• il y a 7 mois
Un rassemblement est prévu à 18h devant le ministère de la Santé. Les manifestants demandent à être reçus par les ministres Catherine Vautrin et Frédéric Valletoux. Et des "mesures concrètes et immédiates" de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans le secteur de la santé. La professeure Karine Lacombe, auteur de "Les femmes sauveront l'hôpital" aux éditions Stock, est l'invitée de Amandine Bégot.
Regardez L'invité de RTL avec Amandine Bégot du 29 mai 2024

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00:00Il est 7h43, Amandine Bigot, vous recevez ce matin la professeure Karine Lacombe,
00:06chef des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine à Paris et auteur des « Femmes
00:09sauveront l'hôpital » paru aux éditions Stock. Karine Lacombe, les Français vous ont découvert
00:14pendant le Covid, vous avez été l'un des visages de cette crise sanitaire et vous êtes donc
00:18aujourd'hui devenue l'une des voix du mouvement MeToo à l'hôpital, l'une des premières en tout
00:22cas à briser ce tabou, à dénoncer, et je vous cite, ses regards concupissants et ses mains baladeuses.
00:27D'abord en octobre dans ce livre qu'évoquait Yves à l'instant, puis dans Paris Match il y a
00:32quelques semaines, vous avez donné le nom de ce médecin senior à la réputation de Don Juan,
00:36Patrick Pelou en l'occurrence, je précise qu'il nie les faits. Pourquoi avoir attendu si longtemps
00:41pour parler Karine Lacombe, plus de 20 ans presque ? Eh bien en fait ça reflète absolument ce qui
00:48se passe à l'hôpital, c'est-à-dire cette omerta qui existait jusqu'à présent, jusqu'à ce qu'on
00:55lève enfin le voile sur ce qui se passait vraiment sur le plan des violences sexistes et sexuelles,
00:59et parce que le poids de la hiérarchie est extrêmement lourd, et pour beaucoup de femmes,
01:06parler, dénoncer ce type de comportement, ça veut dire pour certaines mettre un terme à
01:11la carrière, à leur carrière, ou tout du moins l'avoir freinée et ne pas pouvoir faire ce qu'elles
01:15veulent à l'hôpital. Faire une croix sur leur carrière si elle parle. Bien sûr. Vous avez reçu
01:20de très nombreux témoignages depuis ces confidences à la fois à Paris Match et depuis ce livre.
01:24Qu'est-ce qui vous a surpris ? Est-ce que le nombre d'abord de témoignages vous a surpris ? Alors le
01:29nombre de témoignages personnels que j'ai pu recevoir effectivement m'a beaucoup surpris.
01:33Je ne pensais pas qu'il y avait un tel besoin de se confier à quelqu'un et de voir dans la parole
01:39que j'ai portée un sentiment qu'enfin on pouvait être entendu et surtout écouté. Et ça a
01:48également libéré un mouvement de parole vers les associations, vers les syndicats d'étudiants et
01:55professionnels de santé qui je pense va être très libératoire et porte une parole qui maintenant ne
02:02devrait plus s'arrêter. Il y a un témoignage plus qu'un autre qui vous a surpris, marqué ? Oui, oui,
02:07oui. Alors on parle beaucoup de la responsabilité du conseil de l'ordre. Par exemple dans toutes
02:12ces affaires, il y a des médecins qui étaient en poste dans des hôpitaux, qui ont proféré des
02:21violences sexistes et sexuelles envers certaines personnes qui m'ont contacté, qui par exemple
02:25maintenant sont à la retraite, font partie des comités au conseil national ou départemental des
02:32conseils de l'ordre. Et j'ai été extrêmement frappée parce que je me suis dit finalement si on
02:37porte plainte contre des médecins, en particulier le conseil de l'ordre, on va être jugé par des
02:41hommes qui eux-mêmes sont à l'origine de ces violences sexistes et sexuelles. Vous demandez
02:46au conseil de l'ordre de faire le ménage ce matin ? Alors oui, on a beaucoup discuté de ce sujet-là.
02:54Je sais que madame Buzyn s'est exprimée sur ce sujet. Donc effectivement je pense qu'il y a une
03:02vraie prise de conscience à prendre de la part du conseil de l'ordre et de nous aider dans ces
03:06actions-là. Le président du conseil de l'ordre, qui hier d'ailleurs a accordé une interview à nos
03:12confrères de ouest France, il dit effectivement qu'il faut que les choses changent, notamment il
03:17promet que dans les écoles de médecine, tous ceux qui pendant leurs études seraient sanctionnés
03:20pénalement ne pourront plus exercer la médecine. Il faut aller jusque là ? Bien sûr, absolument. La
03:26loi doit être appliquée, la loi doit être appliquée rapidement. Probablement que l'histoire à laquelle
03:31le président du conseil de l'ordre fait allusion, c'est celle d'un étudiant qui a été condamné
03:37pendant ses études de médecine. Et effectivement, déjà il ne faut pas que la justice soit lente,
03:43et dans cette histoire en l'occurrence, elle a duré plus de quatre ans, et il faut que les sanctions
03:47soient appliquées pour que quelqu'un qui a agressé sexuellement pendant ses études ne devienne pas un
03:53jour médecin au contact de patients avec lesquels on a un rapport de suggestion. Et on doit être
04:00absolument intègre quand on s'occupe de patients. Et les médecins reconnus coupables, eux, ils doivent
04:03être radiés d'après vous ? Oui. Alors après évidemment il doit y avoir un jugement, etc.
04:08Bien sûr, mais l'ordre des médecins a intervenu aussi après. L'ordre des médecins doit pouvoir
04:13agir en conséquence. Je voudrais qu'on rappelle ces chiffres qui sont complètement dingues. Une
04:19enquête de l'institut de sondage IPSOS réalisée pour l'association Donner des ailes à la santé,
04:25on y découvre que plus de trois femmes médecins sur quatre ont déjà subi des paroles, des attitudes,
04:29ou des commentaires à connotation sexiste qui les ont mis mal à l'aise. Et alors 17% d'entre
04:35elles, ça fait presque 1 sur 5, rapportent avoir été victime d'agressions sexuelles à l'hôpital.
04:40C'est énorme ! Oui. 17% disent avoir subi des agressions sexuelles, 30% disent avoir subi des
04:46gestes à connotation sexuelle. Et c'est ce dont je parle beaucoup dans mon livre. Ce n'est pas parce
04:52qu'il n'y a pas une condamnation pénale à la clé qu'il n'y a pas de condamnation morale. Subir des
04:58gestes à connotation sexuelle, avoir travaillé continuellement sur des regards concupissants,
05:04avec des paroles absolument déplacées sur nos seins, nos fesses, le poids qu'on a pris, etc, etc.
05:10Ça, ça fait partie de ces violences sexistes et sexuelles. Et ça fait partie, si j'ose dire,
05:16du package. Vous écrivez, ça fait presque partie du métier, les mains baladeuses de certains
05:20supérieurs hiérarchiques qui savent se chercher sous les blouses, des seins, des fesses ou des
05:24cuisses en toute liberté. Il est difficile, voire impossible, au nom de la colitude de l'hôpital,
05:29de refuser ces attitudes ancestrales. Oui, absolument. C'est une atmosphère dans laquelle
05:34beaucoup d'entre nous avons grandi. Nous avons commencé à exercer notre métier dans cette
05:39atmosphère-là. Et même si on ne supportait pas ces... même si on ne voulait pas supporter ces
05:46gestes, malgré tout, on était vraiment sous la coupe, cette espèce de domination masculine,
05:51ce caractère perpétuel d'homme au-dessus de soi, contre lesquels on ne pouvait rien dire,
06:05une omerta dans laquelle on a grandi et qui maintenant vraiment doit changer.
06:09Vous diriez que ces hommes, on les a protégés ou qu'on a fait semblant de ne pas voir ?
06:12C'est difficile. Je ne dirais pas qu'il y a eu... quand il y a eu une... quand on a... quand on s'est
06:21exprimé, et quand vraiment les choses allaient trop loin, il y a pu avoir une prise de conscience.
06:25Mais c'était souvent, personnellement, qu'on avait du mal à s'exprimer. On a l'impression... des
06:31mitouilles, il y en a eu dans le cinéma, dans un certain nombre de secteurs. On a l'impression
06:36qu'à l'hôpital, c'est encore plus compliqué. Et vous avancez. Une explication qui est peut-être
06:41possible, c'est que vous, soignants, vous êtes confrontés à tout un tas de choses. Et quand il
06:46vous arrive ça, vous vous dites, bah, quand je vois mes patients, il n'y a plus grave. Oui, c'est ça,
06:50le sentiment aujourd'hui des soignantes ? Oui, je pense qu'aussi le rapport à la maladie, le rapport
06:54à la mort, nous fait vraiment prendre beaucoup de recul par rapport à ce qu'on peut subir, par
07:00ailleurs, au quotidien. Donc on se dit, oui, un geste déplacé, se faire serrer dans un couloir
07:05de l'hôpital avec quelqu'un qui essaie de nous embrasser, finalement, quand mon patient va mal et
07:09qu'il faut que je le réanime, bah, voilà, on passe. On fait avec, en fait. On fait avec, mais, au
07:15fur et à mesure du temps qui passe, on ne fait plus avec. Et c'est pour ça qu'il y a beaucoup de
07:18jeunes femmes qui partent de l'hôpital, qui vont s'installer dans une activité libérale pour,
07:23justement, ne plus avoir à supporter cette pression. Parler, c'est faire une croix, vous le disiez,
07:27potentiellement sur sa carrière. Si vous aviez parlé, Karine Lacombe, vous ne seriez pas chef
07:30de service aujourd'hui à l'hôpital Saint-Antoine ? C'est difficile à dire, on ne peut pas refaire le
07:34passé. Après, je pense qu'il y a aussi d'autres qualités qui font qu'on peut devenir chef de
07:39service ou pas, et en particulier des qualités de résilience. Donc, c'est vraiment difficile à
07:44dire. Moi, je n'ai pas subi de viol, par exemple. Mais certaines personnes qui ont vraiment subi des
07:52viols, eh bien, pour beaucoup d'entre elles, ça a été, quand elles ont commencé à en parler,
07:58ça a été l'arrêt de leur carrière hospitalière. Patrick Pelloux, que vous avez nommément accusé,
08:05n'y l'est fait, je le disais. Il parle de diffamation, évoque un comportement grivois,
08:09ce sont ses mots. Il a porté plainte contre vous ? Alors, pas à ce jour, mais vous savez,
08:15ça fait plus d'un mois quand même. Les plaintes en diffamation, ça peut prendre du temps. Mais,
08:18je pense qu'on n'a aucun intérêt à ce que les choses aillent sur le terrain judiciaire,
08:23parce que judiciariser des propos de ce type-là, ça veut dire aussi nier la parole des femmes qui
08:32s'expriment, et c'est jouer dans le sens du maintien de l'omerta, empêcher d'autres femmes
08:42de s'exprimer sur ce type de sujet, et finalement, ça se retourne plutôt contre soi, je pense. Je
08:49pense qu'il vaut mieux comprendre le problème, y apporter des solutions, et faire en sorte que
08:54tous ensemble on puisse avancer, et faire que ce climat-là de l'hôpital totalement délétère
08:58disparaisse. Merci beaucoup Karine Lacombe. Manifestation donc ce soir à 18h devant le
09:04ministère de la Santé, puis je rappelle le titre de votre livre, Les femmes sauveront
09:08l'hôpital. C'est optimiste. C'est aux éditions Stock.

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