• il y a 2 mois

Tous les soirs à 20h30, Pierre de Vilno reçoit un invité qui fait l’actualité politique. Ce soir, François Heisbourg, senior adviser pour l'Europe de l'International Institute for Strategic Studies (IISS) et conseiller spécial pour la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), à l’occasion de la parution de son dernier livre "Un monde sans l’Amérique" (Odile Jacob, septembre 2024).
Retrouvez "L'invité politique d'Europe 1 Soir" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linvite-politique-deurope-1-soir

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Transcription
00:00Europe 1 soir, 19h21, Pierre de Villeneuve.
00:04Je salue mes camarades du soir.
00:06Bonsoir Gilles Boutin.
00:07Bonsoir Pierre.
00:08Chef des informations au Figaro.
00:09Et bonsoir à Alexandre Malafaille, fondateur du think-tank Synopia.
00:13Bonsoir Pierre de Villeneuve.
00:14Bonsoir François Heisbourg.
00:15Bonsoir.
00:16Merci d'être avec nous.
00:17Vous êtes Senior Advisor, comme on dit en bon français, pour l'Europe et l'international
00:22de l'Institut for Strategic Studies, conseiller spécial pour la Fondation pour la Recherche
00:28stratégique et vous publiez Un Monde sans l'Amérique chez Odile Jacob.
00:34On va y venir dans un instant.
00:35D'abord, je voudrais votre avis sur cette escalade au Proche-Orient avec, on a vu les
00:40différentes déclarations, mais Ankara qui dit que cette situation peut mener toute la
00:47région au chaos.
00:48Oui ou non ?
00:49Réponse courte est oui puisqu'elle était déjà.
00:51Donc elle est déjà dans le chaos.
00:55Si le Moyen-Orient connaissait la vie d'un long fleuve tranquille, ça se saurait.
01:00Est-ce qu'Ankara ne veut pas dire que c'est le risque d'aller vers une guerre totale ?
01:05Je ne sais pas la définition d'une guerre totale.
01:08Ce que je note, c'est qu'il y a une escalade militaire absolument évidente.
01:14Les Hezbollah tirent des missiles à longue portée.
01:18C'est la première fois depuis 2006, depuis la dernière guerre entre Israël et les Hezbollah.
01:25Israël a tapé très fort militairement en ce moment et auparavant, il y avait eu l'affaire
01:33des Bipers et des Tokiwokis qui n'étaient pas purement anecdotiques.
01:38Il a quand même décapité, parfois au sens physique du terme, toute une partie de la direction du Hezbollah.
01:48En même temps, ce qui est paradoxal dans cette affaire, et c'est pour ça que je considère que c'est très bien
01:54que l'Irak ou l'Égypte demandent la convocation du Conseil de sécurité,
02:00c'est que le Conseil de sécurité, en 2006, le fait est assez rare pour être noté,
02:05s'était mis d'accord sur les termes de ce à quoi pourrait ressembler une paix entre Israël et les Hezbollah.
02:16Les Israéliens devaient quitter le sud du Liban, ce qu'ils avaient fait,
02:20et les Hezbollah devaient se retirer derrière le fleuve Litani au Liban.
02:24Ce qui a été fait ?
02:25Non.
02:26Ce qui n'a pas été fait ?
02:27Ce qui n'a pas été fait.
02:28C'est probablement là la prochaine étape de cette affaire,
02:32soit les uns et les autres convainquent les Hezbollah de se retirer de façon raisonnablement gracieuse,
02:41soit que les Israéliens entrent effectivement dans cette bande de territoire d'une trentaine de kilomètres au Liban,
02:49donc encore un barreau dans l'escalade.
02:54Gilles Boutin ?
02:55Oui, on a quand même l'impression que le monde arabo-musulman se désintéresse pas mal de ce qui se passe soit à Gaza,
03:01soit en Cisjordanie, ou même concernant le Hezbollah,
03:04c'est-à-dire qu'il y a les déclarations officielles,
03:07mais derrière on a le sentiment qu'Israël est persuadé de pouvoir agir sans avoir à craindre de véritable réaction,
03:14autre que des lancements de missiles qu'Israël a l'air d'être tout à fait en capacité de contrer.
03:19Est-ce qu'il y a une sorte de sécurité dans l'action pour Israël ?
03:22Je ferai une petite différence entre les Hezbollah et les autres,
03:27c'est-à-dire les palestiniens des territoires et la ramasse.
03:31Les Hezbollah ce ne sont pas des palestiniens,
03:34les Hezbollah c'est un outil des services iraniens et un acteur de la vie politique libanaise.
03:41Ils ne sont pas du tout engagés dans la tentative de construction d'un état palestinien,
03:48dont ils n'ont que faire.
03:50Et les Hezbollah n'est pas exactement l'organisation la plus populaire dans le monde arabe,
03:57puisque c'est un groupement chiite, dont le partenaire naturel est l'Iran,
04:03qui n'est pas à ma connaissance un état arabe.
04:06Donc, vis-à-vis du Hezbollah, les Israéliens peuvent faire n'importe quoi,
04:13d'autant plus qu'une fois n'est pas coutume, le droit international est clairement du côté d'Israël.
04:18La résolution 1701 du conseil de sécurité de 2006 a posé des termes de ce que devrait être la situation au sud liban.
04:30Mais pensez-vous sincèrement que la Turquie s'inquiète de ce qui se passe au Liban ?
04:34Ou est-ce que c'est que de la com ?
04:36Là, tel que c'est exprimé par la Turquie, c'est de la com.
04:39A dire qu'il y a risque de chaos...
04:43Le chaos est déjà là.
04:46Il est vrai que ça pourrait être pire, ça c'est vrai,
04:48mais ça n'engage absolument à rien que de dire ça.
04:51Ils ne disent pas, nous sommes pour l'Hezbollah, contre l'Hezbollah, pour ceci, pour cela.
04:56Il apparaît clair qu'Israël a un plan, ça a commencé il y a quelques jours avec les Bipers et les Tokiwokis,
05:00maintenant on est sur la phase bombardement ciblée et précise, et ça décapite pas mal.
05:04Il y a des buts de guerre qui ont été clairement annoncés.
05:07On sait qu'ils veulent reprendre le contrôle de leur territoire,
05:09qu'ils veulent arrêter la nuisance du Hezbollah sur cette zone, en particulier dans le nord d'Israël.
05:13Est-ce que vous pensez qu'Israël profite de la période des élections américaines,
05:17qui crée un entre-deux forcément plus compliqué pour à la fois le sortant et Kamala Harris,
05:22qui n'est pas forcément à l'aise sur le sujet.
05:24Ils en profitent clairement pour aller, on y va maintenant,
05:26ou alors qu'ils anticipent la défaite de Donald Trump,
05:28et qu'avec Kamala Harris ils savent que ce sera plus compliqué.
05:31S'agissant de Gaza, la réponse est sûrement oui.
05:35S'agissant de l'affaire du Hezbollah, je pense que la réponse est plutôt non.
05:40Il faut beaucoup de temps pour organiser une opération comme celle des bipers.
05:44Ce n'est pas des trucs qui s'improvisent, il faut des années de préparation.
05:48Mais on peut dégancher ou pas ?
05:50On peut, mais il faut dire aussi que les Israéliens ont leur armée qui est prête,
05:56qui est là, qui est mûre pour agir, un consensus à l'intérieur du pays,
06:02et effectivement le Hezbollah, qui n'est pas exactement l'organisation la plus populaire
06:07dans la région du côté des Arabes en ce moment.
06:11François Hezbourg, vous publiez Un monde sans l'Amérique,
06:14avec un drapeau américain qui s'efface en couverture chez Odile Jacob.
06:20D'abord je voulais vous féliciter parce que c'est un livre très juste,
06:23d'autant qu'il relate les derniers changements dans la campagne.
06:26Désormais c'est Kamala Harris qui mène le bal et non plus Joe Biden.
06:30Donc j'imagine que ce livre a dû être...
06:32Il est encore chaud en fait, il sort tout juste de l'imprimerie.
06:37Et puis, d'abord, pourquoi est-ce que...
06:41Enfin, vous abordez le sujet que personne n'aborde,
06:45c'est que l'Amérique, comme vous dites, les Etats-Unis,
06:48cette grande puissance qui nous a toujours protégés,
06:51il y a encore des pays en Europe qui sont très atlantistes,
06:53je ne vais pas les citer, mais je pense notamment à un pays que je connais bien,
06:57qui compte toujours sur l'Amérique,
06:59finalement cette Amérique elle va, peu à peu selon vous, s'effacer.
07:04C'est...
07:06Le choix des mots est très important.
07:08Dans ce livre, je parle très peu du déclin américain.
07:13J'ai pas prononcé ce mot.
07:14Non, non, justement, vous l'avez pas prononcé,
07:16et vous avez raison, ça montre que vous avez lu le livre.
07:18Et je vous en félicite.
07:22L'effacement et le déclin ce n'est pas la même chose.
07:25Les Etats-Unis, du point de vue économique, du point de vue technologique,
07:29du point de vue sociétal, sont dans un état qui n'est ni meilleur ni pire,
07:33et certains pourraient même dire peut-être un petit peu meilleur qu'elle ne l'était il y a 5 ans.
07:37C'est toujours une valeur refuge des Etats-Unis.
07:39Il suffit de regarder la carrière du dollar pour le constater.
07:44Et par ailleurs, des pays qui étaient en plein boom, comme la Chine,
07:48sont aujourd'hui dans une situation, j'allais dire, flageolante.
07:54Autrement dit, ce n'est pas un livre,
07:56ce n'est pas le énième livre, comme il y en a eu depuis 100 ans,
07:59sur le déclin américain.
08:01Par contre, il y a ce processus d'effacement, ce processus de repli sur soi,
08:06le déclin, si j'utilise le mot, il se passe dans les têtes.
08:10Il est subjectif beaucoup plus...
08:12Mais ça joue sur l'élection qui arrive dans un mois et demi.
08:15Ça joue en plein dans l'élection.
08:17Ça a déjà joué dans l'élection précédente,
08:19dans laquelle Trump et Biden avaient tous les deux eu le même slogan
08:24concernant les engagements extérieurs des Etats-Unis,
08:28qui étaient, il faut arrêter de parler anglais un instant,
08:31les Forever Wars, les guerres interminables,
08:34parlant de l'Afghanistan, parlant de l'Irak et ainsi de suite.
08:38Et en l'occurrence, c'est Trump qui avait signé les accords avec les talibans
08:45pour quitter l'Afghanistan, et c'est Biden qui l'a fait.
08:48Autrement dit, ce processus ne remonte pas à ces derniers mois.
08:56Il a démarré il y a déjà quelques années, et on est en plein dedans.
08:59Et une des choses que j'évoque dans mon livre,
09:02c'est bien le fait que certes, Kamala Harris et Donald Trump
09:08ne vont pas conduire la même politique au même rythme.
09:13Il y aura certainement une différence de tempo entre les deux.
09:16Mais par contre, ce processus de repli,
09:18on le constatera aussi bien chez l'un que chez l'autre.
09:22Vous dites une chose qui m'a marqué,
09:24et que je trouve très juste en regardant le clip de campagne de Kamala Harris,
09:30c'est qu'elle est très sur les minorités,
09:35et elle est très très peu sur les Américains blancs.
09:38Oui, je ne sais pas...
09:42C'est son déficit dans cette campagne.
09:44Alors que pour l'instant, quand on regarde les sondages,
09:47elle est en tête devant Trump, parce qu'elle a été très bonne au débat.
09:50Je ne sais pas qui gagnera les élections.
09:53Je ne suis pas Madame Soleil, ça c'est clair.
09:55Mais je constate aujourd'hui que l'écart entre les deux candidats
10:00est plus serré qu'il ne l'était à la même époque
10:04lors de la présidentielle entre Donald Trump et Hillary Clinton en 2016.
10:12Puisque là, on avait Hillary Clinton, une autre femme,
10:16avec une large avance par rapport à Donald Trump dans les sondages,
10:21et ainsi de suite, et qui perd à la fin.
10:23Vous dites, trop marquée à gauche, insuffisamment proche de l'électorat blanc,
10:27elle aura du mal à ratisser suffisamment large pour pouvoir l'emporter,
10:30d'autant que le choix de son colistier Tim Walz ne la ramène guère
10:33vers le centre politique de l'électorat.
10:35Absolument.
10:37Je pense qu'elle a commis une erreur stratégique tout à fait considérable
10:41au tout début de sa campagne,
10:43en prenant justement cet homme-là, M. Walz, comme vice-président,
10:46plutôt que le vice-président, pardon, le gouverneur de la Pennsylvanie,
10:53personnage beaucoup plus connu, M. Shapiro,
10:58mais pour des raisons que j'ignore,
11:01bien que la Pennsylvanie soit un des sept États absolument clés,
11:05celui qui perd en Pennsylvanie, il a probablement perdu les élections présidentielles.
11:10Donc ça va se jouer au couteau, ça va être vraiment sur le fil.
11:15C'est pour ça que je dis que je ne sais pas qui va gagner.
11:19Elle, elle a ses faiblesses que vous avez citées.
11:22Lui, bien entendu, il a d'autres problèmes, problèmes de l'âge.
11:26Là pour le coup, c'est lui qui devient le Biden de l'affaire.
11:30C'est l'arroseur arrosé d'une certaine manière.
11:32Absolument, à force d'avoir glosé sur ce thème,
11:35il se trouve rattrapé par son âge.
11:37Vous dites qu'il faudra quand même regarder, d'une manière très importante,
11:41le débat entre les deux futurs vice-présidents, J.D. Vance et T. Walz.
11:47Absolument, ça va se passer au 1er octobre,
11:51tout simplement parce que le problème de l'âge se pose pour Trump.
11:55Il est moins âgé qu'en était Biden,
12:00mais il n'est pas tout jeune,
12:03c'est un homme avec un tempérament sanguin.
12:06Il a déjà fait savoir qu'il ne se représenterait pas en tout état de cause en 2028,
12:14ce qui paraît...
12:16En mode, déjà, essayons l'élection de 2024.
12:22C'est une forme de prudence.
12:24C'est toujours dans la surenchère.
12:26J.D. Vance est un homme, certes controversé de côté républicain,
12:33mais par ailleurs un homme assez original.
12:36C'est un auteur, un littéraire.
12:38C'est pour ça qu'il a été choisi, sans doute.
12:40Alexandre Malafaille, vous vouliez interroger François Hesbaud.
12:42Est-ce que vous pensez que cet espèce d'effacement de repli que vous constatez,
12:46a quelque part un point d'origine qui coïncide avec les premières grandes erreurs du XXIe siècle,
12:51comme par exemple la guerre en Irak,
12:53et puis ce mouvement vers ce deux-poids-deux-mesures dont l'Occident a souvent été le chantre,
12:59qui a créé cette espèce de distorsion par rapport au reste du monde,
13:02et qui a fabriqué non pas ce stu global qui est un concept un peu flou,
13:05mais qui fait cette espèce de rejet de l'Occident,
13:07et en particulier des Américains,
13:09et qui les amène à avoir cette position un peu pragmatique.
13:12J.-L. M. Vous avez raison de souligner l'impact de la guerre d'Irak.
13:16Il n'y a rien qui soit plus mauvais pour un gouvernement
13:19que de se trouver dans la situation de commencer une guerre
13:22qui se retourne contre lui.
13:25Et on a rejoué la même séquence dans des conditions moins contestables.
13:31On se concerne l'origine de la guerre en Afghanistan.
13:33Mais dans les deux cas, ça finit très mal,
13:37et ça n'encourage évidemment pas à se précipiter
13:43dans un profil affirmé en matière de politique internationale et de défense.
13:50Mais il y a aussi tout simplement les problèmes internes à la société américaine,
13:53y compris les problèmes politiques.
13:55La polarisation de la société américaine
13:58est certainement la plus importante, au moins depuis la guerre du Vietnam,
14:04et la Watergate,
14:06et on peut même remonter, comme le font certains,
14:09peut-être à l'excès, mais encore ça reste à voir,
14:12par rapport à la période qui a débouché dans les années 1860
14:18sur la guerre civile.
14:20Alors je ne suis pas en train de prévoir une guerre civile aux Etats-Unis,
14:23mais cette polarisation, elle mobilise l'intérêt des uns et des autres.
14:29Il est difficile de s'intéresser au sort du monde
14:33lorsque vous êtes en train de vous bagarrer
14:37entre républicains ultra-durs et démocrates ultra-wokes.
14:41François Heisbourg, merci beaucoup d'être passé par Europe 1,
14:44un monde sans l'Amérique absolument à lire
14:47avant ces élections aux éditions.
14:49Odile Jacob.

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