Avec Aurélien Duchêne, Consultant géopolitique et défense
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NewsTranscription
00:00Bonjour Aurélien Duchesne, vous êtes consultant géopolitique et défense,
00:05auteur d'un livre à paraître le 3 octobre, La Russie de Poutine contre l'Occident chez Errol,
00:09et je tiens à dire, je suis ravi de vous avoir parce que vous êtes clairement l'un des spécialistes
00:14du domaine qu'on va aborder, des plus brillants de votre génération. On a parlé ici même sur
00:18Sud Radio, il y a eu une surprise écrénienne il y a quelques semaines, celle de l'armée régulière,
00:22plusieurs milliers d'hommes, on le sait maintenant, des véhicules blindés ont franchi la frontière
00:26russe, une conquête du territoire sur près de 500 km² on nous dit, il y a clairement une guerre
00:33d'images qui est en train d'être livrée par les deux camps, on voit sur les boucles, notamment
00:36Telegram, sur les réseaux sociaux des prisonniers russes, des arrestations, des villages contrôlés
00:40par l'armée ukrainienne, l'état d'urgence a été déclaré par les russes, donc Vladimir Poutine,
00:45on y reviendra, bref, ça semble être un véritable point d'étape dans cet affrontement,
00:49mais une question quand même se pose, est-ce que ça ne vient pas poser les bases d'un danger
00:53nucléaire, parce que quand on sait que c'est une des premières fois où l'on assiste à une entrée
00:57sur un territoire qui possède la dissuasion nucléaire, la Russie, est-ce que ce n'est pas ça le vrai sujet ?
01:02Oui, on est là dans une première historique, ce n'est pas la première fois qu'un état non doté
01:07de l'arme nucléaire attaque un état qui est doté de l'arme atomique, sauf que les précédents
01:11historiques qu'on avait, c'était sur des territoires contestés, c'était par exemple l'Argentine qui
01:17avait attaqué des îles britanniques, les Malouines, mais il n'y avait pas là de risque que le Royaume-Uni
01:22invoque ses interhabitaux, son sanctuaire territorial, comme on dit, et en vienne un avertissement atomique.
01:27Dans le cas de la Russie, c'est évidemment différent, on parle du territoire vraiment frontalier,
01:33donc du cœur territorial de la Russie, et on parle aussi évidemment d'un enjeu de ne pas perdre la face,
01:38et c'est là tout le danger, on a beaucoup parlé des lignes rouges dans ce conflit, on a vu à quel
01:44point elles étaient mouvantes, mais pour Vladimir Poutine, c'est une gifle qui là, pour le coup,
01:47pose la question de la dissuasion nucléaire.
01:51Et en termes stratégiques, quel est le risque d'une telle fin de tabou ? Parce que si demain,
01:56admettons, Vladimir Poutine a envie d'aller plus ou moins reconquérir des territoires qu'il estime
02:01être des territoires qui se trouvent, quel hasard baltasar, dans l'OTAN, qu'est-ce qu'on aura ou
02:07qu'est-ce qu'on pourra dire ? Est-ce que ça ne vient pas aussi impacter la crédibilité occidentale quand
02:12on voit qu'on laisse les Ukrainiens faire sur le territoire russe ?
02:16Vous avez tout à fait raison, c'est toute la question de l'élevation du seuil nucléaire.
02:20Il y a quelques semaines encore, d'aucuns disaient que, à la différence par exemple de la Crimée et
02:26des territoires ukrainiens officiellement annexés par la Russie en 2022 et qu'elles ne contrôlent pas,
02:31une incursion ukrainienne sur le sol internationalement reconnue de la Fédération de Russie serait
02:36impensable parce que le moindre pouce de territoire perdu reviendrait à invoquer la dissuasion nucléaire.
02:42On voit une nouvelle fois que ce n'est pas le cas.
02:44Évidemment que les Russes peuvent faire le calcul d'en face.
02:47Ils peuvent se dire, ils se disent depuis des années d'ailleurs, que les Américains, les Français, les Britanniques
02:53n'auraient pas envie de mettre en danger Paris ou Londres à bris d'une frappe nucléaire pour sauver Tallinn ou Varsovie.
03:00Eh bien, ce calcul des Russes peut être encore plus renforcé aussi par une question de réciprocité.
03:05Ils peuvent se dire que là où on voit, avec le fameux OSINT, le renseignement en sources ouvertes,
03:11que vous avez des véhicules blindés américains, allemands, voire s'il y en a-t-il français, en se prendant des rues russes,
03:17ils peuvent se dire, eux, qu'ils sont d'autant plus fondés à prendre des risques demain
03:22contre un pays de l'OTAN qui serait couvert par la dissuasion élargie.
03:25On rappelle que la dissuasion américaine, elle couvre aussi tous les pays de l'OTAN qui le souhaitent.
03:29Et c'est là un vrai enjeu pour le futur de la grammaire nucléaire.
03:33Et c'est certainement un des sujets que vous aborderez dans votre livre, apparaître le 3 octobre, Aurélien Duchesne.
03:38Absolument.
03:39Comme quoi, on fait bien les choses à Suez Radio quand on observe ce qu'il se passe depuis plusieurs semaines sur la scène internationale.
03:45La livraison d'armes à longue portée, des livraisons des F-16, avec beaucoup plus de nuances,
03:51dans le sens où, évidemment, il faut des mécaniciens, il faut former les pilotes,
03:53mais la livraison des F-16 quand même, des frappes de la part des Ukrainiens sur le territoire russe.
03:58Comment ne pas donner raison à ceux qui, depuis des mois, craignent une véritable escalade ?
04:03Tout d'abord, les Ukrainiens, justement, veulent donner tort à ces gens.
04:07C'est-à-dire que cette incursion, cette fois sur le territoire russe, elle vise, là encore, à désinhiber le soutien des Occidentaux.
04:14On a vu que les Ukrainiens ont eu l'habitude, un peu, d'imposer des défaits accomplis aux Occidentaux.
04:19Les Occidentaux qui leur disaient, ne frappez pas la Crimée, par exemple, parce qu'elle est indispensable aux yeux de Poutine,
04:25et ils perdraient la face et seraient obligés de riposter beaucoup plus fortement.
04:29Finalement, à chaque fois, on a vu, était le point, désormais, des missiles de fabrication française, par exemple,
04:35peuvent aller taper le QG de la flotte russe à Sébastopol, en Crimée, et ce n'est pas pour autant que Kiev est un tas de cendres radioactives.
04:43Sauf que, d'autre côté, à force de repousser ce seuil, évidemment, les Ukrainiens, on est dans l'inconnu, justement, de ce seuil,
04:49on le voit, en ce moment, dans la région de Kursk, les Ukrainiens, effectivement, sont dans une zone d'ombre.
04:56Ils ne savent pas, eux-mêmes, jusqu'où ils peuvent tester la résolution des Russes.
05:00Mais il y a quelque chose, en revanche, qui évite une escalade incontrôlée, ou, en tout cas, qui la diminue,
05:07c'est le fait qu'il y ait toujours, depuis la crise de Cuba, en 1962, entre les Américains et les Tchétchens à l'époque,
05:13il y a des hotlines, un téléphone rouge, comme on dit dans le vocable diplomatique,
05:18qui permet aux Russes et aux Américains, en tout cas, théoriquement, d'échanger pour prévenir une escalade et pour diminuer les tensions,
05:26si, par exemple, les Ukrainiens devaient franchir un seuil jugé inacceptable par les Russes.
05:30On l'a dit, le titre, c'est cette incursion ukrainienne en Russie, est-ce qu'il n'existe pas un point de rupture nucléaire ?
05:36Et on va y venir, mais dans ce territoire, on va dire, qui a été attrapé, visiblement, par les Ukrainiens et par l'armée régulière,
05:43surtout, il y a la ville de Sudja, qui est une ville symbolique, parce qu'elle abrite une station de transport de gaz,
05:48elle permet, donc, à la Russie d'approvisionner des pays européens, on a assisté à une flambée des prix, record depuis le début de cette guerre,
05:54est-ce qu'on peut considérer que ce n'était pas le réel objectif des Ukrainiens ?
05:58C'est-à-dire faire pression sur la Russie, en enlevant, on va dire, un point stratégique majeur sur l'énergie,
06:03et puis faire comprendre aussi aux Européens que, voilà, là, ça y est, on commence aussi à avoir des points importants,
06:11donc, regardez, notre soutien est plus que primordial, nous soutenir est plus que primordial.
06:14– Ça paraît très peu probable pour deux raisons, la première, c'est que, certes, cette station Sudja,
06:21c'est par là que transite la quasi-totalité, par exemple, du gaz vers des pays comme la Slovatie, la Hongrie et l'Autriche,
06:28qui sont également les trois pays qui, au sein de l'Union Européenne, sont les moins enclins, par exemple,
06:34à adopter les paquets de sanctions contre la Russie, donc, il peut y avoir l'idée de les frapper directement,
06:40j'ai envie de dire, au portefeuille, mais c'est oublié toujours, c'est oublié le fait, par exemple,
06:45que le gazoduc transite toujours par le territoire ukrainien, il y a encore des contrats en la matière,
06:51si les Ukrainiens avaient voulu couper le robinet, ils l'auraient fait depuis longtemps,
06:55et la deuxième chose qui, à mon avis, décrédibilise l'idée que le gazoduc soit la cible des Ukrainiens,
07:02c'est qu'on n'est, en réalité, probablement pas dans l'idée d'un gage territorial à long terme,
07:07ça ne peut plus rien exclure au point où on en est,
07:10on aurait pu imaginer que les Russes mettraient plus d'une semaine,
07:14qu'on y ait encore à faire une contre-offensive sur leur propre territoire,
07:19mais il paraît très peu probable que l'objectif des Ukrainiens soit de satrifier autant d'unités
07:24pour tenir dans la durée à gazoducs, ça n'en vaut pas la peine stratégiquement,
07:28alors que leurs ressources en armes et en matériel restent comptées.
07:31Revenons au nucléaire qui est un peu le fil rouge de notre discussion,
07:34il y a eu hier soir un incendie dans la fameuse centrale nucléaire de Zaporizhia,
07:38évidemment tout le monde a réagi, les incendies ont finalement été éteints,
07:42il y a eu une réaction de l'agence mondiale du nucléaire,
07:47est-ce qu'on peut imaginer que les Russes iraient jusqu'à jouer avec une centrale nucléaire
07:53pour éventuellement accuser les Ukrainiens, ou bref,
07:56entrer dans une guerre de communication qu'ils espèrent gagner, est-ce qu'on peut imaginer cela ?
08:00On peut l'imaginer, quelque part cette centrale nucléaire deviendrait une arme nucléaire par destination,
08:06dans la grammaire nucléaire classique, celle de l'initiative nucléaire,
08:10il existe par exemple la théorie du fou au fort,
08:14et Poutine en joue, la théorie du fou au fort c'est l'idée de retenez-moi ou je fais un malheur,
08:19et on a été habitué par exemple à ce que les Russes aient été capables par exemple de causer
08:24un désastre environnemental en détruisant un barrage en Ukraine,
08:28ce qui n'était pas attendu par la plupart des experts,
08:31mais ce qui là, à mon avis, limite le risque que les Russes soient prêts à causer un accident de type Tchernobyl dans cette centrale,
08:39c'est d'une part le fait qu'ils veulent garder le contrôle de ces territoires,
08:43ils n'ont pas envie de faire un désert radioactif dans la région de Zaporizhia qui est concernée,
08:48ils sont dans l'idée de faire de ce territoire une terre russe,
08:52et deuxièmement, ce qui retient les Russes, ce qui les a retenus semble-t-il,
08:56par exemple de faire une frappe nucléaire tactique à l'automne 2022,
09:01ce sont à la fois la réaction à attendre de l'OTAN et notamment des Américains,
09:06et ce sont surtout les derniers alliés qu'il reste à la Russie qui montrent par nos diplomatiques
09:11que les Chinois et les Indiens ne tolèreraient pas que la Russie...
09:15Oui, ce serait le seuil à ne pas franchir.
09:18Oui, on a parlé des lignes rouges qui ne devaient pas être franchies,
09:22par contre les Russes ne franchiront pas une ligne rouge aux yeux de leurs alliés,
09:26c'est-à-dire qu'ils ne vont pas se prendre le bris et perdre la Chine et l'Inde,
09:29là ils seront sans personne et la guerre s'arrête très rapidement pour eux.
09:32Mais alors justement, et ce sera une de nos dernières questions Aurélien Duchesne,
09:37d'un point de vue pragmatique, même si visiblement pour Poutine il donne l'impression que cela n'est pas grave,
09:41il envoie en quelque sorte des forces antiterroristes, il déclare seulement l'état d'urgence,
09:47il ne veut pas que cela se voit trop visiblement aux yeux de sa population,
09:51même si la guerre commence à se faire réellement sentir sur son territoire,
09:53est-ce qu'il n'y a pas un risque qu'on revienne aux fameuses menaces
09:56qu'on avait déjà connues très franchement, très concrètement au début de la guerre,
10:00à savoir qu'il y ait des armes nucléaires tactiques
10:03contre les potentiels ennemis ukrainiens qui se trouvent en territoire russe ?
10:07Il a déjà eu des raisons, Poutine, de branquer la menace nucléaire,
10:12par exemple je vais parler de l'automne 2022,
10:15parce qu'il y avait eu un quasi-effondrement de l'essentiel du front russe.
10:19La situation est presque plus grave, au fond, que ce qu'il se passe aujourd'hui dans la zone de Koursk.
10:24Là où, là encore, ça me paraît assez peu probable que Poutine en vienne à un avertissement atomique,
10:30c'est qu'il ne s'est jamais écarté, contrairement à ce qu'on dit, des règles classiques de la dissuasion,
10:36il n'a jamais, Poutine, menacé d'atomiser Paris, par exemple,
10:39parce que nous avons annoncé la livraison de mirages nucléaires.
10:43Il est resté menaçant, mais dans le cadre.
10:44Oui, c'est-à-dire que, quand vous regardez toutes les interventions qui sont celles de Poutine,
10:48j'ai fait abstraction des délires de Medvedev et d'autres de ses lieutenants,
10:52Poutine ne fait que rappeler qu'il dispose d'herbes nucléaires,
10:56et puis la Russie, des seuils qu'il ne peut pas franchir.
10:59La fameuse démonstration de force, oui.
11:01C'est ça, et sur la question de Koursk, en revanche, le vrai risque pour Poutine,
11:05mais on n'y est pas encore, ce serait que Poutine confonde les intérêts vitaux du pays
11:13avec les intérêts vitaux de son régime à lui,
11:15et se disent qu'une incursion ukrainienne prolongée,
11:18qui montrerait que la forteresse Russie n'en est pas une,
11:23et que lui, Poutine, qui fonde sa légitimité depuis la guerre de Tchétchénie
11:27sur la protection du territoire russe, n'est plus capable de le protéger,
11:31le vrai risque, c'est si Poutine sent une menace sur son pouvoir.
11:34Et que retenez-vous, puisque c'est une transition parfaite pour notre dernière question,
11:38de l'incursion qui dure depuis désormais une semaine pile,
11:42de cette incursion de l'armée, on le rappelle, régulière ukrainienne en territoire russe,
11:46Aurélien Duchesne, consultant en géopolitique et défense,
11:49qu'est-ce que vous retenez, vous, de ces derniers jours, qui, de fait, étaient une surprise ?
11:52On a deux retours d'expérience.
11:55Le premier, c'est qu'on imaginait que, même si, à la frontière russe,
12:00les seules forces de protection, c'était des déconstruits, qui ont autre âge,
12:04qui n'ont pas d'expérience du front,
12:06et qui ne s'attendaient pas une minute à devoir se battre sur le territoire russe,
12:10on n'attendait pas non plus, en revanche, que la Russie mette autant de temps,
12:13ça fait une semaine, là, ce n'est même pas une contre-offensive,
12:15c'est une intervention chronoposte de la part de Poutine,
12:18que la Russie mette autant de temps à monter une contre-offensive,
12:22qu'elle n'emploie pas, par exemple, son aviation pour aller pédonner les colonnes ukrainiennes,
12:26ça, c'est une surprise qui s'explique mal.
12:29Et la deuxième question, c'est aussi, le deuxième enseignement, plutôt,
12:32c'est aussi résilience, qui est celle, encore une fois, du système Poutine,
12:37parce que ce qu'on observe des réactions des Russes,
12:40que ce soit sur les réseaux sociaux russes, comme Télégram,
12:43ou que ce soit aussi dans les médias,
12:45c'est que, pour l'instant, ils en sont davantage à blâmer les Ukrainiens
12:49et à reprendre la propagande du Kremlin, que c'est une attaque terroriste,
12:52plutôt qu'à s'en prendre à Poutine lui-même.
12:54Ça aussi, c'est un enseignement qui me rend assez peu optimiste
12:57sur le fait qu'un jour, les Russes veuillent se retourner contre le Kremlin
13:01du fait d'une guerre qui s'est terminée.
13:02– Merci beaucoup Aurélien Duchêne d'avoir été avec nous sur CEDRADIO,
13:05je rappelle que vous êtes consultant géopolitique et défense,
13:07et l'un, objectivement, des plus prometteurs,
13:10et vous êtes l'auteur d'un livre, apparaît le 3 octobre,
13:12« La Russie de Poutine contre l'Occident », ce sera chez Erol.
13:15On se retrouve dans quelques instants sur CEDRADIO
13:17pour notre deuxième fait du jour, figurez-vous que l'Union Européenne
13:20a essayé de faire une démonstration de force avec la Chine
13:23en taxant les voitures chinoises, deux chiffres,
13:25la taxation était de 10%, ça risque d'avoisiner les 40%,
13:29ça déplaît à la Chine, elle a saisi l'Organisation Mondiale du Commerce,
13:32et c'est un vrai sujet, à tout de suite.