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Amandine Bégot reçoit Emmanuelle Béart pour "Un silence si bruyant", documentaire dans lequel l'actrice révèle pour la première fois avoir elle aussi été victime d'inceste. 1 Français sur 10 est concerné.
Regardez L'invité de RTL du 14 septembre 2023 avec Amandine Bégot.

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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 RTL matin
00:06 RTL 7h39 très bonne journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Bégaud vous recevez donc ce matin la comédienne Emmanuelle Béard.
00:12 Bonjour Emmanuelle Béard. Bonjour. Et merci beaucoup de prendre la parole ce matin sur RTL pour évoquer ce documentaire "Un silence si bruyant"
00:20 et qui sera donc diffusé le 24 septembre prochain sur M6. C'est un documentaire sur l'inceste à voir
00:27 impérativement. Je le dis et je le martèle c'est hyper sincère.
00:30 Ce documentaire il est à la fois bouleversant et révoltant. Il faudrait d'ailleurs sans doute le montrer dans tous les collèges, tous les lycées.
00:36 Pourquoi pas même dans toutes les entreprises. On va y revenir mais il faudrait que tout le monde le voit. Avec la réalisatrice
00:41 Anastasia Mikhova vous avez rencontré trois femmes et un homme tous victimes d'inceste dans leur enfance. Des histoires qui sont très très différentes les
00:49 unes des autres mais qui ont un point commun c'est ce silence
00:52 pesant, un silence qui hante tout le temps. Oui alors le silence c'est parce que
00:59 il est très très difficile et particulièrement pour un enfant.
01:03 Il faut imaginer que l'inceste c'est un
01:06 c'est un pouvoir sur un plus faible.
01:10 L'inceste c'est une domination qui part, c'est un acte de domination qui passe par le sexe.
01:16 C'est une façon de nier,
01:19 d'écraser
01:20 le plus petit, donc l'enfant. Donc il est très difficile, c'est bouche cousue, il est très très difficile pour un enfant
01:27 qui est isolé par la personne qui lui fait subir ces violences sexuelles incestueuses,
01:32 isolé et silencieux la plupart du temps. Mais on reviendra sur ce sujet.
01:38 L'enfant parle, moi j'en suis convaincue. L'enfant parle peut-être pas avec des mots qui rentreraient dans un cadre juridique
01:47 mais si on est très à l'écoute et c'est la moindre des choses de la part de notre société, de nos institutions,
01:53 on se rend compte que l'enfant parle avec d'autres mots, l'enfant parle avec des maladies,
01:57 il a des symptômes à l'école, chez le médecin, donc voilà. Et on va revenir sur
02:02 cette critique aussi que vous faites dans ce documentaire de la justice, de la société et finalement j'ai envie de dire de notre comportement à
02:09 tous. C'est en les écoutant
02:11 ces quatre personnes que vous avez décidé de vous livrer vous aussi. Il y a un moment donné
02:16 percuté par leurs mots, par leurs paroles, par leurs émotions,
02:20 je me suis dit que je pouvais pas
02:23 ne pas parler. Ça me semblait presque indécent. Moi j'ai parlé, j'ai parlé dans mon cercle intime, j'ai parlé
02:30 mais je voyais que ça n'imprimait pas. J'avais l'impression que les gens n'entendaient pas ce que je disais
02:36 et surtout j'avais l'impression que les gens oubliaient très vite ce que j'avais dit. Et donc
02:42 moi j'ai commencé ma vie de femme, ma vie d'adulte, j'ai choisi ce métier de langage et de corps, j'ai fait des enfants,
02:49 je me suis mariée et donc quelque part j'ai couru, j'ai couru très loin, très vite.
02:54 Et puis je tombais, je tombais fréquemment. Et puis comme je l'ai dit dans le film, mes nuits blanches,
03:01 des somnifères, donc des séquelles, des choses qui
03:04 envahissaient mon quotidien et ma vie. Et je me suis dit il faut absolument trouver l'outil juste
03:12 pour parler de ça. Et j'ai trouvé grâce à Anastasia Mikhova et à notre rencontre
03:17 la possibilité d'en faire un documentaire.
03:20 Vous êtes un fil rouge dans ce documentaire. Oui, un fil conducteur. Vous écoutez
03:25 ses paroles et vous vous livrez, vous confiez vous-même avoir été victime d'inceste dans sa durée pendant quatre ans.
03:33 Entre 10 et 14 ans.
03:35 Et à l'époque vous ne dites pas tout de suite les choses.
03:39 Maintenant pour toutes les raisons que je vous ai expliqué en début d'émission,
03:42 l'enfant se tait ou l'enfant parle mais avec des mots qui semblent
03:47 incommunicables et que les adultes n'entendent pas.
03:51 C'est à votre grand-mère que vous en parlez ? C'est à ma grand-mère que j'en parle, oui.
03:55 Et quelle est sa réaction à ce moment là ? Je crois pas, je crois que c'est, je crois qu'elle, je crois pas qu'elle, je suis pas
04:02 sûr qu'elle comprenne.
04:03 Mais instinctivement elle se dit
04:06 qu'il faut en parler à mes parents et qu'il faut que je parte de l'endroit où je suis.
04:11 Vous vous souvenez de ce que vous lui avez dit ?
04:13 Je lui ai dit la vérité.
04:16 Je lui ai dit
04:19 exactement ce qui s'était passé pendant quatre ans. J'ai donné des détails.
04:24 Je crois que je la gênais aussi, je crois qu'elle savait pas très bien quoi faire de ça.
04:28 Et
04:30 et je crois que comme d'autres ça n'a pas vraiment imprimé. Des années après elle m'a dit mais
04:35 elle était grecque, elle me dit "mais qu'est ce que tu m'as dit exactement ?" J'ai dit "mon dieu mamie mais tu ne te souviens donc pas"
04:41 Et pourtant ce que vous lui disiez était... Et pourtant elle m'a sauvé, pourtant elle m'a sauvé. Oui en même temps
04:48 la réalité c'est qu'à 14 ans on n'a pas envie de donner des détails
04:53 sexuels, c'est très gênant, c'est très... Donc on dit d'autres choses où on reste flou, trop flou peut-être pour qu'ils impriment. Et elle vous a sauvé.
05:01 Oui. Parce qu'elle vous sort de ce...
05:04 cet endroit où ça se passe. Oui absolument. De cet endroit, de ce lieu. Vos parents vous leur en avez parlé aussi.
05:09 Quelle a été leur réaction ?
05:13 La même, c'est à dire qu'ils ont
05:15 ils ont posé des questions qui me paraissaient à l'époque
05:20 très difficiles, il me paraissait très difficile d'y répondre. Mais j'ai dit, j'ai dit ce qui était arrivé, j'ai tout dit.
05:28 A aucun moment l'un de ces adultes ne vous a dit "il faut porter plainte". Non, alors je dis pas ça du tout pour les accabler.
05:34 Non, non, c'est pas ça. Mais les choses... Pour qu'on comprenne justement. Les choses ont changé, vous savez c'était...
05:39 Moi je viens d'avoir 60 ans donc on parle d'il y a longtemps et c'est vrai que le mot
05:46 inceste, moi c'est pas parce que je me suis tue que je n'ai pas compris ce qui se passait. C'est pas parce que je n'ai rien dit
05:54 que j'ai accepté. Je sais pas comment vous dire, ça paraît paradoxal mais
05:58 mais à l'époque on ne parlait pas d'inceste, on ne parlait pas de plainte.
06:04 C'était un sujet totalement tabou. Non pas que ça ne soit plus tabou parce que en fait
06:10 l'impression que ça me donne depuis que je fais ce film c'est qu'il n'est pas tabou de le faire mais par contre il est tabou
06:16 de le dire et de le penser.
06:18 Et c'est cet espace de pensée collective sur un traumatisme
06:24 collectif qu'on a voulu créer avec Anastasia.
06:27 Et l'adolescente de 14 ans ne s'est jamais dit il faut que cet homme paye ? Non pas de cette façon là.
06:33 Vous n'avez jamais songé à porter plainte ?
06:36 Vous dites dans le film "je n'ai pas voulu prendre le risque, qu'on me dise un jour que ça n'a pas eu lieu".
06:41 Oui parce que je sais que 70% et c'est un des problèmes de notre justice,
06:45 70% des plaintes sont sans suite.
06:49 Donc des sans suite, des non lieux.
06:53 La justice aujourd'hui
06:55 ne semble pas être à la hauteur
06:57 de ce qui se passe dans notre pays.
07:01 Moi je suis pas folle des chiffres et je n'ai pas envie qu'on devienne un grand tout.
07:06 Mais c'est quand même 160 000 enfants, c'est un enfant toutes les trois minutes.
07:10 Dans une classe de 30 enfants vous avez toutes les chances d'en avoir deux ou trois donc c'est une ampleur d'un français sur dix.
07:16 C'est énorme.
07:17 C'est énorme.
07:19 Donc c'est très bien cette injonction de dire "il faut prendre la parole, il faut parler".
07:24 Mais cette parole il faut en faire quelque chose.
07:26 Il faut agir pour moi dans un ordre chronologique.
07:29 C'est à dire que si on ne sait pas quoi faire de cette parole
07:33 d'un point de vue sociétal et judiciaire,
07:35 on ne peut pas entraîner les gens à juste dire les choses.
07:39 Il faut les protéger.
07:41 Et c'est vrai que force est de constater que le système judiciaire pour le moment
07:45 n'a pas l'air de protéger nos enfants.
07:47 Mais pourquoi ? Parce qu'il est trop lent ?
07:49 Mais parce qu'il est trop lent, parce qu'il est encombré,
07:51 parce que sans doute il n'y a pas assez de gens qui sont sur ses dossiers,
07:55 et puis parce qu'on a peut-être des lois à changer.
08:00 Vous imaginez que quand un homme ou une femme est condamné pour violences sexuelles incestueuses,
08:10 il n'y a pas un retrait immédiat de l'autorité parentale.
08:15 Il y a beaucoup de mères qui vont porter plainte, qui vont porter la parole de l'enfant,
08:19 et qui se retrouvent à être des mères soupçonnées d'aliénation parentale sur leur enfant.
08:23 Oui, soupçonnées d'avoir instrumentalisé leurs enfants.
08:26 Exactement. Avec des risques, avec des pénalités des procédures judiciaires,
08:31 avec des risques de prison, des amendes.
08:33 Et on s'est aperçu qu'il y avait des centaines et des centaines, des milliers de femmes
08:37 qui portaient cette parole-là, ce témoignage-là, en disant "je suis, je me retrouve sur le banc des accusés".
08:43 Dans le documentaire, il y a le témoignage de Sarah et de sa fille,
08:47 abusée dès l'âge de 4 ans, et qui va parler à sa maman en lui expliquant.
08:52 Sa maman entend et effectivement elle va porter plainte.
08:54 Elle l'emmène voir des spécialistes. Les spécialistes à l'époque lui disent "elle n'est pas en danger".
08:58 Oui.
08:59 "Et cette petite fille, elle va être..."
09:00 Oui, et elle dit cette chose, moi, qui m'a beaucoup frappée.
09:03 Elle dit "mais moi, je pensais que c'était des professionnels qui me répondaient.
09:08 Donc s'ils me disaient que ma fille n'était pas en danger, s'ils me disaient qu'éventuellement, ma fille peut-être inventait..."
09:14 Alors que la fille de Sarah est très précise dans ce qu'elle dit.
09:18 Et donc, cette mère a été sous peine d'aller en prison et de payer une amende,
09:24 et de se voir retirer la garde de son enfant.
09:27 Elle a été obligée de remettre l'enfant.
09:29 Donc il faudrait au moins suspendre l'autorité parentale, le temps de l'enquête,
09:37 et le droit d'hébergement, et le droit de visite.
09:40 Parce que cette petite fille, elle est allée pendant 4 ans chez son papa, un week-end sur deux, et ça a continué.
09:44 Bien sûr, et ça ne s'est arrêté que parce qu'il a abusé de deux autres mineurs.
09:49 Ça ne s'est pas arrêté parce que la fille de Sarah a parlé.
09:52 Ça s'est arrêté parce qu'on s'est aperçu qu'il y avait des plaintes sur deux autres mineurs.
09:55 Mais sincèrement, Emmanuel Béart, quand on voit ça, on dit "on marche sur la tête".
09:58 En tout cas, on ne marche pas dans l'ordre chronologique.
10:01 Donc c'est très bien tout ce qui se passe.
10:03 Le gouvernement semble avoir envie de prendre en charge ça.
10:07 Mais il faut avancer tous ensemble.
10:09 Vous disiez tout à l'heure, l'éducation.
10:11 Nous, on adorait avoir un partenariat avec l'éducation nationale.
10:14 On adorait aller avec ce film dans les écoles, dans les collèges.
10:17 Mais il faut aussi savoir qu'il semble y avoir des gardiens du temple à tous les étages.
10:22 Par exemple, les médecins. Dans notre film, il y a une femme, Norma, qui dit cette chose.
10:27 Elle dit "si le médecin m'avait dit pourquoi toutes ces cystites, j'aurais tout lâché.
10:32 Si le directeur de l'école m'avait dit pourquoi une telle violence, pourquoi un tel rejet, j'aurais tout dit".
10:37 Mais quand un médecin parle, pour émiction dans l'intimité des familles,
10:43 il risque d'être radié par l'ordre des médecins.
10:45 Et tout est comme ça.
10:47 Donc il faut s'attaquer à tout en même temps pour que cette parole ait une valeur,
10:52 pour qu'elle soit entendue et pour que l'enfant soit protégé.
10:55 Si un enfant parle et qu'il n'est pas cru, il risque de se taire à tout jamais.
11:00 Un français sur dix victime d'inceste, on rappelait ces chiffres.
11:03 On prend une classe de 30 élèves aujourd'hui, il y en a sans doute trois.
11:07 Je pense que tous les auditeurs qui nous écoutent tombent de leur chaise en entendant ces chiffres.
11:11 Ça veut dire qu'on en a tous dans notre entourage.
11:13 Essayer de comprendre ce que c'est.
11:15 Essayer de comprendre ce que traversent physiquement et psychiquement ces enfants.
11:22 Qui seront des adultes en danger, qui seront des survivants.
11:27 Pas des vivants, des survivants.
11:30 Vous avez l'impression de vous battre pour survivre aujourd'hui ?
11:33 Je vais vous dire une chose, c'est que pour avoir eu envie d'en crever pendant longtemps,
11:38 je pense que maintenant j'ai vraiment le droit d'avoir envie de vivre.
11:43 On peut en crever ?
11:45 On peut en crever, oui.
11:48 Vous avez fait le choix de taire le nom de celui qui vous a fait ça ?
11:51 Oui.
11:52 Pourquoi ?
11:53 Parce que ce n'est pas le sujet du film, parce que ce n'est pas un film de règlement de compte.
11:59 Parce qu'il n'y a pas donné le nom de cette personne sur la place publique.
12:03 Ce n'est pas le sujet.
12:05 Ce n'est pas à ça que j'ai eu envie de m'attaquer.
12:08 Ça, ça me regarde.
12:10 Et j'en ferai ce que je voudrais.
12:12 Je demande à cette société de protéger les gens qui parleront.
12:15 Justement, tous ceux qui nous écoutent et qui effectivement...
12:18 C'est la société, c'est nos institutions, c'est l'institution judiciaire bien évidemment.
12:23 C'est tous ceux qui sont en charge de la protection des enfants.
12:27 C'est d'abord leur échec à eux, ces chiffres ?
12:30 Un Français sur dix ?
12:32 Oui.
12:33 Et c'est ça qu'il est important de regarder en face aujourd'hui.
12:35 Un grand merci en tout cas, Emmanuelle Béard.
12:38 Un silence si bruyant, c'est à voir.
12:40 Et vraiment, je le répète, il faut voir ce documentaire.
12:44 Le 24 septembre dimanche sur M6 ou en replay d'ailleurs.
12:48 Et j'en profite aussi pour saluer les quatre témoins de votre documentaire.
12:54 Je sais que vous ne voulez pas qu'on les appelle victimes.
12:56 Non, je dis que ce ne sont pas des victimes, ils ont été victimes.
12:59 Nous ne sommes pas des victimes, on a été victimes.
13:01 Ce n'est pas pareil.
13:02 Un grand merci.
13:03 Vous serez par ailleurs cette semaine en une du magazine Elle.
13:06 Merci à vous deux.
13:07 Merci Emmanuelle Béard de ce témoignage.
13:09 [SILENCE]

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