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Faut-il lever le tabou sur les hausses d’impôts ? avec François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes, fondateur de Fipeco, et Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision de l'OFCE.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00Le débat ce matin sur les finances publiques de la France, sur le sujet hier, Michel Barnier
00:07a parlé.
00:08« Cash, la situation budgétaire du pays est très grave, j'ai demandé tous les éléments
00:13pour en apprécier l'exacte réalité, cette situation exige de la responsabilité ».
00:20Et qu'entendre par là ? Faut-il s'attendre à des hausses d'impôts et à une rupture
00:26avec le dogme macroniste qui, depuis 2017, allait dans le sens inverse, celui de la
00:33baisse des impôts, 50 milliards en 7 ans.
00:37On va en tout cas poser la question à François Eccal.
00:41Bonjour, vous êtes ancien magistrat de la Cour des Comptes, président de Fipeco, une
00:48association d'informations sur les finances publiques.
00:51Mathieu Plan, bonjour, directeur adjoint du département analyse et prévision à l'OFCE.
00:58Merci d'être à ce micro, on rappelle que le déficit public pourrait se creuser à
01:035,6% du PIB cette année, 6,2% en 2025, la dette de son côté s'élève à 110% à la
01:15fin du premier trimestre 2023.
01:18D'un mot chacun pour commencer, rapide, grave, gravissime, alerte rouge, docteur,
01:24dites-nous, François Eccal ?
01:25C'est une situation inquiétante, oui, parce que la dette publique n'est pas contrôlée,
01:31si on ne fait rien, elle risque de continuer à augmenter.
01:34Le risque à ce moment-là est toujours que les acteurs des marchés financiers s'inquiètent,
01:40augmentent les taux d'intérêt et qu'on rentre dans une situation vraiment incontrôlable.
01:44Pour le moment, ils ne s'inquiètent pas trop, vraisemblablement parce qu'ils pensent
01:48que la Banque Centrale Européenne sera toujours là et ne laissera jamais la France faire
01:53défaut.
01:54Maintenant, il faut voir que l'intervention de la BCE n'est pas automatique, normalement
01:58elle ne peut le faire qu'en contrepartie par exemple du respect des règles budgétaires
02:03européennes.
02:04Donc ce n'est pas évident et en tout cas, on dépendra des décisions qui seront prises
02:09à Francfort.
02:10Donc il n'y a pas de danger immédiat, mais il y a quand même un très sérieux problème.
02:14Alors, la situation budgétaire très grave, on parle de mur de la dette, Mathieu Planès,
02:20grave, quel est votre sentiment ?
02:21Oui, c'est grave, c'est grave, c'est surtout inédit en fait, en réalité.
02:26Et ce qui est grave, c'est qu'il y a une crise politique en même temps et qu'on ne
02:30voit pas très clair dans cette affaire.
02:31On le voit, on va certainement vers une période assez dure de redressement des comptes publics.
02:37On parle de montants, vous avez dit 50 milliards, d'autres à l'horizon de 4-5 ans, on parle
02:40même de 100 milliards à trouver, dans un contexte politique où il y a une instabilité
02:44assez folle, où il va falloir faire des sacrifices et personne n'est d'accord.
02:48Et donc à partir du moment où vous n'avez pas de clarification sur la ligne à tenir,
02:52si vous n'avez pas de visibilité, oui c'est inquiétant parce qu'effectivement on risquait
02:55de reporter des ajustements et petit à petit devenir le vilain petit canard de la zone
02:59euro et la France, ce n'est pas un petit poids dans la zone euro.
03:03Donc oui, c'est cette situation inédite, on a ouvert une porte, on ne sait pas bien
03:07comment on va la refermer.
03:08Voilà, situation politique inédite, jusqu'à présent, augmenter les impôts était une
03:14ligne rouge, absolue pour Emmanuel Macron, son ministre de l'économie et des finances
03:20Bruno Le Maire disait par exemple, en mars dernier, nous n'augmenterons pas les impôts,
03:24la hausse des impôts est une facilité, la réduction des dépenses publiques est un défi,
03:30je préfère les défis à la facilité.
03:33Hier c'est Gérald Darmanin qui était sur la même ligne, augmenter les impôts c'est
03:37la facilité, je ne participerai pas à un gouvernement qui ne soit pas clair sur la
03:41question des impôts.
03:43Est-ce que ce totem macroniste est en train d'être remisé au musée du second quinquennat
03:50François Ecalle ?
03:51Ce qu'il faut avoir en tête, c'est que pour simplement arriver à stabiliser la
03:56dette publique à son niveau actuel, son dit point de PIB, il faut probablement faire
04:01un effort qui est de l'ordre de 100, 120, 130 milliards d'euros, c'est approximatif
04:08mais c'est un ordre de grandeur, c'est énorme, c'est énorme, ça n'a jamais
04:13été fait, moi je préférerais qu'on le fasse surtout en faisant des économies sur
04:20les dépenses publiques mais je reconnais que dans le contexte politique c'est probablement
04:27irréaliste.
04:29Donc oui, il va sans doute falloir se résigner à des hausses d'impôts, même si les
04:35marges de manœuvre ne sont pas très élevées, on est les premiers de l'Union Européenne
04:41quasiment pour tous les impôts et cotisations sociales pour ne pas avoir des niveaux d'imposition
04:46beaucoup plus élevés que celui des pays concurrents et voisins.
04:49Maintenant, le gouvernement précédent, Attal, dans le document de programmation qu'il
04:59a envoyé à l'Union Européenne en avril dernier, le programme de stabilité, il y
05:05avait au moins 15 milliards de hausses d'impôts dans ce document qui étaient prévues.
05:11Aucune explication, aucune précision sur la nature de ces impôts, il est vraisemblable
05:17que dans l'esprit de ceux qui ont fait ce document, c'était surtout des réductions
05:21de dépenses fiscales.
05:23Mais quand vous réduisez une nif fiscale, vous augmentez les impôts de ceux qui en
05:27bénéficient.
05:28Il ne faut pas se cacher la face, ce sont des hausses d'impôts ! Donc il y avait des
05:33hausses d'impôts.
05:34Aujourd'hui, ils mettent une ligne rouge sur les hausses d'impôts mais c'était
05:39quand même déjà prévu.
05:40Il y a différents leviers, Mathieu Plan, il y a la croissance, il y a la réduction
05:46des dépenses publiques et l'augmentation des impôts.
05:48Je vous libre les trois leviers, dites-moi lequel va ou peut-être actionner ?
05:53On aimerait bien que ce soit la croissance, c'était le pari du gouvernement.
05:56En réalité, d'ailleurs, il y a une responsabilité dans la situation actuelle.
06:00Quand on parle de courage politique sur la dépense publique, il y a la responsabilité
06:04aussi certainement d'un déficit public relativement élevé parce qu'il y a eu des baisses de
06:09fiscalité qui ont été non financées, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu les économies en face.
06:13Donc la croissance, c'est le mieux parce que la croissance, ça permet de générer
06:17des recettes fiscales sans réduire le pouvoir d'achat, sans réduire les profits des entreprises,
06:21etc.
06:22Donc après, il vous reste effectivement la dépense publique ou les impôts.
06:26J'allais dire, vu les montants, il va falloir actionner les deux.
06:29Dire qu'en fait, la dépense publique, le problème, c'est quand on regarde dans le
06:33socle, la particularité de la France, c'est que beaucoup sont de la dépense sociale et
06:36par exemple, la question des retraites est fondamentale.
06:39Et les retraites, est-ce qu'on va toucher ou pas au niveau de vie des retraités ?
06:42Mais c'est politiquement assez délicat.
06:44Il y a la question de la santé, mais on voit qu'on était plus sur un recours plus important,
06:49des dépenses de santé, notamment avec le Ségur de la Santé.
06:50Pas compris dans les budgets des hôpitaux.
06:52L'éducation, la justice, la sécurité.
06:54La police.
06:55La police, donc après on peut faire quelques trucs sur les collectivités locales, elles
06:58ne seront pas contentes.
06:59Vous voyez, quand vous mettez ça bout à bout, il n'y a pas de recette miracle pour
07:02trouver d'un coup 100 milliards qui seraient un dollar sur l'économie.
07:06Il va falloir trouver un ensemble de leviers de façon à équilibrer le plus possible cet
07:09ajustement végétal.
07:10C'est possible ça ?
07:11Ça va être très dur.
07:12Et politiquement, à mon avis, il n'y aura pas de consensus.
07:15Et puis, il faut faire attention à préserver quand même la croissance, ne pas taper trop
07:19sur le pouvoir d'achat, faire en sorte que les entreprises restent compétitives.
07:22100 milliards, ce n'est pas une paille et donc, il va falloir avoir une stratégie assez
07:27claire et je pense qu'aujourd'hui, vu le climat politique, ça va être très difficile
07:30d'avoir une stratégie claire.
07:32Quand le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Gallo, dit aux parisiens
07:37qu'il faut aussi, à titre complémentaire, lever le tabou sur les hausses d'impôts,
07:43sans toucher si possible les classes moyennes ni les PME.
07:47Une fois qu'on a défini ce chemin-là, il reste quoi exactement François Eccal ?
07:54Il reste ce qui est toujours politiquement correct et consensuel.
07:59On va taper sur les très riches et les très grandes entreprises.
08:02Est-ce qu'il ne faudrait pas le faire, cela dit, vu le contexte ?
08:05Sans doute, oui, on peut le faire un peu, mais il ne faut pas se faire d'illusions
08:08non plus.
08:09On ne va pas trouver 100 milliards, je dirais, en prélevant sur les grandes entreprises
08:13et les très riches.
08:14Il faut avoir en tête que les uns comme les autres, au niveau international et contrairement
08:19à ce que croient beaucoup de Français, ils sont déjà très taxés.
08:24Donc oui, on peut certainement, il y a sans doute des choses à faire, mais il ne faut pas rêver.
08:30L'ISF pourrait revenir sous une forme ou une autre, l'ISF vert ?
08:33Si vous rétablissez l'ISF tel qu'il existait auparavant par rapport à l'IFI qui existe
08:38aujourd'hui et qu'ils remplacent, vous allez gagner 3 milliards par an.
08:42Peut-être faut-il effectivement remettre l'ISF, ou avoir en tête quand même que
08:48ça présente des risques, c'est-à-dire qu'il y a eu un mouvement de baisse de ses impôts
08:54sous la période Macron qui a laissé penser à un certain nombre de gens qu'en effet,
09:00ils pouvaient par exemple revenir en France, qu'il y avait moins de risques, qu'on leur
09:05prélève beaucoup d'argent sous forme d'ISF ou d'autres impôts.
09:08Je pense que là, pour très très longtemps, il faut se dire que ce n'est vraiment pas la peine.
09:14Un point important aussi à souligner, parce que vous avez parlé de l'ISF vert qui était
09:18dans le débat.
09:19D'ailleurs quand on parle des dépenses, il y a aussi les questions de transition énergétique.
09:22Le rapport Pizani-Maffouz parlait de 67 milliards par an à dégager, moitié publique, moitié
09:27privée.
09:28Donc c'est pas rien.
09:29Mais quand on parle de l'ISF vert, ça serait lever un impôt pour financer la transition.
09:33Là, on parle de lever des impôts pour réduire les déficits.
09:36Et donc on ne va pas faire de la redistribution ou financer des nouvelles dépenses.
09:40Donc il faut bien avoir ça en tête, c'est des augmentations d'impôts et de réductions
09:42de dépenses pour réduire la dette et le déficit, et pas pour améliorer la situation
09:46sociale ou gérer la transition énergétique.
09:48Sur la fiscalité, effectivement, des plus riches, et notamment du capital, elle a été
09:53réduite de façon assez significative au début du premier mandat d'Emmanuel Macron.
09:57Donc ça serait un retour en arrière, un marqueur assez important, parce que même
10:02politiquement, ça lui a coûté certainement assez cher ce geste-là.
10:05Mais c'est vrai que quand on voit les montants à dégager, ça sera insuffisant, ça c'est
10:10vrai, mais c'est difficile de ne pas donner l'exemple, effectivement, si vous demandez
10:14100 milliards d'ajustement budgétaire, de dire en fait, on va ne pas toucher aux plus
10:19riches ou aux plus grandes entreprises.
10:20Donc forcément, dans l'équilibrage politique, ce seront certainement les premiers qui vont
10:24être ciblés.
10:25Les baisses d'impôts consenties par Emmanuel Macron et ses différents gouvernements, je
10:35recite François Villeroy de Gallo, il dit « la France n'a plus les moyens de ses baisses
10:40d'impôts non financées, elles creusent encore plus les déficits, ce qui augmente
10:45l'inquiétude des Français des acteurs économiques, et cela n'apporte pas du coup la stimulation
10:50attendue ». Il y avait, si j'ose dire, un vice de forme, François Eccal, dans ses baisses
10:56d'impôts.
10:57François Villeroy de Gallo a parfaitement raison, je suis totalement d'accord avec lui.
11:01Je pense qu'il fallait en effet baisser certains impôts sur les entreprises.
11:05Je pense qu'on avait raison, on a eu raison de baisser le taux d'impôt sur les sociétés,
11:10on a eu raison d'engager un mouvement de baisse des impôts de production, parce qu'on
11:15a un problème de compétitivité extérieure, ça fait 20 ans qu'on a un déficit structurel
11:22de nos échanges commerciaux, et c'est un moyen de résoudre ce problème.
11:27Maintenant, même si ça a des effets favorables, ces baisses d'impôts ne s'autofinancent
11:34pas.
11:35C'est-à-dire qu'on ne peut pas en attendre un supplément d'activité suffisant pour
11:39que le déficit ne se dégrade pas.
11:40Donc il fallait en même temps réduire, faire des économies sur les dépenses.
11:45Et par ailleurs, on a fait aussi des baisses d'impôts sur les ménages, la taxe d'habitation,
11:50moi je n'aurais jamais supprimé la taxe d'habitation.
11:53Elle avait beaucoup de défauts, il fallait la réformer, c'était compliqué, plutôt
11:59que de la réformer, on a préféré résoudre le problème en la supprimant, je pense que
12:04c'était une erreur.
12:06Et vous Mathieu Plan ?
12:07En fait, le bilan, après maintenant 7 ans de mandat d'Emmanuel Macron, ce qu'on voit
12:11c'est qu'une partie du déficit actuel est liée effectivement aux crises, qui étaient
12:16très fortes, Covid, énergétique, mais une partie qui sont liées à des baisses d'impôts
12:19non financées.
12:20Nous on a fait le calcul à l'OFCE, on calcule qu'il y a à peu près 40 milliards de baisses
12:24d'impôts qui étaient non financées, notamment une grande partie, qui peuvent être légitimes,
12:27mais suite à la crise des gilets jaunes, mais qui n'étaient pas prévues, le renoncement
12:31à la hausse de la taxe carbone, la suppression de la taxe d'habitation pour tous, alors
12:34que c'était pour 80% des ménages, la réduction des impôts sur la production pendant le plan
12:39de relance, mais la réduction, elle est pérenne.
12:40Et voilà.
12:41Et donc tout ça, vous faites le bilan, parce que c'est à un moment où la contrainte
12:44budgétaire était faible, vous faites le bilan de mesures fiscales qui ont été peut-être
12:49utiles, mais par contre qui n'ont pas trouvé de financement en face, et donc aujourd'hui,
12:52on se retrouve à devoir payer la facture.
12:54Le RN puis la France Insoumise vont proposer dans le cadre de leur niche parlementaire
12:59une abrogation de la réforme des retraites.
13:02Dans le contexte budgétaire actuel, est-ce qu'on peut revenir sur cette réforme ? François
13:09Eccal, dans Le Point, vous disiez, et vous étiez triste, vous le déploriez, que Thomas
13:16Piketty a hélas plus de succès médiatique que la Cour des comptes ! Alors, expliquez-nous
13:22cette mélancolie !
13:26Je pense, malheureusement, il y a un risque important, parce que c'est assez consensuel,
13:32de revenir sur cette réforme des retraites, je pense que c'est une lourde erreur.
13:35Mathieu Plane disait tout à l'heure que la meilleure solution pour résoudre le problème
13:40des difficultés publiques, c'est la croissance.
13:42Le grand avantage d'une réforme qui conduit à relever l'âge de départ à la retraite,
13:48c'est que ça permet d'augmenter la population active et finalement, à terme, ça permet
13:52d'augmenter l'emploi et l'activité économique.
13:54Donc ça fait partie des rares réformes qui permettent à la fois de faire des économies
13:59sur les dépenses publiques, parce qu'il y a moins de retraités, mais aussi qui ont
14:03un effet favorable sur l'activité économique et donc ça permet d'augmenter les recettes
14:08non seulement des régimes de sécurité sociale, mais aussi de l'état des collectivités
14:13locales, etc.
14:14Donc c'est une des rares réformes qui a beaucoup d'avantages de ce type.
14:20On va revenir en arrière, je pense que c'est une lourde erreur.
14:23Un mot, Mathieu Plan ?
14:25En fait, si on revient en arrière, parce que cette réforme a été quand même très
14:27impopulaire et est passée en force, il faudra combler le déficit de la suppression de la
14:32réforme.
14:33Mais ça voudrait dire faire des efforts par ailleurs sur, par exemple, est-ce qu'on
14:36met à contribution les retraités ? Ce qui n'a pas été dans le débat.
14:38Est-ce qu'on joue plus sur une forme d'âge pivot et pas un âge légal ? Jouer plus
14:43sur les décotes et l'âge report ? Bon, il y a plein de choses à faire, mais forcément,
14:47effectivement, il faudra boucher un trou financier si jamais on revient dessus.
14:49Merci à tous les deux, Mathieu Plan, directeur adjoint du département analyse et prévision
14:54à l'OFCE, François Ecka, l'ancien magistrat de la Cour des Comptes, président de Fipeco,
14:59association d'information sur les finances publiques, on vous invitera avec Thomas Piketty
15:04pour débattre.

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