Rapport Oxfam : la France est-elle une société d’héritiers ? avec Cécile Duflot, Directrice générale d’Oxfam France et Geoffroy Didier, avocat, secrétaire général délégué de LR, en débattent.
Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10
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00:00Débat ce matin autour du rapport d'Oxfam, consacré à la question de l'héritage et
00:05plus spécifiquement des super-héritages, jackpot fiscal des ultra-riches.
00:13Si 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France métropolitaine,
00:1925 milliardaires français de plus de 70 ans vont être en situation à court ou moyen
00:25terme de transmettre leur patrimoine.
00:28Taxé à combien ? Seulement 10% dit Oxfam et d'ici 30 ans, ces super-héritages constitueront
00:35un manque à gagner de 160 milliards d'euros pour les finances publiques, toujours selon
00:41l'ONG.
00:42Alors faut-il augmenter ces droits de succession ? La France devient-elle une société de
00:48super-rentiers pour sa partie la plus élevée socialement ? On pose la question à la directrice
00:55générale d'Oxfam France, Cécile Duflo, bonjour, et à Geoffroy Didier, bonjour,
01:00vous êtes le secrétaire général délégué du parti Les Républicains, merci à tous
01:05les deux d'être au micro d'Inter.
01:08Super-héritage, le jackpot fiscal des ultra-riches, de combien de personnes parle-t-on en France
01:14Cécile Duflo pour des patrimoines ? De quel montant global ?
01:19Quand on parle des milliardaires, on parle de très peu de personnes finalement, mais
01:24on parle d'un potentiel fiscal très important.
01:28Et ce qui est très important, et c'est pour ça qu'on veut insister sur ce sujet, c'est
01:32que quand on parle des héritages, on dit que les Français sont contre l'impôt sur
01:36les successions, parce qu'on ne se rend pas compte de ce que ça signifie.
01:40Mais au final, la situation actuelle, elle bénéficie énormément aux super-super-héritages.
01:45Pour vous donner deux chiffres pour bien comprendre, 9 Français sur 10 touchent moins de 100.000
01:50euros de succession, d'héritage, et 1 sur 1.000 touche en moyenne 13 millions.
01:56Voilà l'état de la situation.
01:58Alors juste avant de donner la parole à Geoffroy Didier, question supplémentaire, pourquoi
02:0210% de droits de succession et pas 45% comme prévu par la loi ? Comment s'opère l'évaporation
02:09entre guillemets ?
02:10Voilà, c'est ce qui est intéressant, c'est que souvent quand on parle de la question
02:12des droits de succession, on parle des critères et des barèmes, qui sont les barèmes publics.
02:17Alors qu'en fait, il y a tout un tas de dispositifs, d'ailleurs dont on ne sait pas exactement
02:21l'impact, notamment le pacte d'Utreil, qui historiquement a été créé pour permettre
02:26la transmission des petites et moyennes entreprises, et qui est devenu une machine à faire baisser
02:33les droits de succession jusqu'à 10% en moyenne, c'est les chiffres du CAE, alors
02:37même que ça devrait être 45%.
02:38Geoffroy Didier, comment réagissez-vous à ce tableau ?
02:41Avant de poser la question des super-riches, moi, je ne suis pas étonné que l'impôt
02:46sur les successions soit l'impôt le plus détesté par les Français.
02:50Parce que je suis, comme beaucoup de nos concitoyens, philosophiquement choqué par le fait que
02:55la mort puisse être le fait générateur d'un impôt.
02:58Je ne vois pas pourquoi, à la peine de la perte d'un proche, devrait s'ajouter une
03:03peine fiscale, et d'ailleurs vous observerez que beaucoup de pays de l'OCDE, même des
03:08pays à tradition égalitaire, je pense à la Suède ou à la Norvège, ont supprimé
03:12l'impôt sur les successions.
03:13Et puis je crois surtout que nous sommes là pour transmettre.
03:16Nous sommes par exemple très heureux de pouvoir transmettre à nos enfants un capital social
03:22ou culturel, les bonnes manières, la politesse, le goût de la lecture, des valeurs, et pourquoi
03:28faudrait-il se féliciter d'avoir le droit de transmettre à ses enfants ce capital social
03:33et culturel ? Et pourquoi faudrait-il se désoler de pouvoir leur transmettre un capital
03:38financier qui est souvent, d'abord, très taxé de son vivant, et en plus qui est le
03:43fruit, bien souvent, de son travail, de ses efforts et de sacrifices ? C'est la raison
03:48pour laquelle, philosophiquement, indépendamment de la question des super-riches qui de toute
03:52façon payent déjà de leur vivant bien plus d'impôts que les pauvres, je crois qu'il
03:57y a une question presque morale que je me permets de poser.
04:01Et en payent-ils assez Geoffroy Didier ? C'est ça ce que pose comme question le rapport
04:05d'Oxfam.
04:06En payent-ils assez au moment de transmettre leur patrimoine ?
04:106%, 45% ! C'est ça la fourchette !
04:15On est d'accord.
04:16Si les lois ne sont pas respectées, il faut les faire respecter.
04:18Et si le barème supérieur de 45% n'est pas respecté, il faut le faire respecter.
04:24Mais moi je pose la question du principe même du barème de 45%.
04:28Je pose la question d'abord sur le fait que, vous savez comment ça fonctionne, les
04:33riches sont suffisamment organisés, suffisamment conseillés par des avocats, par des experts
04:38comptables pour de toute façon échapper à l'impôt et plus on augmentera les impôts
04:42au nom de cette prétendue justice fiscale, plus de toute façon on organisera et on suscitera
04:47l'exil fiscal.
04:48Donc la question qu'il faut se poser pour être concret et opérationnel, c'est celle
04:52de la faisabilité économique de ces mesures qui consistent à vouloir taxer, surtaxer
04:58et encore taxer les riches.
05:00Cécile Duflo, réaction ?
05:01Moi je vais te répondre sur la question philosophique parce que le petit topo que vient de faire
05:06Geoffroy Didier avec la main sur le cœur en disant « vous vous rendez compte, vous
05:09allez priver vos enfants, c'est l'impôt sur la mort », en fait c'est un écran
05:14de fumée qui est très bien organisé pour pas du tout préserver les gens qui vont hériter
05:19de la maison de leur grand-mère ou des économies de leurs parents, mais ceux qui sont au-delà
05:24de 13 millions d'euros.
05:25Parce que c'est de ce débat-là que nous on veut poser.
05:28C'est justement quand on dit « les Français sont contre cet impôt », en fait l'immense
05:32majorité d'entre eux ne le paieront jamais.
05:34Mais on raconte cette histoire exactement comme vous venez de le faire et du coup on
05:37donne le sentiment aux gens qui sont menacés par la privation alors que ça n'est pas
05:42du tout le cas.
05:43Et quel est l'intérêt de tenir ce discours-là ? Je ne dis pas du tout que vous le faites
05:47volontairement.
05:48On peut avoir un débat sur « est-ce que oui ou non on taxe l'héritage ? ». C'est
05:51intéressant de voir quand est-ce qu'on a commencé à taxer les successions ? Au
05:54moment de la Révolution française, juste après la Révolution française.
05:57Parce que justement c'était l'outil maximal des privilèges.
06:01Comment vous étiez riche ? Parce que vous étiez l'enfant d'un riche.
06:03Et j'ai vu que bientôt Xavier Niel va faire un espèce de happening pour vous raconter
06:07comment devenir milliardaire.
06:08Ça on l'a regardé.
06:09En France, pour devenir milliardaire, il faut naître dans l'utérus de la femme du milliardaire.
06:15Voilà ce qu'il faut faire.
06:16L'immense majorité de la fortune est héritée et la situation s'aggrave en France.
06:19« Lui étant l'exception, la règle ».
06:20Exactement.
06:21Il y a quelques exceptions.
06:22Mais de la même manière qu'il y a quelques exceptions, on essaye de faire au tour du
06:26débat sur les successions, oublier ce scandale qu'est effectivement une organisation pour
06:30faire échapper à l'impôt les super-super-riches.
06:33Et je termine juste sur ce point.
06:35Aujourd'hui, vous payez beaucoup plus d'impôts en pourcentage si vous héritez de votre marraine
06:41qui n'a pas d'enfant et qui vous lègue 20 000 euros que si vous êtes le fils de Bernard
06:45Arnault.
06:46Et pardon, mais ça, on trouve que ce n'est pas juste.
06:47Et une des propositions, c'est de dire, justement, et ça répondra à votre inquiétude,
06:50que tous les Français, comme en Irlande, peuvent recevoir de façon complètement détaxée
06:55une succession, mais pas un demi-million tous les 15 ans, totalement détaxé, quand on
07:02est le fils de gens ultra-riches.
07:03Et taxer mieux les successions au-delà de 13 millions d'euros, je le redis, c'est
07:07notre proposition, au-delà de 13 millions d'euros.
07:09On parle des super-héritages, c'est un sujet qui est un sujet démocratique.
07:14Je crois que le vrai combat à mener en termes d'égalité, c'est celui de l'égalité
07:16des chances.
07:17Au moment de la naissance, c'est celui de l'égalité des chances à l'école,
07:21où chacun doit être instruit de la même manière qu'un autre pour pouvoir ensuite
07:26s'émanciper et vivre sa vie.
07:28Avec l'augmentation de l'espérance de vie, on a de plus en plus tendance à hériter
07:33lorsqu'on a 50 ou 60 ans, lorsque les inégalités se sont déjà manifestées dans la vie.
07:39Je crois que le vrai combat à mener, c'est celui de l'égalité des chances, plutôt
07:44que de celui de l'égalité face à l'héritage.
07:47Et puis, vous savez, on parle de justice fiscale, on a tous ce mot à la bouche, mais
07:52est-ce que, par exemple, c'est juste de taxer quelqu'un qui méthodiquement a construit
07:58un patrimoine et qui s'est comporté comme une fourmi, et de ne pas taxer la personne
08:03qui est partie avec le même montant, mais qui s'est comporté comme une cigale en
08:07dilapidant son argent de son vivant ?
08:09Vous voyez, en réalité, l'injustice, de toute manière, elle se niche partout, c'est
08:13la raison pour laquelle le vrai combat de société à mener, c'est celui de l'égalité
08:16des chances face à l'école, plutôt que, de toute façon, faire semblant d'essayer
08:21de créer de l'égalité au moment de l'héritage, alors que, de toute manière, les inégalités
08:25elles existent, elles sont vivantes et on n'a pas besoin d'être mort pour être
08:28ensuite inégal.
08:29NICOLAS CECILE DUFLO, je vous ai vu réagir sur l'égalité des chances, pourquoi ?
08:34CÉCILE DUFLO Et l'égalité face à l'école, ça nécessite
08:36que l'école ait les moyens de faire son travail.
08:38Aujourd'hui, le débat autour de l'école l'a montré et récemment encore, on a montré
08:41que tout un tas d'écoles privées bénéficient de plus d'argent public en proportion du
08:45nombre d'élèves que d'écoles publiques.
08:47Pourquoi ? Parce que c'est la question du financement des services publics.
08:50Et oui, l'accès aux services publics, l'accès à l'école, mais pas seulement, à la culture,
08:54l'accès à la santé, ça fait partie de la lutte contre les injustices.
08:57Et pour ça, il faut financer les services publics.
08:59Et on finance les services publics avec de l'argent public.
09:02Donc, on se pose la question de savoir où on collecte cet argent.
09:04En fait, c'est un débat profondément démocratique.
09:07Vous parliez de la Suède, où on a supprimé l'impôt sur les successions.
09:10Qu'est-ce qu'il s'est passé en Suède ? Une aggravation considérable des inégalités.
09:13Et ce qui est en train de nous arriver en France, c'est qu'on fait marche arrière.
09:16C'est-à-dire qu'on devient une société où ça devient de plus en plus difficile.
09:19Vous dites, si on vous écoute, qu'en fait, si on part du même point, qu'on va tous à l'école,
09:24on a tous la possibilité de devenir un jour potentiellement milliardaires.
09:27C'est faux.
09:28C'est complètement, complètement faux.
09:30Ne serait-ce que par...
09:31Non, c'est ça qu'il faut combattre.
09:32Parce qu'une partie des inégalités se niche, par exemple, dans la question du logement.
09:35Vous n'êtes pas du tout dans la même situation quand vous êtes le fils ou la fille de quelqu'un
09:40qui possède 5 logements en location et quand vos parents sont toujours locataires.
09:45Et je pourrais multiplier les exemples.
09:46Donc, il y a un discours totalement hypocrite.
09:48Et je le redis, ce qui nous nous importe à Oxfam, c'est qu'on fasse craquer les coutures
09:52de ce débat sur « les Français sont contre les impôts sur les successions » parce qu'en
09:56fait, on crée un écran de fumée pour éviter de regarder en face la réalité qui sont que
10:01les super-héritages sont totalement, totalement sous-taxés et vont créer des sortes de dynasties
10:06et recréer une forme d'aristocratie financière qui, ensuite, a un engendre démocratique
10:11qui est celui qui fragilise notre pays.
10:13Et puis, le rapport d'Oxfam, Geoffroy Didier, je le rappelle, pointe le contexte budgétaire
10:20de la France aujourd'hui en disant que la question de la taxation de ces super-héritages
10:29ne permettrait de combler un manque à gagner, je donnais ce chiffre, de 160 milliards d'euros
10:35d'ici 30 ans.
10:36Est-ce qu'en période de disette, il ne faut pas revoir votre position philosophique ?
10:41Moi, je suis, comme Madame Duflo, très choqué par la paupérisation des services publics,
10:51notamment les services publics fondamentaux comme ceux de l'école.
10:54Mais s'il suffisait de prendre aux riches pour améliorer les services publics, ça se saurait.
10:58Nous avons le taux de prélèvement obligatoire le plus important des pays de l'OCDE et pourtant,
11:04nous assistons et nous subissons à un dysfonctionnement des services publics.
11:09Je ne crois pas, malheureusement, que le débat soit celui-là.
11:13Et puis, tout à l'heure, vous parliez, puisque restons sur les super-riches, du pacte d'Utreil,
11:19comme si c'était une stratégie d'évitement de l'impôt.
11:22Je crois l'inverse.
11:23Je crois que le pacte d'Utreil, Cécile Duflo, a été conçu comme un enjeu de souveraineté
11:28pour permettre à des entreprises familiales, c'est-à-dire au capitalisme familial,
11:34de rester entre les mains de familles françaises.
11:36Ça devient un outil d'exonération fiscale, des holdings familiaux, y compris avec des actions d'entreprises étrangères.
11:43Laissez-moi poursuivre ma démonstration jusqu'au bout.
11:47Si un fils ou une fille d'un chef d'entreprise, d'un boulanger...
11:51Allez, faites le boulanger ! Faites le coup du boulanger !
11:53Non, non, non, mais même d'une entreprise, d'une PME, doit céder ses actions parce qu'il ne peut pas payer des droits de succession.
12:00Imaginons qu'il n'y ait plus le pacte d'Utreil.
12:02Qu'est-ce qui se passe ?
12:03Ses actions, entre quelles mains passent-elles ?
12:06Entre les mains de fonds spéculatifs américains ou chinois.
12:10Et donc, le pacte d'Utreil, c'est vraiment l'outil de protection souverain du capitalisme familial.
12:17On devrait s'en réjouir.
12:18Et puis, vous parliez tout à l'heure du secteur du logement que vous connaissez mieux quiconque.
12:21Nous sommes effectivement confrontés à une crise du logement.
12:25Mais moi, je vais vous donner une proposition qui précisément pourrait aider à relancer le logement.
12:30C'est précisément de permettre d'exonérer, par exemple pendant deux ans, les droits de donation.
12:36Parce qu'aujourd'hui, avec l'augmentation de l'espérance de vie, comme je le disais, on hérite tard.
12:41En revanche, il y a beaucoup de parents qui, à l'âge de 60 ans, n'ont plus beaucoup de revenus et ne peuvent plus forcément donner.
12:46Si on exonère les droits de donation, on réinjecte dans l'économie française une partie des 6 000 milliards d'épargne.
12:52Ce qui permettra aux jeunes de 20 ans, 25 ans, 30 ans, d'avoir par exemple un apport pour acheter un premier logement.
12:59Le pacte d'Utreil, c'est l'autre écran de fumée.
13:03Et d'ailleurs, nous, on ne propose pas de supprimer le pacte d'Utreil.
13:05On propose de le plafonner, de faire comme en Allemagne, de dire oui, c'est uniquement pour les TPE, les PME.
13:09Aujourd'hui, vous pouvez avoir des biens dits professionnels, dans lequel y compris il y a des châteaux qui sont exonérés
13:15sur 75% de leurs valeurs quand elles sont dans des holdings familiales.
13:18Et ça, c'est en fait, au départ, on a raconté une histoire, on a mis en place un dispositif qui a été discrètement élargi
13:24pour devenir l'outil majeur qui fait que les super-héritages sont taxés à 10% au lieu de 45%,
13:29ce qui devrait être la norme si on applique juste les règles qui sont les nôtres.
13:32NICOLAS ROCHEFORT-CHAMPAGNE Cécile Duflo, Oxfam France, Geoffroy Didier, secrétaire général délégué des Républicains,
13:37merci à tous les deux d'avoir été au micro d'Inter.