Emmanuel Macron en visite en Serbie

  • le mois dernier
Avec Philippe Bertinchamps, correspondant à Belgrade du Courrier des Balkans
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Transcript
00:00Emmanuel Macron est en Serbie depuis hier, visite officielle de deux jours à Belgrade, au menu
00:05la signature d'une énorme vente de douze avions Rafale, mais pas seulement. Bonjour Philippe Bertinchant.
00:12Bonjour. Et merci, grand merci d'être avec nous ce matin sur Sud Radio depuis Belgrade, puisque vous êtes
00:18correspondant là-bas pour le courrier des Balkans. Philippe Bertinchant, d'abord
00:22comment la visite d'Emmanuel Macron est-elle perçue en Serbie et comment lui-même est-il perçu en Serbie ?
00:29Alors c'est une visite qui tombe plutôt bien pour le président serbe Aleksandr Vucic, un politicien qui dissout le parlement tous les 18 mois,
00:36flirte ouvertement avec la Russie et la Chine, fait régulièrement monter les tensions régionales,
00:40mais qui achète des avions Rafale à la France et qui voudrait également faire construire des mini-centrales nucléaires en Serbie.
00:46Les Rafale et des centrales nucléaires ce sont des affaires sérieuses,
00:49profitables, qui peuvent créer un nombre significatif d'emplois pour l'industrie française.
00:53On parle aussi de contrats avec EDF, mais encore du métro de Belgrade,
00:57dont le chantier n'a pas encore commencé, mais qui devait être construit par l'entreprise ASTOM, et surtout de l'aéroport Nikola Tesla dont Vinci a
01:04obtenu une concession de 25 ans, et qui a l'ambition de devenir un hub régional du trafic aérien.
01:10En outre, une petite dizaine d'autres accords ont été signés, que ce soit dans le domaine de l'énergie, de la défense ou encore de la culture,
01:17c'est-à-dire au total de bonnes affaires pour la France, ce qui en ces temps difficiles apparaît comme crucial.
01:22C'est aussi l'occasion pour la Serbie, de plus en plus critiquée pour ses violations des droits humains et sa proximité avec Moscou,
01:30de redorer son image internationale, d'apparaître comme pro-européenne, et d'en tirer des bénéfices en termes de propagande pour son gouvernement.
01:38Maintenant, si vous me demandez comment parle-t-on d'Emmanuel Macron en Serbie,
01:42je dirais que le président français fait partie des rares dirigeants européens qui maintiennent en contact assez régulier avec Aleksandr Vucic.
01:49Depuis plusieurs jours, les médias pro-gouvernementaux glorifient cette visite comme une preuve de la sagesse du leader serbe en politique étrangère.
01:57La France est en effet un poids lourd de l'Union européenne et Belgrade ne va pas se priver de son vanté,
02:02d'autant plus que face aux élections controversées et à la montée de l'autocratisme,
02:06Paris a en quelque sorte surmonté ses critiques à l'encontre de Belgrade,
02:10en mettant tous ses problèmes sous le tapis à la suite de ses juteux contrats économiques.
02:14Cela dit, les relations entre la Serbie et la France sont assez pendulaires.
02:18Elles oscillent. Certains jours, Aleksandr Vucic n'hésite pas à proclamer que les vrais amis de la Serbie sont la Chine et la Russie.
02:24Puis, du jour au lendemain, quand c'est nécessaire et que ça l'arrange, la France redevient notre vieille amie, notre fidèle alliée pendant les deux guerres mondiales.
02:31Aujourd'hui, en tout cas, les relations entre les deux États sont décrites comme solides et amicales.
02:35Tous deux ont renforcé ces dernières années leur coopération économique avec une centaine d'entreprises françaises opérant en Serbie, employant plus de 12 000 personnes.
02:43Tandis qu'au cours de l'année écoulée, les rencontres au plus haut niveau se sont multipliées, avec des visites officielles, des rencontres lors de forums internationaux et d'événements tels que la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques.
02:53Donc, Emmanuel Macron est actuellement présenté comme le plus grand ami du peuple serbe, voire comme une sorte de saint protecteur de la Serbie.
03:00Mais cela, jusqu'au prochain épisode.
03:02En attendant, cela permet au président français de marquer des points, tant au sein de l'Union européenne qu'en bilatéral.
03:06Car après tout, les affaires avec la Serbie auraient très bien pu aller aux Américains, aux Allemands ou même aux Russes.
03:10Effectivement. Emmanuel Macron, qui est présenté en tout cas aujourd'hui comme un ami en Serbie, il est arrivé un petit peu en retard hier en Serbie à cause de ses consultations pour Matignon.
03:23Est-ce que ça lui a été reproché ? Est-ce que les Serbes l'ont mal pris ou pas, Philippe Bertinchand ? Est-ce que ça a fait parler ?
03:30Non, pas du tout. Il a été accueilli en grande pompe, avec honneur militaire et les hymnes nationaux.
03:36Le président Vucic s'est lui-même rendu à l'aéroport pour l'accueillir en personne.
03:41Hier, on en a parlé, la Serbie a signé un accord pour l'achat de 12 avions Rafale du groupe Dassault, un contrat de près de 3 milliards, 2,7 milliards d'euros.
03:50Pourquoi faire ? A quoi vont-ils servir ces Rafales à la Serbie ?
03:55C'est une très bonne question. Il s'agit là d'un dossier particulier.
03:58En avril dernier, pour rappel, la Croatie voisine a acheté 5 Rafales d'occasion européennes à neuf,
04:04alors que la Serbie possède désormais 12 avions français flambant neuf, mais tous, comme vous l'avez dit, pour environ 3 milliards d'euros.
04:11La première question, bien sûr, est comment un pays pauvre comme la Serbie va-t-il les payer ?
04:15Une question à laquelle le président serbe a pris soin de ne fournir jusqu'à présent aucun élément de réponse.
04:20De son côté, la logique d'Emmanuel Macron est beaucoup plus simple.
04:2412 Rafales vendus, c'est un bon coup pour l'industrie militaire française et ça vaut donc la peine d'aller à Belgrade et de conclure le marché.
04:30Maintenant, la deuxième question est, la Serbie a-t-elle vraiment besoin de ces Rafales ?
04:35Sans être un expert militaire, je dirais que non.
04:37Belgrade n'a pas besoin de joujoux aussi coûteux, alors que le président Vucic répète à tout va que la Serbie veut la paix avec ses voisins.
04:44Quoi qu'il en soit, le président Macron a qualifié ce contrat d'historiquement important.
04:49Un contrat qui marque, a-t-il précisé, une étape stratégique à long terme dans les relations entre l'Union européenne, la France et la Serbie ?
04:56Belgrade prenant ainsi des distances de Moscou, son allié traditionnel et de l'achat d'armement russe.
05:01Vous l'avez dit, justement, côté français, c'est un contrat qui peut interroger.
05:05Est-ce que la Serbie, c'est quand même un pays qui a des liens très forts avec la Russie de Moscou ?
05:10Quelle est justement la nature exacte des relations ici, vous l'avez dit, entre la France et la Serbie ?
05:16On est sur, on va dire, sur un moment où on a une alliance très claire, une proximité, une amitié entre les deux pays.
05:23Oui, mais est-ce que la position de la Serbie vis-à-vis de la Russie est véritablement claire aujourd'hui ?
05:30Eh bien, les quatre piliers de la politique étrangère de Belgrade reposent sur l'Union européenne, les États-Unis, la Chine et la Russie.
05:37C'est un jeu de funambule qui est souvent très acrobatique.
05:40Ainsi, hier, à l'occasion de la signature du contrat d'achat des Rafales,
05:43Aleksandr Vucic a pris soin de préciser que Belgrade continuerait à soutenir l'intégrité territoriale de l'Ukraine,
05:49mais, fidèle à sa ligne et contrairement aux voeux de Paris et de Bruxelles, n'imposerait pas de sanctions à Moscou.
05:55L'ancrage européen de la Serbie...
05:56Mais ça n'a pas changé, il n'est toujours pas question pour la Serbie d'imposer des sanctions à la Russie.
06:02Non, Aleksandr Vucic a d'ailleurs déclaré haut et fort qu'il n'avait pas honte de cette décision.
06:08Quant à l'ancrage européen de la Serbie, il a quand même été remis en question à la veille de la visite présidentielle,
06:14alors que la cour d'appel de Belgrade examine le cas d'un ressortissant biélorusse, un opposant, Andrei Gniot,
06:20qui est menacé d'extradition vers son pays d'origine.
06:23Arrêté en octobre 2023 à l'aéroport de Belgrade, alors qu'il était en Serbie pour un tournage publicitaire,
06:29ce cinéaste de 42 ans a été placé en détention et depuis assigné à résidence avec un bracelet électronique.
06:35Si son cas suscite un large soutien au sein de l'opposition biélorusse, de la société civile serbe et de l'ONG comme Amnesty International,
06:41la justice serbe continue cependant de maintenir la procédure d'extradition.
06:45On a également observé plusieurs cas similaires parmi des citoyens russes ayant fui l'invasion de l'Ukraine
06:51et la mobilisation des ressortissants russes qui, après avoir manifesté leur opposition à Poutine depuis Belgrade,
06:58ont vu leur permis de résidence annulé.
07:00Il faut rappeler qu'au cours des dernières dix années, la Russie a principalement été présentée en Serbie de manière positive,
07:07comme un ami orthodoxe, le plus grand et le plus fort pays qui symboliquement s'oppose aux Nations Unies,
07:13à ce que l'on prive la Serbie d'une partie de son territoire, c'est-à-dire de son ancienne province, le Kosovo,
07:18qui a déclaré son indépendance en 2008.
07:21Dans ce contexte, depuis l'arrivée au pouvoir d'Alexander Vucic, Poutine est présenté comme un bon autocrate,
07:26un protecteur du peuple serbe.
07:27Poutine, c'est le tsar, il est puissant, c'est un chef, un vrai, et les Serbes font confiance à des hommes forts.
07:33Selon les sondages, huit Serbes sur dix estiment d'ailleurs que la Serbie a besoin d'être dirigée par un homme à poignes,
07:39ce qui en dit long sur le rapport du pays à la démocratie.
07:42Ça veut dire qu'on a un rapport compliqué dans ces négociations en vue d'une éventuelle entrée de la Serbie dans l'Union européenne ?
07:51C'est-à-dire qu'il y a des freins très clairs encore à cette entrée de la Serbie dans l'UE ?
07:56Oui, tout à fait. La Serbie est candidate depuis 2009, mais le processus a toujours été ralenti.
08:01Il y a une quinzaine d'années, je dirais que 60% de la population serbe était en faveur de l'Union européenne.
08:07Aujourd'hui, ce nombre a beaucoup diminué.
08:11Vous en avez parlé un petit peu, mais pour en savoir un petit peu plus, Philippe Bertinchon, sur le président serbe Alexandar Vucic.
08:19C'est un président autocrate d'une certaine manière qui, finalement, est en train de faire du mal à la démocratie serbe ?
08:29D'abord, il a une présence physique. C'est un géant de près de 2 mètres. Il est plutôt lourd dans ses mouvements. Il a un débit très lent, très monotone.
08:38C'est un homme de 54 ans qui a commencé sa carrière politique fort jeune, dans les années 1990, pendant l'ère yougoslave,
08:45et qui, rapidement, s'est hissé à la tête du parti radical dirigé par le chef historique de l'extrême droite serbe,
08:51Vojislav Sechel, qui a été jugé à la haie, coupable de crimes de guerre.
08:55En 1999, pendant la guerre du Kosovo et les bombardements de l'OTAN sur la Serbie, Vucic a été le ministre de l'information de Slobodan Milosevic.
09:02C'est une période très noire, très sombre, marquée par l'assassinat de journalistes, des morts violentes, sur lesquelles toute la lumière n'a pas encore été jetée.
09:10Après la guerre et la chute de Milosevic, à l'automne 2000, Vucic a rongé son frein pendant plusieurs années dans les rangs de l'opposition,
09:16avant de finalement rompre avec le parti radical et de créer un nouveau parti, le parti progressiste serbe, présenté comme libéral et pro-européen.
09:24Il a remporté les élections en 2012, il est devenu ensuite premier ministre et a été élu président en 2017.
09:29Au fil de ses mandats, il s'est imposé comme un politicien extrêmement habile, madré, qui contrôle l'opinion publique en la manipulant en permanence grâce à une mainmise quasi totale sur les médias,
09:39un dirigeant qui se fait réélire haut la main à chaque scrutin en ayant recours à des fraudes électorales massives et qui souhaite...
09:46Qui a été reconnu par l'OCDE, effectivement, sur ces fraudes.
09:49Tout à fait, et qui souhaite avant tout rester au pouvoir le plus longtemps possible.
09:54Le Kosovo, ça reste un sujet tabou, sensible entre la France et la Serbie, aujourd'hui, Philippe Bertinchant ?
10:02Alors, personne n'est dupe, c'est des négociations qui n'en finissent pas à Bruxelles entre le premier ministre kossovar, Albin Kurti, et le président serbe, Aleksandr Vucic.
10:14Mais la France n'est pas dupe que ces réunions s'éternisent et ne mènent finalement à rien.
10:20La Serbie a d'ailleurs été un facteur de déstabilisation l'été dernier au Kosovo, lors d'une espèce d'attentat manqué,
10:29au cours duquel des éléments nationalistes serbes ont été considérés comme les organisateurs.
10:37Pour conclure, Philippe Bertinchant, cette position de la Serbie entre la Russie, de Poutine, et puis l'Union Européenne,
10:45est-ce qu'elle peut tenir encore longtemps ?
10:48Et l'objectif pour la Serbie est-il de continuer à jouer sur les deux tableaux ?
10:54Oui, c'est un jeu de finambule qui demande beaucoup d'adresse.
10:58Il faut peut-être aussi rappeler qu'au niveau régional, la Serbie reste un pays important parmi les pays de l'ancienne Yougoslavie.
11:04Dans les Balkans, bien sûr, c'était déjà le temps, à l'époque de la Yougoslavie, c'est encore le cas aujourd'hui.
11:09Belgrade a toujours tendance à se considérer comme un pays hégémonique au niveau régional.
11:15Dans ce cadre, depuis 2020, c'est-à-dire depuis 4 ans à peine,
11:19le spectre de la Grande Serbie, qui était une idée promue par Slobodan Milosevic,
11:23est réapparu, cette fois sous le nom de Monteserbe,
11:26un concept selon lequel Belgrade doit rassembler tous les Serbes sous une seule direction,
11:30peu importe leur lieu de résidence.
11:32C'est un projet qui ravive de nombreuses inquiétudes, notamment en Monténégro et en Bosnie-Herzégovine,
11:37où il est perçu comme une menace de déstabilisation.
11:40Il faut dire que la défaillance actuelle du projet européen laisse un vide dangereux,
11:43car Belgrade a toujours estimé avoir un droit de regard et même un devoir de protection
11:46envers les communautés serbes des autres pays de la région.
11:49En réalité, évidemment, le Monteserbe ne va pas se réaliser,
11:52pas plus que la Grande Serbie de Milosevic n'a vu le jour.
11:55Mais, en attendant, cette rhétorique incendiaire permet à Aleksandr Vucic
11:58de jouer au pompier pyromane et d'éteindre les brasiers régionaux qu'il a lui-même allumés,
12:03confortant auprès de ses électeurs et de l'opinion internationale,
12:06dont la France, son image de politicien responsable est modérée.
12:10Est-ce qu'on sait quand il va repartir, Emmanuel Macron,
12:12quand il va rentrer en France, il y a une horaire qui a été donnée déjà,
12:15communiquée ou pas ?
12:17Normalement, son dernier jour, c'est aujourd'hui.
12:20Après une visite à Novi Sad, il devrait également inaugurer,
12:24poser une pierre commémorative à l'aéroport de Belgrade.
12:29Il prendra la parole lors d'une rencontre sur l'intelligence artificielle avec des jeunes.
12:34Merci beaucoup, merci pour toutes ces précisions,
12:38Philippe Bertinchant, depuis Belgrade, je le rappelle,
12:41vous êtes correspondant pour le Courrier des Balkans.
12:44Merci et très bonne journée à vous.

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