La vengeance de John Bellingham

  • il y a 3 heures
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.


Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Assis sur l'une des banquettes qui bordent le couloir de la chambre des communes, l'homme
00:16attend. Immobile, il guette, il observe. Il dévisage les députés qui passent et repassent
00:26devant lui sans se préoccuper de sa présence. Soudain, l'homme tressaille, se contracte
00:35légèrement. Il vient d'apercevoir le très honorable Spencer Perceval, premier ministre
00:43de sa gracieuse majesté. Par cette douce après-midi du 11 mai 1828 à Londres, M. Perceval
00:52se rend à la commission des finances où il a un exposé à faire en tant que grand argentier.
00:57Fils cadet du comte d'Egmont, 50 ans à peine, haute et souple silhouette vêtue de noir mais dont
01:05l'austérité n'exclut pas l'élégance, le premier ministre possède un charme étrange. Sous l'énergie
01:10du regard bleu, Perce une bonté foncière. Ses amis disent de lui « un personnage dont les
01:18intentions étaient pures et qui dans la vie publique comme dans la vie privée, il était père
01:24de douze enfants, possédait toutes les qualités propres à commander le respect et mieux encore
01:28à gagner l'affection de tous ». Bref, irréprochable, inattaquable. Tassé sur sa banquette, l'inconnu ne
01:38quitte pas des yeux le premier ministre. Spencer Perceval sourit à la ronde, sert quelques mains
01:47avec affabilité, échange quelques paroles aimables avec l'un, avec l'autre. Sur son passage, un
01:52climat de sympathie, d'estime réelle qu'il a su gagner par sa probité et son talent. Il fait
02:00encore quelques pas et s'arrête. L'inconnu s'est levé. Brusquement, il barre le passage au premier
02:07ministre et sans un mot, sort un pistolet de sa poche et fait feu à bout portant. M. Spencer
02:16Perceval, touché au cœur, s'écroule mort. Au lieu de fuir, le meurtrier se laisse désarmer et
02:22appréhender sans opposer la moindre résistance. Attirés par le coup de feu, les députés accourent.
02:29Le premier d'entre eux, le général Isaac Gascogne de Liverpool, contemple la scène et s'écrit
02:37bouleversé en fixant l'assassin. « Comment ? Mais... mais c'est vous ? Vous, John Bellingham ? Un meurtrier, est-ce
02:46possible ? » John Bellingham se contente de répondre. « Je suis un malheureux. » Puis, il ajoute doucement à
02:57l'attention d'un autre député qui le traite de bandit et lui demande comment il a pu tuer
03:02Spencer Perceval, un si brave homme, père de douze enfants. « J'en suis bien fâché, votre honneur. »
03:08John Bellingham, étrange assassin en vérité, assassin et victime.
03:33John Bellingham a une quarantaine d'années. Un visage au très régulier et l'air absolument
03:46inoffensif. Pour l'instant, ébêté par le crime qu'il vient de commettre, il est blême. Ses
03:53lèvres tremblent. De grosses gouttes de sueur perlent sur son front, des spasmes contractent
04:00sa gorge à chaque respiration, comme si quelque chose l'étouffait. Il presse son cœur de ses
04:05mains pour en comprimer les battements sans pouvoir y parvenir. Les huissiers reconnaissent en lui un
04:11habitué des séances de printemps. Ils l'ont souvent remarqué, jumelle en main, semblant étudier de
04:17sa place et avec un intérêt tout particulier le noble visage du très honorable Spencer Perceval.
04:23D'autres députés se souviennent de ce personnage. « Il m'a abordé à la chambre,
04:29un exalté, dit l'un. Je l'ai reçu à mon domicile, dit l'autre. Il a tenté de m'exposer le détail de
04:35sa situation personnelle, confuse, rocambolesque, en tout cas peu digne d'intérêt. » Le général
04:44Isaac Gascogne intervient. « Je connais bien John Bellingham. Laissez-moi vous expliquer. Il est
04:52interrompu par Bellingham lui-même qui sort de sa torpeur et déclare avec un calme parfait « Moi
04:58seul peux tout expliquer. » Je n'avais aucun motif de haine personnelle envers M. Spencer Perceval.
05:07Si je l'avais tué par méchanceté, je serais vraiment méprisable. Mais c'est le ministre que
05:14je visais, pas l'homme. Et si j'avais eu un million de vies à perdre, j'aurais agi de la même façon. »
05:22Interloqués, les députés attendent la suite. Ils veulent connaître la raison exacte de ce crime,
05:29le mobile. Le mobile. John Bellingham le leur donne, d'une voix monocorde,
05:37l'as, parsemé d'accents parfois plus passionnels, il parle. « Je suis le fils d'une honorable famille.
05:45Dans ma jeunesse, je me suis rendu en Russie, à Arkhangelsk, où je me suis lancé dans les
05:53affaires. Mais là-bas, j'ai été accusé d'indélicatesse. Injustement, je peux le prouver. J'ai
06:01toujours pu le prouver. Enfin, j'ai essayé. Mais on ne m'a pas écouté. On m'a jeté en prison, et j'y
06:11suis resté pendant de longs mois. J'ai subi des humiliations, des sévices, à la limite de ce
06:16qu'un homme peut endurer. Quand on m'a libéré, j'ai été à Saint-Pétersbourg pour expliquer mon
06:22cas à l'ambassadeur de Grande-Bretagne, Lord Grenville Levinson-Gowan. Je pensais qu'il
06:28obtiendrait des excuses, des dommages et intérêts. Je pensais à tort. L'ambassadeur s'est montré
06:37absolument indifférent. Ma démarche l'a ennuyé, et il n'est jamais intervenu. » John Bellingham
06:47interrompt son récit. Une larme roule sur sa joue. D'un doigt, il l'efface et poursuit. « Je suis
06:54rentré en Angleterre. Aussitôt, j'ai écrit au prince-régent. Il m'a répondu. Oh oui, il m'a
07:02répondu que personnellement, il ne pouvait rien faire. Il est vrai qu'à l'époque, il était
07:07davantage préoccupé par le blocus que Napoléon Ier organisait autour des îles britanniques. Les
07:12affaires internationales ont toujours la priorité. Surtout sur les affaires purement humaines.
07:18Habitué, le général Gascogne demande à John Bellingham. « Mais enfin, John, votre requête
07:25était pleinement justifiée. Pourquoi n'avez-vous pas fait… » Bellingham s'écrit. « J'ai tout fait,
07:31monsieur. Tout. J'ai adressé pétition sur pétition au lord du conseil. Tous m'ont fait
07:39connaître courtoisement leur regret de ne pouvoir intervenir. Toutes aussi correctes
07:47mais décevantes ont été les réponses du premier ministre, monsieur Spencer Percival. Des députés,
07:52des hauts fonctionnaires, des membres du gouvernement. Je suis marié, messieurs. J'ai
08:00plusieurs enfants. J'ai tout quitté pour m'installer à Londres et j'ai laissé ma famille à Liverpool.
08:09Voyez-vous l'aboutissement de mes réclamations, la reconnaissance officielle de mon honnêteté ?
08:16Est-ce devenu mon idée fixe, mon seul but dans la vie ? » Mais les ressources financières de John
08:26Bellingham s'amenuisent. Alors il parle de ses malheurs passés avec la voix, avec les yeux d'un
08:32fou. Au début de mai 1812, il adresse au chef de la police de Bow Street une lettre dans laquelle
08:40il précise « Si on tarde trop longtemps à donner suite à mes réclamations, je me ferai justice
08:45moi-même ». Malheureusement la menace est considérée comme sans importance et la lettre jetée au fond
08:51d'une corbeille. La première enquête rapidement menée sur place, le meurtrier est envoyé à la
08:59prison de Newgate sous l'escorte d'un régiment de cavalerie. Le jour suivant de sa cellule,
09:05il écrit à sa propriétaire la curieuse lettre suivante « Cher madame, hier à minuit j'ai été
09:12amené en ce séjour par une noble troupe de chevaux légers et confié au bon soin du directeur à
09:17titre de prisonnier d'état de première classe. Voilà huit ans que je ne me suis senti l'esprit
09:23aussi tranquille. Cette catastrophe que j'ai déclenchée est navrante mais elle était nécessaire.
09:28Je vais enfin pouvoir exposer régulièrement tous les détails de mon affaire devant la cour
09:34criminelle de justice et le jury de mon pays aura à fixer les responsabilités et à désigner les
09:42coupables. » John Bellingham prie sa logeuse de lui faire parvenir quelques vêtements, quelques
09:48objets de toilette, etc. son livre de prière. Oui, curieuse lettre. Et curieuse figure que
09:55celle de cet assassin a soiffé de vérité, de sa vérité, et révolté par le dédain auquel il
10:01s'est heurté. Mais en vengeant sur un personnage public une offense privée, en abattant un innocent
10:08de réputation immaculée, John Bellingham a fait un mauvais calcul et la mort du premier ministre,
10:14de sa très gracieuse majesté, est considérée comme un désastre national. Cependant John atteint son
10:21jugement en toute confiance. Il déclare à son avocat « Mon procès réglera la question de
10:26savoir jusqu'à quel point un ministre a le droit de refuser son appui à un homme lésé. » L'avocat,
10:31qui sait les distances qui existent entre la politique et la charité, demande à John « Mais
10:36enfin qu'espérez-vous ? Ce que j'espère ? Mais, mais ma justification triomphante, ma prochaine
10:43libération, mon retour auprès de ma femme et de mes enfants, les poches pleines de banque-notes qu'on
10:48ne peut me refuser à titre d'indemnité. » John Bellingham est-il fou, chers amis ? Non. Non,
10:57il veut mettre l'accent sur les injustices qui règnent partout, qui à câble détruisent des
11:02hommes, des femmes chaque jour, chaque minute de chaque jour. À peine une semaine après son crime,
11:08il est devant le jury, la salle est comble. La foule londonienne, encore sous le coup de
11:13l'émotion, ne veut pas rater ce spectacle. Et tous les gens de qualité sont présents. Les
11:18assistants doivent s'accorder pour dire que de tous, le plus calme, le plus digne et sans
11:24contredit, l'homme debout au banc des accusés en manteau brun, culotte noire et veston rayé.
11:29Le procès présente surtout ceci de remarquable et démouvant. Dès l'ouverture des débats,
11:35la conclusion ne fait aucun doute pour personne, sauf pour John Bellingham, dont la confiance se
11:42confirme entière jusqu'à l'ultime seconde. Son avocat essaie de demander une remise pour
11:47permettre d'entendre plusieurs personnes qui connaissent intimement l'accusé et qui seraient
11:51susceptibles d'apporter un témoignage à décharge concernant son état mental. La requête est
11:57repoussée. Mais c'est à la grande satisfaction d'un John Bellingham qui déclare « Je suis un
12:03homme sain d'esprit et je tiens à revendiquer l'entière responsabilité de mon action qui est
12:08juste, noble et non criminel. » Et il plaide lui-même sa cause. En premier lieu, il fait
12:14l'éloge de l'homme qui l'a assassiné. « Quand je considère le caractère charmant et les
12:19qualités unanimement reconnues de M. Perceval, j'admets parfaitement que si je l'avais tué d'une
12:25manière injustifiable, je ne mériterais pas de vivre un instant de plus. Mais je suis conscient
12:31de pouvoir me justifier et je me sens rassuré en faisant face à l'orage qui gronde contre moi. »
12:37Remous dans l'assistance. John attend que le silence soit rétabli. Puis d'une voix claire,
12:45ferme et sans violence, il décrit l'erreur judiciaire monstrueuse dont il a été victime
12:50en Russie. Il décrit ses années de honte, de souffrance, le peu de soucis que l'ambassadeur
12:55de son pays a eu à lui obtenir réparation. Il décrit son retour en Angleterre, sa santé
12:59détruite, sa réputation perdue, ses biens disparus. Il insiste encore. « Mes appels au
13:05prince-régent, au lord du trésor, à la chambre des communes, au premier ministre,
13:08vingt, tous, rien, aucune réponse, nulle part, de qui que ce soit. » Il reprend à l'âne, continue.
13:16« Bafoué, réduit au dernier degré de la misère, que vouliez-vous que je fasse ? Ma femme et mes
13:23enfants criaient la fin, les ministres de sa majesté jouant avec moi comme avec une balle
13:27sans montrer le moindre intérêt pour les malheurs qui m'avaient accablé. J'étais forcé de me rendre
13:31justice moi-même, de me venger pour obtenir ma réhabilitation. » Il éponge son front,
13:39respire à petits coups secs et dit encore. « Maintenant, ma vie est en jeu parce que j'ai
13:46pris le seul moyen d'exposer mon cas au grand jour afin que tout le monde sache. »
13:50« Afin de pouvoir revenir au sein de ma famille réconfortée, honorée. Tous ceux qui m'entendent
14:01ici doivent me comprendre. » Il se tourne vers les membres du jury. « Vous, messieurs,
14:09vous êtes des maris, des pères, qu'auriez-vous fait à ma place ? » « J'ai confiance. » « J'ai
14:21confiance, je crois que la leçon servira d'avertissement aux futurs ministres et les
14:26incitera à l'avenir, à ouvrir leur cœur à plus de justice et d'humanité. » John Bellingham a-t-il
14:33raison d'avoir confiance ? Les récits extraordinaires de Pierre Delmar, un podcast européen. « Les débats
14:47comme l'enquête préliminaire se déroulent avec une précipitation qualifiée d'un peu indécente
14:52par tous les historiens. Le juge les mène brièvement et dans chacun de ces considérants
14:59semble se préciser l'arrêt de mort. Tout le monde le sent. Tout le monde, sauf John Bellingham,
15:07qui se penche sur son avocat et lui murmure « Dès que mon acquittement sera prononcé,
15:12envoyez sur le champ la nouvelle à ma femme et à mes enfants à Liverpool. » Le jury ne délibère
15:19que pendant un très court moment. À la lecture du verdict, pendant quelques instants, John promène
15:26ses regards autour de lui. Il ne semble pas comprendre. Puis, immobile, il écoute le greffier
15:34prononcer la sentence. « La mort ! » Lorsque les paroles fatales tombent, paroles que tout le monde
15:48avant le procès avait souhaitées, beaucoup dans la salle, paraît-il, ont les larmes aux yeux. Seul,
15:57Bellingham conserve tout son calme. À son avocat qui lui étreint le bras, il dit « Après tant
16:07d'années de persécution, l'annonce du sacrifice suprême ne m'épouvante pas. Elle me soulage
16:16plutôt. » John Bellingham salue la salle, les juges. Chancel, pendant une seconde, reprend son
16:26empire sur lui-même et d'un pas, ferme, sort du tribunal. Il lui reste deux jours à vivre. Deux
16:36jours qu'il passe dans les fers, au régime du pain et de l'eau, réconforté cependant par
16:41quelques visites de sympathie un peu tardives. Il reste digne, indifférent, déjà hors de ce
16:49monde. La dernière nuit, il écrit à sa femme ses lignes bouleversantes. « Ma Marie chérie, j'ai
16:59éprouvé une joie profonde d'apprendre que tu ne manques de rien. J'espère que tout le monde
17:04s'emploiera à adoucir tes chagrins. Je te le répète, mon amour, je n'ai jamais eu en vue que
17:10ton bien-être. Nous ne nous verrons plus désormais du moins en ce monde, mais je compte bien que nous
17:18nous retrouverons dans l'autre, au milieu de nos enfants que je chéris et que je bénis. Avec les
17:24intentions les plus pures, mon malheur a été d'être contrecarré, en tout, jusqu'au bout. J'ai été
17:32incompris et maltraité par la vie, mais l'espoir d'un rapide passage à l'éternité me soutient et
17:38me console. Il m'est impossible de me sentir plus tranquille et plus calme que je ne le suis en ce
17:44moment. Dans neuf heures, oui, neuf heures maintenant, j'irai vers des rivages heureux où la joie, le
17:53bonheur et surtout la justice ne connaissent pas d'ombre. À toi de tout mon cœur. Je ressens
18:02vivement la sympathie publique, mais mon lot a été de jouer une carte douloureuse dans le jeu de la
18:07vie. Encore une fois que Dieu soit avec toi, ma douce Marie. Et oui, chers amis, le lot de John
18:18Bellingham a été de jouer une carte douloureuse dans le jeu de la vie. Oh, nous ne voulons pas
18:24prendre la défense d'un criminel, non? Mais tout de même, n'est-ce pas pour un homme incomble,
18:31extraordinaire, que d'être obligé de se transformer en coupable pour prouver son innocence?
18:39Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives
19:04d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale, Julien
19:10Tarot. Production, Raphaël Mariat. Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova,
19:18Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar. Les récits extraordinaires sont disponibles sur
19:24le site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement
19:30sur votre plateforme d'écoute préférée.

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