• il y a 2 mois

Tous les soirs à 20h30, Pierre de Vilno reçoit un invité qui fait l’actualité politique. Ce soir, Camille Pascal, conseiller d’Etat, auteur de "La Reine du labyrinthe" (Robert Laffont, août 2024).
Retrouvez "L'invité politique d'Europe 1 Soir" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linvite-politique-deurope-1-soir

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Transcription
00:00Et bonsoir à vous Camille Pascal, conseiller d'Etat et auteur de nombreux livres, dont le dernier
00:07Qu'est-ce que j'ai ri ? Mais qu'est-ce que j'ai ri en lisant La Reine du Labyrinthe chez Robert Laffont ?
00:13Au début je me suis dit, tiens Camille Pascal nous fait encore un roman historique.
00:17Et puis après, je suis rentré dedans, je ne l'ai pas lâché, c'est un page-turner,
00:24amis lecteurs, ceux qui pensent qu'il faut absolument prendre, je ne vais pas citer de nom,
00:29mais les livres qui sont en devanture de gondoles, avec les noms que je n'ai pas besoin de vous les dire,
00:36pour ne pas lâcher un livre, c'est faux. Vous prenez La Reine du Labyrinthe,
00:41vous dites que c'est la vérité sur l'affaire du collier, mais l'affaire du collier,
00:46ce n'est pas qu'il y a plusieurs versions, il y a une seule version,
00:49je parle sous votre contrôle, mais il n'y a pas de différentes versions de l'affaire du collier.
00:55En tout cas cette version là m'a plu, et en plus il y a le fond,
01:00et effectivement l'épilogue qu'on ne va pas révéler qui est là, mais c'est surtout la forme.
01:07C'est-à-dire que dans votre livre, tout le monde se fait coquuffier,
01:11tout le monde est foutu dans cette histoire, il n'y a pas de gagnant,
01:15et cette truculente Jeanne de la Motte-Valois, qui est donc prétendument une descendante des Valois,
01:22qui le fait savoir, qui va faire des pieds et des mains, elle a une opiniâtreté,
01:26elle ne lâche rien, elle fait évidemment penser à quelques personnages de la vie politique actuelle,
01:33on n'en dira pas plus, mais on la suit, c'est une croqueuse de destin.
01:39Et de diamants en l'occurrence.
01:41Avec ce collier, tout est dans la psychologie des personnages,
01:47la reine Marie-Antoinette n'en veut absolument pas de ce collier,
01:51elle est simple Marie-Antoinette, elle devient simple,
01:55elle dit qu'elle ne va pas porter une guirlande de Noël, qu'elle n'en a aucune envie,
02:00qu'elle n'a pas envie de ce genre de truc, personne n'en veut,
02:03alors finalement cette affaire du collier, elle l'a uniquement pour renchérir et avancer dans le monde
02:12pour cette Jeanne de la Motte qui n'a qu'une envie, c'est d'être à la cour et de vivre comme ses ancêtres.
02:19Oui, elle est authentiquement une Valois,
02:22Jeanne de la Motte ment sur tout, tout le temps, en permanence, sauf sur ses origines.
02:30Et ça j'ai retrouvé dans le cabinet de Chérin qui était le généalogiste du roi,
02:37et croyez-moi les généalogistes du roi de France étaient sourcieux,
02:40et donc ils ont reconnu qu'elle descend d'un bâtard d'Henri II directement, ça n'y a aucun problème.
02:46Et la branche dont elle descend, comme on dit en Normandie, est tombée en démence,
02:52c'est-à-dire qu'ils n'ont plus rien, ils ne sont plus rien,
02:55et cette femme est habitée par la souffrance du déclassement.
03:01Alors aujourd'hui la littérature française nous parle de la souffrance des transfuges de classe,
03:08réussir dans la vie est semble-t-il une souffrance, ça me laisse pantois,
03:12mais enfin si on en croit Annie et Arnaud, que la France vous ait permis de filer d'épicier,
03:20de devenir agrégé de lettres, c'est douloureux.
03:24Alors les transfuges de classe, dans la littérature française d'aujourd'hui,
03:29il n'y a plus assez d'étagères pour les mettre, mais elle souffre de ce déclassement,
03:33et elle ne supporte pas de voir à la cour des gens qu'elle considère qu'ont moins bien nés qu'elle,
03:39y compris d'ailleurs des bâtards de Louis XIV, parce qu'elle, elle est la branche au-dessus,
03:43et elle va avec une opiniâtreté...
03:48Elle a un plan de bataille.
03:50En fait, c'est à la fois une perverse et une mythomane.
03:54Mais ça marche.
03:56Parce qu'en fait, elle a un plan sans avoir de plan, et c'est tout le génie de l'escroc.
04:00Ça vient un peu au jour le jour.
04:02Et il s'adapte en permanence, il s'adapte à ses proies,
04:05parce qu'elle a rencontré le cardinal Doran.
04:07Comme un bon général, qui s'adapte aussi au devenir de la bataille,
04:12et au changement de position de l'adversaire.
04:14Elle n'a pas de plan établi, elle a une volonté farouche, c'est de devenir riche.
04:18Et elle a trouvé un pigeon, qui est le cardinal Doran.
04:20Ah mais quel pigeon ! Mais quel pauvre homme, j'ai pitié pour lui, je pleurais pour lui,
04:24j'avais envie de mettre des cierges pour lui tellement vous l'assassinez dans le livre.
04:29Alors en fait, les faits l'accablent.
04:33Mais le cardinal Doran est un homme qui, lui, a une autre souffrance.
04:37C'est que la reine ne le regarde plus.
04:39Il est dans la disgrâce.
04:41Et quand un homme de pouvoir et un homme de cour est dans la disgrâce,
04:45je pense qu'il n'y a pas de plus grande douleur.
04:48Mais elle va, Jeanne de Lamotte ?
04:51Elle lui chante la chanson qu'il a envie d'entendre.
04:53Elle l'arrive par des stratagèmes.
04:56Elle entretient avec lui une fausse correspondance avec la reine.
04:59Les billets bleus et dorés sur le haut.
05:03J'ai retrouvé même le nom du libraire qui vendait le papier à Jeanne de Lamotte.
05:08Comme le procès a été retentissant, il a été très bien fait,
05:12et donc les archives sont incroyables.
05:14Sauf que Marie-Antoinette ne signait jamais 2 francs.
05:18Bien sûr.
05:19Et il est aveuglé en réalité,
05:22parce qu'il se voit peut-être devenir l'amant de la reine,
05:25mais il se voit surtout devenir premier ministre.
05:28Il est cardinal, donc.
05:30Sous l'Ancien Régime, un cardinal, c'est le major de l'ENA.
05:34Il est fait pour être premier ministre.
05:36En tout cas, c'est amené avec un style.
05:38Et alors, vos cliffhangers en bon français arrivent en fin de chapitre à chaque fois.
05:44Et à chaque fois, c'est admirablement bien écrit.
05:50« Pendant quelques jours à la cour, on ne s'entretint que du petit incident
05:54avec ses élans de sensibilité dont les excès étaient furieusement à la mode.
05:58Puis les conversations changèrent d'objet,
06:01comme les mouches finissent toujours par changer d'âne. »
06:04Et tout est comme ça tout le temps.
06:06Je ne vais pas vous lire les 410 pages de votre livre.
06:13Vous prenez un malin plaisir à assassiner le destin,
06:19d'une certaine manière, à chaque fin de chapitre.
06:22C'est ça qui est...
06:23Oui, alors...
06:24« In scoda venenum », disaient les latins.
06:27C'est dans la chute que...
06:30Mais vous avez le destin, par exemple.
06:32On va prendre un personnage qui apparaît,
06:34qui est un genre de second rôle,
06:36mais qui va jouer son rôle important pour se faire passer pour la reine.
06:41C'est cette fille de joie qu'on trouve dans les bas-fonds du Palais Royal,
06:46qu'on va titrer parce qu'elle devient la baronne de l'IVA.
06:51Alors elle s'appelle Jeanne.
06:52Alors c'est Nicole.
06:53Jeanne ou Nicole.
06:54Jeanne ou Nicole, on ne sait pas très bien.
06:56Tout d'un coup, elle va voir le faste,
06:59on va l'habiller comme une reine,
07:01on va lui donner du chocolat chaud parce qu'il n'y a rien à bouffer,
07:04donc il y aura au moins du chocolat chaud,
07:05mais bon, elle n'y voit rien.
07:08Et puis elle va quand même réussir à avoir un rôle dans tout ça.
07:12Elle a un rôle central.
07:14Elle est très sympathique, elle est gentille,
07:17n'est pas méchante et très bête,
07:20disent les notes de police sur Nicole Legay.
07:23Toi, c'est les vraies notes de police du procès.
07:25Oui, c'est les notes de police.
07:26Et les notes de police avant, parce qu'elles étaient surveillées,
07:28comme toutes les prostituées.
07:30Et alors au Palais Royal,
07:32il y avait les accrocheuses,
07:34qui étaient vraiment les prostituées
07:36qui faisaient du tapin,
07:40et qui marchaient.
07:42Et ça, c'était des filles de bas étage.
07:45Et puis après, il y avait les prostituées
07:47qui se faisaient passer pour des femmes de qualité.
07:51Et celle-là était assise sur des chaises qu'elle payait.
07:54Et alors pour renforcer son rôle,
07:56elle avait sa chaise,
07:57et pour renforcer son rôle,
07:58elle se faisait prêter un enfant de 4 ans
08:01qu'elle gardait.
08:03Et tout ça, c'était un jeu.
08:05Et donc c'est le mari de Jeanne Delamotte,
08:07qui est alors un joueur.
08:12Parce qu'il y a aussi des tables de jeux au Palais Royal.
08:15Au Palais Royal, vous avez tout ce qu'il faut.
08:17Vous avez les boutiques en bas,
08:18à l'étage au-dessus, les tripots,
08:20et après, les chambres.
08:22Et donc elle est recrutée.
08:25Et ce qui est absolument extraordinaire,
08:28c'est qu'on lui dit,
08:29voilà, la reine veut faire une surprise.
08:31Elle veut se moquer d'un grand seigneur.
08:33Vous allez jouer son rôle.
08:34Alors elle est complètement...
08:35Alors elle dit, mais comment il faut que j'appelle la reine,
08:37votre majesté, madame ?
08:38Non, non, non.
08:40La majesté suffira.
08:42Et elle arrive, elle, à Versailles,
08:45pour se jouer son rôle.
08:46Elle s'est habillée, la pauvre.
08:47Elle est allée louer des faux bijoux, etc.
08:51Et elle ressemble à rien.
08:52À rien.
08:53Et quand Jeanne Delamotte la voit,
08:54elle dit non, c'est pas possible.
08:55Et là, le génie de Jeanne Delamotte,
08:56c'est que Jeanne Delamotte a vu au salon...
08:59Non, la reine, elle ne l'a même quasiment jamais vue.
09:01Elle l'a aperçue aussi, au moment où elle s'évanouit.
09:04Mais elle l'aperçoit.
09:05Mais là où le génie,
09:07c'est qu'elle est allée voir le portrait de la reine
09:12par Vigée Lebrun,
09:13où elle est représentée en chemise de nuit.
09:16Ce qui a fait un scandale épouvantable,
09:18au point qu'on l'a retirée dans les premiers jours.
09:20Et elle va habiller la reine telle qu'elle.
09:24Et c'est ce phénomène d'imitation permanente,
09:27de jeu de miroir un peu maléfique,
09:30qui va, au fond, emporter tout le monde.
09:33Et le pauvre roi arrive.
09:35Et alors, elle s'inspire du tableau
09:37pour habiller la fille.
09:41Et elle s'inspire de la dernière scène
09:43du mariage de Figaro de Beaumarchais
09:47pour cette scène
09:50où on doit prendre quelqu'un pour quelqu'un d'autre.
09:53C'est Rosine et la Comtesse.
09:54Et Rohan n'y voit que du feu.
09:57Il perd sa chaussure en partant.
09:58C'est extravagant.
10:00C'est extravagant.
10:01Vous basez sur des faits réels.
10:03Et en même temps, les faits réels en 2024 ou avant,
10:07puisque vous êtes conseiller d'Etat,
10:09vous avez travaillé pour le président de la République,
10:12vous avez travaillé pour un premier ministre.
10:14Est-ce que, finalement, tout ça s'est éloigné ?
10:17Non.
10:18C'est ça ?
10:19Non, parce que la condition humaine est la même.
10:21La douleur vis-à-vis de la perte du pouvoir est identique.
10:24Pourquoi est-ce que Bérégovoy se tire une balle dans la tête ?
10:27Pourquoi est-ce que Grosso se tire une balle dans la tête ?
10:29Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui,
10:31des ministres disgraciés écrivent des livres ?
10:33Parce qu'ils souffrent.
10:35On sourit.
10:37Mais quand vous avez été réchauffé
10:39au rayon du soleil du pouvoir,
10:42vous êtes glacé s'il s'éloigne.
10:45En fait, vous n'avez plus aucun espoir.
10:50Aujourd'hui, vous avez le départ de Bruno Le Maire.
10:53Vous verrez que l'éloignement...
10:55Bruno a cet avantage, c'est qu'il écrit.
10:58Je pense qu'il n'y a que l'écriture qui sauve.
11:00A titre personnel, je me suis mis à l'écriture
11:02quand on a perdu le pouvoir
11:04et qu'on a quitté l'Elysée en 2012.
11:06Parce qu'on vous arrache quelque chose.
11:08Après, il faut vivre avec.
11:10Mais Rohan, c'est la même chose.
11:13Pardon, mais...
11:16Les personnalités, on ne citera pas d'exemple,
11:19qui s'accrochent au pouvoir,
11:22qui sont prêtes à tout,
11:24à tous les stratagèmes,
11:26à toutes les stratégies pour rapprocher,
11:28avancer d'un rang, faire semblant, mentir...
11:31Vous avez une ancienne ministre qui,
11:33dernièrement, disait sa disponibilité
11:35sur tous les plateaux de télévision
11:37pour Matignon.
11:39C'est une sorte de Jeanne de Lamotte.
11:41Oui, mais si jamais elle rencontrait
11:43quelqu'un qui pouvait l'assurer
11:45qu'elle allait lui obtenir un rendez-vous
11:47avec Michel Barnier, je pense qu'elle le croirait.
11:49Evidemment, parce qu'il y a des gens
11:51qui n'ont que ça dans la vie.
11:53Vous avez cité les ministres disgraciés
11:55qui écrivent un livre pour potentiellement
11:57revenir dans le jeu politique.
11:59C'est un peu l'histoire de la vie.
12:01Vu notre classe politique qui n'a plus que ça,
12:03aujourd'hui, ceux qui veulent devenir
12:05ministres, ce sont ceux qui sont députés
12:07depuis 15 ans, qui n'ont ni la passion
12:09de la fonction publique, ni de la lecture,
12:11qui n'ont jamais fait d'autres métiers.
12:13C'est aussi peut-être ça qui tue
12:15notre vie politique.
12:17Oui, mais le courtisan, il n'a jamais rien fait d'autre dans sa vie.
12:19Le cardinal de Rouen, il est roi.
12:21Il est grand aumônier.
12:23Il chasse.
12:25Il a hérité d'ailleurs d'une fortune
12:27qu'il a complètement dilapidée, sans parler de son cousin.
12:29Alors lui, le cousin...
12:31Là, ils n'ont pas eu de chance, les Rouens, sur la fin du XVIIIe siècle.
12:33Mais est-ce que vous diriez, puisque tout ça
12:35se passe effectivement du temps de Louis XVI,
12:37que finalement, rien n'a changé ?
12:39Non, rien n'a changé.
12:41On a décapité un roi, il y a 200 ans d'histoire
12:43qui se sépare, et puis finalement,
12:45vice repetita,
12:47le budget de l'Elysée a explosé.
12:49Regardez les résurgences révolutionnaires auxquelles nous assistons.
12:51Qui aurait pu croire
12:53qu'on brûlerait
12:55ou qu'on
12:57pirerait l'art de triomphe ?
12:59Écoutez-moi, il y a une chose qui m'a frappé.
13:01Vous avez une minute pour conclure.
13:03Il y a six ans,
13:05je sors un livre, qui me vaudra un grand succès,
13:07le prix de l'académie, qui est
13:09L'été des quatre rois, qui raconte la révolution de 1830.
13:11Ce livre sort en 2018.
13:13En août 2018.
13:15En novembre, décembre 2018.
13:17Je suis devant ma télé.
13:19Qu'est-ce que je vois ?
13:21Des émeutiers qui essaient
13:23d'arracher les grilles du palais des Tuileries,
13:25où il n'y a plus de palais
13:27depuis 150 ans.
13:29Et là, je me suis dit,
13:31notre pays est profondément
13:33historique.
13:35Profondément historique.
13:37Les gilets jaunes n'ont pas fait
13:39un master de droit.
13:41Pardon, d'histoire.
13:47Mais de là à se précipiter
13:49sur les grilles du palais
13:51qui a été attaqué en 1792.
13:53Les symboles restent, Camille Pascal.
13:55Et puis justement, dans un pays historique,
13:57les symboles restent.
13:59Camille Pascal, la reine du labyrinthe, c'est chez Robert Laffont.
14:01Précipitez-vous, c'est absolument truculent.
14:03Merci beaucoup, Camille Pascal,
14:05d'avoir été avec nous.

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