• l’année dernière
Eléonore Weil, journaliste franco-israélienne indépendante, ex-journaliste au quotidien Haaretz et Benjamin Barthe, chef adjoint du service international du "Monde" et ancien correspondant au Moyen-Orient sont les invités du débat de ce mardi 28 novembre sur la situation au Proche-Orient. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mardi-28-novembre-2023-4305940

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Ce débat ce matin, alors que la trêve entre Israël et le Hamas a finalement été prolongée
00:05 de 48 heures, certains voudraient qu'elle le soit plus longtemps encore.
00:09 Question courte, et maintenant, quel est l'intérêt pour chacun de poursuivre cette trêve ? Modifie-t-elle
00:16 les paramètres du conflit ? Et si oui, dans quel sens ? On va en parler avec deux spécialistes
00:22 de la région, deux confrères et les honneurs veillent, journaliste indépendante, ancienne
00:28 de la SOS au quotidien israélien Aretz et Benjamin Barthes, le chef adjoint du service
00:33 international du quotidien Le Monde, ancien correspondant au Moyen-Orient.
00:38 Bonjour à tous les deux, et merci d'être au micro d'Inter.
00:42 Ce sont donc 50 otages israéliens et 150 prisonniers palestiniens qui ont été échangés
00:49 depuis vendredi dernier.
00:51 Hier soir, trois premiers otages franco-israéliens figureraient parmi les 11 libérés, tous
00:57 binationaux.
00:58 Avant d'entrer dans le détail, dites-nous, et les honneurs veillent, quel est l'impact
01:04 des images du retour en Israël des otages tous les soirs à la télévision depuis vendredi
01:10 dernier ? Comment les Israéliens vivent-ils ce moment ?
01:13 Écoutez, je dirais que c'est des sentiments assez partagés.
01:16 Il y a d'une part évidemment un soulagement de voir ces images, ces enfants, ces mères
01:21 revenir en Israël.
01:22 Et puis il y a évidemment l'autre côté de la médaille qui est ce retour avec bien
01:28 souvent ces enfants qui se rendent compte qu'une partie de leur famille a été décimée
01:31 le 7 octobre.
01:32 Parce qu'il ne faut pas oublier qu'après les massacres du 7 octobre, ils ont été pris
01:36 en otage par le Hamas.
01:38 Et pour beaucoup, ils ne savaient pas.
01:40 Par exemple, je pense à la petite Abigail qui a été libérée avant-hier.
01:43 Ils ne savent pas que leurs parents ont été tués le 7 octobre.
01:46 Donc c'est des images qui sont très compliquées.
01:50 Les Israéliens sont devant leur télévision toute la journée.
01:53 Les rues sont quasiment vides à Tel Aviv ou même à Jérusalem.
01:56 Et on voit bien que ces premières salves de libération, elles sont un soulagement.
02:01 Mais elles font revivre aux Israéliens le traumatisme du 7 octobre chaque jour.
02:07 Et le pays est mobilisé par la question de la libération des otages ?
02:12 Alors on a vu un tournant dans la stratégie politique et militaire du cabinet de guerre.
02:17 Grâce à la pression publique israélienne, à l'opinion publique israélienne,
02:22 le premier objectif affiché c'était la destruction et l'annulation du Hamas.
02:26 Et aujourd'hui, on voit que la libération des otages prime quand même dans les décisions
02:31 tactiques et stratégiques du gouvernement et du cabinet de sécurité.
02:35 La trêve est donc prolongée.
02:37 Quel est l'intérêt de chacune des parties à la poursuivre ?
02:41 À qui profite la trêve Benjamin Barthes ?
02:44 Je pense qu'actuellement la trêve profite aux deux parties.
02:49 Peut-être avant tout en priorité au Hamas qui a subi un mois et demi de frappes extrêmement lourdes,
03:00 qui a sûrement besoin de se réorganiser un peu.
03:04 Et puis actuellement, ce qui est important je pense à comprendre,
03:10 c'est que l'opération israélienne est allée à la fois très vite,
03:16 c'est-à-dire que les chars israéliens sont retrouvés aux portes de Gazaville en quelques semaines.
03:21 Et je pense que les stratèges israéliens n'imaginaient pas que ça se déroule aussi facilement.
03:27 Et en même temps, l'autre versant de ce constat, c'est que les buts de guerre affichés n'ont pas été remplis.
03:34 C'est-à-dire qu'on a vu quelques vidéos de ces fameux tunnels,
03:38 mais il n'y a pas vraiment eu d'émantèlement de ce qu'on appelle le métro de Gaza,
03:43 ces galeries souterraines.
03:44 Et puis il n'y a pas eu de neutralisation, de liquidation, d'arrestation de cadres très importants,
03:50 tant politiques qu'aux militaires du Hamas.
03:51 Donc pour l'instant, on est dans cette configuration assez classique des guerres
03:59 entre Israël et les acteurs non étatiques du monde arabe.
04:04 Parce qu'il faut bien comprendre que depuis 1978, on n'est plus dans des guerres inter-étatiques.
04:09 C'est Israël contre des groupes armés.
04:11 Et là, il y a une espèce de supériorité militaire,
04:15 mais politiquement, pour l'instant, le Hamas tient le coup.
04:19 - Léonor Veil ?
04:22 - Écoutez, ce cessez-le-feu a été quand même plus ou moins accueilli positivement en Israël.
04:30 Mais c'est vrai qu'on sent aujourd'hui qu'il y a de plus en plus de divisions,
04:34 notamment avec l'extrême droite, dont certains voudraient ne plus attendre
04:39 et ne pas prolonger ce cessez-le-feu et aller continuer pour, effectivement,
04:43 aller jusqu'au bout de cet objectif militaire et donc de démanteler le Hamas.
04:49 Aujourd'hui, la victoire, elle n'est pas que militaire.
04:52 Une partie de la victoire, c'est aussi le retour de ces otages.
04:54 Il faut bien le comprendre pour Israël, de voir ces otages revenir,
04:58 ça fait partie d'une certaine victoire.
05:01 On entend tous les jours des déclarations du cabinet de guerre qui dit que dès que cette trêve prendra fin,
05:07 ils reviendront à Gaza et d'ailleurs les combats devraient se concentrer dans le sud de Gaza,
05:13 ce qui va être particulièrement compliqué puisque c'est là que les deux millions de Gazaouis
05:18 sont partis du nord au sud et donc cette deuxième partie de la guerre va être très, très complexe à mener.
05:24 - Benjamin Barthes ?
05:25 - Oui, je crois qu'aussi il faut comprendre qu'il y a un contre-champ à cette crise.
05:32 Ce sont les libérations simultanées de prisonniers palestiniens
05:37 et ça, c'est aussi quelque chose pour le Hamas qui l'engrange.
05:40 Ce sont des dégâts politiques.
05:43 De même qu'on a vu ces scènes très émouvantes de retrouvailles entre les otages israéliens et leur famille,
05:49 il y a exactement la même chose qui se déroule en Cisjordanie.
05:52 Pour les palestiniens, les prisonniers palestiniens sont perçus comme des otages.
05:57 Le système carcéral israélien est extrêmement dur,
06:00 le système judiciaire, ce sont des tribunaux militaires avec une justice assez souvent arbitraire.
06:07 Donc pour les palestiniens, il y a cette idée qu'il y a des otages d'un côté,
06:11 mais nous aussi on récupère nos otages, c'est perçu comme ça
06:14 et ces libérations sont souvent mises au crédit du Hamas.
06:17 Donc le Hamas a évidemment intérêt à faire perdurer cette situation qui lui profite.
06:24 Il y a des "gains d'image" parce que la guerre aussi se joue sur ce terrain-là.
06:31 Pour le Hamas, c'est vécu et perçu comme tel aussi en Israël.
06:35 Elle est en orveille ?
06:36 Oui, justement, cette discussion, notamment dans la presse israélienne,
06:40 on voit ces images, on a vu ces images ces derniers jours
06:44 des otages qui sont conduits aux mains de la Croix-Rouge
06:47 avec des hommes armés du Hamas qui les accompagnent.
06:51 Et on sait après, puisque les otages qui sont rentrés en Israël ont raconté
06:56 que le Hamas leur demandait de continuer de lever le bras
07:00 et de faire un signe d'au revoir quand ils sont retransmis à la Croix-Rouge.
07:05 Il y a effectivement déjà une guerre psychologique
07:08 et puis aussi cette propagande du Hamas qui, en remettant ses otages
07:13 et en leur demandant de dire au revoir presque amicalement,
07:17 veut montrer que finalement ils n'étaient pas si maltraités.
07:21 Donc ça, bien sûr, ça fait partie de cette guerre.
07:24 Je voudrais juste rebondir sur cette victoire, effectivement,
07:28 et ce gain politique du Hamas.
07:29 On voit d'ailleurs que le Hamas gagne en popularité en Cisjordanie aussi,
07:33 selon les derniers sondages.
07:34 Il y a de plus en plus de Palestiniens de Cisjordanie
07:37 qui expriment leur soutien au Hamas.
07:40 On sait à quel point aujourd'hui l'autorité palestinienne est affaiblie.
07:43 J'ai envie de dire presque inexistante aujourd'hui
07:46 le leadership de l'autorité palestinienne.
07:48 Et donc ça, parallèlement à ce qui s'est passé cet octobre
07:51 et à cette image du Hamas regonflé,
07:54 fait que les Palestiniens de Cisjordanie également
07:57 soutiennent de plus en plus le Hamas.
08:00 Comment analysez-vous le rôle du Qatar,
08:02 qui a joué un rôle précisément de premier plan dans l'accord
08:05 qui a conduit à cette trêve,
08:06 médiateur utile et financier du Hamas à Gaza également ?
08:11 Benjamin Barthes.
08:12 Il faut comprendre que la médiation, c'est un peu la niche diplomatique du Qatar.
08:18 Le Qatar, c'est ce tout petit pays coincé entre deux énormes puissances régionales,
08:23 l'Iran d'un côté et l'Arabie Saoudite.
08:25 Pour exister, ils ont décidé de se rendre utile.
08:28 Et pour se rendre utile, ils se sont dit
08:30 « on va développer des canaux de communication avec tous ces acteurs
08:35 que le reste de la communauté internationale juge infréquentable ».
08:38 Donc les talibans en Afghanistan, le Hamas en Palestine.
08:41 Et tout cela, il faut bien le comprendre,
08:43 ça a été fait en parfaite coordination avec les Etats-Unis.
08:47 Alors les Etats-Unis, de temps en temps, peuvent un peu râler,
08:51 dire, laisser entendre que le Qatar joue un double jeu.
08:54 Mais la réalité, c'est qu'à partir de 2006,
08:58 les Etats-Unis, c'est-à-dire dans la foulée des élections législatives
09:01 qui ont porté le Hamas au pouvoir,
09:02 les Etats-Unis ont officiellement,
09:04 officiellement c'est-à-dire de manière discrète,
09:07 mais en tout cas, il y a eu des démarches en ce sens,
09:08 demandé au Qatar d'ouvrir un canal de communication avec le Hamas.
09:12 Et puis, lorsque en 2012, le Hamas a été obligé de rompre
09:18 avec le régime de Bachar Al-Assad et de quitter Damas
09:21 parce qu'il ne voulait pas endosser la répression de la révolution anti-Hassad,
09:26 les Etats-Unis ont demandé au Qatar de laisser le Hamas s'installer à Doha.
09:31 Donc le Qatar est en fait très pratique pour tout le monde
09:33 et il a développé une ingénierie de la négociation,
09:37 une ingénierie de ces échanges de prisonniers
09:40 qui pour l'instant fonctionnent bien.
09:42 Mais ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on va rentrer dans le dur très, très vite
09:46 parce que pour l'instant, on est dans les libérations de civils
09:51 binationaux, israéliens, sur un ratio de 1 pour 3,
09:54 c'est-à-dire un otage libéré contre trois prisonniers palestiniens.
09:58 Mais évidemment, le Hamas détient également des militaires israéliens
10:03 et on sait par l'histoire que généralement,
10:06 le Hamas demande un prix beaucoup plus élevé pour une libération de militaires.
10:10 - Oui, et en Orveille.
10:12 - C'est évident que sur la scène diplomatique,
10:14 le Qatar, c'est le grand gagnant de ce conflit.
10:17 On voit grâce à ce que vous disiez, grâce à ces relations avec,
10:21 d'une part, le Hamas, les Etats-Unis et Israël,
10:25 le Qatar a vraiment pris une place dominante
10:27 et a d'ailleurs même été remercié, c'est une première.
10:30 On se souvient qu'au tout début, au lendemain du 8 octobre,
10:32 quand le Qatar est entré dans ce jeu de négociations,
10:36 Israël disait "attention, le Qatar abrite les dirigeants politiques du Hamas", etc.
10:40 Et puis ensuite, on a vu des tweets de remerciements,
10:43 des efforts de médiation qu'a tari.
10:45 Donc le Qatar est tout à fait, aujourd'hui, fait tout à fait partie
10:48 et tout à fait légitime en Israël pour mener ces négociations.
10:51 Ça, c'est évident.
10:53 Le Qatar qui appelle évidemment à la prolongation de ce cessez-le-feu.
10:56 On va voir dans les jours qui viennent
10:58 à quel point le Qatar a une influence sur le Hamas
11:01 et même le Hamas, à quel point le Hamas va réussir
11:04 à localiser les différents otages.
11:06 Parce que ça, c'est également un autre problème.
11:09 Dans la bande de Gaza, les otages sont dispersés entre différents groupes,
11:13 dont le djihad islamique, dont d'autres gangs palestiniens.
11:17 Et ça, ça va aussi être une des questions de ces prochains jours.
11:20 - Dès après les attaques du 7 octobre,
11:23 le but affiché par le Premier ministre Netanyahou
11:27 a été d'anéantir le Hamas.
11:29 Son ministre de la Défense disait
11:32 ça prendra un mois, deux mois, trois mois,
11:33 mais à la fin, il n'y aura plus de Hamas.
11:37 Est-ce que ce but de guerre-là est compatible
11:41 avec la libération des otages ?
11:43 Est-ce que Netanyahou peut reprendre la guerre
11:45 où il l'avait laissée avant la trêve ?
11:48 La reprendre de la même manière où aujourd'hui,
11:50 la pression sociale est trop forte pour libérer les otages ?
11:53 La pression diplomatique aussi, la pression humanitaire.
11:57 Comment voyez-vous cet aspect-là des choses, Benjamin Barthes ?
12:00 - Je pense que pour l'instant, il y a effectivement une double pression.
12:03 D'une part, une pression de la société israélienne.
12:05 On l'a vu avec cette manifestation à Tel Aviv, très vaste,
12:08 100 000 personnes samedi.
12:10 Et puis, il y a une pression diplomatique.
12:12 Je crois que Biden maîtrise à merveille
12:16 une forme de double discours, c'est-à-dire publiquement,
12:20 assez enveloppant à l'égard de la société israélienne
12:24 et de la direction israélienne.
12:25 Et je pense qu'en coulisse, il y a un peu de pression
12:28 beaucoup plus nette pour pousser Israël à négocier
12:33 et à permettre ces échanges de prisonniers.
12:35 Est-ce que ça va se poursuivre après la fin
12:39 de ces échanges de civils ?
12:40 Est-ce que ça va être la même ligne qui va s'imposer
12:43 de la part de l'administration américaine sur les militaires ?
12:45 Ça, c'est la question qui se pose.
12:46 Mais juste une chose, je veux dire,
12:49 l'armée israélienne et la direction israélienne
12:51 voulaient anéantir le Hamas.
12:53 Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que
12:54 ce n'est pas le Hamas qui a été anéanti,
12:56 c'est la bande de Gaza.
12:57 Il faut bien comprendre que là, il y a la moitié
13:00 de la bande de Gaza qui a été rasée.
13:02 La plus grande ville palestinienne au monde
13:04 qui est désormais en ruine.
13:06 Et ça va peser extrêmement lourd
13:09 sur la suite des événements dans la région.
13:11 La suite, justement ?
13:13 Je crois que c'est effectivement le rôle de Joe Biden,
13:17 et de l'administration américaine,
13:19 c'est ce qui va déterminer la suite de l'opération.
13:23 Parce que le gouvernement israélien sait très bien
13:25 que sans le soutien des États-Unis dans cette guerre,
13:29 ça va être extrêmement compliqué.
13:30 Donc ça va être la décision de l'administration américaine,
13:35 une fois que cette trêve est terminée,
13:36 de continuer à soutenir pour combien de temps
13:38 qui va déterminer aussi la suite de cette guerre à Gaza.
13:43 Merci à tous les deux.
13:44 Et l'honneur veille Benjamin Barthes
13:46 d'avoir été à notre micro ce matin.

Recommandations