• il y a 14 heures
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.


Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Le mardi 15 juillet 1902, vers 9h55 à la gare Saint-Lazare à Paris, l'express Paris-Versailles s'apprête à partir. Il fait très chaud.
00:24C'est une époque où les congés payés n'existent pas encore.
00:29Les rares Parisiens qui partent en vacances vont sur la côte normande et pas dans l'approche banlieue. Le train est presque vide.
00:38Le guichetier M. Paramel vient de terminer un carnet de billets. Il hésite à en entamer un autre. Dans quelques minutes, son service prend fin.
00:46Il baille, puis jette un regard distrait sur la salle des pas perdus presque déserte.
00:53La porte s'ouvre derrière lui. « Salut », dit-il. « Salut ». C'est son collègue qui vient prendre la relève. Rien à signaler ? Rien du tout, tout est calme.
01:07M. Paramel enfile son veston et s'en va. Il est juste dix heures. L'express de Versailles s'en va lui aussi.
01:16Il traverse les quartiers nord, entre dans Agnières, quitte la voie de Pontoise et oblique vers l'ouest. Il fait beau.
01:27Tous ces quartiers que l'on voit aujourd'hui couverts de cubes de béton sont alors assez peu peuplés. On y trouve des arbres, des massifs de fleurs.
01:36On dirait de gros villages juxtaposés. Le train les traverse joyeusement en faisant ronfler ses chaudières et siffler sa vapeur.
01:43Soudain, en traversant Bécon-les-Brouillères, juste au moment où il vient de dépasser la gare, le signal d'alarme retentit.
01:52Dans un vacarme de sirènes hurlantes, de métal grinçant, tous freins bloqués, le train s'arrête brutalement. Le chef de train ouvre une portière, saute sur la voie et se précipite.
02:13Le 15 juillet 1902, donc, au moment où le train express Paris-Versailles traverse la gare de Bécon-les-Brouillères, le signal d'alarme retentit et le convoi s'arrête brutalement.
02:32Le chef de train saute sur le remblai et court le long des voitures. De leur côté, des employés de la gare, alertés, viennent à sa rencontre.
02:39À l'une des portières d'un wagon de première, un homme lève le bras d'un geste lent. On se précipite. C'est un homme d'une cinquantaine d'années, bien vêtu, assez calme.
02:52Près de lui, un jeune homme est assis, replié sur lui-même, livide, à demi-évanoui. « Je suis blessé au ventre, dit l'homme qui est resté debout. Je suis perdu. »
03:05Le chef de train le regarde, stupéfait. En effet, il perd son sang assez abondamment. « Mais comment ? » interroge l'employé. « C'est lui qui m'a frappé, je ne sais pas pourquoi. »
03:19Le jeune homme ne proteste pas, il n'a pas bougé. Il se laisse emmener docilement quand la police arrive. Le blessé meurt le lendemain, sans avoir officiellement déposé.
03:30Mais ceux qui l'ont soigné, médecins, infirmières, gardes malades, affirment qu'il n'a pas cessé de répéter « Mais pourquoi m'a-t-il frappé ? Mais que me voulait-il ? »
03:48La victime est le docteur Armand Peretti, un praticien qui possède une certaine notoriété. Son meurtrier, Pierre Berthelot, a 26 ans.
03:57C'est un ancien employé des postes qui a volontairement quitté l'administration quelques mois plus tôt et dont les ressources actuelles sont difficiles à établir.
04:05C'est un personnage instable, mal équilibré, qui vit dans un monde de rêves, des rêves qui le peuplent des lectures les plus diverses, où se côtoient en vrac la littérature classique, les livres de science et les ouvrages d'un érotisme vulgaire et trompeur.
04:19La thèse de l'accusation est la suivante. Berthelot, après avoir grignoté jour après jour ses maigres économies, se trouvait sans aucune ressource.
04:29Répugnant à chercher un nouveau travail, il avait conçu l'idée d'un assassinat en chemin de fer. Pourquoi en chemin de fer ?
04:35Eh bien, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que l'on est certain dans les compartiments de première place de rencontrer des personnes assez fortunées.
04:41Ensuite, parce que les voyageurs portent souvent sur eux des sommes importantes.
04:45Enfin, parce que Berthelot s'imaginait que dans un wagon de chemin de fer, un crime a un caractère anonyme que son auteur est plus difficile à identifier et à poursuivre.
04:56Ce dernier point aurait pu effectivement se vérifier si Berthelot avait été un criminel endurci.
05:02Avec un peu de sang-froid et d'esprit de décision, il n'aurait pas laissé sa victime tirer le signal d'alarme.
05:08On ne l'aurait pas découverte vivante et lui à ses côtés.
05:12Mais, dès les premiers interrogatoires, Berthelot donne une version différente de son crime.
05:19J'étais monté le premier dans le compartiment. C'était dix minutes avant le départ du train.
05:25— Qu'alliez-vous faire à Versailles ?
05:27— Oh, je vis dans une petite chambre, sans air et sans lumière. J'avais besoin de verdure.
05:32— Et vous voyagez souvent en première classe ?
05:35— Oh non. Non, je voulais savoir l'effet que ça fait d'être dans un compartiment de luxe.
05:41— Soit. Donc vous étiez seul dans ce compartiment.
05:46Berthelot ne s'exprime pas aisément. Il parle avec difficulté d'une manière parfois obscure.
05:51On a du mal à lui faire dire avec précision les choses les plus simples.
05:56— Ce monsieur est monté, dit-il. Je ne le connaissais pas.
06:00Dès qu'il s'est assis, il m'a souri d'une manière équivoque.
06:06— Qu'entendez-vous par là ?
06:08Berthelot hausse les épaules.
06:11— Je ne peux pas vous dire. Ce sont des choses qui se sentent. On ne peut pas se tromper.
06:19Plus tard, en route, il m'a parlé. J'aurais dû l'envoyer promener. Je n'ai pas osé.
06:25Je suis très timide. Alors il a dû croire que je l'encourageais, plus ou moins.
06:32Alors il est devenu pressant, plus embarrassant.
06:38C'est déjà ce qui m'a révolté.
06:41Alors j'ai sorti mon couteau.
06:46Et puis je me suis jeté sur lui.
06:50— Mais pourquoi portiez-vous ce couteau ?
06:55— Je l'emporte toujours quand je vais à la campagne. Ce n'est pas un couteau défendu.
06:59Je m'en sers pour couper des branches et pour tailler des écorces. C'est une habitude.
07:05Au fur et à mesure que l'instruction se poursuit, le meurtrier revient sur ses premières déclarations.
07:10Ou plutôt, il les complète. Il présente ainsi une deuxième version de son crime.
07:15Cette fois, il affirme qu'il connaissait depuis longtemps le docteur Peretti.
07:21Le 15 juillet, on devait aller passer la journée à Versailles.
07:25Ça nous arrivait souvent. Le docteur savait que j'aimais la campagne.
07:29On avait rendez-vous à la gare Saint-Lazare. Je l'ai retrouvé dans la salle des guichets.
07:32C'est lui qui a pris nos deux billets. Comme nous étions seuls dans notre compartiment,
07:37il a eu des gestes qui m'ont déplu, une attitude... possessive.
07:42On aurait dit que j'étais un objet qui lui appartenait. Alors je me suis rebiffé.
07:46Alors il a eu des paroles très dures, très méprisantes. Il m'a insulté. J'étais hors de moi.
07:51Alors j'ai pris mon couteau et puis... puis voilà.
07:56Voilà, oui. Cette deuxième version assure d'abord l'avantage de la crédibilité.
08:01Elle est plus vraisemblable, plus facile à admettre.
08:04Si l'on considère l'instabilité de Pierre Berthelot, la fragilité de son caractère,
08:08on peut admettre qu'une certaine situation, qu'il avait acceptée jusque-là,
08:12lui est soudain parue insupportable. Pourquoi pas ?
08:15Quand les rapports entre deux êtres prennent une tournure passionnelle,
08:18on ne sait jamais ce qu'ils vont devenir.
08:21En revanche, ce que l'on peut prévoir, c'est l'affrontement, la violence et le sang, parfois.
08:26À deux reprises dans sa cellule, Pierre Berthelot a tenté de se suicider en s'ouvrant les veines.
08:31Une fois avec un couteau de table, une deuxième fois avec un tesson de pot à eau.
08:35Mais il n'est pas parvenu à se blesser assez profondément ou peut-être a-t-il été pris de faiblesse trop vite.
08:41Quand le procès commence, le tribunal souhaite répondre à une seule question.
08:45On sait où, quand et comment le meurtre a été commis. On sait par qui et sur qui.
08:50Ce que l'on voudrait savoir, c'est pourquoi.
08:53La justice de notre pays ne se borne pas à sanctionner des faits.
08:58Elle cherche à comprendre les raisons de ces faits immobiles, de ceux qui en sont les auteurs.
09:03Avant d'appliquer une peine, elle veut s'assurer de l'étendue de la culpabilité de celui qu'elle doit châtier.
09:08Or, les motifs qui font agir un criminel sont parfois clairs, immédiats, évidents,
09:13mais ils sont parfois obscurs, profondément enfoncés dans les replis secrets de sa vie, de ses rêves, de ses désespoirs.
09:22L'homme qui se présente devant la cour d'assises de Paris le 29 mars 1903 manque d'attrait physique.
09:27C'est un jeune homme fallot, très épais, aux yeux égarés, à la parole vague et confuse.
09:32Aussi confuse sans doute que les idées qu'il s'efforce d'exprimer.
09:35Son premier soin, dès le début des interrogatoires, est de revenir sur ses précédentes déclarations.
09:41Il ne se rétracte pas complètement, en tout cas pas nettement,
09:44mais il propose, à tout le moins, une troisième version des faits.
09:48Une version un peu plus compliquée, puisqu'elle met en scène une troisième personne.
09:55« J'ai eu des relations pendant plusieurs semaines avec une personne, comme je l'ai dit, mais ce n'était pas le docteur.
10:01C'est quelqu'un dont je ne connaissais pas le nom.
10:04On s'est retrouvés à la gare Saint-Lazare, comme je l'ai dit, mais on n'est pas montés dans le même compartiment.
10:11Je n'ai pas frappé la personne que je croyais. »
10:14Bien entendu, cette déclaration déclenche une certaine stupéfaction.
10:18Une relation intime dont on ne connaît pas le nom.
10:21Un compagnon de voyage qui monte dans un autre compartiment.
10:24Un coup de couteau qui se trompe de victime.
10:27Tout ça n'a pas beaucoup de chance de convaincre un jury.
10:31Le président s'efforce tout de même de mettre un peu d'ordre dans ce discours filandreux.
10:36« Mais alors, le sourire du docteur, ses avances, ses gestes qui vous ont révoltés, ça n'existe pas.
10:44Je ne sais pas.
10:46J'ai dû mal interpréter ses gestes, j'ai pu exagérer.
10:49Mais enfin, vous avez bien vu qu'il ne s'agissait pas de l'autre homme, de votre ami.
10:54J'ai cru que c'était lui, je ne sais plus.
10:57Il devait se ressembler. »
11:00Là, c'est une chose que les jurés peuvent comprendre.
11:03Quand on voit les yeux du pauvre diable derrière des vers épais,
11:06on admet qu'il a pu confondre deux hommes qui se ressemblaient quelque peu.
11:09Et si le docteur lui a tenu lui aussi des propos qu'il exaspérait,
11:12il a pu réellement se tromper de victime.
11:15Et tout de même, l'existence de ce troisième personnage,
11:17de ce mystérieux inconnu, reste troublante.
11:19Le président essaie d'avancer dans cette obscurité.
11:23« Enfin, vous dites que vous ne connaissiez pas son nom.
11:26Cela me paraît bien extraordinaire, enfin soit.
11:29Ne pouvez-vous pas nous donner quelques détails sur lui
11:31qui nous permettraient de l'identifier, de le retrouver ?
11:34Vous comprenez bien, Berthelot, que si nous pouvions interroger cet homme,
11:38votre défense en serait sensiblement améliorée.
11:42Je ne sais rien de lui.
11:45Ah si, il était médecin lui aussi.
11:48Ça, je ne vous l'ai pas dit.
11:50C'est pour ça que je l'ai confondu avec le docteur Peretti.
11:53Non, non, non, ce n'est pas pour ça, bien sûr.
11:56À quel moment aurait-il appris que sa victime était médecin ?
12:00Dans le compartiment de chemin de fer ? Pendant leur conversation ?
12:03Alors c'est difficile à croire, car si cette conversation
12:05avait été suffisamment longue pour que le docteur Peretti se présente,
12:08elle aurait évidemment rendu impossible la confusion entre les deux médecins.
12:12Peretti est l'ami intime, car on ne parle pas avec un inconnu
12:15comme avec quelqu'un que l'on fréquente depuis de longues semaines.
12:19Non, l'ami inconnu de Pierre Berthelot, s'il existe,
12:23et peut-être médecin lui aussi, mais ce n'est pas pour cela
12:27que le jeune homme a pris l'un pour l'autre.
12:31Mais existe-t-il vraiment ?
12:33Et même allant plus loin, ou plutôt revenons au début,
12:36existe-t-il quelqu'un, l'inconnu ou le docteur Peretti lui-même,
12:40dans la vie de Berthelot ?
12:42Voyons, vous dites que vous ne connaissiez pas son nom,
12:46mais si vous avez eu des relations pendant plusieurs semaines,
12:49vous devez en avoir des traces, non ? Des lettres ? Des billets ?
12:53Je n'ai rien, non.
12:55Mais comment vous donnait-il rendez-vous ?
12:58Permettez-moi de vous préciser, chers amis, que la question du président
13:00est tout à fait pertinente.
13:02Aujourd'hui, à une telle question, vous répondriez, il me téléphonait.
13:05Mais en 1902, si le téléphone existait,
13:08il était loin d'être aussi répandu que de nos jours.
13:11Mais Berthelot répond, je ne sais plus.
13:15Je crois qu'il m'envoyait des cartes ou des pneumatiques,
13:17mais je n'ai rien gardé.
13:20Et voilà.
13:22Une fois de plus, la réalité s'échappe devant les jurés de la serre.
13:27Berthelot est un criminel insaisissable.
13:28On se prend à penser que, si Sénère ne l'avait pas trahi
13:32quelques secondes après son crime, on ne l'aurait jamais retrouvé.
13:36Rien ne le relie à sa victime.
13:39Et rien ne le relie non plus à ce prétendu inconnu
13:42qui ressemble à sa victime.
13:45On tente une dernière épreuve.
13:47On lui présente une photo.
13:48Une photo du docteur Peretti.
13:51Alors, vous le reconnaissez ?
13:53C'est lui, votre ami ?
13:55Vous ignorez son nom, mais vous vous souvenez peut-être de son visage.
14:00Oui, je me souviens de son visage.
14:02Non, ce n'est pas lui.
14:04Vous êtes bien sûr.
14:06Vous ne confondez pas.
14:08Mais je ne confonds pas, j'en suis sûr.
14:11Alors comment avez-vous pu les confondre dans le train ?
14:14Je ne sais pas.
14:16J'ai dû être victime d'une illusion.
14:19Enfin, pourtant, un homme en chair et en os, c'est plus net qu'une photographie.
14:23Et vous n'avez pas eu quelques secondes pour l'observer, mais dix minutes.
14:28Je ne sais pas.
14:29Je ne sais pas.
14:32Il ne sait pas, Pierre Bertheloui, il ne sait rien.
14:35Il ne se souvient pas, il mélange tout.
14:37C'est son système de défense, apparemment.
14:41Pourtant, une de ses déclarations, une de celles qui paraissaient les plus simples,
14:46bien qu'il les rétractait plus tard,
14:48reçoit une curieuse confirmation.
14:51Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast européen.
14:57À la fin de la première audience du procès Bertheloui, la situation n'est pas plus claire.
15:01D'une part, on possède des faits précis, inattaquables.
15:04Le 15 juillet 1902, dans un compartiment de première classe du train Paris-Versailles,
15:08Pierre Bertheloui a tué d'un coup de couteau le docteur Peretti.
15:12D'autre part, on ne parvient pas à comprendre qu'il n'y a pas eu de coup de couteau.
15:15L'attitude du meurtrier n'est évidemment pas étrangère à cette obscurité.
15:19Depuis le début de l'instruction, il a donné trois versions de son geste.
15:23Toutes les trois assez peu convaincantes et impossibles à soutenir sérieusement,
15:27faute d'éléments matériels ou de témoignages précis.
15:30Or, voici qu'une confirmation inattendue vient soutenir la deuxième de ces versions,
15:36la plus cohérente du reste.
15:38Je vous la rappelle rapidement.
15:40Selon cette version, le docteur Peretti entretenait avec Bertheloui depuis quelques semaines
15:45des relations d'une nature particulière.
15:48Le jeune homme voulait se libérer de ce lien qui lui pesait.
15:52Dans le compartiment où il se trouvait seul,
15:55le docteur a risqué des gestes qui ont révolté son ami.
15:58Celui-ci a sorti son couteau et il a frappé.
16:01Le docteur Peretti a fait un coup de couteau.
16:03Il a risqué des gestes qui ont révolté son ami.
16:05Celui-ci a sorti son couteau et il a frappé.
16:08Jusqu'ici, rien n'est venu appuyer cette thèse.
16:12On ne possède pas la moindre preuve de l'existence de relations entre les deux hommes.
16:17Or, voici qu'un témoin entre dans le prétoire.
16:20Il s'appelle Paramel.
16:22Il vend des billets de chemin de fer à la gare Saint-Lazare.
16:25Le 15 juillet, je m'en souviens très bien.
16:28C'était quelques minutes avant le départ du train.
16:31J'ai terminé un carnet de billets pour deux voyageurs qui étaient ensemble.
16:35Je m'en souviens très bien parce que je terminais mon service à 10 heures
16:39et je me suis dit que ce n'était certainement pas la peine d'entamer un nouveau carnet
16:42avant le départ du train de Versailles.
16:44Mais comment étaient ces deux voyageurs ?
16:48Ben, l'un d'eux était l'accusé.
16:52L'autre, c'était un monsieur d'une cinquantaine d'années bien vêtu.
16:56C'est lui qui a payé.
16:57Est-ce que vous vous souvenez des numéros de billets ?
17:01Naturellement.
17:03Vous pensez bien que dès le lendemain, j'ai mis la souche de côté.
17:07C'était le 27 168 et le 27 169.
17:15Ce témoignage est fondamental.
17:18Car on a retrouvé les billets portant ces deux numéros
17:22dans la poche du docteur Peretti après le meurtre.
17:25On montre sa photo à M. Paramel.
17:28Ah, c'est lui, oui, je le reconnais.
17:31J'en suis certain.
17:34La deuxième version de Pierre Berthelot serait donc la vraie version.
17:38Son crime serait donc un crime passionnel.
17:42Deux autres témoins pourraient encore le confirmer.
17:45Il s'agit des voisins de palier de l'accusé.
17:47Ils affirment que celui-ci recevait assez souvent la visite d'un homme
17:51dont le signalement correspond à celui de la victime.
17:54Et qu'un jour, où le visiteur frappait à la porte,
17:57Berthelot demanda qui est là avant d'ouvrir
18:00et qu'il lui fût répondu le docteur.
18:05Un crime passionnel, oui, cela devient de plus en plus vraisemblable.
18:09Mais cette idée révolte les amis du docteur Peretti.
18:13Il faut bien se rappeler, chers amis, que la liberté de nos mœurs,
18:17d'ailleurs d'autres relatives, est tout à fait récente.
18:19Au début du siècle, l'homosexualité était considérée comme profondément immorale
18:24et, comme la morale fait un tout, celui qui la violait sur un point
18:28était nécessairement supposé la violer sur les autres.
18:31Et l'inverse était vrai.
18:33Un homme intègre ne pouvait pas être homosexuel.
18:36Se fondant sur cette charmante position de principe,
18:41plusieurs amis du docteur Peretti, des gens naturellement tout à fait honorables,
18:45dont deux membres de l'Institut,
18:46vinrent déclarer à la barre qu'ils ne supporteraient pas
18:50que l'on salisse la mémoire de la victime,
18:52que les déclarations du meurtrier étaient hautement calomnieuses
18:56et qu'il ne pouvait s'agir que d'un assassinat crapuleux.
18:59Mais enfin, que faites-vous du témoignage de M. Paramel
19:02qui a vendu deux billets et des voisins de Berthelot ?
19:05Ils ont confondu deux hommes qui se ressemblaient.
19:08Peut-être.
19:10Mais dans ce cas, comment explique-t-on que les deux billets vendus par M. Paramel
19:13aient été retrouvés dans la poche de la victime ?
19:17On ne l'explique pas.
19:19On écarte ce détail agaçant.
19:22On refuse d'en tenir compte.
19:24On s'est fait du docteur Peretti une idée précise, satisfaisante
19:28et que l'on veut définitive.
19:30Aucun de ces hommes intelligents ne se dit que, dans une telle époque,
19:33dans un tel milieu, un médecin homosexuel
19:35devait garder sur ses goûts amoureux le secret le plus absolu,
19:38qu'il n'en aurait parlé ni à sa mère ni à son frère.
19:40Alors vous imaginez à des membres de l'Institut.
19:43Non, non, ces hommes ne tiennent pas à mettre en doute
19:46le petit univers chaleureux dans lequel ils ont trouvé une place.
19:50Tout de même, leur indignation n'a pas tout à fait convaincu
19:53les jurés de la cour d'assises.
19:55Et, en un temps où l'on guillotinait beaucoup,
19:58Pierre Berthelot a sauvé sa tête.
20:01Il devait terminer sa vie au bagne.
20:04Il y a emporté la clé de son énigme,
20:07puisque personne n'a jamais su, au bout du compte,
20:08quels étaient les véritables rapports
20:11qui unissaient le docteur Peretti et son meurtrier.
20:14Dans les bagnes comme dans les tombeaux,
20:17on enferme pas seulement des hommes,
20:20on enferme aussi leurs secrets.
20:39Vous venez d'écouter
20:42Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
20:45Un podcast issu des archives d'Europe 1
20:48et produit par Europe 1 Studio.
20:51Réalisation et composition musicale,
20:53Julien Tharaud.
20:55Production, Raphaël Mariat.
20:57Patrimoine sonore,
20:59Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
21:02Remerciements à Roselyne Bellemare.
21:05Les récits extraordinaires sont disponibles
21:08sur le site et l'appli Europe 1.
21:11Écoutez aussi le prochain épisode
21:14en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.

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