors. Voilà ce qu'il raconte au
13:39commissaire les quatre terreurs du cours secondaire. Comme s'il racontait une chasse au trésor, sans plus
13:46d'émotion, avec même une sorte, je dis bien, une sorte de fierté. Celles des gosses qui sont sûrs
13:53d'avoir commis le définitif, les normes, la chose contre laquelle il n'est pas de punition plus grave
13:58que celle qu'ils connaissent déjà. Ils se sont partagé les économies, 80 francs pour Herbert
14:05l'indicateur, 20 francs pour Jurgen qui s'est contenté de faire le gai avec lui, 160 francs pour
14:10Robert et 160 francs pour Nicolas, les deux tueurs. Quelques jours plus tard, ils se sont vantés de
14:17leur coup auprès d'Adeline et Adeline, si jolie, a ouvert de grands yeux admiratifs. Cinq semaines
14:24ont passé, personne ne dénonçait personne. Petit à petit, toute la classe des garçons était au courant,
14:30puis celle des filles, à demi-mot de bouche à oreille, par bribes, ils étaient au courant.
14:38Tous ces gamins y croyaient-ils vraiment ? Peu importe, car pas un n'en a parlé avant l'arrestation.
14:47Dans la classe d'Adeline, la maîtresse a demandé « Enfin, vous auriez pu m'en parler, au moins un mois,
14:52si vous étiez désemparé, il fallait le faire. » Et une gamine a répondu « On ne sait pas à qui se confier
14:59de nos jours. » Je ne vous rapporterai pas le verdict, je ne le connais pas. Le procès a eu lieu à
15:05huit clous comme tous les procès d'enfants, dans le plus grand secret, afin de préserver leur avenir.
15:13Ça doit être difficile de juger des enfants, si le mot « juger » peut s'appliquer à eux.
15:20Alors pour terminer, laissez-moi vous remettre en mémoire un tout petit bout d'un poème de
15:27Prévert, que justement on apprend à l'école. « Et les hommes mûrs par le taux fruit vert qui,
15:34dans l'arbre du temps bien que mal, se balancent aux agrès du vent. »
15:42Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives
16:05d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale, Julien
16:11Tarot. Production, Lisa Soster. Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova,
16:19Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar. Les récits extraordinaires sont disponibles sur
16:26le site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement
16:32sur votre plateforme d'écoute préférée.