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Avec David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire Afrique du Nord-Moyen Orient de la Fondation Jean Jaurès et auteur de « Israël-Palestine, année zéro » (Le Bord de l’eau, à paraître le 18 octobre 2024) Christine Ockrent, journaliste et essayiste, Héloïse Fayet, Chercheuse au Centre des études de sécurité IFRI

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00Et tout de suite, le débat du 7-10.
00:07Débat ce matin sur l'escalade au Proche-Orient, dernier épisode en date, la pluie de près
00:12de 200 missiles iraniens qui s'est abattue avant-hier soir sur Israël.
00:17C'était la réponse notamment à l'assassinat d'Assad Nasrallah, le leader du Hezbollah,
00:22dans un bombardement israélien à Beyrouth le week-end dernier.
00:27Israël a d'ores et déjà promis de répliquer contre l'Iran, alors à quoi faut-il s'attendre ?
00:32L'escalade jusque-là maîtrisée est-elle en train de s'emballer ?
00:37On pose la question à Christine Ockrent, bonjour, journaliste et séiste,
00:42Héloïse Fayet, bonjour, chercheuse au Centre des études de sécurité à l'Ifri et à David Kalfa, bonjour.
00:51Co-directeur de l'Observatoire Afrique du Nord-Moyen-Orient de la Fondation Jean Jaurès
00:56et auteur de « Israël-Palestine année 0 » aux éditions Le Bord de l'Eau qui sera disponible le 18 octobre prochain.
01:06Merci d'être au micro d'Inter.
01:09L'attaque dont Israël a été la cible de la part de l'Iran a été beaucoup plus massive que celle du mois d'avril
01:15à laquelle l'État hébreu avait pu se préparer.
01:19Ce qui s'est passé avant-hier, Christine Ockrent, cette attaque massive de la part de l'Iran change radicalement la donne ?
01:28Elle change en tout cas l'échelle des échanges que l'on croyait relativement, relativement contrôlés entre Israël et l'Iran
01:41qui sont évidemment les ennemis régionaux les plus déterminés de part et d'autre.
01:48Mais ce qui me frappe, c'est qu'il y a eu évidemment, encore une fois, cet immense soulagement
01:54à voir l'efficacité des différents niveaux de la défense antimissile israélienne.
02:02Mais Israël fait la guerre sur trois fronts.
02:06Donc la guerre continue à Gaza, quoi que l'on pense des chiffres du côté du Hamas, il y a au moins 40 000 morts
02:15et toujours une cinquantaine d'otages que l'on espère encore vivants, mais en fait on n'en sait rien.
02:22Il y a le front syrien, il y a eu une frappe à Damas qui a éliminé un gendre de Nasrallah et deux autres personnes.
02:32La Syrie qui a été tenue à bout de bras par le Hezbollah, donc c'était la tâche première.
02:36Le Hezbollah ne s'est jamais préoccupé des Palestiniens, il faut quand même le souligner à chaque fois.
02:42Et évidemment, le Liban, et ce n'est pas une promenade de santé le Liban.
02:46Sept soldats israéliens ont été tués ces dernières heures.
02:53Donc vous nous dites que la guerre s'est déjà régionalisée ?
02:55Elle est déjà régionale.
02:57Et ce qui moi me frappe, c'est qu'on passe quand même sous silence au moins un millier de morts civiles au Liban.
03:05Le Liban encore une fois déchiqueté, le Liban dont plus personne véritablement ne se préoccupe.
03:13Et il est intéressant de voir que le ministre saoudien des affaires étrangères,
03:17et Dieu sait si l'Arabie saoudite est restée silencieuse tout en ménageant en fait en coulisses ses relations avec Israël.
03:25Et là, le Saoudien sort de son silence dans le Financial Times de ce matin en ressuscitant la priorité d'un État palestinien.
03:35Mais on voit bien que l'ampleur régionale, elle existe déjà.
03:40Héloïse Fayet, c'est la guerre et c'est la guerre régionale.
03:43Oui, mais de toute façon, les affrontements indirects entre Israël et l'Iran datent en fait de 1979 et de la création de la République islamique,
03:52qui dans son ADN peut tondir à quand même l'idée de la destruction d'Israël.
03:56Il faut le rappeler que le Hezbollah a été créé en 1982 pour cet objectif là, donc créé par l'Iran.
04:02Mais effectivement, comme dit Christine Okren, on s'habitue en fait depuis un an à des changements d'échelle.
04:07On n'aurait pas pu imaginer une attaque comme celle du 7 octobre menée par le Hamas et d'autres groupes palestiniens.
04:14Ensuite, l'attaque du 13 avril iranienne contre Israël était également inédite dans son ampleur.
04:20Donc voilà, petit à petit, on s'habitue en fait très rapidement, je trouve, à franchir des nouveaux barreaux en se disant tout se passe bien.
04:28Finalement, tous les missiles ont été interceptés ou n'ont pas fait de dégâts.
04:32Il faut encore attendre en réalité l'évaluation des dégâts grâce aux images satellitaires.
04:36Mais en réalité, c'est quelque chose de très inquiétant parce que qu'est-ce qui nous fera vraiment comprendre que là, on est dans quelque chose qui est peut-être inarrêtable ?
04:44David Kalfa, vous dites que le tabou est tombé, que ce n'est plus une guerre par procuration entre Israël et l'Iran, mais que c'est désormais une guerre ouverte, une guerre directe.
04:53Il faut employer ces mots et regarder les choses en face.
04:57C'est un affrontement direct, c'est-à-dire que la guerre entre l'Iran et Israël, c'est une guerre qui a au moins trois décennies, ça vient d'être rappelé.
05:04Et en effet, c'était jusqu'à présent, en tout cas jusqu'à il y a six mois, c'est-à-dire la date de la première attaque aéro-balistique de l'Iran dans la nuit du 13 au 14 avril dernier.
05:12C'était une guerre de l'ombre avec des assassinats de scientifiques responsables du programme nucléaire iranien sur le sol iranien, avec l'assassinat de gardiens d'involution, notamment la vue à Damas en Syrie.
05:24Mais désormais, c'est en effet un affrontement direct, donc évidemment, il y a deux jours, sur le territoire israélien, c'est la deuxième attaque, on vient de le dire, je crois qu'on n'est plus dans une escalade, on est dans un engrenage.
05:36C'est sûr pour vous ?
05:38Oui, on est dans un engrenage, parce que ça fait des mois et des mois qu'on parle d'escalade, pardon de rappeler, il me semble que c'est une espèce de rhétorique un peu usée, on n'est plus dans une escalade, on est dans un engrenage.
05:49Vers quoi alors ? Vers où ?
05:51On est dans une dynamique guerrière, et on sait toujours comment on rentre dans la guerre, on ne sait jamais comment on en sort.
05:56Et c'est bien ça le problème, c'est que la dissuasion, elle repose sur un aspect psychologique, on ne sait pas exactement ce qui se passe dans la tête de l'adversaire.
06:03Là, ce qu'on sait pertinemment, c'est que les Israéliens vont frapper, et probablement de manière assez massive.
06:08Personnellement, je ne crois pas qu'ils iront jusqu'à frapper les sites nucléaires.
06:12Les Etats-Unis ne veulent pas ?
06:14Non, les Etats-Unis ne veulent pas en entendre parler, parce que tout simplement, ça aboutirait pour le coup à une guerre totale.
06:19Ce qu'il faut comprendre, c'est la gradation, c'est-à-dire qu'on est dans une guerre régionale, au moins depuis 8 octobre, date de l'entrée en guerre du Hezbollah.
06:25Mais c'était une guerre régionale, disons, de moyenne intensité.
06:28Là, l'intensité va croissant.
06:30Et donc, les scénarii, si vous voulez, les plus probables, ce sont des frappes sur des sites stratégiques, peut-être pétroliers, peut-être gaziers,
06:39probablement en tout cas des centres de commandement des Gardiens de la Révolution, notamment de la force aérospatiale,
06:43parce que c'est elle qui est responsable des tirs balistiques vers Israël.
06:46Bon, et la question du balistique, l'Iran, c'est l'État le plus proliférant au monde sur le plan de la menace balistique.
06:52On l'a bien vu avec les Russes, qu'ils ont fourni près de 200 missiles balistiques aux Russes, qui frappent notamment le territoire ukrainien dans le Donbass.
07:00Donc, c'est une menace qui n'est pas circonscrite, si vous voulez, au Moyen-Orient.
07:05L'engrenage, Christine Ockrent ?
07:07Oui, c'est le terme, évidemment.
07:10On voit bien qu'Israël ne va pas rester passif.
07:15Ils ont reçu 200 missiles balistiques, dont deux ou trois ont touché le sol, semble-t-il, et l'un plus près.
07:25Et l'ironie atroce, un seul mort, un Palestinien.
07:30Néanmoins, cet engrenage est réel, et il faut bien voir, mais là je parle sous le contrôle d'Héloïse Fayet,
07:39qu'au sein du régime athérens, on sait que le guide suprême est maintenant dans un bunker.
07:45Je crois que demain, il va néanmoins célébrer le rituel.
07:50Ce qu'il ne fait que lors de circonstances gravissimes, et évidemment en Israël aussi.
07:57Hélas, Netanyahou a tout intérêt à continuer la guerre, sans arrêt, et tout le temps.
08:03Mais Biden, lui, a un enjeu politique majeur, qui consiste à prouver, de façon quasi désespérée,
08:13qu'il exerce quand même un minimum de contrôle sur Netanyahou.
08:18Jusqu'à présent, honnêtement, ça n'a pas vraiment fonctionné.
08:21Mais Israël a besoin des États-Unis dans le cadre d'une réplique contre l'Iran.
08:28Et d'ailleurs, les États-Unis sont intervenus, la France aussi et la Jordanie aussi.
08:33Est-ce que l'Iran se devait, Héloïse Fayet, de restaurer son image, sa puissance,
08:41alors que son allié du Hezbollah était si durement frappé au Liban ?
08:46On peut dire qu'un État ne se doit jamais de faire quelque chose.
08:49Mais en tout cas, la dissuasion conventionnelle iranienne repose sur deux piliers.
08:53L'arsenal de missiles balistiques, de drones et de missiles de croisière qui a été employé,
08:58qui est également employé en Ukraine, comme ça a été rappelé.
09:01Et puis, justement, ce réseau de milices chiites ou sunnites.
09:05Il faut rappeler que le Hamas n'est pas un groupe chiite, qui est plus ou moins proche de l'Iran.
09:10Effectivement, pour restaurer sa crédibilité auprès de ses alliés régionaux,
09:14l'Iran pouvait difficilement rester sans rien faire.
09:17Après, c'était quand même un calcul extrêmement dangereux de leur part que de mener cette attaque.
09:22Parce qu'en fait, ils savaient très probablement que la plupart des missiles allaient être interceptés.
09:28Mais il y avait toujours le risque que les systèmes, notamment le système Arrow, ne fonctionnent pas.
09:33Et donc, il y ait beaucoup plus de dégâts et plus de morts que ce qui n'y a eu lieu.
09:37Et là, ça aurait été vraiment un coup d'accélérateur dans l'engrenage.
09:40Donc, c'était quand même un pari très risqué de la part du régime iranien.
09:44Et moi, c'est un peu ça qui m'inquiète dans la région actuellement.
09:47C'est que du côté israélien ou du côté iranien, on voit que les acteurs,
09:51les gouvernements s'habituent à des actions de plus en plus risquées,
09:56à des calculs où le coût de l'attaque peut être parfois supérieur aux bénéfices,
10:02mais qu'ils y vont quand même pour des histoires de fierté, d'honneur, de vengeance,
10:07de préservation de leur image.
10:09Et ça, quand vous avez deux acteurs qui ne se parlent pas,
10:11qui ne se parlent plus depuis des dizaines d'années et qui nourrissent autant de griefs,
10:16c'est quelque chose de dangereux pour la région.
10:19Excusez-moi de poser la question naïve de la diplomatie.
10:22Elle n'a aucune place aujourd'hui, ces jours-ci, ces heures-ci,
10:28que ce soit la diplomatie américaine, la diplomatie européenne, la diplomatie française.
10:33Je vous pose la question, David Kalfar.
10:35Les Européens sont divisés.
10:37Les Américains ont une influence, certes, limitée sur les belligérants,
10:43puisqu'avec les Iraniens, ils communiquent de manière indirecte via Oman.
10:48Vis-à-vis des Israéliens, ils sont en pleine campagne électorale,
10:51à moins d'un mois des élections présidentielles américaines.
10:54Les leviers sont beaucoup moins importants pour l'administration Biden,
10:59qui est vraiment sur la fin.
11:01Maintenant, il y a quand même des leviers.
11:04Les Israéliens ont besoin, pour mener des frappes efficaces sur le territoire iranien,
11:09au moins d'un appui technique américain, notamment en termes de renseignements,
11:13un appui aussi logistique.
11:14Ne parlons pas de frappes sur le site nucléaire,
11:16même si, encore une fois, à ce stade, j'exclus ce scénario.
11:20Je pense au contraire que les Israéliens auraient plutôt intérêt, par exemple,
11:23à frapper les batteries de défense antimissiles de fabrication russes, les S-300.
11:26Ils en avaient fait la démonstration le 13 avril dernier,
11:30en détruisant à Ispahan un radar d'une batterie antimissile russe.
11:36Mais donc, si vous voulez, la capacité de la « communauté internationale »
11:43à essayer de convaincre les deux belligérants,
11:49d'essayer de faire baisser un petit peu la tension,
11:52c'est quand même très limité.
11:54Parce qu'encore une fois, on est déjà dans un engrenage,
11:56parce qu'il est question, en effet, et Loïs vient de le dire aussi,
11:59pour le régime iranien, qui a subi des coups très durs,
12:02notamment vis-à-vis de son réseau Proxy,
12:04qui fait partie de ces deux piliers de sa dissuasion conventionnelle.
12:10Il a subi des coups très durs,
12:13notamment le joueur de la couronne qui est le Hezbollah,
12:15qui est très affaibli militairement,
12:17et qui, quelque part, constituait la capacité de seconde frappe du régime iranien
12:21en cas d'attaque israélienne contre les sites nucléaires.
12:24Là, il perd cet atout stratégique dans son jeu.
12:27Qu'est-ce qui lui reste ?
12:28Il lui reste la fuite en avant vers le nucléaire,
12:30ce qu'on appelle le « breakout »,
12:32et il lui reste le balistique.
12:35Il en a fait usage avant-hier soir.
12:38Il y a un pays qu'on n'a pas encore mentionné, qui est la Chine.
12:42La Chine a certainement un rôle qui consiste à tempérer
12:48les ardeurs des gardiens de la révolution à Teheran,
12:51ne serait-ce que par ses besoins éperdus de pétrole.
12:57La Chine et l'Iran ont signé un contrat d'amitié indéfini,
13:03selon le vocabulaire habituel maintenant.
13:08Mais on peut penser que Pékin, qui déteste les turbulences géopolitiques
13:15et qui pense d'abord à ses intérêts économiques,
13:18essaie de tempérer Teheran.
13:21On peut craindre que Moscou n'ait pas tout à fait les mêmes priorités,
13:25mais ils n'ont pas non plus intérêt.
13:27Ils espéraient beaucoup que les Européens et les Américains
13:31se désintéressent jusqu'à un certain point du Moyen-Orient à cause de l'Ukraine.
13:36Eloïse Fayez, d'un mot ?
13:38Sur le désintérêt américain, il s'est concrétisé le vendredi dernier,
13:44le soir même de la mort de Hassan Nasrallah,
13:46a été annoncé qu'un accord avait été trouvé entre l'Irak et les Etats-Unis
13:50pour amener à un retrait des forces américaines en 2025.
13:54Là aussi, on voit un désintérêt et une volonté des Américains
13:57de partir de la région, justement pour pouvoir affronter la Chine.
14:00Et effectivement, la Russie, qui avait des accords tacites avec Israël
14:05pour permettre à Israël de frapper les sites iraniens et les intérêts iraniens en Syrie,
14:10cette relation va probablement se dégrader,
14:13étant donné que cette nuit, ce n'est pas encore confirmé,
14:15mais il y aurait eu une frappe israélienne sur la base russe de Haminem en Syrie.
14:20Et donc là aussi, c'est quelque chose qui est de nature
14:22à rebattre les cartes des alliances au Moyen-Orient.
14:24Un mot de conclusion, David Kalfa ?
14:27Moi, je crois qu'il faut arriver à comprendre une chose,
14:29c'est que c'est toute l'équation stratégique qui a été bouleversée
14:32depuis l'attaque du 7 octobre.
14:34C'est-à-dire qu'Israël n'est plus dans une stratégie de dissuasion classique.
14:37Il y a une volonté israélienne, très clairement, de renverser la table
14:39et surtout de sortir de l'équilibre de la terreur
14:42que le régime iranien lui imposait via ses proxys au Moyen-Orient.
14:46Et c'est ça qui précisément, justement, rend la situation très difficile à lire
14:51et surtout la rend particulièrement dangereuse
14:54parce que les belligérants sont dans une vraie volonté désormais
14:57non seulement de gagner la bataille des images
15:00mais aussi de détruire l'adversaire.
15:02Merci à tous les trois, David Kalfa, Héloïse Fayet, Christine Ockrent.
15:06Merci d'avoir participé à ce débat du 7-10.

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