Jean-Yves Le Borgne : «Si l'opinion publique exerce une tyrannie sur le juge, il n'y aura plus de justice»

  • il y a 2 semaines

Tous les soirs à 20h30, Pierre de Vilno reçoit un invité qui fait l’actualité politique.
Retrouvez "L'invité politique d'Europe 1 Soir" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linvite-politique-deurope-1-soir

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00:00Et pour cette deuxième heure, bonsoir à Alexandre Malafaille, président du laboratoire
00:11d'idées Synopia.
00:12Bonsoir à Gilles Boutin, mon confrère et chef des informations au Figaro et bonsoir
00:18à vous Jean-Yves Leborgne.
00:19Bonsoir à tous.
00:20Merci de nous éclairer ce soir sur plusieurs faits, non pas divers puisque Gérald Darmanin
00:27a décidé et je pense qu'il a raison d'arrêter d'appeler faits divers, des faits qui ne
00:32sont pas si divers que ça, qui sont des vrais phénomènes de société sur lesquels il
00:36faut se pencher et c'est la raison également de votre présence Jean-Yves Leborgne.
00:39Commençons quand même par la mort de Camilia, 7 ans, fauchée mortellement par un individu
00:46de 19 ans qui était inconnu des services de police, inconnu des services judiciaires qui
00:51juste, juste, évidemment c'est un euphémisme, faisait une roue arrière en contresens sur
00:57une rue de Valoris et affauchait mortellement cette petite fille qui est morte à l'âge
01:02de 7 ans alors qu'elle était sur son passage péton et qu'elle n'avait rien demandé à
01:06personne.
01:07Cet homme de 19 ans est aujourd'hui libre sous contrôle judiciaire.
01:12Alors le parquet de grâce a fait appel mais on peut comprendre l'interrogation et la colère
01:18des parents et pas que des parents.
01:20Je pense que les affaires judiciaires ne doivent jamais être analysées au regard de la douleur
01:29des victimes ou des dénégations d'irresponsabilité de ceux qui en sont responsables.
01:35C'est précisément le rôle du juge que de garder une certaine distance, un certain équilibre.
01:43Et même si à l'évidence la mort de cette petite fille est une épouvantable tragédie
01:49qui nous fait tous frémir, nous qui avons des enfants, en réalité ce garçon si irresponsable
01:58qu'ait été son comportement n'avait aucune intention criminelle, homicide, c'est une
02:05irresponsabilité.
02:07Nous avons dans notre droit des différences entre le meurtre qui est une volonté de tuer
02:15sur le moment, l'assassinat qui est le projet de tuer conçu, organisé, réalisé et puis
02:23aussi l'homicide involontaire.
02:26Et l'homicide involontaire sur le plan statistique c'est le plus souvent ce qui se passe sur
02:32la route lorsqu'un tragique accident aboutit à des décès.
02:37Sachant que là le jeune il n'est pas mis en examen pour homicide involontaire, il est
02:42mis en examen pour blessure involontaire puisque la jeune fille n'est pas morte sur le coup.
02:50Oui, mais ça ne change rien.
02:52En réalité il a dû être mis en examen pour couser blessure involontaire parce que
02:59la petite fille n'était pas décédée au moment de sa mise en examen.
03:03Mais le fait qu'elle ait perdu la vie fait que cette affaire devient une affaire d'homicide
03:10involontaire.
03:11Alors fallait-il que le juge saisisse le juge des libertés pour que celui-ci décide d'une
03:20incarcération ou fallait-il considérer que si irritante que soit la position de ce
03:29gamin sur sa moto et son irresponsabilité il n'y avait pas pour autant de volonté homicide,
03:37c'est là le problème.
03:38Mais est-ce que je vous parle en dehors de la peine, de la colère et de l'émotion Jean-Yves
03:45Leborgne, ce mot involontaire, est-ce qu'il est bien approprié ?
03:50Pour un individu qui prend sa moto, qui fait un rodeo, on ne sait pas à quelle vitesse
03:54il roulait mais visiblement beaucoup trop vite, en contresens, est-ce qu'il n'y a pas une
04:01façon de se dérober en disant que ça n'est pas volontaire ?
04:04Est-ce que d'une certaine manière on sait quand moi je prends une voiture et que je
04:10roule à 200 km heure sur une route départementale qui est limitée à 80, je sais que potentiellement
04:16je peux mettre en danger des gens ?
04:18Le mot d'involontaire, ce n'est ni vous ni moi qui le choisissons, c'est le mot de la
04:26loi.
04:27Il existe une infraction d'homicide involontaire, c'est le législateur qui l'a vu comme ça.
04:33Mais ce n'est pas parce que c'est la loi et parce que c'est le législateur.
04:37Si, un comportement qui doit être...
04:39Mais les lois elles changent Jean-Yves Leborgne.
04:42Je pense qu'on ne peut quand même pas raisonnablement considérer que celui qui prend une arme,
04:50un couteau, une arme à feu, peu importe, même une arme par destination, et qui prend
04:54le risque de tuer quelqu'un en utilisant cette arme, a la même responsabilité émorale
05:03et juridique que celui qui est à un comportement irresponsable.
05:08Vous avez tous les jours, à de nombreuses reprises, vous parliez de rouler, vous vous
05:14imputiez à vous-même l'hypothèse de rouler à 200 km heure.
05:17Mettons que le « je » soit un « on ». Il y a tous les jours des gens qui roulent à
05:23des vitesses excessives et qui prennent le risque de créer des accidents graves.
05:27Ils n'ont pas conscience qu'ils peuvent exposer la vie d'autrui.
05:33C'est un homicide involontaire lorsque ça se produit.
05:37Ou des circonstances aggravantes.
05:38C'est-à-dire qu'il y a homicide involontaire et homicide involontaire.
05:43Il y a, si vous voulez, celui qui, par exemple, dans une société a mal rangé le matériel
05:50et que ce défaut de rangement va créer une situation accidentelle dont quelqu'un va
05:55perdre la vie.
05:56On va lui dire que vous auriez pu être sérieux et ranger votre matériel, mais là, vraiment,
05:59je dirais qu'on est dans le minimum de l'inconscience.
06:04Ce que tu es en train de nous dire, c'est que cette hypothèse que j'évoque conduirait
06:07à des dérives qui seraient infortuites pour la suite dans certains autres cas.
06:12On ne peut pas dire que notre droit soit fondé sur la conséquence, c'est-à-dire sur la
06:18mort.
06:19C'est vrai et c'est faux à la fois.
06:21Puisque nous disions tout à l'heure que ce jeune homme, d'abord poursuivi pour blessures
06:27involontaires, va l'être désormais pour homicide involontaire.
06:30Mais ce qui est essentiel, je dirais, dans la vieille tradition morale et chrétienne
06:37de notre droit pénal, c'est la responsabilité et la responsabilité, c'est l'intention,
06:44c'est la volonté de faire, c'est la volonté d'un résultat.
06:48Si par un comportement aberrant, vous aboutissez à un résultat que vous n'avez pas voulu,
06:52vous méritez une sanction à cause de votre irresponsabilité.
06:56Mais même si le résultat tragique, qui est la mort d'une petite fille ou de qui que ce
07:02soit d'autre, influence le juge, parce que bien sûr, elle ne peut pas ne pas l'influencer,
07:07si vous roulez à 200 km heure et qu'il ne se passe rien, bon, bon, sanction, bien sûr,
07:12mais une sanction un peu symbolique, mais si vous avez causé la mort d'autrui, c'est
07:18autre chose.
07:19Mais dire que dès l'instant qu'il y a perte de la vie d'une victime, que ce soit volontaire,
07:25accidentel, prémédité ou pas, tout ça, c'est pareil, je pense que ça n'est pas
07:30possible.
07:31Il faut, et la loi le fait, distinguer en fonction des intentions des amis.
07:37Question pour vous d'Alexandre Malafaille.
07:39Si on considère qu'une voiture est une arme par destination, qu'un véhicule peut le devenir
07:44en fait, parce qu'on peut… Ou une moto, en l'occurrence, on en a déjà vu malheureusement
07:47sur des situations d'attentats où on se sert d'un véhicule pour tuer son prochain.
07:52Et là, on voyait bien qu'avant que le gouvernement actuel ne soit dissous par le président de
07:57la République, il y avait un projet qui visait à criminaliser le comportement d'alcool
08:01au volant, ce qui allait bien sûr dans le sens sans doute de plus grande fermeté.
08:05Est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer que certains types de délits, comme par exemple
08:08le rodeo urbain, rentrent demain dans une catégorie de nature à incriminer les gens
08:15sous la base d'un comportement plus criminel ? Et est-ce que ça permettrait, le cas échéant,
08:20de dire est-ce que parce que vous avez commis quelque chose de potentiellement criminel
08:23ou de criminel s'il y a eu mort, est-ce que ça pourrait justifier une détention
08:26provisoire en attendant un procès ? Et après, c'est l'acceptabilité sociale de ce genre
08:30de mesures qui, de fait, sont très liberticides évidemment.
08:33Moi, je ne suis pas opposé à l'idée que vous émettez d'une aggravation de la qualification
08:40et par votre conséquence de la pénalité, de certains comportements qui sont particulièrement
08:45dangereux.
08:46Là est d'ailleurs le problème, c'est qu'un certain nombre de comportements dénués
08:52la plupart du temps d'une intention criminelle, qui sont fondés sur la stupidité, sur l'incapacité
09:00de projeter la suite et la conséquence, que l'on aggrave la pénalité pour faire comprendre.
09:05Je peux l'admettre, mais en l'état de notre droit, les choses sont ce que j'évoquais
09:13il y a un instant.
09:14Phil Boutin a une question pour vous.
09:16La fonction de la justice, c'est évidemment de soustraire l'auteur, d'effet, à la vindicte
09:21populaire.
09:22Derrière, n'est-ce pas aussi la responsabilité de la justice, de ceux qui la rendent, que
09:28de s'interroger sur la réception qui va en être faite, c'est-à-dire le sentiment de
09:34scandale qui s'impose face à la légèreté des conditions du motard, qui sont quand même
09:41très recevables humainement, on peut les comprendre.
09:43Derrière, c'est le fossé qui se crée entre l'institution judiciaire, les juges plus
09:47précédemment, des humains, et la majorité de la population.
09:51Comment faire ?
09:52J'en ai vu le bordel.
09:53Deux choses.
09:54La première, c'est que le juge n'est pas là pour être aimé.
09:58Le juge est là pour prendre la décision qui, en son âme et conscience, est la bonne.
10:03S'il ne plaît pas, si sa décision ne plaît pas à l'opinion publique, s'il est détesté
10:08du fait de sa décision, je dirais tant pis, l'essentiel c'est qu'il ait fait son devoir.
10:13Et puis, il y a un autre problème.
10:14C'est celui qui n'est pas celui d'ailleurs de l'accident de cette malheureuse petite
10:19fille à Valoris, mais qui me fait penser à la mort de l'adjudant dans des conditions
10:26que nous connaissons tous, et qui d'ailleurs ont été présentées par le ministre de l'Intérieur
10:32avec des qualificatifs que je comprends.
10:34C'est un homme qui était là.
10:37Sa mort n'est pas acceptable.
10:38Oui, bien sûr, mais il a raison de dire ça.
10:40De toute façon, la mort n'est jamais acceptable.
10:43Surtout quand elle surgit dans de telles conditions.
10:45Il a raison.
10:46Mais quand il parle d'assassinat, j'ai entendu le mot assassins ou assassinat, là, il est
10:51complètement contraire à la loi.
10:54C'est encore une forme peut-être d'irresponsabilité encore plus forte, encore plus condamnable,
11:00comme vous le disiez.
11:01Mais nous sommes encore dans ce domaine-là.
11:03Et là, le problème de la justice et du juge dont vous parliez, c'est qu'on rend le juge
11:08responsable de la suite.
11:11Comment ?
11:12Vous jugez de manière globale, vous avez jugé quatre ou cinq fois, c'était le cas
11:18du chauffard qui a tué l'adjudant.
11:20Vous avez été condamné à cinq reprises et la justice n'a pas été capable de mettre
11:25hors d'état de nuire quelqu'un qui a repris le volant.
11:27Je dirais que le vrai problème, c'est celui de la récidive.
11:33C'est celui...
11:34Vous avez devant vous quelqu'un qui a, pour la quatrième ou cinquième fois, commis un
11:38délit un peu sérieux.
11:39Non, mais là, on est sur la récidive.
11:40Mais la récidive.
11:41Comment pouvez-vous la deviner ?
11:42Non, mais là, le récidivisme, c'est une autre chose, Jean-Yves Lebrun.
11:46Je reviens sur Valoris avec ce jeune de 19 ans qui n'a aucune condamnation judiciaire.
11:50Il y a quelque chose que je pense n'est pas très compréhensible dans l'esprit des gens,
11:54des Français.
11:55C'est le fait qu'il y a un JLD, un juge des libertés de la détention, qui déclare
12:01qu'il est mis en examen pour blessure involontaire et qu'il est laissé libre.
12:04Il n'a juste pas le droit de rentrer en contact avec la famille de la victime.
12:08Bon, ça, à la limite, c'est du bon sens.
12:10Mais derrière, on a le parquet de grâces qui fait appel de cette décision.
12:14Comment est-ce que vous voulez qu'un juge A dise « il y a ça » et un juge B dise
12:18« je ne suis pas d'accord avec toi, il faudrait faire autre chose ».
12:20Non, ça, je dirais, c'est l'essence même de notre organisation judiciaire.
12:24Vous avez un juge de première instance, un juge d'appel qui est là, je dirais, presque
12:30sa seule fonction, c'est de contredire ou au contraire de confirmer la décision du
12:35juge de première instance.
12:36Et au fond…
12:37Mais pourquoi ?
12:38Vous dites que le juge décide en son âme et conscience.
12:42Ça veut dire qu'il y en a un autre qui a une autre âme et conscience.
12:44Mais bien entendu !
12:45Bien entendu, ça va mieux en disant !
12:47La subjectivité dans l'appréciation d'une culpabilité pénale, elle existe partout,
12:53selon, je vous dirais même…
12:55Mais pourquoi il fait appel ? Pourquoi il le contredit s'ils ne sont pas…
12:57Vous vous rendez compte ?
12:58Il y a une fille…
12:59Attendez, mettez-vous à la place, Jean-Yves Leborgne, et vous le savez puisque vous défendez
13:03quand même des Français tous les jours, des Français et des pas Français.
13:07Comment est-ce que ces parents qui viennent de perdre leur fille de 7 ans voient un jeune
13:14qui n'est pas condamné pour homicide volontaire mais involontaire ? On a vu cette question-là
13:19à l'instant.
13:20Dont un juge dit qu'il est laissé en liberté sous contrôle judiciaire.
13:25Dont un autre juge dit que je ne suis pas d'accord avec ce juge-là, il faudrait peut-être
13:28le mettre en détention.
13:29Pardonnez-moi, mais…
13:30Non, ça me paraît tout à fait normal.
13:32D'abord, ce n'est pas un autre juge, c'est le procureur.
13:34Le procureur est une partie au procès qui soutient l'accusation.
13:39Alors, il soutient l'accusation, il demande la détention, le juge répond oui ou répond
13:44non.
13:45Là, en l'espèce, il a répondu non.
13:46Et le parquet, qui est dans son rôle, fait appel de la décision.
13:51Mais encore une fois, si contradictoire que soit cette décision par rapport à la tragédie
13:58et à la douleur des victimes, le juge doit être libre.
14:01Si l'opinion publique, demain, exerce une sorte de tyrannie sur le juge, il n'y aura
14:07plus de justice.
14:08Je ne sais pas s'il y a du tyrannie, mais en tout cas, il y a du débat.
14:09Merci beaucoup Jean-Yves Leborne d'avoir été notre invité sur Europe 1 ce soir 20h28.

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