Le ministre de la Santé va s'attaquer au #MeToo Hôpital en rencontrant notamment de nombreux acteurs du milieu de la santé. Marie Portolano reçoit aujourd'hui la professeure Karine Lacombe, infectiologue à l'hôpital Saint-Antoine à Paris : elle est la première à avoir osé parler du sujet.
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00:00Bonjour Karine Lacombe, merci beaucoup d'être avec nous, ça fait quelques jours, quelques semaines que la parole se libère autour du MeToo Hôpital, pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui se passe ?
00:09Je pense qu'il était vraiment temps, d'ailleurs vous dites maintenant mais finalement ça fait quand même plusieurs années après le lancement du premier MeToo en 2017,
00:19donc on peut surtout se demander pourquoi c'est arrivé aussi tard et la raison pour laquelle c'est arrivé aussi tard c'est qu'il est très difficile de parler à l'hôpital.
00:28Les personnes qui sont concernées sont des personnes jeunes qui sont souvent soumises à une pression hiérarchique importante et qui ont beaucoup à perdre en fait à parler.
00:37Alors quelques chiffres, 78% des femmes médecins déclarent avoir déjà été victimes de comportements sexistes, 30% d'entre elles affirment avoir subi des gestes inappropriés à connotation sexuelle
00:47ou des attouchements sans leur consentement, donc pourquoi ça a mis autant de temps à cause de l'OMERTA et pourquoi il y a-t-il une OMERTA si forte autour de l'hôpital ?
00:55L'OMERTA est très liée je pense à la pression hiérarchique, au fait que notre carrière dépend beaucoup des personnes qui nous embauchent au quotidien, avec qui on travaille au quotidien.
01:08Ce sont des carrières qui pendant de nombreuses années sont très précaires et on dépend beaucoup de l'avis d'une personne qui va être le chef de service ou tout du moins le supérieur hiérarchique.
01:21Et donc c'est très difficile et d'ailleurs on voit maintenant, on voit que même si on parle beaucoup du MeToo à l'hôpital, finalement il n'y a pas tellement de personnes vraiment concernées qui en parlent.
01:33Alors justement, vous, vous avez sorti ce livre « Les femmes sauveront l'hôpital », c'était l'année dernière. Dans ce livre, tout est anonyme. Est-ce que vous avez réfléchi à dénoncer, à donner les noms des gens que vous évoquez ?
01:45En fait, mon but ce n'était pas vraiment de stigmatiser une personne mais c'est de montrer les comportements et de montrer comment le système pendant des années et des années a continué d'entretenir ce type de comportement.
01:57Et c'était plus pour vraiment essayer d'initier un électrochoc qui arrive plusieurs mois plus tard. C'est vrai qu'à partir du moment où on met des noms sur des actes, mais vraiment moi mon objectif c'était de secouer le système et de dire maintenant ça suffit, il faut regarder les choses en face et essayer tous ensemble d'y apporter une solution.
02:15Alors ce qui s'est passé, Karine Lacombe, c'est que vous sortez ce livre qui est donc anonyme et quelques mois plus tard, Anne Jouan, journaliste à Paris Match, paraît une enquête qui dénonce les hommes évoqués dans votre livre. Il y a notamment le nom de Patrick Peloux qui est sorti, célèbre urgentiste. C'était pas organisé ça ?
02:34Non, non, non, du tout.
02:35Alors comment vous avez réagi quand vous avez su que ça allait sortir ?
02:39En tant qu'auteur, on n'a pas grand chose à voir avec le journalisme d'investigation. Anne Jouan a fait une vraie enquête journalistique, elle a interrogé de nombreuses personnes, elle a recoupé des faits.
02:51Et quand elle m'a appelée pour me dire voilà, le sujet dont vous avez parlé dans votre livre est un sujet que je trouve très important, sur lequel il y a une véritable omerta et il est vraiment important d'en parler.
03:02Pour en parler, il faut mettre des noms sur ce qui se passe. Moi je lui ai dit ok, voilà comment ça s'est passé et finalement voilà pourquoi il est important d'accompagner le mouvement.
03:14Parce qu'en fait c'est très compliqué, on subit beaucoup de pression, elle-même, Anne Jouan, subit des pressions en tant que journaliste.
03:21Elle a eu des menaces de médecins très connus qui lui ont dit, vu comment tu parles de ce problème-là, tu seras plus soignée à la PHP.
03:29Oui, ça j'ai entendu ça aussi.
03:31Je trouve que c'est extrêmement violent. Moi-même ou d'autres jeunes femmes qui commencent à s'exprimer sur les plateaux ont aussi des pressions parce qu'il faut savoir que cette pression hiérarchique, elle se poursuit.
03:42Moins pour moi, qui suis maintenant mon propre chef, mais pour les autres jeunes femmes oui.
03:47Donc c'est vraiment une omerta qu'il est extrêmement difficile de bousculer.
03:51Donc on est venu vous voir, on vous a dit est-ce que c'est vraiment Patrick Peloux dont vous parlez dans votre livre et vous avez confirmé.
03:56Vous avez réfléchi avant de confirmer ça ?
03:59Ah bien sûr, j'ai réfléchi. Je sais que ça a une portée de parler d'une personne quand on veut en fait illustrer un système.
04:07Mais il est très difficile de bouger le système en fait.
04:10Et quand plusieurs personnes ont participé, dont cet urgentiste, ont participé au système, à un moment donné, il faut se dire on y va pour que les choses changent.
04:21Est-ce que vous comprenez, Patrick Peloux, qui lui parle de grivoiserie, ne comprennent pas pourquoi ça lui tombe dessus comme ça ?
04:28C'est là où je me rends compte qu'on a vraiment du chemin à faire.
04:32On est en 2024, on continue de penser que se frotter contre les internes dans les services des urgences, mettre des mains au sein, mettre des mains aux fesses,
04:41oui ce sont des grivoiseries où tout le monde rigole, en fait non, tout le monde ne rigole pas.
04:45Il faut savoir que les femmes, dont moi, qui ont supporté ça, non on ne rigolait pas.
04:50On était beaucoup de jeunes internes, de jeunes externes surtout, changer leur regard pour ne pas être avec ces chefs qui avaient ce type de comportement.
05:01Il y a toujours un prétexte, finalement, pour se laisser aller sur le plan sexuel et la grivoiserie en est un autre.
05:08Qu'est-ce que vous avez envie de lui dire, là, si vous écoutez Patrick Peloux, puisqu'il dit que ce n'était pas à ce point-là, qu'est-ce que vous auriez envie de lui dire ?
05:15Moi, je lui dirais de se rappeler quand il est venu me voir il y a deux ans, pour qu'on en parle, on a passé du temps dans mon bureau, on en a beaucoup parlé.
05:23J'ai bien senti qu'on avait un vrai hiatus entre ce que moi j'avais ressenti à l'époque et la façon dont lui pensait se comporter.
05:31Et je me rappelle qu'en sortant de mon bureau, il m'a dit, finalement, de toute façon, avec MeToo, on ne peut plus rien dire et on ne peut plus rien faire.
05:38Et là, on voit bien que les mentalités sont extrêmement ancrées et que ça, il faut que ça change.
05:44Vous avez rencontré le ministre de la Santé, Frédéric Valtoux, qui va recevoir également les professionnels de la santé.
05:49Il a dit plus d'impunité, le sexisme et les violences sexuelles n'ont pas leur place à l'hôpital, aucun écart ne doit être toléré.
05:56Qu'est-ce que vous attendez de lui rapidement ?
05:58J'étais déjà assez surprise qu'il me contacte personnellement.
06:02J'ai trouvé qu'on avait une relation très franche, on a beaucoup discuté.
06:08J'ai eu le sentiment qu'il se saisissait vraiment du problème.
06:11Il faut dire que je n'en attendais pas grand-chose, parce que moi, j'avais plutôt l'habitude que les politiques soient plutôt langue de bois.
06:16Et là, ça n'a pas du tout été le cas.
06:17Vous sentez qu'il était sincère ?
06:18Je pense qu'il était sincère.
06:20J'espère ne pas m'être trompée.
06:21J'espère que ça va bouger, oui.
06:23Merci beaucoup, Karine Lacombe, d'avoir été avec nous ce matin.
06:25Je rappelle votre livre « Les femmes sauveront l'hôpital, une vie de soignante ».
06:29C'est publié chez Stock.
06:30Merci.
06:31Merci à vous et bonne journée.
06:32À suivre de la musique, de la musique française, qui marche très bien à l'étranger.
06:35Vous voyez de qui je parle ou pas ?
06:36Musique française, étrangère ?
06:37Euh... Non.
06:39Très bien.
06:40Eh bien, tu le sauras après la pub.