Vendredi 8 mars 2024, ART & MARCHÉ reçoit Colonel Hubert Percie du Sert (chef, OCBC)
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00:00 *Générique*
00:04 Vol, recel, de biens culturels, affaires de faux, voire de blanchiment,
00:08 c'est un service dédié de la police judiciaire
00:11 qui s'occupe de toutes ces affaires concernant le trafic de biens culturels.
00:15 Cela s'appelle l'OCBC,
00:17 l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels,
00:20 et nous recevons aujourd'hui son chef, le colonel Hubert Persy du CERF.
00:24 Merci beaucoup d'être avec nous.
00:26 Bonjour, merci de m'avoir invité.
00:28 Alors l'OCBC, est-ce que vous pouvez nous présenter un peu plus en détail ce que c'est ?
00:32 Quelles sont véritablement les missions au quotidien de cet office ?
00:36 L'OCBC est un office un peu particulier
00:39 parce que c'est un office qui a la croisée des chemins,
00:42 qui est constitué de policiers et de gendarmes.
00:46 C'est un office de la police nationale commandé par un gendarme
00:49 parce que la lutte contre le trafic de biens culturels
00:53 concerne autant les forces de police que les forces de gendarmerie
00:56 dans leur zone de compétence respective.
00:59 C'est un office qui a les prérogatives de tout office central de police judiciaire,
01:02 c'est-à-dire une compétence nationale pour conduire des enquêtes
01:06 sur le territoire national et à l'international,
01:09 la capacité à animer et à coordonner sa thématique sur le territoire national
01:15 avec les unités localement implantées.
01:19 Et puis, pour atteindre cet objectif,
01:22 on a des missions qui nous sont dévolues, qui sont l'investigation criminelle,
01:26 le renseignement criminel, la formation, la prévention
01:31 et la coopération internationale.
01:32 Donc ces cinq missions nous permettent d'être le chef de file
01:37 de notre thématique au niveau national.
01:39 Et ça nous oblige aussi à fédérer les différents acteurs.
01:44 C'est pour ça que je vous dis qu'on est à la croisée des chemins
01:45 parce qu'on travaille avec les grands services de renseignement,
01:48 on travaille avec le ministère de la Culture,
01:50 on travaille avec le ministère de la Justice,
01:52 on travaille avec le ministère de l'Economie et des Finances,
01:54 notamment les douanes.
01:55 Donc on a des partenariats sur tous les acteurs
01:59 qui ont un rôle d'efficacité et un rôle majeur
02:02 dans la lutte contre les trafics.
02:03 - Et vous êtes combien en tout ?
02:05 - Alors on est une petite start-up, on est 33,
02:09 avec une parité d'enquêteurs police et d'enquêteurs gendarmerie,
02:12 mais on a aussi des enseignants-chercheurs.
02:16 Donc on a constitué un réseau d'enseignants avec des doctorantes
02:19 qui sont au service de l'OCBC
02:22 pour faire de la prospective et du travail de fond.
02:25 - Et avant de donner des exemples concrets,
02:29 je vais poser la question très simplement,
02:31 pourquoi c'est grave le trafic cultural ?
02:33 Quelles sont vraiment les conséquences ?
02:34 Parce que c'est vrai qu'on peut être très éloigné de ça,
02:38 pourtant c'est quand même un des plus grands trafics mondiaux
02:42 qu'il y a, qui existe.
02:43 - Alors c'est un trafic qui est grave et qui est sensible
02:48 parce que d'abord quand vous volez un bien culturel,
02:53 que vous le dénaturez, que vous le détruisez,
02:56 vous détruisez une part de culture, une part d'identité,
03:00 une part du patrimoine commun qui nous appartient à tous.
03:06 Ensuite c'est un trafic et c'est une activité criminelle
03:11 qui est importante parce qu'elle va intégrer
03:15 un certain nombre d'activités et d'organisations criminelles
03:18 dans tout le processus pour arriver à une situation de revente des objets.
03:24 Et donc le trafic de biens culturels,
03:27 c'est le blanchiment d'objets qui ont été volés,
03:30 qui ont été contrefaits ou qui ont été pillés.
03:32 Donc il y a tout un processus criminel lié au blanchiment
03:37 avec des gens très structurés qui savent très bien ce qu'ils font
03:40 et qui sont issus de la vraie criminalité organisée.
03:43 Ou alors le blanchiment des avoirs criminels,
03:46 c'est-à-dire des organisations criminelles qui ont des revenus
03:49 et qui cherchent à investir dans le marché de l'art
03:51 parce que les biens culturels ont une valeur intrinsèque
03:55 qui résiste au temps de crise.
03:57 Et donc ils essayent d'investir pour blanchir leur argent
04:02 et lui donner une apparence légale.
04:05 Donc ça peut être très lié, très croisé avec d'autres trafics ?
04:09 Oui, oui.
04:11 La particularité des trafics de biens culturels,
04:14 c'est qu'à un moment donné,
04:16 quand vous voulez rentrer dans cette opération de blanchiment,
04:18 c'est-à-dire soit blanchir de l'argent,
04:20 soit blanchir un objet, c'est-à-dire lui donner une existence légale,
04:23 il va falloir que vous passiez par les acteurs
04:26 et les intervenants du marché de l'art,
04:28 que ce soit des brocanteurs, des antiquaires
04:31 ou des commissaires priseurs, et donc par un réseau de sachants
04:35 qui lui doit exercer et exerce sa vigilance
04:39 sur la réalité des pièces qui lui sont présentées.
04:42 Comment ça se passe alors une enquête ?
04:44 Est-ce qu'il y a des phases que vous retrouvez
04:47 régulièrement dans chaque enquête,
04:49 où elles sont toutes très différentes ?
04:51 Est-ce que vous avez des exemples à nous donner
04:53 pour illustrer tout ça ?
04:55 Il faut préciser que nous on travaille sur trois aspects.
05:00 On démarre nos enquêtes dès lors qu'il y a un élément légal,
05:02 un élément matériel et un élément intentionnel.
05:04 L'objectif pour nous est de démontrer l'intentionnalité
05:06 des gens qui ont détenu des biens culturels,
05:10 c'est-à-dire est-ce qu'ils savaient que les objets étaient volés ?
05:14 Nos enquêtes démarrent comme toutes les enquêtes de poli judiciaire,
05:17 à partir d'un renseignement, à partir d'un signalement,
05:21 à partir d'un signalement par une administration,
05:24 qu'on appelle les articles 40,
05:26 à partir d'un vol qui nous est signalé
05:28 et d'une plainte qui est prise.
05:30 Et la particularité c'est que très rapidement
05:33 nos enquêtes nous amènent à conduire des investigations à l'international.
05:37 C'est pour ça qu'on a un important réseau de coopération
05:40 avec les grandes agences Europol, Interpol,
05:43 mais avec toutes les polices européennes et les polices,
05:45 on est en relation assez régulière avec les forces de police américaines.
05:51 Donc ce sont des investigations qui vont généralement à l'international
05:56 et puis qui sont menées avec des experts,
06:00 des expertises artistiques, professionnelles, scientifiques
06:04 et la capacité à illustrer et à retrouver le parcours de l'objet.
06:09 Point particulier c'est qu'il y a une vraie vulnérabilité
06:13 dans le trafic de biens culturels
06:15 qu'on retrouve dans toutes nos enquêtes, c'est l'objet.
06:17 Parce que l'objet dès lors qu'il est identifié, photographié,
06:20 sa carte d'identité permet de le tracer tout au long de sa vie
06:24 et de savoir qui elles sont les personnes qui l'ont détenu.
06:26 Donc on arrive à remonter sur quasiment toute la filière de recel,
06:30 parfois même et assez souvent jusqu'aux voleurs.
06:34 Donc c'est un réseau qui, dès lors qu'on a ces éléments d'identification,
06:39 avec l'inscription des objets volés dans la base TREMA,
06:42 leur mise sous surveillance pendant des années,
06:45 parce que certains objets peuvent réapparaître des années après,
06:48 eh bien on est capable, avec des outils d'intelligence artificielle
06:52 que l'on développe à l'OCBC,
06:54 de retrouver ces objets et de démarrer l'enquête
06:56 et de dire "vous êtes recelleur d'un objet qui a été volé dans un musée,
06:59 qui a été volé chez un particulier".
07:01 L'IA est donc un bon outil pour vous ?
07:03 L'IA est un outil qu'on a développé dans le cadre d'un projet européen
07:06 et qu'on est en train de tester et de faire monter en puissance.
07:11 Et donc pour terminer cette interview,
07:13 est-ce que vous pouvez nous donner un exemple d'une enquête
07:15 que vous avez réalisée, qui serait du coup maintenant terminée,
07:17 dont on pourrait parler ?
07:18 Un exemple d'une enquête qui montre la sensibilité,
07:21 c'est 2021, sur le site de Saqqara,
07:24 une chapelle funéraire où on découvre la chapelle funéraire d'un prêtre
07:28 et cette chapelle funéraire est fermée.
07:31 2022, quand elle est réouverte,
07:32 il y a des linteaux qui ont été pillés,
07:35 arrachés et enlevés à coups de marteau-piqueur.
07:39 Et, pardon, je vous ai dit 2021, c'est 2002.
07:42 Ces objets-là sont retrouvés en 2013 sur le marché français
07:48 et on démontre dans le cadre de l'enquête de l'OCBC
07:52 que ces objets ont été pillés et qu'ils sont d'une provenance illicite
07:56 et extraits illicitement du territoire égyptien.
08:00 Et donc, au jugement, on a une restitution des objets à l'État égyptien
08:07 parce qu'il y a préjudice pour le peuple égyptien,
08:11 préjudice pour le tourisme,
08:13 et en fait, on a une situation où on s'aperçoit des implications diplomatiques
08:19 d'un vol ou de la vente d'un achat sur le territoire français
08:23 qui a été pillé dans un pays étranger.
08:25 Et donc, ces enquêtes-là montrent la sensibilité diplomatique
08:31 et des relations inter-étatiques autour des biens culturels.
08:33 Merci beaucoup, le colonel Hubert Persy du CERGE.
08:37 Vous êtes le chef de l'OCBC.
08:38 Merci d'avoir été avec nous aujourd'hui.
08:40 Et quant à nous, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
08:44 [Musique]