ART & MARCHÉ - L'INTERVIEW du vendredi 31 mai 2024

  • il y a 4 mois
Vendredi 31 mai 2024, ART & MARCHÉ reçoit Solène Clément (Avocate au Barreau de Paris, Experte associée d'Eunomart)

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00:00 (Générique)
00:04 Solène Clément, avocate spécialisée sur les questions de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les LCBFT,
00:13 est notre invitée pour dresser un bilan de ce premier semestre où plusieurs règlements ont été actés au niveau européen, plusieurs bilans aussi ont été publiés.
00:22 Bonjour, merci beaucoup d'être avec nous.
00:24 Ma première question c'est concernant tout simplement le marché de l'art, est-ce que c'est l'un des secteurs les plus exposés à ces questions de LCBFT ?
00:34 Alors, il est vrai que le marché de l'art a été identifié comme étant un secteur potentiellement utilisé pour du blanchiment d'argent ou du financement du terrorisme
00:44 et ça on retrouve cette vision-là dès la directive du 4 décembre 2001.
00:51 Donc oui, et il faut dire aussi qu'en cette matière il y a eu bien évidemment un regain d'intérêt avec l'Etat islamique en 2015,
00:58 avec du coup des preuves d'excavation, de spoliation et de revente d'objets culturels au marché noir.
01:07 Et c'est pour ça que les marchands d'art ont été très précisément appelés à être vigilants.
01:13 Oui, et justement, alors l'un des principaux leviers pour lutter contre le blanchiment, c'est ce qu'on appelle du coup la déclaration de soupçons.
01:20 Que seuls les professionnels du secteur peuvent réaliser et Tracfins a réalisé un bilan 2023 de toutes ces déclarations de soupçons.
01:28 Est-ce que vous pouvez nous dire déjà un peu plus précisément qu'est-ce que cette déclaration de soupçons et quelles sont les conclusions de ce bilan réalisé par Tracfins ?
01:38 Alors la réglementation du temps du blanchiment en fait, elle pèse sur un certain nombre de secteurs et la France a fait le choix dans un subjétissement très large.
01:44 Donc vous avez tout le secteur financier et parmi le secteur financier vous avez les marchands d'art. Il y a aussi les avocats, les notaires, les experts comptables.
01:51 Ce qu'on leur demande c'est d'être vigilants, de récupérer de l'information sur leurs clients et de procéder à une réflexion, une analyse de cohérence.
01:58 Et en cas d'incohérence, entre le profit du client, ses demandes, la manière dont il va venir financer son oeuvre d'art, d'informer la cellule de renseignement financier Tracfins
02:08 qui elle va jouer le rôle de plateforme et redispatcher l'information directement vers les équipes investigatrices, vers le procureur ou bien vers les administrations centrales.
02:18 Et donc le bilan de Tracfins en la matière a souligné que c'était une année record, 2023, donc plus de...
02:26 Une vraie progression.
02:27 Enorme progression, quasiment 200 000 déclarations de soupçons, tout secteur confondu et précisément sur le marché de l'art, c'est à peu près 95 déclarations de soupçons
02:38 qui ont été émises par les différents marchands qui sont assujettis et la vaste majorité par les commissaires priseurs.
02:46 Ce qui fait du coup dire aux douanes qu'on a une progression de 48% par rapport à l'année précédente.
02:53 Par rapport à un niveau qui était très faible du coup.
02:55 95% du coup, est-ce que c'est par rapport au secteur du marché de l'art, c'est assez faible ?
03:00 C'est difficile, finalement quand vous me posez cette question-là, vous me posez la question de savoir est-ce qu'il y aurait un nombre minimal à partir duquel on pourrait être absolument certain que tout le monde est extrêmement vigilant.
03:12 On peut se dire que compte tenu de la population du marché de l'art, il y a encore une marge de progression assez claire qui peut être obtenue.
03:19 Après, encore une fois, je pense qu'il ne faut pas aller trop loin sur les conclusions que l'on peut tirer du nombre de déclarations de soupçons.
03:26 Parce que le professionnel, c'est le premier maillon de cette lutte, c'est sur ses épaules à lui que repose cette lutte.
03:34 Exactement, l'idée ce n'est pas de dire que le professionnel est un délinquant, c'est de dire que peut-être son client va l'utiliser, va utiliser sa prestation de service, sa transaction,
03:46 à des fins du blanchiment d'argent ou à des fins de financement terroriste.
03:50 Et donc, qui est mieux placé qu'un propre professionnel qui est maître sur son terrain et qui a toute l'expérience pour venir détecter l'atypisme, l'incohérence,
04:00 là où des équipes de police qui ne seraient pas forcément spécialisées sur le sujet auraient du mal à saisir le fonctionnement d'une vente publique, le fonctionnement d'une vente en foire par exemple.
04:10 Il y aura peut-être des éléments qui pourraient être considérés comme étant atypiques mais qui ne le sont pas.
04:17 Et donc réellement, l'idée c'est de dire on va assujettir plein de secteurs différents parce qu'on veut capitaliser sur leur bon sens,
04:24 les choses qui ont été finalement mises déjà en place de manière intuitive et on veut capitaliser là-dessus.
04:33 - Il y a aussi les douanes qui ont demandé à ces professionnels de faire une auto-évaluation de leur implication dans cette lutte.
04:43 Est-ce que justement à travers ce questionnaire on voit qu'ils jouent le jeu ou pas ?
04:47 - Déjà je voudrais dire que c'est hyper intéressant l'approche des douanes avec ce questionnaire d'auto-évaluation
04:53 parce que c'est vraiment une bonne manière pour que les professionnels s'approprient le sujet.
04:57 Il y a eu un premier questionnaire qui a été envoyé en septembre et il s'avère qu'il y a eu un deuxième questionnaire qui a été envoyé hier.
05:03 Donc en fait ça recommence.
05:05 Il y a des statistiques en fonction du niveau d'appropriation de la réglementation, c'est intéressant.
05:14 Je dirais que la chose qui m'a le plus marquée c'est que les douanes sont venues sur certains types de professionnels
05:19 et on a souligné le nombre de réponses au questionnaire qui provenait de marchands qui étaient affiliés à un syndicat
05:27 et le nombre qui n'était pas affilié à un syndicat.
05:29 Bizarrement on peut se rendre compte que sur certains professionnels il y a beaucoup plus de réponses de la part des professionnels
05:35 qui ne sont pas affiliés à un syndicat alors qu'on aurait pu penser que c'était l'inverse.
05:40 Donc ça c'est assez intéressant, on va voir si la tendance...
05:42 - Ça veut dire que les gens font la démarche par eux-mêmes ?
05:44 - Ça veut dire que les gens n'ont pas de problème à répondre aux douanes, ils le font, ils se soumettent à cette réglementation.
05:51 Pour moi c'est déjà un point extrêmement positif, c'est une réglementation qui est complexe, qui est technique, qui est en perpétuelle évolution.
05:58 Il faut aussi voir que c'est une réglementation qui a été faite pour les banques puisque c'est elles qui sont les assujetties originelles.
06:04 Et qui dit banque dit gros établissement, moyens, ressources.
06:09 Et que aujourd'hui ça peut être aussi l'une des difficultés de dire à un marchand, mais de dire aussi à plein d'autres secteurs,
06:16 de dire "Votre réglementation qui vous concerne, elle est dans le Code monétaire et financier".
06:20 Régulièrement j'ai des yeux qui me disent "Mais pourquoi moi, je n'ai aucun lien avec ce code ?"
06:24 Et bien si, mais du coup il y a plusieurs étapes, plusieurs freins, en tout cas plusieurs étapes de complexité
06:33 qui peuvent aussi expliquer que ça va prendre du temps.
06:35 Et il faut aussi bien se rappeler que même si on a une première trace d'assujettissement dans la directive de 2001,
06:42 en réalité le dispositif français a été parachevé le 1er décembre 2016.
06:47 Et que les deux premières sanctions sont tombées pour la première fois l'année dernière.
06:52 Donc tout ça est un lent processus et finalement autant l'administration que les marchands doivent se mettre au diapason.
06:59 Donc ce cadre s'installe progressivement. Et puis il y a aussi eu ces derniers mois une réglementation européenne
07:06 qui harmonise la réglementation au niveau européen.
07:10 Est-ce que peut-être que ça aide les professionnels à avoir une meilleure compréhension de tout ce système ?
07:17 Quelles sont les avancées majeures de cette réglementation ?
07:21 Alors en fait initialement la réglementation au niveau de l'Union Européenne a été prise par des directives.
07:28 Les directives ce sont des instruments législatifs qui nécessitent une transposition nationale dans chaque Etat membre.
07:34 Ce qui fait qu'au final après 30 ans de lutte anti-blanchiment, il y a eu des énormes scandales de blanchiment d'argent.
07:40 La vigilance n'a pas fonctionné. L'Union Européenne s'est posé la question de savoir comment tout ça avait été possible.
07:46 Et l'un des sujets ça a été de dire finalement on a des transpositions dans tous les sens.
07:51 Ça ne convient pas et si on a un trou dans la raquette à un endroit, bien évidemment une fois que l'argent sale est rentré, ça circule partout.
07:57 Donc grande avancée cette année avec ce règlement.
08:01 L'Union Européenne a abandonné la directive au profit du règlement qui lui est applicable et d'effet immédiat est applicable sur tout le territoire sans transition.
08:09 Ce qui fait que donc en premier effet on va avoir nécessairement une harmonisation de la compréhension de ces obligations de vigilance.
08:17 Et déjà là on va avoir forcément pour les marchands français qui sont soumis du coup à une réglementation qui est quand même très précise, très complexe.
08:26 Et que ça n'est pas le cas dans tous les pays de l'Union Européenne.
08:29 Ça va pousser vers une compréhension commune et un nivellement par le haut.
08:35 Et l'autre élément assez intéressant de ce paquet européen c'est la création de l'autorité de lutte contre le blanchiment.
08:43 Alors en réalité maintenant c'est déjà l'acronyme anglais qui a gagné.
08:46 Tout le monde appelle ça l'AMLA, Anti Money Laundering Authority.
08:50 Et cette autorité est chargée de superviser les superviseurs.
08:54 Donc notamment de superviser tous les contrôleurs européens qui sont eux chargés d'aller contrôler le marché de l'art.
09:01 Donc là aussi si les douanes ont commencé un travail et ont fait un travail très précis et sont très volontaires sur le sujet.
09:09 On peut espérer que ce soit le cas dans tous les pays de l'Union.
09:12 Et donc que la distorsion de concurrence qui peut avoir lieu, qui peut résulter en fait, elle vienne à s'amenuser.
09:19 Et je pense que en ça c'est une bonne nouvelle pour le marché de l'art.
09:22 Merci beaucoup Solène Clément. Je rappelle que vous êtes avocate spécialisée dans ces questions de l'LCBFT.
09:27 Et quant à nous on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
09:33 Merci.
09:35 ♪ ♪ ♪

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